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"Un monde est une personne, et une personne est un monde.

- Il faut renoncer à un des sens et expandre les autres.

- Pourquoi?

- Pour oublier ce qui est prioritaire... Je crois.

- Hein? Mais ça n'a aucun sens!

- Pas moins que ton histoire de mondes, hein!"

Louise et Lauraline commençaient à remplir le journal avec les bribes de ce qu'elles avaient retenu.

"Lili, toi qui as passé tellement de temps avec Lousse, t'as rien à nous mettre sous la dent?

- Des pommes de terre.

- Hahahaha, non mais, vraiment, allez. Allez.

- Des pommes. De. Terre.

- Mais de quoi tu parles?

- Lousse ne se nourrit que de ça.

- Ah?

- Note-le.

- Bon."

Lauraline était donc devenu le scribe de la famille.

"Papa aussi aurait des trucs à dire, je crois. Nous devons trouver un endroit où enterrer ce truc, pour qu'il puisse le trouver.

- Mais réfléchis, Lauraline, comment Lachlan pourrait trouver un carnet enterré dans une dimension, alors qu'il se trouve, je ne sais pas, moi, disons... Dans une autre?

- Tout à l'heure Lousse a dit que les gardiens ne passaient pas d'un monde à un autre, qu'il y en avait sept, qui avaient des noms bizarres...

- Note-le.

- Oui, oui!

- Le bon, la brute et le truand.

- C'était quoi leurs vrais noms?

- Heu, je ne me souviens que du gardien de la paix, ça c'est Andrée.

- Ah ben c'est du joli, on va aller loin avec ça!

- On complétera au fur et à mesure..."

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Un gardien est nécessaire pour passer d'une dimension à une autre. Les gardiens ne traversent pas, pourtant, ils se trouvent dans plusieurs dimensions à la fois -vraisemblablement. Ils se connaissent tous, mais seuls Lousse et Andrée communiquent encore des choses. Ils ont l'air copains comme cochon. Les animaux réagissent bizarrement quand Andrée est là.

Lili et moi avons pu traverser. Et Lili et maman sont devenu des vieilles dames, là où j'ai atterri. J'aimerais que tout redevienne comme avant.

"Lauraline!

- Haaaa!

- Tu viens? Ton sac est prêt!

- Oui, oui...

- Tu finiras plus tard!

- Oui, j'arrive!"

Elle fixa les boucles de sa salopette, glissa le carnet dans sa poche, et mis un pull par-dessus.

"J'ai trop chaud!

- Il fait froid là où tu vas, tu te souviens?

- Je peux pas juste le mettre à la fin, avant de traverser?

- Oui, fais attention de bien garder le carnet avec toi.

- Il ne risque pas de tomber, c'est sur mon bidou. Je peux te poser une question?

- Oui?

- Tu crois que Lili et toi allez pouvoir redevenir jeunes?

- Peut-être.

- On pourrait donner des noms aux différentes dimensions, non?

- Pourquoi pas?

- Onidé!

- Lili, vide ta bouche avant de parler."

Lili déversa le contenu de sa minuscule bouche édentée dans l'assiette qui se trouvait en face d'elle.

"Eurk.

- Bonne idée, entonna la jeune retraitée.

- Comment allons-nous appeler la dimension dans laquelle on se trouve, en ce moment?

- Je ne sais pas... Vu que dans cette dimension vous êtes toutes vieilles, on n'a qu'à l'appeler: "L'ehpad".

- Je ne crois pas que notre âge soit un indicateur fiable...

- Ah bon?

- Trouvons autre chose.

- D'accord!

- Bonne idée.

- Hm...

- Bonne idée.

- Ah, Lili est rayée.

- Bonne idée, c'est bien comme nom, insista le disque-Lili.

- Peut-être est-ce de la sénilité précoce.

- Précoce? T'as vu sa tête? Je parie qu'elle demandera à faire une pause sur le trajet jusqu'à la clairière!

- Appelle-la: "Bonne idée", c'te dimension, mortebleu de couille!

- Bonne idée, répéta Louise.

- Et les autres?

- Mauvaise idée.

- C'est bon Lili, c'était drôle, maintenant tu peux t'arrêter.

- C'est une mauvaise idée de donner un nom aux autres pour l'instant.

- Ah?

- On ne sait même pas comment les reconnaître les unes des autres. Celle dans laquelle nous nous trouvons est la seule que nous pouvons marquer à notre guise, en nous mettant d'accord.

- On pourrait rajouter un panneau à l'entrée de la clairière!

- Bien sûr! On pourrait aussi faire un chemin de loupiotes pour indiquer la route à tous les randonneurs et se retrouver avec une horde de complotistes installés dans des tentes aux alentours de la forêt d'ici un mois et demi.

- Tant que ce ne sont pas des scientifiques, répondit Louise en pensant à Lachlan.

- La CIA.

- Des écrivains!

- Outch!

- Ca va, Lili?

- T'as dit "écrivains", j'ai eu mal aux dents.

- Alors on les marque comment, nos dimensions?

- Hauteur-fois-largeur-fois-profondeur.

- Pas bête.

- J'ai rien compris!

- Maman! Suis, un peu!

- J'essaye!

- La branche qui craque! C'est LE truc qui nous permet de savoir qu'on va entrer dans le "point de sauvegarde", comme dirait Andrée.

- Et?

- On sait qu'elle est présente dans toutes les dimensions.

- ET?

- On la casse à la longueur voulue.

- On la casse à chaque fois qu'on traverse!

- Précisément.

- Oh... Dans ce cas Lauraline, il te faut de quoi mesurer.

- J'ai.

- Sérieux?

- Oui, elle est sérieuse, tu n'imagines même pas tous les trucs inutiles qu'elle garde dans son sac d'aventurière."

Lili récupérait la purée pré-mâchée à l'aide d'une fourchette, en savourant l'effet que son affront venait d'avoir sur sa sœur.

"C'est une trahison! On a dit qu'on dirait pas!

- Ça va, ça nous est plutôt utile là, je trouve!

- Ah? Je n'ai pas vu... Je t'ai rajouté une pomme et une boîte de biscuits.

- Merci maman!

- Tu les as trouvé où, les biscuits?

- Dans le placard de Lousse.

- Hein? Vraiment?

- Ok Lauraline, tu ferais mieux de ne pas les manger, dit Lili avec un air dégoûté.

- On verra. On y va?

- Ah ben on t'attend hein, t'es la seule qui n'a pas mis ses chaussures."

Je grommelai, mais c'était vrai: il s'avérait que le fait de pouvoir traverser des dimensions ne vous facilitait pas la vie, en fin de compte. C'était même plutôt l'inverse.

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"OK je coupe la branche en deux, ça fait 21,5 cm.

- Il ne faut pas la couper! Il faut la craquer!

- Et Lousse n'est pas là, on doit l'attendre.

- OK je fais une entaille, donc.

- Note-le.

- Bonne idée: 21,5cm. Voilà.

- Bonne idée?"

La voix qui les interrompit fit sursauter trois humains d'un coup, ce qui ne manqua pas de faire sourire l'imposant animal qui venait d'apparaître.

"Louuuuusse!"

Lili se jeta à son cou.

"On est prêt à partir pour une aventuuuure!

- Oui, enfin seulement moi.

- Je ne veux pas le savoir . Lauraline, sais-tu pourquoi tu veux traverser?

- Heu... Pour que tout redevienne comme avant, je crois...

- Te souviens-tu de la raison pour laquelle tu es partie?

- Pour retrouver Lili.

- Où est Lili?

- Lousse, que fais-tu?!"

C'est Louise qui avait pris la parole, elle semblait paniquée.

"C'est vrai ça. Si je rentre... Lili sera ici... Elle devrait venir avec moi, non?

- Peut-être pas, mon bichon. Peut-être qu'il y a un exemplaire de chacun de nous dans chacune des dimensions. C'est même sûr.

- Oui... Ca semblerait logique... Mais alors, tu n'es pas la "Louise" qui m'a élevée?

- Eh bien...

- Oh..."

Lauraline se mis à chavirer.

"C'est bon, elle perd le nord, nous pouvons commencer."

Lousse s'était soudain mise à rétrécir au milieu d'un étrange halo jaunâtre et cria:

"Lili! Craque la branche!"

Le petit animal poilu sauta dans la poche de Lauraline.

"Tu n'as pas mis ton pull!

- Maman, tu es impitoyable...

- Elle essaye de t'empêcher de traverser!"

Lousse se logea dans le creux de l'épaule de Lauraline:

"As-tu peur?

- Oui, je ne sais plus... Où je suis...

- Garde les yeux ouverts! cria Louise."

Louise criait. Lili s'était assise à côté de la branche. Lousse chuchota:

"Ferme les yeux...

- Non!"

Louise s'époumonait mais c'était inutile. Lousse se colla alors contre les narines de Lauraline, qui ne pouvait plus rien sentir d'autre que la petite odeur de cuir sylvestre du petit machin, avec une touche de vanille. Dans la panique, elle oublia d'ouvrir la bouche et manqua d'air, l'hyper-ventilation n'aidant en rien.

"Oh mon d..."

C'était la voix de Lili qui se perdit dans l'abîme du silence, juste avant qu'un violent choc à l'arrière du crâne ne se fasse sentir. Dans un cri, Lauraline, pris appuis sur sa main gauche pour relever son buste du sol. De sa main droite elle éjecta le petit animal, et souffla du nez pour se débarrasser des poils que Lousse avait laissé.