Chapitre 6 - Réunion de famille (3)


Maintenant que tout le monde était installé silencieusement autour de la table, la tension était revenue.

Lachlan brisa alors ce silence insupportable:

«Déjà Lauraline, j'aimerais savoir pourquoi tu es partie, et pourquoi tu es revenue.

- Liliane, dis-leur»

Lachlan fixait Lili en attente d'une réaction, mais la réaction espérée vint de Louise.

«Non Lili, ne t'en fais pas, je vais m'en charger...»

«Quand j'étais jeune, nous habitions en Irlande, mes parents, mes frères et moi. Nous faisions parti des rares familles à pratiquer encore les anciennes coutumes. Je n'avais pas beaucoup d'amis, à cet âge-là. Vous savez, le mythe de la sorcière n'a jamais vraiment cessé, et les gens vous regardent de travers quand vous êtes jugés comme excentriques. C'était des petits hameaux et tout le monde connaissait tout le monde. Ma mère était une femme plutôt rigide, comme vous le savez. Elle ne voulait pas que les traditions se perdent, c'était sa hantise, elle ne voulait pas qu'on oublie. Elle semblait être une encyclopédie vivante, très vivace d'esprit, jusqu'à la fin. A mes quatorze ans, elle est tombée gravement malade. Elle ne voulait pas voir de médecin. Elle ne croyait pas en la «médecine moderne». Elle tenait absolument à se soigner uniquement grâce à ses remèdes. Mon père acceptait ça. Personne ne réagissait, sauf moi. Cela commençait à creuser un fossé déjà bien entamé entre nous. Entre moi et tous les membres de la famille, en fait. Ironiquement, moi qui était depuis toujours la cinquième roue du carrosse, je semblais être celle qui se préoccupait le plus que ma mère vive ou meurt. Les disputes violentes sont devenues monnaie courante entre elle et moi, et dans ces collines perdues, je me sentais plus seule que jamais. Cela a duré... Jusqu'à un point de rupture. Ce jour-là, j'ai refusé qu'elle boive sa «potion», et je me suis interposée entre mon père et elle. Je voulais juste qu'elle renonce et qu'elle aille consulter. Elle s'est alors levée de son lit morbide et a dit à mon père sans me regarder: «Un jour, elle comprendra. Quand elle aura des enfants. Je reviendrai dans son coeur, et alors elle commencera à apprécier la tradition. Un jour, elle retrouvera le goût de notre gloire passée, et c'est alors que je reviendrai.» Puis, elle a passé la porte, et je ne l'ai plus revu... Jusqu'à ce rêve, que je fis un an plus tard. Un rêve troublant, parce que si réaliste. Dans ce rêve, ma mère revenait à la maison. Elle souffrait de troubles post-traumatiques dûs à la guerre d'Indépendance à laquelle elle avait activement participé, en bonne patriote. Elle avait dû fuir loin de tout ce qu'elle avait toujours aimé, et cela lui laissait quelques... Cicatrices. D'un genre qui ne guérit pas. En revanche, ses potions avaient eut l'effet escompté, et bien qu'elle eut environ cinquante ans à ce moment-là, elle semblait avoir la vivacité d'une jeune fille. J'étais émue de l'entendre se confier ainsi, d'autant plus qu'elle semblait réellement transformée par tout ça. J'ai alors retrouvé la mère que j'avais toujours voulu avoir... Mais ce n'étais qu'un rêve. Au matin, mon coeur s'est déchiré en deux. Je me suis jurée que plus jamais je n'entendrais parler de ces foutus traditions qui avaient perdu ma mère, et je suis alors partie de la maison familiale sans même laisser de mot. J'ai atterri en France, nouvelle Terre pour une nouvelle vie. Je n'ai pas pu reprendre mes études, mais ça vous le savez. C'est ici que j'ai rencontré Lachlan. La suite, vous l'avez vécu avec moi.»

Silence.

«Ouahou, maman, quel courage...

- J'ai fait ce que j'ai cru bon... J'espère que je n'ai pas été une mère trop nulle jusqu'ici. Je ne contrôle plus rien maintenant, j'ai la sensation de faire n'importe quoi, je suis si désolée Lauraline. J'aurais bien voulu te raconter tout ça avant mais j'avais un peu honte. Je ne voulais pas que l'on te regarde comme on me regardait quand j'avais ton âge, tu comprends?

- Mais j'adore ton histoire, et tout ce qu'elle comporte!

- Hum-hum!»

Lili venait de se racler la gorge. Lachlan était plongé dans sa tasse. Lauraline se leva alors brusquement de sa chaise.

«Oh! J'ai failli oublier! Maman, je suis terriblement désolée de te l'apprendre, mais c'est une terrible erreur! Lili n'est pas celle que tu crois, et le sens des derniers mots de ta mère... Je crois que tu l'as un peu trop pris au pied de la lettre... Lili, montre-leur.

- Non, Lauraline, ta mère a raison. J'ai moi-même rencontré Liliane lorsqu'elle est revenu de la guerre. Et je n'ai pas rêvé. Je ne te l'ai jamais dit, Louise, car je ne savais pas jusqu'à il y a peu qu'il s'agissait de la même personne. Je l'ai compris quand Lauraline m'a raconté ses dernières mésaventures, dans le chalet. Bien avant de connaître ta mère, je venais souvent ici pour me balader, et un jour j'y ai croisé une drôle de bonne femme. Elle vivait seule dans une cahute en bois et elle connaissait bien les plantes. Ça nous faisait un point commun. Un jour, j'ai vu un ours se diriger vers chez elle, ni une ni deux je me suis précipité pour aller lui porter secours, mais une fois devant le pallier, je me suis retrouvé nez à nez avec la vieille femme. Incroyable, non? Cette vieille bique avait pris l'habitude de se déguiser en bête sauvage pour effrayer les voyageurs! Je ne l'ai plus jamais revu. Je crois qu'il s'agit de votre Lousse. Et je crois qu'elle a brisé le coeur de ta mère. Pour ça, je ne pouvais lui pardonner. Pardon de t'avoir fait peur quand j'ai sorti le couteau devant toi. Tu sais, je crois que je n'aurais pas vraiment pu m'en prendre à la mère de Louise. Mais j'avais bien l'intention de lui flanquer la frousse de sa vie!

- Mais, ce n'est pas possible! Papa, je t'ai dit que Lousse était Lili!

- Lili... Liliane, non?

- Non, Lili!

- Mais qu'est-ce que tu racontes...

- Alors tu n'avais rien compris?!

- Tu as dû rêver, souffla Lachlan.

- Mais non, pas du tout!

- Lauraline arrête tes bêtises, ce n'est pas possible!

- Lili! Montre-leur, nom d'un chien!»

Un courant d'air s'échappait de la porte encore ouverte. Lauraline se précipita dehors mais il n'y avait plus personne. Elle voulu partir à la poursuite de sa soeur mais il faisait nuit. Louise la retint alors violemment par le bras et elle s'effondra sur le sol en perdant l'équilibre, bientôt rattrapée de Lachlan qui les ramena à l'intérieur.

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