Chapitre 11 - L'ultimatum (3)


"Quel salaud."

Durant ce qui me sembla durer une éternité, c'est la seule phrase que j'ai pu formuler dans mon esprit. On appelle ça: "la sidération".

Mais Andrée ne m'avait jamais inspiré confiance. Beaucoup d'arrogance pour au final, quoi? C'est Lousse qui m'apprenait tout. Lui, il ne faisait que se donner de l'importance, avec son emphase habituelle et son dédain.

J'avais la gorge bloquée. J'allais mourir de toute façon. Je ne voulais pas, mais je n'avais plus aucune chance.

Alors... J'ai ris.

J'ai ris parce que la situation était absurde. J'ai ris parce que je ne pouvais qu'à peine croire la réalité de ce moment, et j'ai ri parce que j'avais pitié d'André, qui m'apparaissait comme l'être le plus ridicule du monde.

J'ai ris parce que ma situation étant perdue, je ne pouvait que constater à quel point cet aigle était pathétique.

Je me suis posée la question - pourquoi? Quel est son but?- mais les réponses qui me venaient en tête étaient toutes plus ridicules les unes que les autres.

Tant de cruauté, pour si peu de gain, c'était vraiment l'oeuvre d'un gros naze dénué d'intelligence. Et je songeais que mon plan, même s'il avait échoué, même s'il n'était pas encore complètement verbalisable, même à l'état de bébé foetus de plan, semblait infiniment plus riche que le plan qui consistait en détruire ma vie.

Alors j'ai ris, j'ai ris franchement, et j'ai ris fort, malgré le fait qu'il m'étouffait de plus en plus. J'en pleurais, tellement j'avais mal, et tellement c'était drôle. Ce qu'il faisait n'avait aucun sens, ou plutôt, si, c'était mécanique, et c'était... Poussière.

Il lâcha sa prise. Je ne su pas pourquoi. Mais ce n'était pas le moment de me poser la question. Sans réfléchir je me remis debout et commençai à courir pour les derniers mètres qui me séparaient de la clairière. Il me suffisait maintenant de fermer les yeux...


Il faisait nuit mais mes yeux s'étaient habitués à l'obscurité, de telle sorte que lorsque je les rouvrit, c'était comme si la lune était un nouveau soleil. Il n'y avait rien, la clairière était vide. Je n'ai pas compris tout de suite ce qui était en train de se produire en moi.

Il y aurait dû y avoir quelqu'un!! Où était la Lauraline bis, où étaient les autres?? Nous étions censés nous réunir tous, mais personne n'était là... Un flot de sueur froide fila entre mes omoplates et je me figeai: "Etait-il possible qu'ils soient partis sans moi? Etait-il possible qu'Andrée les ai eu, elles aussi?"

Mes larmes coulaient toutes seules sur mes joues tandis que je m'avançai vers le centre, à peine consciente de mes mouvements.

Je ne pouvais pas renoncer.

Je ne pouvais accepter aucune des hypothèses qui justifiait ma solitude au milieu de cette clairière.

J'ai posé le pied au centre et j'ai attendu, longtemps, grelottant. Je me suis assise parce que mes jambes ne me tenaient plus. Personne ne viendrai.

Durant de longues secondes je ne ressentis plus rien, je ne pensai plus rien, je ne bougeai plus, je respirais à peine. Et c'est dans cette solitude absolue que j'eus l'impulsion première. Je ne pouvais renoncer de toute façon. Donc, je me relevai, prise d'une rage contre tout ce qui m'avait été vraisemblablement caché, tout ce qu'on m'avait fait passer pour vrai et je hurlai.

Hurlement terrible.

Je reconnu ce hurlement.

C'était celui de Lousse la première fois que nous l'avions rencontré, Lili et moi. C'était celui de ma mère dans la cabane lorsqu'elle était au sol. C'était celui de ma soeur, c'était celui de mon double, c'était celui qui me hantait dans mes rêves et c'était... Le mien.

C'avait toujours été le mien.

Tremblante, je portai la main à la poche, sur mon ventre... Le carnet était là. A nouveau.

Je le sorti de ma poche. Je l'ouvris. Les dernières pages avaient été noircies par une encre qui n'était pas la mienne...

« Lauraline, j'aurais dû te mettre au courant dès le début. En réalité, je l'ai déjà fait. De nombreuses fois. Le choc était trop fort. Nous avons dû faire ça ensemble des dizaines de fois. Tout. La boucle. Lili. Lousse. Lachlan. Andrée.

Mais le fait est que... moi-même, j'oublie sans cesse.

C'est Lousse qui a réussi à nous réunir cette fois.

Tu as réussi.

Je sais que tu ne le sens pas encore clairement.

Mais ça va venir.

Ferme les yeux... Et souviens-toi de moi. »

Je fermai les yeux et vit défiler une foule d'images que je n'avais encore jamais vue... Elles me semblaient pourtant si... Si familières. Des souvenirs. Comme si j'avais vécu plusieurs vies. Mais ce n'était pas possible... Parce que je connaissais ces histoires, parce qu'on m'avait raconté ces histoires tant de fois. Simplement, je me souvenais à présent de... D'être en train de les raconter moi-même. Que c'était important. Qu'il ne fallait pas perdre les traditions de la « famille », qu'il fallait à tout prix continuer de faire vivre les gestes, et je savais pourquoi.

Maintenant, je sais pourquoi.

Parce que c'est le fil d'Ariane. Parce que c'est comme ça qu'on a survécu. Toutes. A une époque où tout était dur. A une époque où personne n'était fiable, où les gens autour de nous devenaient fous, les uns après les autres. On a dû trouver un moyen, j'ai... Dû trouver un moyen... Pour ne pas me noyer. Pour garder la joie de vivre. Pour garder... Une identité, pour être "quelqu'un", pour ne pas me perdre, à un moment où l'ensemble du monde semblait vouloir m'aspirer dans son ventre. Comme si ce que j'avais en moi, encore fébrile, était plus précieux que tout, tellement précieux qu'il avait fallu créer ce monde, cette forêt, et tout ce qu'elle contient.

Les gens se perdent en Aranya.

Mais à la fin, il ne reste que nous. Il ne reste que moi. J'expulse tous les autres. Personne n'a sa place ici. Cet endroit est le fort intérieur d'un coeur qui bat encore. Et il battra tant que quelqu'un se souviendra de la raison pour laquelle on est ici.

Je n'ai jamais voulu me perdre ici.

Je n'ai jamais voulu rester ici indéfiniment.

Je n'ai jamais voulu faire semblant.

Il va me falloir maintenant quitter cet endroit.

Mais je ne sais plus qui sont ces gens que je croyais être ma famille. Je ne sais plus qui est Lousse, ni même qui est Lili.

Peut-être que ça aussi, c'est écrit... (Et j'ouvris le carnet à nouveau)

J'entends le ronronnement d'un chat. Je sens les larmes qui montent mais ne tombent pas. Je sens les vrombissement de la voiture qui parviennent jusqu'au siège. Je vois les gouttes d'eau qui font la course sur la vitre.... Et l'odeur d'humus.

Je me souviens du jour où nous sommes arrivés ici.

Le carnet dit:

"Lousse est une créature qui vit dans la forêt d'Aranya. En réalité je n'ai jamais vraiment saisi ce qu'elle avait fait à cet endroit. Quand nous y sommes entrées pour la première fois, nous n'avons pas senti de tremblement, de picotement ou de vibrations qui aurait pu nous indiquer que quelque chose venait de se passer. C'était une simple forêt dans laquelle nous nous baladions un peu par défaut. Il faut dire qu'il n'y avait pas grand-chose à faire près du chalet. Mais pour nous, c'était l'appel de l'aventure, du grand large, aussi loin que nos jeunes esprits pouvaient l'appréhender – c'est-à-dire, pas assez loin pour inquiéter notre mère, mais suffisamment pour alerter notre père. Celui-là ne nous a jamais quitté des yeux, mais il a su se faire si discret que nous en étions venues à douter de sa présence."

C'est un code. Je le sais maintenant. Il n'y a que moi qui pouvait me souvenir. Il n'y a que moi qui pouvait saisir l'essence derrière les mots. Et l'essence, c'était là tout ce qu'il allait me falloir récupérer, bout par bout. C'était la quête désespérée de Lousse, mais elle ne pouvait le faire seule.

Car Lousse était ma création, elle était l'esprit de cette forêt, elle ne pouvait à elle seule s'occuper de ce que je suis venue faire ici.

Maintenant je sais comment voyager entre les mondes. Puisque ce sont les miens. J'ai écrit les règles. Un monde est une personne, et une personne est un monde. Et je vais juste récupérer tout ce qui est à moi. Et ensemble, nous mettrons fin à ce qui nous a maintenu séparé si longtemps.

Lauraline dessina un cercle avec sa main, au centre de la clairière. Elle avait les yeux bien ouvert, les sons de la forêt lui parvenaient clairement. Le cercle forma un miroir. Elle posa sa main sur le miroir. Le miroir bascula. Puis, une main, celle de quelqu'un d'autre, apparue, saisissant les contours en bois du miroir pivotant. La main s'en saisit avec fermeté et tourna le miroir à nouveau, sous les yeux de Lauraline. Et tandis que le miroir tournait, Lauraline aperçu qui se trouvait derrière.

C'était elle.

Liline.

Elle lui souriait.

Elle dit: "Tu m'as retrouvé".

Lauraline répondit: "Allons chercher les autres. C'est finit maintenant."

Ensemble et du même pas, elles se dirigèrent vers cette forêt qui était leur domaine à présent.

Les feuilles poussaient sur leur passage, ce qui indiquait que Lousse n'était pas très loin.

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