Chapitre 5: Levée de rideau - L'histoire de Lachlan



« Lauraline, je sais que tu t'es toujours demandé qui était vraiment ton père... »

Elle me fixe de ses yeux perçants, et je me demande si je vais avoir le courage de lui faire mes aveux jusqu'au bout.

« En fait je ne sais pas par où commencer mon histoire, j'ai tellement peur qu'ensuite, tu me rejettes, que tu aies honte de moi.
- Papa, ne dis pas de bêtise, tu es la seule personne que j'ai jamais admiré ici.
- Justement. Ça ne sera probablement plus le cas ensuite, et je ne sais pas ce que je vais devenir. Mais tout est fichu, à présent. Lili sait tout, car si ce que tu dis est vrai, si Lili est Liliane, alors elle était là pour me voir grandir.
- Mais quel est ce secret si terrible que tu gardes ? Ça ne peut pas être si horrible que ça ! Je te connais !
- Peut-être pas... Tout ça n'est qu'une façade.
- Tu m'inquiètes, mais après tout, moi aussi, je n'étais qu'une façade. Dans un sens.
- Notre famille est bien plus chaleureuse que celle dans laquelle j'ai grandi. »

J'ai grandi dans un bordel. J'ai grandi au milieu de femmes qui se prostituent, mais ce n'était pas comme dans les films. Il n'y avait aucune femme pour s'amouracher de l'enfant que j'étais, et me prendre sous son aile. J'ai bien vite compris qu'il allait me falloir trouver le moyen de faire tout tout seul pour survivre. Je n'étais qu'un enfant. Comment fait un enfant pour survivre dans un monde de grands ? J'ai menti, j'ai triché, j'ai volé. J'ai martyrisé les plus faibles, mais j'avais surtout besoin d'argent. Comment fait un enfant pour gagner de l'argent ? J'ai laissé ces femmes se servir de moi comme appât, pour qu'elles n'aient pas à sortir dans la rue appâter le chaland.

Le propriétaire du bordel était alcoolique, il frappait les filles, et moi aussi. Une fois, j'ai essayé de m'interposer. J'ai vite compris que j'étais impuissant. Alors j'ai accepté cette situation, car il n'y avait pas le choix. J'ai pris mon destin en main, j'étais, alors, mon seul allié sur Terre. Et j'ai accepté ma situation.


J'ai mis de côté mes rêves et je me suis construit une carapace en fer. J'étais le protecteur de ces dames, volant au secours de la veuve et de l'orphelin. J'étais le rempart entre le proprio et la souffrance, et je devais jouer mon rôle, tu comprends ? Il le fallait ! Je ne pouvais pas supporter qu'on fasse du mal à ces filles, car malgré tout, elles étaient la seule source de douceur que j'avais jamais connu.

Je n'avais aucun ami. Les autres jeunes gens avaient peur de moi. Je les faisais fuir car ils connaissaient ma force. Et puis, surtout, ils savaient que j'étais la seule personne capable de tenir tête au proprio, j'étais alors... Adolescent.

Il n'y avait que moi pour lutter contre la violence du monde, celle que je subissais aussi. Je comprenais mieux que personne la souffrance des plus démunis. Et j'avais juré de les défendre toute ma vie, pour cela, je devais rester stable. Il était essentiel qu'on puisse se reposer sur mon épaule. Ça donnait du sens à ma vie triste et morne. C'était mon espoir, ma raison de vivre.

Et puis, j'ai rencontré ta mère.

Elle n'était pas comme les autres femmes. Elle n'avait jamais vendu son corps. Elle me défiait du regard, elle semblait savoir tout sur tout, mais de disait rien. Je voulais tellement qu'elle m'aime, mais j'avais une mission plus importante que toutes ses histoires de romance frivole.

Alors, je l'ai attiré, lentement, dans mon terrier. Je voulais la faire habiter au sous-sol du bordel, pour pouvoir garder un œil sur elle. Et elle n'avait aucun refuge, alors je savais bien que ça la tiraillait de part en part. Elle venait de se retrouver à la rue, rejetée par sa propre mère, alors, elle a accepté.

Ce fut une époque sombre.

La guerre civile a éclaté au pays, et nous étions du côté des violents. Mais, en secret, je préparais la résistance. Ta mère perdait du poids à vue d'œil, elle était si fragile. Elle ne pouvait pas supporter de voir les horreurs de la guerre. Je voulais qu'elle prenne ça à bras-le-corps, j'avais tellement besoin d'elle à mes côtés ! Mais elle n'en était pas capable, et les mois passant, j'étais de plus en plus déçu d'elle. Elle était faible. J'avais besoin d'une guerrière et elle ne faisait pas d'effort, pire encore, elle ne semblait pas éprouver la moindre volonté de se préoccuper du monde. Le monde tombait en ruine, et elle, elle ne faisait rien. « Choisis ton camp ! », je lui criais. « Si tu n'es pas avec nous, tu es contre nous ! », et elle pleurait. Elle pleurait sans arrêt. Elle ne s'arrêtait pas de pleurer.

Je n'en pouvais plus d'entendre ses gémissements bruyants alors qu'il y avait un monde à sauver dehors. J'ai finalement décidé de la laisser là, au sous-sol, et de m'occuper de la guerre.

Ce n'était pas comme je l'avais imaginé. Rien de tout ça n'était comme je l'avais imaginé. Mais il n'y avait pas le choix, il fallait faire face. Ce que ta mère ne semblait pas comprendre, c'est que les conséquences de cette guerre allaient tôt ou tard la toucher aussi. Ce qu'elle refusait de comprendre, c'est que je faisais tout ça pour elle aussi.

Elle sortait de temps en temps, parlant avec les filles, se liant d'amitié avec elles. Je la laissais faire en marmonnant dans ma barbe : croyait-elle vraiment que c'était le bon moment pour se faire des blagues entre copines ??? La superficialité de ta mère m'agaçait au plus haut point, mais c'était trop tard, je m'étais engagé à la loger. Il était hors de question que je la mette dehors, même si elle refusait de collaborer.

On se disputait souvent... Parfois violemment, on pouvait en venir aux mains.

Et puis, un jour, elle est tombée enceinte.

Enceinte de toi, Lauraline... Et puis elle est partie sans laisser de trace.

Je l'ai cherché à travers tout le pays, pas moyen de la retrouver, alors j'ai pris mon courage à deux mains. J'ai dû faire un effort surhumain pour mettre ma fierté de côté, ce soir-là, et je suis allé toquer à la porte de chez sa mère. J'ai pensé, alors, que c'était probablement le seul moyen de trouver une piste. J'étais désespéré. D'autant plus que j'avais une première impression très mauvaise de cette femme qui avait laissé tomber sa fille. Moi aussi, on m'avait laissé tomber.

C'est là que j'ai rencontré Liliane pour la première fois. 

  ❧  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top