Chapitre 4 - Courant d'air (3)
❧
J'étais donc en train de me préparer à raconter l'aventure que je venais de vivre, quand un violent courant d'air nous pris de cours.
«C'était quoi, ça?!
- Andrée! cria mon père. Suivons-la!»
Nous nous élancions alors après l'immense silhouette. L'aigle semblait plus vaste à chaque fois. Nous étions dans son ombre.
Tandis que nous courrions, un craquement sur le sol me fit comprendre vers où Andrée était en train de nous emmener. Il était hors de question que je prenne le risque de me retrouver en rétro-Amazonie, ou dans un endroit plus inexistant encore, avant d'avoir pu passer un moment avec ma mère. Dans la précipitation, je m'écriai:
«Attends!
- Non, on va la perdre!
- Je crois que je me suis foulé quelque chose!
- Bon sang!»
Il revint sur ses pas.
Essoufflée, je tentai alors de m'expliquer:
«Nous ne... Devons pas... Aller là-bas...
- Mais qu'est-ce que tu racontes? Ta cheville n'a rien?
- Il ne fallait vraiment pas qu'on fasse un pas de plus... Je vais tout te raconter. C'est vraiment important, j'ai besoin que tu m'écoutes.
- Tu parles comme si tu avais commis un crime.
- Le crime, c'est de t'avoir empêché de suivre ton aigle.
Je savais pertinemment pourquoi papa était si attiré par Andrée... Il marqua un temps de pause, comme sous le choc. Puis, il finit par dire:
«Au diable cet aigle. Ma fille... Mes filles, ont vraiment besoin de moi. Ma folie a assez duré, allons dans cette cabane nous faire un feu, et prenons le temps de mettre tout ça au clair une bonne fois pour toute. Allez, viens.»
Je ne pu m'empêcher de me demander de quelle «folie» mon père pouvait bien parler. Visiblement, il s'était passé des choses durant mon absence. Mes parents sont vraiment intenables!
❧
En arrivant devant la maison de Lousse, je pris soin de jeter un œil à l'intérieur, afin de vérifier qu'elle fut bien vide.
«Papa, ça va te faire un choc. Mais ce sera plus simple si tu vois ça.»
Je toquai trois fois, et entrai.
«Cet endroit a bien changé! Où est-ce que vous avez trouvé tout ces meubles?
- Ce ne sont pas nos meubles. Je vais te montrer quelque chose. Sors donc, en fermant la porte derrière toi, et entre à nouveau, sans frapper.
- Qu'est-ce que tu me chantes?
- Vas-y, je te dis.»
Je n'attendis que trente secondes, je ne voulais pas qu'il commence à paniquer en voyant qu'il ne pouvait pas...
«Toc toc toc!»
La porte s'ouvre.
«Je t'avais dit de ne pas frapper!
- Il faut toujours frapper avant d'entrer, bon sang, mais comment on t'a éduqué?
- Ceci explique cela.
- Qu'est-ce que tu veux dire?
- Pas important.
- Bref.
- ...Quand on rentre sans frapper, on ne trouve qu'une pièce vide.
- Prodigieux! Bon alors, je suppose que nous sommes chez Lousse? Ça tombe bien, j'ai mon couteau. On va l'attendre ici.»
J'ignore si mon père pouvait vraiment faire une telle chose, mais j'avoue que l'éventualité qu'il blesse Lousse m'a fait comme un coup de lame dans le ventre.
«Si tu veux t'en prendre à Lousse, tu vas tuer Lili.
- Tu y vas un peu fort. Elles sont liées à ce point?
- D'une certaine façon. Tu devrais t'asseoir...»
Je mis un certain temps pour déglutir, avant de finalement trouver une façon de commencer à faire sortir des mots de ma bouche. Je n'avais trouvé aucune formulation pour mieux faire passer la pilule, alors, je décidai tout bonnement de lâcher le morceau tel qu'il venait, en fermant les yeux, attendant les conséquences avec un courage que je n'avais pas.
«La «Lili» que tu connais a réellement disparu ce matin. Celle qui est rentrée à la maison est en fait... Lousse.
- Qu'est-ce qui est arrivé à ta sœur? Tu sais où elle pourrait se trouver?
- Je ne suis pas sûre... En partant à sa recherche, je me suis retrouvée sans le vouloir dans... Hé mais, attend une minute. Si je me souviens bien, il manquait une chambre, à la maison... Celle de Lili.
- Non, pas du tout. Il y a vos chambres à toutes les deux.
- Mais ça veut dire que... Attends... Comment est-ce que je peux me souvenir être rentrée pour vous prévenir que j'avais perdu Lili dans la forêt, alors que ce n'est pas du tout ce qui s'est passé...? Comment est-ce que je peux me souvenir de quelque chose qui n'a jamais eu lieu?
- Qu'est-ce qui s'est passé?
- ...Comment ai-je pu être à deux endroits à la fois?!»
Je lui résumai alors mon escapade telle que je l'avais vécue, l'histoire de Liliane, et comment j'avais pu rentrer avec l'aide d'Andrée.
«Mais est-ce que tu te souviens avoir accompagné ta sœur à l'école? Est-ce que tu te souviens être rentrée complètement paniquée?
- Parfaitement!»
Papa me regardait avec un air dubitatif. Presque sceptique.
«Papa, je réalise que j'ai peut-être un gros problème. Tout ça ne tient pas debout. En y réfléchissant bien, il est possible que j'ai tout inventé...
- Non. Je crois que c'est à moi de te confier quelque chose, à présent...»
❧
«Bah alors, ils en mettent du temps! J'ai faim!
- Ne t'en fais pas, Lachlan doit sûrement être en train d'évacuer. Je la connais, cette bestiole-là.
- Beurk! Moi j'ai pas envie de savoir ça.»
Louise pencha lentement la tête sur le côté, l'air dépassé:
«T'es encore dans la période «pipi-caca», toi, non? ...Ce que je veux dire, c'est qu'on a vraiment eu très peur, et qu'à l'heure qu'il est, ils doivent être en train de se raconter des histoires rigolotes pour apaiser les tensions. Ils ne devraient plus tarder.
- Moi aussi je veux entendre les histoires rigolotes.
- ...Ah, tiens, quand on parle du «Lourse».
- Ça sent bon ici, glissa Lachlan en s'essuyant les pieds sur le paillasson.
- Oh la la, m'man si tu savais, papa m'a passé un de ces savons!
- Peut-être que je devrais rajouter des cours de dramaturgie à ton cursus, Lauraline. Tu manques de pratique.
- Non mais, vraiment!
- Oui, oui. Allez, à table.
- C'est pas trop tôt!»
❧
Ça me revient. C'est cette question qui n'a pas de sens. Aranya était un rêve, une partie de cartes, un lancer de dés. Je me souviens, maintenant. Nous avions tous fait un pacte. Ce n'était pas sérieux. J'étais là. J'étais celle qui devait être présente au tout début du monde, j'étais le pilier. Puis, nous nous sommes séparés pour ne plus jamais nous revoir. Certains ont pris des chemins si différents que je n'ai plus réussi à les reconnaître. Quelle ironie! Rien de tout cela n'était prévu. Nous n'en savions rien.
Nous créons des inepties, des chimères. Merveilleuses histoires, ô, comme nous nous sentions puissant. Ô, nous nous sentions comme des dieux. Nous n'avons pas vu le piège! C'est là que je me trouve à présent. Merveilleux endroit.
Comme il est facile d'admirer le malheur des autres, lui accordant des qualités épiques, confortablement installé dans son immortalité. J'avais oublié! Comme la vie peut être douloureuse, et comme elle peut briller. Comme les histoires peuvent la saboter ou la sublimer.
Il y a eu Andrée, et elle était si confiante. Elle l'est toujours. Elle ne réagit pas, mais comment lui faire comprendre? Elle n'entend plus que le son du vent. Elle pense qu'elle est restée statique, le mur entre tous les temps. Mais elle se leurre. Et les destins qu'elle tient entre ses mains comptent. Ils comptent pour elle aussi, malgré ce qu'elle croit. Andrée est aveugle, personne ne voit, et c'est le basculement que je sens venir en moi.
Mais qui?
Lachlan?
❧
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top