Chapitre 3 - Remonter la piste (4)

J'essaye de me faire à l'idée que Lili, ma petite soeur, ne rentrera jamais à la maison. Ici c'est «Liliane», ou «grand-mère», ou «mamie». La vache. Je ne pourrais jamais m'y faire. 

Dans tous les cas, maintenant, un autre problème se pose: comment vais-je, moi-même, retourner dans mon monde? Dans ce monde-ci une version dérivée de Lauraline existe. A moins que ce ne soit moi, la version dérivée? Cette pensée me tord la gorge, aussi, je préfère ne pas trop y songer pour l'instant. Le fait est que cet endroit ne peut contenir deux Lauraline. 

J'imagine que papa et maman oublieront vite mon accès de panique de la fois dernière, quand ils verront que leur «Lili» a retrouvé la mémoire. Ils penseront que c'était une crise de somnambulisme, ou... je ne sais quoi d'autre. Et moi, il suffira que je ne me montre pas à la maison.

Comment fait-on, au juste, pour passer d'une dimension à une autre? Comment ai-je fait la dernière fois? Réfléchissons deux minutes... En ce qui concerne les facultés sortant de l'ordinaire, je ne vois qu'une seule personne capable de m'aider. 

Et je sais où la trouver.

C'est toujours les paupières closes que je tombe sur la clairière, que je le veuille ou non. Est-ce que cela signifie que ce que j'y vis n'est pas réel? Je veux dire... Concrètement, est-ce réel ou pas? 

Décidément, à force de marcher à l'aveugle dans la forêt je passe beaucoup trop de temps à cogiter dans le vide. Ce manque de réponse constant devient obsédant. La vie était bien plus simple quand il suffisait de demander à maman ou à Google.

Ah, j'y arrive. J'entends les oiseaux. Ils font toujours ce chant particulier quand on passe l'orée des bois et qu'on atterri ici. J'ouvre les yeux. Évidemment, l'endroit est désert. Essayons d'aller au centre de la clairière.

Au fur et à mesure que je m'avance, un bourdonnement inhabituel grossit derrière moi. Je me retourne, et je suis surprise de constater que les arbres ont retrouvé leurs feuilles d'automne. Le vent souffle tellement fort qu'il en emporte à la volée. Je me perds dans la contemplation de ce paysage mystérieux quand une des feuilles passe près de mon visage. C'est un petit oiseau ventru, brun, si rapide que je n'ai pas pu le reconnaître. Drôle de métamorphose! Je trottine pour me rapprocher des arbres et je découvre abasourdie l'amas d'oiseaux qui s'accumulent sur les branches. Ils sont si nombreux que leur poids fait pencher dangereusement les troncs par endroit.

Une ombre ailée surgit d'entre les cimes. Nous l'attendions. La masse s'envole à sa suite puis se divise dans le ciel en diverses nuées dansantes. Je m'avance une nouvelle fois vers le centre et tend mon coude. L'aigle se pose à cinq mètres de moi et me regarde. Toute bête, je baisse le bras et m'agenouille. J'ai la sensation de lui devoir des excuses. Aussi, je me sens humble face à lui. Je me souviens avoir été dans sa peau, je sais qu'il veille sur son peuple, en quelques sortes. Je sais aussi quels sacrifices il fait, pour les avoir moi-même faits l'espace d'une journée.

«Hier j'ouvrais tes yeux, aujourd'hui tu reviens pour y voir plus clair. Qu'y a-t-il?

-Je cherche le moyen de rentrer chez moi.

-Je vois.

-Il semblerait que cette clairière contienne une porte, ou quelque chose de ce genre, qui permet de voyager entre les... Heu...

-Dimensions?

-Tu peux m'aider?

-C'est mon royaume, je le connais jusque dans les moindres recoins, et aucune dimension ne m'échappe. Je suppose que je vais pouvoir faire quelque chose pour toi, en effet» répondit Andrée avec un air espiègle.

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