Chapitre 2 - L'effet boule de neige (8)
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Je suis retournée de nombreuse fois à la cabane où j'avais vu Lousse la première fois, cet été. J'ai longuement parcouru la forêt, sans jamais la retrouver. Était-elle partie? Pour passer le temps, mais aussi pour ne pas l'oublier, je lui ai fait une place dans mon quotidien. Dessins, lettres, peintures... Le moindre bâton devenait un crayon pour la dessiner dans le sol. Quand maman parle d'ami imaginaire, quelque part, je la comprends. Il paraît que c'est de mon âge. Et puis, moi aussi, souvent, je me demande si je n'ai pas simplement tout inventé.
Elle m'avait pourtant dit qu'elle avait hâte d'apprendre à nous connaître. Je l'avais revu plusieurs fois. En fait nous avions discuté si longtemps que j'ai eu l'impression de vieillir pendant que nous parlions. En revenant à la maison, c'était comme reprendre une histoire au point où je l'avais laissé, après avoir passé des vacances dans un endroits en-dehors de l'espace et du temps. Il a fallu faire semblant. Être une enfant. Ça voulait dire quoi? C'est quoi ces trucs dont parlent les adultes et que je ne peux, soit-disant, pas comprendre?
Assise aux côtés de Lousse, tout en haut de la montagne, les questions ne se posaient plus de la même façon. Lorsque je l'ai rencontré, j'ai eu pour la première fois l'impression d'être entière, que tous les bouts étaient réunis. Ce qui est drôle c'est qu'avant je n'avais pas la sensation d'être incomplète. En fait c'est en la rencontrant que j'ai ressenti que jusque là quelque chose m'avait manqué. Elle sentait le pain chaud, parlait comme chantent les roitelets, et puis, elle prenait les couleurs du coucher de soleil qu'on regardait. Pour autant, elle était tout sauf transparente.
Autour de Lousse flottait la sensation que la vie était comme ce que j'ai toujours su d'elle: simple, et belle.
«A quoi tu penses?»
C'était Lauraline, la grosse chenille dans son fauteuil, qui me fixait de son regard de fouine.
«Lousse me manque...
- Oh allez, on ne l'a vu qu'une fois, peut-être qu'il est temps de passer à autre chose?
- Me dit pas ça... T'es pas gentille...
- Oui, d'accord, c'est notre secret et tout ça, mais, franchement, je doute qu'une créature comme celle-là nous apparaisse à nouveau.
- Plus j'y pense, et plus je me dis que...
- Que quoi?
- Moi, je crois qu'elle est toujours là».
Lauraline haussa les épaules en roulant des yeux exaspérés.
«Oh mais j't'en prie, quoi! protestais-je.
- Admettons que tu aies raison. Qu'est-ce qui te fait dire ça?
- Nous. On est bizarres».
Lauraline eu un rire spontané.
«C'est pas franchement une nouveauté, ça!
- Non, je veux dire... Plus que d'habitude. Tu n'as pas remarqué à quel point tout le monde était devenu... Excessif, ces derniers temps?
- Excessif comment?
- Arrête ton char maintenant, je ne suis pas dupe, tu es aussi étrange que papa et maman. Regarde-toi, roulée comme un sushi dans ta couette!»
Lauraline paru un peu gênée:
«Il se pourrait que tu aies un peu raison... Mais je ne vois vraiment pas le rapport avec Lousse. D'autant plus que papa et maman ne l'ont jamais vu.
- Peut-être que ça n'a pas vraiment d'importance, qu'on l'ai vu ou pas. Je te dis qu'il y a quelque chose qui surgit, ici. Mais enfin, regarde! Maman la rebelle anti-tradition s'est transformée en lutin de Noël, papa l'ermite muet est sorti de la cave pour nous raconter des contes, et toi... Toi, tu as retapé la devanture d'une boutique en même pas trois jours! Et je t'ai vu faire, Lauraline, je n'ai jamais vu quelqu'un façonner le bois à une telle vitesse avec autant de précision. C'est à peine si tu regardais ce que tu faisais, comme si tu avais un oeil partout à la fois.
- ...Et toi, on dirait que tu as pris dix ans. Sérieusement, des fois je me demande qui de nous deux est la grande soeur. Mais tout ça n'a rien de bizarre. Les gens changent, et tu mûris, c'est tout».
C'était peine perdue. Alors, je cessai d'insister.
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