6.

Point de vue de Kayla

Je viens de terminer de m'entraîner avec Ysengrin. J'ai réussi à le battre à plate couture. J'admets que ça m'a rendue contente: j'ai l'impression que ma force grandit de jour en jour. Mes chances de battre Rufus, malgré son expérience, augmentent. Et ça, c'est bien. 

-Tu m'aides à me relever?

-Oh, oui! Je t'ai fait mal?

-Oui, mais c'est bien, ça prouve que tu t'améliores. T'en fais pas, je vais m'en remettre. Il faudra simplement que j'aille m'étendre et tout ira bien.

-Ysen, tu sais, si je deviens de plus en plus forte et que je te fais mal, je pourrais peut-être m'entraîner avec quelqu'un de mon âge...

-Hey, tu me prends pour un vieillard? Je peux en prendre! 

J'étouffe un rire et le rélève. On entame le processus de transformation inverse et nous attendons de nous réhabituer à notre forme humaine avant de remettre nos vêtements. On quitte ensuite la forêt et nous allons à la maison.

-Bon, je vais aller faire une petite sieste. Essaie de ne pas faire trop de bruit. Me demande Ysengrin.

-Aucun problème, je vais faire les quelques devoirs que j'ai à faire pour demain dans ma chambre. 

-Génial. 

Une fois dans la maison, nous allons chacun dans nos chambres respectives et je m'installe sur mon lit avec mon sac. Je sors mes trucs et commence à travailler. Je fais mes devoirs d'anglais pour commencer, suivi de ceux de sciences pour finir avec ceux en maths. Je fais toutes mes démarches une première fois avant de les vérifier. Seulement, au dernier numéro, je constate que j'ai fait une faute. Je recommence encore et encore le calcul, mais le résultat n'est jamais le même et je ne comprends pas où j'aurais bien pu faire une erreur.

-Argh, c'est de la merde!

Je balance mon cahier et automatiquement, le pendentif qui tient au bout de mon collier commence à briller intensément, ce qui me fait sursauter et je mets ma main sur ma bouche pour couvrir le cri que j'allais pousser. Après tout, Ysengrin dort un peu plus loin. La pierre brille de plus en plus et j'ai carrément l'impression qu'elle va exploser. Seulement, je vois simplement quelque chose sortir du pendentif comme une sorte de fumée qui se matérialise devant mon lit. Je suis complètement stupéfaite de ce qui se trouve devant moi. La silhouette se clarifie et bientôt, je vois mon père qui se tient devant moi. 

Je recule au bout du lit, le plus loin possible de ce qui est en face de moi. Non. C'est impossible. Mon père est mort! 

-Kayla... Dit la silhouette en souriant.

C'est exactement la même voix que mon père et je me retiens de ne pas crier. Je suis pétrifiée. 

-Tu... Tu as tellement grandi... Tu es magnifique.

-Qui êtes-vous? Réussis-je finalement à dire. 

-Comment ça, qui êtes-vous? C'est moi, tu ne me reconnais pas? Je suis ton père. Je suis Kaël Oberfield.

-C'est impossible! Mon père est mort il y a huit ans!

-Je le sais ça, et crois-moi, ça faisait mal.

-Vous ne pouvez pas être mon père! C'est impossible!

-Kayla, nous sommes des loups-garous et la seule chose qui te surprend c'est que je sois réellement là? 

-D'accord, si tu es vraiment mon père, prouve-le.

Il hausse un sourcil.

-À ta première transformation en loup, tu as détruit Eddy, ton ours en peluche préféré et tu étais si triste que tu refusais catégoriquement de sortir de ta chambre pendant une semaine. 

J'écarquille les yeux et me redresse. Il a raison. C'est exactement ce qu'il s'est passé. Maman et papa avaient tout essayé pour me convaincre que ce n'était pas grave et que c'était des choses qui arrivaient. Ils ont fini par me racheter une autre peluche et c'est de cette façon que j'avais accepté de quitter ma chambre et de retenter la transformation. Et ça, à l'exception de mes parents, personne d'autre ne pouvait le savoir. 

-Mais... Comment c'est possible? Dis-je en m'approchant.

-Je sais pas, je n'ai aucune explication. Je sais juste que quand j'ai vraiment rendu l'âme, il y a une partie qui s'est rendue dans notre au-delà et l'autre dans ce collier. C'est assez bizarre, mais bon. 

J'ai les larmes aux yeux. Je n'arrive pas à croire que mon père se tient devant moi après toutes ces années.

-Ma belle... Ne pleure pas...

-Mais... Tu es là... Tu m'as tellement manqué, papa... Je pensais ne plus jamais te revoir.

Il me sourit doucement et se rapproche de moi.

-Moi aussi, tu m'as manqué. J'ai immédiatement senti quand le collier a touché ta peau.

-C'était donc toi, cette voix...

-Tu m'as entendu?

Je hoche la tête.

-Est-ce que je peux te serrer dans mes bras?

Il perd son sourire avant de secouer la tête. 

-Je vais te montrer pourquoi ni toi, ni moi, ne pouvons nous toucher. 

Il marche jusqu'à la porte, crée un poing avec sa main et donne un coup dans la porte. Seulement, au lieu de faire du bruit, son bras traverse la porte complètement. 

-Tu vois? Je traverse complètement les choses et les personnes. Pour ça, je ne peux pas te toucher et toi non plus.

-C'est trop pas juste...

-Dis-toi qu'au moins, nous pouvons nous voir. C'est mieux que rien.

-Attends! Tu es en train de me dire que tu étais là toutes ces années dans ce collier et que tu n'as fait signe à personne? 

Il se rapproche de moi et s'assoit au sol. Je me lève du lit et va me placer devant lui. 

-Ce n'est pas si simple. Pendant toutes ces années, j'étais là-bas, dans l'au-delà avec tous nos confrères décédés. Je savais qu'il y avait une partie de moi rattachée au collier que tu portes présentement, sauf que je ne savais pas que ça me permettait d'avoir un contact avec vous jusqu'à tout récemment, quand tu as attaché le collier autour de ta nuque. J'ai carrément été transporté à l'intérieur et je te voyais et je voyais l'endroit où tu étais. J'arrive à ressentir tout ce que tu éprouves, depuis. J'ai essayé de contacter Ysengrin, mais je n'y suis pas arrivé. Tu es la première avec qui j'ai réussi à parler depuis que j'ai découvert que j'avais un lien ici. Et, je ne pense pas que je pourrais faire autre chose que te parler à toi. 

-C'est nul.

-Je ne peux pas y changer quoi que ce soit, malheureusement. Au moins, je vois que vous allez tous très bien et ça me fait énormément plaisir de voir qu'Ysen s'en est très bien sorti avec vous tous.

-Tu lui manques beaucoup, tu sais? Il me compare souvent à toi.

-C'est vrai? 

Je hoche la tête et lui nomme des exemples, ce qui le fait rire. 

-C'est tout à fait Ysen, en effet. Moi aussi, il me manque. Au moins, à travers le collier, je vois qu'il va bien et qu'il s'occupe bien de toi. 

-Attends! Mais ça veut dire que tu vois maman! Comment elle va?

Son sourire grandit.

-Elle se porte très bien. Je lui raconte ce que je vois que tu fais à travers le collier et elle est très heureuse de ce que tu es et du fait que tu deviendras alpha. 

-Du coup... Vous êtes au courant pour mon âme soeur?

-Oui.

-Et... Pour Rufus?

-Malheureusement, oui.

-Papa... Pourquoi il fait ça? 

Il souffle.

-Honnêtement, venant de lui, ça ne me surprend pas du tout.

-Quoi? Mais comment ça?

-Quand nous étions jeunes, Rufus était du genre à passer énormément de commentaires dégradants envers les filles de la meute. Ses commentaires étaient complètement misogynes. Grâce à mon statut et à l'autorité que j'avais, j'arrivais la plupart du temps à le faire taire, mais je suis conscient qu'il en passait quand même dans mon dos.

-Mais... Pourquoi? Qu'est-ce que j'ai bien pu lui faire?

-Ce n'est pas que toi, Kayla...

-Oui, mais pourquoi est-ce qu'il est comme ça?

-Je n'en sais rien, je n'ai jamais compris ce qui le poussait à agir de cette façon. Crois-moi, j'ai toujours trouvé ça inacceptable et s'il allait trop loin, je le punissais. Mais durant mes derniers moments, je pensais qu'il avait enfin compris et qu'il s'était calmé. Je vois que non. 

Je hausse les épaules et baisse la tête.

-Qu'est-ce que je vais faire, si je perds contre lui? 

-Tu ne perdras pas.

-Comment tu peux en être sûr? 

-Parce que tu es ma fille, à moi et à Dalia. Nous savons tous les deux depuis que tu es enfant que tu as tout pour être un alpha. Il est rare que ce soit des filles, mais toi, tu as absolument tout pour être un bon chef. Rufus a peut-être de l'expérience en matière de combat et de la force, mais toi tu es réfléchie, tu as d'excellents réflexes et tu es patiente. Je t'ai entraîné et j'ai laissé le soin à Ysengrin de continuer ton entraînement. Tu te bats de mieux en mieux. 

-Mais ce n'est pas mes capacités en combat qui vont prouver que je suis digne d'être alpha...

-Je sais. Mais tu as les capacités nécessaires pour être alpha aussi. Tu ne t'en rends simplement pas encore compte. 

-Si tu le dis. Mais au fait, pourquoi tu es venu ici? 

-Je t'ai sentie t'énerver et je t'ai vu balancer ce cahier, là-bas. C'était des maths?

-Comment tu sais?

-Tu rencontrais énormément de problème dans cette matière quand tu étais petite. Quel est le problème, cette fois?

-Ça fait peut-être cinquante fois que je recommençais un calcul et ça me donne à chaque fois des réponses différentes. Je ne trouve pas où j'ai fait une erreur. 

-Fais-moi voir.

Je vais prendre le cahier et nous refaisons le problème, tous les deux. Cette fois, quand j'ai terminé et que je vérifie, tout est correct. 

-Bah tu vois, que c'était pas si difficile! Il te suffit juste de te calmer. Me dit-il.

-C'est plus facile à dire qu'à faire...

-Tu y arriveras.

À cet instant, il se relève et je fais pareil. Ysengrin s'est réveillé.

-Faut que j'y aille. Me dit-il.

-Attends! Si je veux te revoir, comment je fais?

-Fais-le moi savoir, et je serai là en un rien de temps. Je t'aime, Kayla.

-Moi aussi, papa. 

Il me lance un dernier sourire et il retourne je ne sais pas trop comment en état de fumée et reviens dans mon pendentif que je prends dans ma main sur le coup.

-Kayla?

-Dans ma chambre, Ysen.

Il ouvre la porte et entre.

-Alors, ça va mieux?

-Ouais, t'en fais pas. Tu parlais à qui?

-Euh, personne, pourquoi? 

-J'avais l'impression de t'entendre parler avec quelqu'un, c'est tout. Tu as faim? 

Je hoche la tête et nous allons dans la cuisine nous faire à manger tous les deux, non sans nous taquiner quelques fois. On s'installe ensuite à la table et nous mangeons. 

-Ça te dérange si je vais courir un peu? Lui demandais-je en me levant de table.

-Pas de soucis, la forêt ici est géniale. Fais attention de ne pas te faire remarquer. 

-C'est comme si c'était fait.

Une fois que mes souliers sont mis, je quitte la maison et marche vers la forêt. Je m'y enfonce suffisamment et regarde aux alentours avant de retirer mes vêtements. Je commence ensuite ma transformation: peau qui se noircit, mes os qui se déplacent, le poil qui me recouvre. Quand je suis enfin prête, je m'élance et me balade joyeusement dans la forêt quand j'entends un bruit. Je m'arrête et écoute. J'entends des bruits de pas humains ainsi qu'un garçon qui semble frustré. Je m'approche un peu et arrête quand il est dans mon champ de vision. 

-Il y a personne? Allo? Je me suis perdu. 

Mon côté loup s'extasie. C'est Calum. Mon côté humain, quant à lui, est inquiet. Qu'est-ce qu'il fabrique ici, seul? 

Calum s'assoit et sors un appareil que je pense être son téléphone il pousse un soupir de frustration et le range.

-Pas de signal, j'aurais dû m'en douter. 

J'ai de la peine pour lui, c'est clair qu'il est perdu, et j'ai envie de l'aider. Je me rapproche de lui et il se tourne brusquement.

-Qui... Qui est là? Demande-t-il, dans le vide.

Je continue à avancer et il me voit enfin. Je suis à quelques mètres de lui. Ses yeux s'écarquillent.

-Oh, merde. Chuchote-t-il en se relevant brusquement.

Il place sa main droite devant lui et tente de reculer. En temps normal, j'aurais eu envie de rire, mais là, ça me vexe. Je suis consciente qu'il ne sait pas que c'est moi, mais ça me donne quand même la sensation qu'il me repousse. 

-Je... Je ne te veux aucun mal... Tout doux...

Mais il est sérieux? Je n'ai montré aucun signe d'agressivité! Je décide de montrer que je n'ai aucune intention de l'attaquer et je décide de m'asseoir tout en ne le lâchant pas des yeux. Il finit par laisser sa main retomber et me regarde. Après quelques minutes, il entreprend de s'avancer. Il s'abaisse et rapproche sa main du sommet de ma tête. Il finit par la déposer dessus et me flatte. Je suis si bien sous son toucher que je laisse échapper un ronronnement, ce qui le surprend et le fait se reculer. Il reprend ses esprits et reviens vers moi et passe sa main sur mon dos. Ça me fait du bien. Il m'a touchée, je suis tellement contente d'avoir eu un contact de ce genre avec lui. 

-Tu es une magnifique bête, tu sais? Je ne te vois pas clairement, mais tu es superbe.

Je ressens de la chaleur. Il me trouve magnifique! 

Il finit par s'asseoir complètement et je dépose mon museau sur sa cuisse tandis qu'il continue de me caresser le crâne. Je suis tellement bien que je pourrais passer ma vie ici. Seulement, je me souviens qu'il est perdu et je décide de me relever. Il me regarde, un sourcil haussé pendant que je me recule et me retourne. J'avance de quelques pas avant de tourner ma tête vers lui.

-Oh, tu veux que je te suive? Me demande-t-il en se désignant. 

Je reviens vers lui et passe sous sa main et il finit par me suivre. Je le guide à travers les arbres et m'arrête un peu avant la sortie de la forêt.

-Oh trop cool! Je vais rentrer vivant! Merci, je sais pas si tu comprends, mais je t'en suis reconnaissant, même si j'arrive pas à croire que j'ai vraiment passé du temps avec un loup...

Je grogne et il me fixe.

-Oh, pas un loup! Une louve! Désolé, j'avais pas porté attention aux détails. 

Il s'abaisse vers moi et me caresse la tête.

-Merci. 

Il s'éloigne et se retourne pour me faire un signe de la main avant de quitter pour de bon la forêt. Quant à moi, je m'y enfonce à nouveau et retourne à l'emplacement où j'ai laissé mes vêtements. Je me transforme cette fois-ci en humaine. Une fois que je suis prête, je me rhabille et quitte la forêt. J'ai un sourire qui traverse l'ensemble de mon visage pendant que je rebrousse chemin jusqu'à ma maison. Cette histoire d'âme soeur y est sûrement pour quelque chose, mais sur le coup, je m'en fiche. J'ai passé une très bonne journée du début à la fin: et ce, parce que j'ai pu revoir mon père.

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