Chapitre 2 - L'effet boule de neige (4)

«Oh! Lauraline, regarde ce que maman a fait!»

Lili tenait dans ses mains un bout de tissus rouge foncé.

«Montre?

- On dirait une toute petite cape, avec une capuche pointue...

- Eh bien, vas-y, essaye-là!

- Oh! C'est un chaperon rouge! J'y crois pas! Trop génial!

- Comment ça?

- Quoi, ne me dis pas que tu ne connais pas l'histoire du petit chaperon rouge?

- Non...

- Viens, je crois que le livre traîne quelque part dans le grenier...»

Maman a fait des chaperons pour tout le monde. Ils sont tellement chauds et pratiques que nous les portons tout le temps. Je n'avais pas réalisé que ça nous donnait un air excentrique avant que nous ne descendions à la ville la plus proche pour faire des courses. J'ai prié pour ne pas croiser Fred. J'adore ma famille, mais des fois, je ne sais vraiment pas comment l'assumer.

«Bah, Lauraline, pourquoi tu mets ta capuche? Il ne pleut pas...

- Oh, rien, j'ai froid aux oreilles...»

Mission dissimulation: activée. Furtivité de lutin: enclenchée. Vision latérale: obstruée. Pas chassés, pas chassés, pas chassés, pas chassés...

«Mais qu'est-ce qu'elle fabrique? Lauraline!

- Vais chercher de la peinture!»

Lili haussa les épaules.

«Je crois que ce sont tes chaperons, Louise. Ils ont des effets incongrus sur ceux qui les portent...

- Ah oui..? Et quel effet mon chaperon a-t-il sur toi?

- Il me transforme... En grand méchant loup!»

Papa s'empara de Lili, la cala sur son épaule et se mit à courir à toute vitesse.

«Au secouuuuuuurs! Papa a mangé grand-mèèèère!»

Je laissai ma famille à ses problèmes identitaires et je passai la porte d'un boutique pleine à craquer, dont les étagères menaçaient de s'écrouler tant elles étaient recouvertes de choses et d'autres. Je cherchais simplement de la peinture, et voilà que je me retrouve chez Fleury et Bott. Cet endroit est incroyable! Il faut dire que cela faisait au moins cinq mois que je n'avais pas mis les pieds dans une ville digne de ce nom. C'est fou comme on peut rapidement perdre l'habitude de la foule et de l'agitation. Ah, voilà les pinceaux. Je n'ai pas assez de sous pour me payer tout ce que je voudrais... Il va me falloir retourner auprès du lutin qui me sert de mère pour quémander de l'argent, et cette perspective ne m'enchante pas. Voyons s'il n'y a pas une autre solution.

«Hm, heu... Bonjour?»

M'avançant timidement vers l'homme derrière la caisse, je me lançai dans une conversation sans avoir la moindre idée de ce que j'allais dire, comme pour forcer l'inspiration.

«Bonjour mademoiselle! Vous prenez tout ça?

- Heu... Oui...

- Très bien, dit-il en passant les articles, ça vous fera... 55,50 euros.

- Vous avez une jolie devanture en bois, dites!

- Merci! Oui, oh, mais elle est un peu vieille, elle est toute vermoulue maintenant et la peinture s'écaille. M'enfin... Certains disent que ça a son charme.

- C'est vrai, mais... Personnellement, je trouve qu'elle aurait beaucoup plus de charme en étant un peu rafraîchie... Vous savez, les clients jugent une boutique à sa devanture, alors, mieux vaut en avoir une qui dit «Mon commerce marche bien». Surtout dans une ville aussi touristique.

- C'est vrai que mon commerce marche bien, mais pas au point de faire réparer ça. Ça me coûterait une petite fortune.

- Je peux vous le faire, moi!»

Le vendeur me toisa avec un air suspicieux:

«Tu sais faire ce genre de chose?

- Bien sûr, je sais couper et sculpter le bois... Avez-vous déjà vu ces petites cabanes à oiseaux, en vous baladant dans la forêt?

- Elles sont formidables! C'est toi qui as fait ça?

- Mais oui!

- Dis plutôt que c'est ton père.

- Mais pas du tout! On a un établi à côté de la maison, passez me voir faire si vous ne me croyez pas!»

Je faisais mine d'être vexée. Le gérant se balançait d'un pied sur l'autre, visiblement gêné.

«...Hm, eh bien, ma foi, si tu es prête à refaire ma devanture... Je vais t'aider pour te trouver le bois et tout le matériel dont tu aurais besoin. A condition que ça ne me coûte rien.

- Justement, j'étais venu acheter du vernis et de la peinture, pour les cabanes à oiseaux...

- Je t'offre ça, voyons! Je n'avais certes pas de quoi payer la main d'oeuvre, mais je peux au moins payer du petit matériel à une honnête fille qui veut rendre service. Hm, aujourd'hui nous sommes samedi, les clients affluent, je n'ai pas le temps de gérer ça maintenant. Repasse demain et on fera ça dans les règles, d'accord?

- D'accord!»

Je sortis de la boutique en sifflotant. C'était une affaire rondement menée.

«T'écris une histoire?

- Oui, c'est un conte. C'est Lauraline qui m'a donné l'idée en me faisant lire le petit chaperon rouge. Parce que ça a été écrit il y a longtemps, mais qu'on le connaît encore aujourd'hui...

- Comme c'est génial! Je peux regarder?

- Hm-hm!»

J'acquiesçai tandis que maman se penchait au-dessus de mon épaule.

«Quoi? «Le type qui allait aux toilettes faire pipi» ?! C'est ça le titre de ton histoire?!

- Ben quoi?»

Maman se tordait de rire:

«Tu ne trouves pas qu'il y a des choses plus intéressantes à raconter?

- Mais non, c'est très important! Tu ne te rends pas compte! On va TOUS aux toilettes, TOUS LES JOURS!

- Et alors?»

Elle était ouvertement hilare. Qu'ils sont lents les grands, parfois.

«Un conte ça traverse les siècles. Si un archéologue du futur tombe sur mon histoire, il saura, pour les toilettes. Faire pipi dans des WC, c'est beaucoup plus représentatif de notre époque que n'importe quoi d'autre. Les humains du futur doivent savoir qu'on faisait pas caca par terre, c'est important!

- Je, heu... Oh la vache, tu marques un point. Mais dans ce cas, c'est pas un conte que tu écris, c'est un récit historique, non?

- Mais enfin maman, c'est la même chose. L'histoire, c'est des histoires. Ça veut dire que tout le monde raconte ce qu'il veut, et après on garde les histoires qui nous plaisent le plus pour les transmettre à la génération suivante.

- C'est limpide! Tu m'épates, des fois.»

J'aime pas quand on me dit ça. Ça me donne l'impression que c'est étonnant que je dise quelque chose d'intelligent. Un peu comme quand tout le monde me regarde en souriant et en disant «Comme elle est mignonne!». Ça me donne envie de les tuer. Mais objectivement, pour une personne de mon gabarit, il est plus facile de faire un grand sourire à la place. En plus, j'aime maman.

«Dis, maman, tu connais des contes de Noël?

- Eh bien, ce ne sont pas des contes de Noël à proprement parler, mais... C'est l'hiver, il y a de la neige, des sapins, des lutins, de la magie... Oui, je crois que ça peut faire l'affaire. Oh, tu me donnes une idée!»

Sans un mot de plus, elle fila vers le fond de la maison... Puis rebroussa chemin pour regarder par la fenêtre, intriguée, avant de sortir par la porte d'entrée. Tout à coup je l'entendis crier:

«Tu as fait quoi?! ...Et tu t'es engagée? Mais, c'est ton père qui a sculpté ces cabanes! Tu te rends compte de la charge de travail que tu viens de lui mettre sur le dos sans même le tenir au courant?»

Quelque secondes après, Lauraline passa la porte, excitée comme un noyau radioactif:

«Tu n'y es pas, maman. Je vais vraiment la faire, cette devanture. Papa m'apprendra à me servir des machines dans l'atelier, et voilà!

- Mais Lauraline, il n'a pas le temps...

- J'ai le temps, intervint Lachlan qui, en entendant les cris, était monté dans le salon.

- Lachlan?

- Il faut bien sculpter la Cailleach de Noël, non?

- C'est quoi, la «caillare»? Dis-je.

- C'est une sorcière qui tient le soleil enfermé pendant l'hiver. Pour conjurer le sort, il nous faut trouver une bûche énorme et sculpter la Cailleach dessus. Au solstice, nous la feront brûler tout du long, pour libérer le soleil qui se trouve à l'intérieur.

- Ouaouh! Papa! Je ne savais pas que toi aussi tu connaissais ce genre d'histoire! s'enthousiasma Lauraline.

- C'est la seule que je connais à vrai dire. A la maison on sculptait toujours la Cailleach... C'était plus une question pratique, en réalité: personne n'avait envie d'entretenir le feu durant les fêtes, on était beaucoup trop occupé à boire et à manger! On s'assurait que la Cailleach serait assez grosse pour tenir trois jours.

- On va la chercher quand? Hein? Hein? On y va maintenant?

- Demain, Lili. On ira demain. Et quand on rentrera, Lauraline, tu nous rejoindra dans l'atelier, je te montrerais comment on se sert des engins».

«Tiens, mais qu'est-ce que tu écris?

- C'est une histoire...»

Maman débarqua dans le salon, ce qui poussa Lili à glisser une feuille au-dessus du tas sur lequel elle gribouillait. Je lui lançai un regard interrogateur mais elle ne broncha pas. En regardant du coin de l'oeil, je remarquai que ça parlait d'un gars qui défèque. Elle pousse peut-être l'avant-garde un peu loin. Il faudra que je conserve ce truc dans mes dossiers privés sur notre famille.

Lorsque maman s'engouffra à nouveau dans le couloir, Lili replaça la feuille de la défécation en-dessous du tas sur lequel elle était en train d'écrire.

- Oh, oh... Quelque chose me dit que ça parle d'une certaine créature étrange...»

Je fanfaronnais.

«Alors, tu n'as pas oublié, hein?

- Lili cela fait à peine une semaine, et même si elle n'est pas réapparue depuis, qui pourrait oublier ça?

- ...

- Mais pourquoi tu le caches à maman?

- Je ne sais pas... Elle ne comprendrait probablement pas... Peut-être même qu'elle nous interdirait de retourner dans la forêt.

- Oh, je vois.»

Je tendis mon petit doigt et Lili accrocha le sien dessus:

«Le pacte du petit doigt», dit-elle en souriant.

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