Chapitre 1 - La rencontre (4)

On s'est habillées en un rien de temps, on avait prévu le coup et j'avais jeté un oeil à ce que Lili avait mis dans son sac...

Il y a quelque chose d'étrange qui flotte dans l'air. La nuit est bien avancée. Ce qui est inhabituel, ce sont les innombrables bruits d'animaux nocturnes. Ne nous ont-ils pas remarqués? Nous avançons à pas lents, mais les branches craquent sous nos chaussures. Il y a beaucoup de mouvements autour de nous et c'est ce qui nous fait rester vives. Nous pensions qu'il s'agissait de Lousse, mais c'est la forêt entière qui semble en éveil, ce soir... L'impression d'être cernée me pousse à me demander si je ne suis pas paranoïaque, mais Lili aussi le sent. Elle qui ne se méfie jamais de rien. Ce sont les bêtes, les bêtes qui vivent et grouillent. Nous ne sommes pas les rois ici. Je prends la main de Lili pour ne pas la perdre. Les branchages au-dessus de nos têtes forment un maillage de plus en plus serré, et la lune, si brillante pourtant, ne suffira bientôt plus à nous éclairer. C'est comme dans mon rêve... Une angoisse me prend. C'est irrationnel, mais j'ai peur que la petite poignée chaude de Lili se décroche soudainement et que je n'y puisse rien.

A présent il fait si sombre que nous sommes obligées de nous servir de nos mains pour scruter l'espace devant nous. Je ne compte plus le nombre de toiles d'araignées qui se sont emmêlées dans mes doigts, ni les écorchures que les branches ont laissé sur mon visage. Mais quelle folie nous a donc conduit à venir jusqu'ici ? Nous sommes comme possédées par la recherche de Lousse. Une curiosité frénétique autant qu'une intrigante force nous pousse à continuer. Nous ne pouvons plus reculer, et quand bien même, nous ne saurions pas rentrer chez nous.

Un grognement bruyant retentit à moins de cinq mètres, suivit d'un drôle de glapissement. Des bruits de pas. Si c'est un renard, il est étonnamment lourd. Les battements de mon cœur n'enlèvent rien à cette ambiance sonore déjà bien anxiogène, en plus de faire grimper mon taux d'adrénaline. Je vais imploser.

Ça approche. Cette chose approche !

« Laur... Lauraline, qu'est-ce qu'on fait ? »

Lili me compresse la main. Je lui réponds en chuchotant.

« Rien. Nous ne faisons rien. Nous ne bougeons plus. Nous tendons nos cinq sens au maximum. Nous observons. Si nous essayons de détaler, si nous bougeons trop brusquement, nous risquons de l'effrayer et il tentera de nous sauter dessus. Suis mes mouvements, d'accord ? Si je recule doucement, tu fais pareil.»

Le ton assuré dont je parviens à faire preuve calme ma sœur, mais je ne peux me duper moi-même. Je sens la sueur couler dans ma nuque, et sur mes flancs. Le temps semble s'étirer d'une manière insoutenable. Quand soudain, un tintement de cloche résonne dans ma tête. Un feu s'embrase dans mon thorax et des vagues de frissons raclent mes bras : il est là.

Deux yeux, néons dans l'obscurité, balayant l'espace réduit entre Lili et moi, sautant de l'une à l'autre. Comme les yeux d'un chat. Grognements terribles. Il tourne la tête. Sur notre droite, le tronc d'un arbre craque sous son propre poids et chute, chaque branche allant frapper le sol comme autant de coup de fouets à l'arrière de mon crâne. Ma vision se trouble. Je ne peux pas m'évanouir ici, pas maintenant.

Lili commence à sentir ma peur. Non, non, je ne peux pas lui faire ça. Respire Lauraline. Ouf, je me reprends. L'animal n'est pas si énorme, voyons, c'est juste un gros, gros chat. Un gros chat qui s'avance vers nous. Un gros chat qui s'avance un peu trop vers nous. Reculons. Reculons !

« Alors, c'est vous... »

Un gros chat qui parle ! Merveilleux ! Je vais m'effondrer ! Je...

« Tu nous connais ? »

C'est Lili qui vient de lui répondre. Ne me dites pas qu'elle a entendu la bête parler, elle aussi ?

« Il est difficile de ne pas être au courant de tout ce qui se passe, ici, lorsqu'on sait écouter le chant des oiseaux.

-Maintenant les oiseaux se sont tus, fit remarquer Lili. »

C'est vrai, ça. La forêt, si bruyante autour de nous quelques minutes auparavant, paraît s'être absorbée dans la présence de cet étrange animal.

« Mais nous, nous ne savons rien de toi. Peux-tu au moins t'avancer dans le trait de lumière, pour que nous puissions te jauger?

-Lauraline, ce que tu peux être malpolie !

-Évidemment, répondit Lousse. »

Il s'avance et sa silhouette s'allonge considérablement. Impossible de savoir s'il ne fait que se rapprocher ou s'il grandit à vue d'œil. Bientôt, un sabot sort de la pénombre et l'animal le plus majestueux jamais vu nous fait face. Ses yeux brillent au milieu d'un visage éloquent. Une tête de cerf, une carrure d'ours. Imposant, mais plus aussi effrayant. Alors fascinée, j'ose entrer en conversation avec.

« As-tu un nom ?

-Tu m'as donné un nom.

-Ce n'est pas ce que j'appelle une réponse claire.

-Avant que tu me nommes, cela n'était pas définit. Nommer les choses est un concept humain. »

Lili s'exclama :

« T'es quel genre d'animal?

-Je ne suis pas un animal...

-Alors, qu'es-tu, au juste ?

-Je ne suis pas sûr... Chez vous, je crois que ça s'appelle un esprit.

-De mieux en mieux, m'écriai-je.

-Quel ton sarcastique. As-tu donc si peur ?

Lili intervient :

-Elle a peur d'être folle. Elle ne voulait pas croire que tu existes.»

La familiarité de Lili me choque. Elle parle à cette créature comme si elle la connaissait depuis toujours.

Je rétorque:

«Et comment, que j'ai peur! Tu t'es vu ? Tu fais deux fois ma taille. J'essaye de me contenir, mais face à toi tout ce qui fait ma consistance, d'ordinaire, est en train de s'éparpiller sur le sol autour de mes pieds.

-Nom d'un chien, c'est vrai, répond alors Lousse.

-Ah parce que tu peux être vulgaire ?

-Je ne vois aucune vulgarité dans la race canine, mais, si tu veux tout savoir...

-Ah, non, oublie, j'ai eu ma réponse.»

Je n'en reviens pas. Voilà que je m'y mets aussi ! Comment ai-je pu m'adresser à Lousse de cette façon ?

Lili reprend :

« Moi j'veux savoir !

-...Je peux même faire des blagues.»

Réponse unique de ma sœur et moi :

«Non ..! Pas possible !»

L'animal faisait des blagues, et nous, nous parlions comme si nous étions des adultes plein d'assurance. Je constatais ça dans la perte de contrôle la plus totale.

Lousse souriait en me regardant:

«Je sais, je sais. C'est surtout grâce à toi. Quand tu fais de l'humour, j'apprends.

-Parce que tu m'observes ? Eh, attends, mais... Alors, je déteins sur toi ?»

«Ça commence à faire trop de choses dérangeantes à penser en même temps, songeais-je. Je crois comprendre ce qui m'arrive. Je suis simplement encore en train de rêver dans le chalet.»

La voix de Lousse me tira dans la réalité.

«Mais non voyons, c'est l'inverse !

-D'accord. Heu. Je n'y comprends plus rien.

-C'est qu'ici, en Aranya, l'ordre des choses est inversé, explique Lousse. N'avez-vous jamais ressenti que quelque chose clochait, ici ? N'avez-vous jamais eu la sensation que quelque chose n'allait pas dans ce monde ? N'avez-vous jamais eu cette impression étrange, que nous manquions d'une vérité fondamentale ? »

Silence.

« Je suis comme vous. C'est la raison pour laquelle j'ai créé cette forêt.

-Mais, cette forêt existe depuis des lustres, protesta Lili.

-Alors, je suppose que moi aussi ?

-Tu as vraiment créé tout ça ? Mais qu'est-ce que tu racontes ! C'est complètement dingue !»

Je m'indignais.

«A ce stade Lauraline je crois qu'il ne sert plus à grand-chose de s'étonner. Tu ferais mieux de suivre ta curiosité jusqu'au bout.

-Tu... Tu connais même mon nom... Suivre ma curiosité ? Suivre les conseils d'un ours qui parle? Non merci. Je pars. Lili, tu viens ?

- ...Non... Moi je veux connaître l'histoire de Lousse... »

Je soupire en levant les bras en l'air.

« Bon, bon, très bien ! Reste là si ça te chante ! De toute façon personne ne te croira jamais !

-Mais toi... Toi, tu me croiras ? »

Je l'ai regardé un moment, et j'ai senti de la tristesse. Je ne sais pas si cette tristesse était dans ses yeux ou dans mon cœur, mais je ne pouvais pas la supporter. Je n'ai même pas pu répondre à sa question. Mes talons se sont tournés, et je suis rentrée au chalet.

Cela me revient, maintenant. Je tire ma dernière bouffée avant d'écraser ma cigarette sur le rocher où je suis assise. Il faut que j'aille retrouver Lili.

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Re-coucou, adorable ourson Loussien que je ne connais pas encore.

Ceci n'est pas tout à fait la fin du chapitre, mais presque (on a fait un peu plus des 3/4 il me semble). Tu as pu le remarquer: les parties sont courtes, et ce parce que je pense à ton confort de lecture (eh oui, n'est-ce pas merveilleux), mais en réalité mes chapitres sont "longs" (allez, 15 pages au format poche, c'est pas la mort non plus) (non en fait c'est plus long que ça, et ça devient de plus en plus long) (pardon!).

A ce stade de l'histoire tu as pu déjà entrevoir les principaux aspects de cet univers qui est loin d'avoir finit de s'étoffer, aussi, si tu as vraiment envie d'être un chou, tu peux me dire ce que tu en penses, ce que cela t'inspire. Bref, ce qui t'a plu et ce qui t'a moins plu. 

Vos remarques ne tomberont pas aux oubliettes, elles sont précieuses pour moi (même dans l'hypothèse où vous avez été peau-de-vache, ahaha) et me serviront à améliorer le roman à la relecture. Donc, d'une certaine façon, on peut dire que vous êtes une part essentielle de cette histoire. 

Des bisous!

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