Chapitre 1 (corrigé)



Vingt-trois heures. J'entre dans un bar. Cette journée m'a complètement lessivée. Courir dans tous les sens pour trouver un appart et un job a eu raison de mon enthousiasme. Depuis que je suis arrivée, je ne cesse de parcourir la ville, en long, en large et en travers. Je commence à en avoir marre, mais il faut bien que je gagne ma croûte, si je veux survivre ici.

Presque affalée sur le comptoir, je lève la main pour attirer l'attention du barman. J'ai bien besoin d'une bière. Ce dernier prend ma commande mais je sens qu'il est tendu comme un string. Son regard me toise et trahit une désapprobation plus qu'affirmée. Je hausse un sourcil. D'accord, mon apparence n'est pas du goût de tout le monde. Mais je crois qu'il n'a pas bien observé la population qui fréquente son bar à la con. Des motards, des pochtrons et un peu toute la vermine que peut compter ce quartier de New York. Je ne fais pas vraiment tâche.

De toute manière, s'il y a bien une chose dont je me fous royalement, c'est de plaire aux autres. Je veux juste qu'on me fiche la paix et qu'il me serve cette foutue bière. Alors je lui sors un grand sourire niais, histoire de lui faire comprendre que son opinion, il peut la mettre où je pense. Il fronce les sourcils, marmonne quelque chose dans sa barbe mais finit par me servir. C'est ça, détale, petit lapin. Fais gaffe à la louve assise sur le tabouret en face de toi.

- Salut beauté.

Je me retiens de lâcher un juron. Bordel de merde ! Ce n'est vraiment pas mon jour ! J'attire tous les cons de la planète aujourd'hui. Je me retourne, en soupirant bruyamment, vers l'imbécile heureux qui vient de m'adresser la parole. C'est un motard dans la trentaine, style Hell Angels. Avec son sourire de petit prétentieux, son pantalon en cuir, il se croit sûrement irrésistible. Sauf que moi, je veux juste être seule pour m'enfiler cette pinte amplement méritée. D'ailleurs, je ne sais pas ce qui lui a fait croire que je pourrais être intéressée. Sans doute mon look de marginale, ou le fait que je traîne dans ce bar mal famé à une heure où les gentilles filles sont déjà couchées.

- Je ne veux pas de vexer, mec, mais je ne suis pas intéressée. Je préfère les femmes, si tu vois ce que je veux dire.

Il me détaille de la tête aux pieds, d'un regard lubrique. Mais putain, lâche-moi ! Va voir ailleurs !

- Non, sans déconner ! un beau petit lot comme toi ! quel gâchis !

Je lève les yeux au ciel. Je déteste ce genre de lourdaud. Je vais pour lui balancer une réplique bien cinglante, quand quelque chose m'oblige à tourner la tête. Une odeur. Une odeur caractéristique que j'aurai préféré rencontrer le plus tard possible. Des lycaons approchent. Je me lève, avale le reste de ma bière et plante l'autre au bar. Pas le temps pour les politesses, il faut que je me tire. Alors que je me dirige vers la porte arrière au pas de course, le motard me rattrape et me tire par le bras.

- Pas si vite, ma jolie, dit-il, toutes dents dehors. On n'a pas fini de discuter !

Je lui lance un regard noir. Aussitôt, il me relâche et a un mouvement de recul. D'habitude, j'essaie de contenir mon côté loup en la présence d'humains, mais je suis plus que pressée. Si ça peut l'obliger à me foutre la paix, je suis prête à laisser ressortir mon côté bestial. Le biker est blanc comme un linge. Maintenant, je suis sûre qu'il ne tentera plus rien. Je fais volte-face et reprend ma fuite.

La porte du bar s'ouvre avec fracas. Merde, trop tard ! Je me fige. Lentement, je me tourne vers le groupe qui vient de faire son entrée. Trois hommes bien bâtis balayent le bar du regard. Le plus grand, une montagne de muscles, me repère tout de suite. Il se dirige vers moi, d'un pas assuré. Toute sa démarche transpire le mâle dominant. Mon corps se tend, se préparant à l'inévitable confrontation. Mon regard se baisse, mes mains s'enfoncent dans les poches. Je sais que mon odeur m'a déjà trahie, alors j'adopte l'attitude d'une femelle lycaon lambda, servile à souhait.

Le géant s'arrête à quelques centimètres, si près que je peux voir le bout de ses chaussures s'insérer entre les miennes. Les effluves qu'il dégage me donnent aussitôt la gerbe. Sa tête se penche lentement vers moi. Son nez s'enfouit dans mes cheveux. Je dois retenir mes gestes pour ne pas le repousser de dégoût. Il se met alors à inspirer, longuement. Une grande et puissante aspiration, comme l'aurait tout animal pour reconnaître un de ses semblables. Je déteste cette pratique qu'ont les lycaons. J'ai l'impression d'être une chienne en chaleur dont un mâle en rut renifle les phéromones.

- T'es qui toi ?

Un frisson de répulsion me traverse. Une phrase courte, efficace et dédaigneuse. Pourquoi ai-je toujours l'impression d'être prise pour de la merde par les gens de mon espèce ?

- Personne, répondis-je en serrant les dents.

Je déteste passer pour une lâche mais s'ils pensent, ne serait-ce qu'un instant, que je puisse être une menace, je suis fichue.

- Tu es une des nôtres mais je ne t'ai jamais vu par ici. Tu fais partie de quelle meute ? Et puis c'est quoi cet accoutrement ? murmure-t-il presque, pour qu'on soit les seuls à entendre, excepté les lycaons qui le suivent de près.

- Je ne fais partie d'aucune meute.

Il part aussitôt dans un rire tonitruant, qui me fait sursauter. Ça ne sent pas bon, pas bon du tout pour moi !

- Une louve solitaire ! Tu plaisantes !

- Pas du tout, dis-je en serrant plus fort les poings, me préparant au combat qui se profile.

Soudain, il me saisit par les épaules et me décolle du sol. Son visage se rapproche dangereusement du mien et son haleine chargée envahit mes narines, provoquant un hoquet proche du vomissement.

- Tu arrêtes de te foutre de moi maintenant, éructe-t-il.

Je lève alors les yeux vers lui. Il se fige.

- C'est quoi ce bordel ? dit-il, surpris.

- Je ne suis personne et je n'appartiens à personne, dis-je calmement. Je suis juste de passage. Si vous ne voulez pas que je reste, je dégage. Je ne veux pas de problèmes.

Je ne sais pas si c'est mon ton étonnamment calme ou le bleu transperçant de mes yeux, mais le mâle ne réagit pas. Il me scrute pour essayer de comprendre ce que je suis. Mais je sais déjà comment tout cela va finir, et ce n'est jamais bon pour moi.

- Mais bordel, t'es quoi ? dit-il, d'un air mi dégoûté mi intrigué.

- Une lycaon, comme toi, réplique-je, cinglante.

- Ah, ça non ! On n'a rien en commun, ajoute-t-il, en me lâchant par terre. Un loup ne ressemble pas à ça.

Son aversion évidente m'horripile au plus haut point. A leurs yeux, je ne suis qu'un monstre. Je fascine autant que je répulse. Pendant les années qui ont suivi ma transformation, mes parents ont attendu en vain que mes yeux changent, qu'ils perdent leur magnifique bleu pour le marron caractéristique des lycaons. Mais rien. Ils restèrent toujours aussi bleus.

Cela a provoqué de nombreuses discussions parmi la meute. Je n'étais pas normale. Déjà que je me conduisais différemment des autres novices, en voulant toujours tenir tête aux mâles, voilà que j'arborais ces yeux étranges. Comme chez les humains, on n'a pas le droit d'être différent chez les lycaons. D'ailleurs, tous ceux du clan qui n'avaient pas eu le don étaient tenus à l'écart. Mon père a d'ailleurs longtemps hésité entre me bannir avec eux et me défendre. Mais j'étais beaucoup trop précieuse pour ses projets d'alliance. Alors il prit ma défense. Ce fut d'ailleurs l'unique fois où il utilisa son pouvoir d'alpha pour obliger les autres à me foutre la paix. Pourtant, ils ont tous conservé cette haine profonde et m'ont fui comme la peste à partir de ce moment-là. Je me suis encore plus fermée et ça m'a donné une motivation supplémentaire pour fuir toute cette bande d'enfoirés.

- Mike, il faut l'emmener à Liam, intervient un des autres lycaons. Il nous dira quoi faire d'elle.

Alors là, pas question de me retrouver devant l'alpha ! Je risque ma tête et il n'en est pas question. Je décide alors de profiter du moment où il tourne la tête pour répondre à l'autre, pour lui asséner un coup dans les parties de cet abruti. Sous l'impact, il pousse un hurlement de douleur, avant de me jeter violemment par terre. L'impact est rude, mais il en faut plus pour m'arrêter. Je décampe à toute vitesse vers la porte arrière. J'échappe de justesse à son acolyte, en bondissant par-dessous des tables. Les autres clients nous regardent, à peine surpris. Ils doivent sûrement en voir de toutes les couleurs ici. Une autre altercation entre bandes de motards rivales, la routine.

J'ouvre la porte avec une telle force qu'elle se décroche. Bordel de force de mes deux ! Je vais tout démonter si je ne me contrôle pas ! j'accélère ma course dans la petite ruelle. Si j'arrive à atteindre l'artère principale, mon odeur se perdra dans la foule. Je ferme les yeux et fonce. Mais je rentre en collision avec un mur et je me retrouve les quatre fers en l'air. Je me mets à maudire père et mère, tout en tentant de me relever. Devant mes yeux, de petites étoiles se mettent à danser. Je n'arrive pas à distinguer ce qu'il y a devant. Je comprends juste que c'est un homme qui m'a fichu par terre. Ce dernier se penche vers moi et tente de m'attraper, mais je me débats comme un beau diable. Ses bras puissants tentent de ceinturer mes épaules, mais je ne le laisse pas faire.

- Mais calmez-vous, bon sang !

Pas question qu'ils arrivent à me mettre la main dessus aussi facilement. Un coup de tête au visage l'oblige à me laisser partir, non sans avoir lâché un juron au passage. Je ne prends pas la peine de m'interroger sur l'identité de celui qui m'a fait tomber. Il y a plus urgent, sauver ma peau. Je rampe donc tant bien que mal pour trouver un endroit où me réfugier. Mais je fais à peine cinq mètres qu'un autre lycaon m'attrape. Il m'écrase de tout son poids, me faisant mordre la poussière. Je tente à nouveau de me libérer, mais il me saisit par les cheveux et m'oblige à le regarder. La montagne de muscles de tout à l'heure, assis sur mon dos, ne semble pas avoir apprécier mon coup de genou.

- Mais tu vas te calmer, sale chienne, vocifère-t-il.

- Désolé mais tu t'es trompé d'espèce, ricané-je.

En guise de réponse, il m'assène un coup de poing dans les côtes. Le choc expulse tout l'air de mes poumons. Putain ! Il n'y a que moi pour faire de l'humour dans une situation pareille. Je tente de reprendre mon souffle et mes dents claquent à quelques millimètres de ses doigts, un peu trop près.

- Salope ! ça, tu vas le regretter.

Sa main se lève. Ses yeux ont viré au jaune. Je vais déguster. Je ferme les yeux, me préparant à l'impact.

Mais rien ! Je sens juste mon dos s'alléger de son poids, suivi du bruit caractéristique d'un corps qui rebondit sur l'asphalte. Je rouvre les yeux et me relève sur les coudes. Il est là, à terre. Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Je regarde les autres lycaons. Leurs yeux écarquillés fixent quelque chose derrière moi.

- Ecoute, Luc. Ce n'est rien. Juste une histoire à régler avec une femelle, finit par dire l'un d'eux.

Je me retourne aussitôt. Un mec dans la vingtaine se tient debout, à quelques centimètres de moi. C'est celui que j'ai percuté tout à l'heure. Je croyais qu'il faisait partie de leur bande. Mais il semblerait que non. Une meute rivale ? J'hume l'air et là, c'est une sacrée surprise qui m'attend. Je ne sens pas son odeur. Tout être a une odeur spécifique. Les lycaons puent, les êtres humains sentent relativement bons. Mais lui, rien. Je ne comprends pas.

- Vous arrêtez tout de suite ce bordel, hurle-t-il d'une voix forte et assurée.

Les lycaons sont sur la défensive. Mais c'est qui lui ? Ce mec n'est pas humain, ni même lycaon, et il semble foutre la trouille aux autres. Pourquoi ? Soudain, l'évidence me frappe de plein fouet et mon sang se glace. Je ne sais pas ce que j'ai fait au ciel mais il m'en veut particulièrement aujourd'hui. Tomber sur des loups et maintenant lui. La pire espèce que la Terre ait portée. Un chasseur.

Rapidement, je m'écarte, en reculant sur les fesses, le plus loin possible. Mon dos finit par heurter un mur. Je me recroqueville pour me faire la plus petite possible.

- On l'embarque et on disparait, tente l'un d'eux pour l'amadouer. Ni vu ni connu.

- Pas question ! les coupe-t-il. Vous vous barrez et vous la laissez tranquilles. Vous vous êtes déjà trop faits remarquer !

Mes yeux passent de l'un à l'autre. Les lycaons campent sur leur position. Le chasseur leur lance un regard noir, plein d'assurance. La montagne de muscles commence à reprendre connaissance. Quand il va comprendre qui l'a mis dans cet état, ça risque de barder.

- Luc ? Qu'est-ce que tu fous ? s'agace-t-il, en massant son crâne endolori. Ce n'est pas un problème pour un chasseur. Juste un souci de respect de territoire. Cette femelle ne fait pas partie de notre meute. On voulait juste savoir ce qu'elle foutait ici.

- Détrompe-toi. C'est tout à fait dans mes cordes. Mon job, c'est maintenir la paix entre les races. Quand tu t'en prends à une lycaon qui s'est promenée en dehors de son territoire, ça devient mon problème.

- Bon sang, tu n'as pas d'autres créatures à qui foutre une raclée ce soir ? Cette garce m'a manqué de respect. Je dois lui montrer qui commande. Et puis, elle a quelque chose de pas normal.

Le chasseur se tourne vers moi, intrigué. Non, non ! Oubliez-moi ! Je suis insignifiante. Je ferme rapidement les yeux et me tasse un peu plus. Pourvu qu'ils me fichent la paix. Pour mon plus grand malheur, je sens une main se poser sur mon bras.

- Je suis désolé d'avoir été aussi violent tout à l'heure, dit-il d'une voix étonnamment douce. Je croyais que c'était toi qui était à l'origine de tout ce bordel. Est-ce que tu veux bien te lever s'il te plait ?

Malgré sa soi-disant gentillesse, je ne lui fais absolument pas confiance. Les chasseurs sont tous fourbes et dangereux. Sa main presse un peu plus fort sur mon bras et me tire pour m'obliger à me lever. Je suis le mouvement mais garde toujours les yeux fermés.

- Dis-lui d'ouvrir les yeux, crie le lycaon.

Putain de merde ! Je suis foutue !

- Ouvre les yeux, dit le chasseur d'une voix calme.

Je sers plus fort les paupières et secoue la tête. Il resserre son étreinte.

- Arrête de jouer et ouvre les yeux, reprend-il, sur un ton plus menaçant.

J'ouvre à demi les paupières et plante mon regard par terre.

- Regarde-moi, ordonne-t-il.

Je sens qu'il perd patience. Avec regret, je lève vers lui mes yeux bleus. Son visage se décompose aussitôt.

- Putain ! lâche-t-il.

Bon, ça commence à être lassant d'être constamment injurier. Je pince les lèvres pour ne pas répliquer. Pendant que le chasseur m'observe d'un œil farouche, je sens les lycaons se rapprocher. Un mouvement de ma part l'alerte du danger imminent. Il fait volte-face, me planquant contre le mur, derrière lui.

- Maintenant, vous vous barrez, hurle-t-il.

- Rends-la-nous, Luc, tente une nouvelle fois Musclor. On va la ramener à Liam. Il décidera de son sort.

- Pas question, hurlons le chasseur et moi, en chœur.

Il me lance un regard surpris avant de reporter son attention sur le trio de loups.

- Que ça vous plaise ou non, cette femelle vient avec moi. Elle est différente. Et je dois demander audience au conseil des chasseurs pour savoir quelle est la marche à suivre dans ce cas précis.

Tout le sang quitte instantanément mon visage. Le conseil ? il veut ma mort ! Tout le monde sait que les créatures qui y vont n'en reviennent jamais. Les lycaons n'ont pas l'air d'être d'accord non plus avec cette proposition et se mettent à grogner. Le chasseur se met à ricaner.

- Sérieusement ? Vous voulez qu'on se batte ? Soit, je suis partant pour une petite bagarre. J'ai besoin de me dérouiller un peu. Toi, tu ne bouges pas d'ici, dit-il à mon attention.

Je lui souris et lève les mains en signe de paix. Non mais, comme si j'allais rester là à attendre gentiment qu'ils décident qui va avoir ma peau ! Il se fourre vraiment le doigt dans l'œil.

Un des lycaons décide de lancer l'offensive. Il bondit sur le chasseur qui l'esquive, sans problème. Les deux autres lui sautent dessus mais il est trop rapide et réussit à leur asséner des coups tout en glissant pour les éviter. Il faut avouer qu'il a la classe ce chasseur quand il se bat. Mais il faut que j'arrête de mater et que je me casse vite fait. Je profite donc qu'ils fassent mumuse entre eux pour m'éclipser. D'abord à quatre pattes, et une fois assez loin, à grandes enjambées, je file le plus loin possible.

Une bouche de métro, je suis sauvée ! Je m'y engouffre, dévale les escaliers à une vitesse impressionnante. Les gens me regardent bizarrement, mais je m'enfiche. Il faut que je sauve ma peau. Je rentre dans la rame, quelques secondes avant que les portes ne se referment. Je m'assois au bout de quelques minutes,quand je suis certaine qu'aucun d'entre eux ne m'a suivie. Il était moins une ! Dès que le métro s'arrêtera, je fonce à ma chambre d'hôtel, je récupère mes affaires et je me barre de cette ville.    

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