Chapitre 1 - La rencontre (3)

Lili courre si vite ! Je ne peux pas la suivre, elle a trop d'énergie pour moi. C'est l'occasion, tiens : « Lili ! Va mais ne t'éloigne pas trop, d'accord ? Je te rejoins après ! ». Bon, voyons voir ce qu'il nous reste... Cinq cigarettes. Eh bien ! On n'est pas sorti de l'auberge avec ça. Il va me falloir aller au ravitaillement d'ici demain. C'est Fred qui va être content quand je lui dirai que j'ai trouvé du Whisky à la cave. Ce chalet est super ! Papa y fait pousser des champignons, il reste enfermé durant des heures à les filmer en train de se développer. C'est que ça grandit vite, ces choses-là. Assez pour distraire papa en tout cas. Il n'a pas vu quand j'ai glissé la bouteille sous mon manteau. Moi ? Je déteste le whisky. L'alcool tout court. Fred n'a que seize ans donc il ne peut pas aller chercher ce genre de chose à la supérette du coin. Enfin, du coin... Tout est si éparpillé ici qu'il faut bien trente minutes de marche pour chaque endroit que l'on veut visiter. Le lycée est à une heure et demie à pieds. Mais je n'y vais que pour Fred. Moi, je suis des cours à la maison avec maman. En fait c'est plutôt génial parce que d'après ce que disent les autres, le collège, c'est vraiment l'angoisse. Du coup je me sens chanceuse de n'y avoir jamais mis les pieds. Maman m'a donné le choix, elle m'a dit qu'elle se sentait prête et qu'elle ferait de son mieux pour que j'ai toutes les cartes en main si c'était ce que je désirais. A vrai dire, ce que je désire reste flou pour moi, encore aujourd'hui. Des fois, j'ai peur que cela fasse une trop grande différence avec les autres. Mais Fred, lui, il trouve ça formidable. Il dit que je vais avoir un esprit unique et qu'il est vraiment heureux d'avoir fait ma connaissance. Je crois qu'il me flatte pour que je lui ramène des trucs.

Peut-être que Lauraline et maman avaient un peu raison, après tout? Au final, notre stratégie n'était pas très efficace : poser de la nourriture, comme ça... Il fallait s'y attendre, d'autres animaux se sont jetés dessus ! Ça fait des mois maintenant... Et toujours pas de nouvelle de Lousse. Lauraline l'appelle « l'ours », pour m'embêter. Mais ce n'est pas grave, moi, j'aime bien quand elle vient avec moi. Depuis qu'elle a rencontré ses autres copains elle n'ose plus trop parce qu'elle a peur de ne pas avoir l'air d'une grande. Je ne comprends pas, parce que de toute façon si elle était grande ça se verrait. Et puis d'abord, c'est elle qui ne voulait pas aller au collège à cause des grands.

Là, je fais mon sac. Ce soir nous allons dormir dans la cabane. Comme il fait très froid maintenant, la nuit, Lauraline a dit qu'elle viendrait avec moi pour s'occuper du poêle. On a un petit poêle pas trop lourd. Maman a dit qu'elle était d'accord, à condition qu'on lui montre où était la cabane. C'est chouette parce que comme ça, même maman sait où habite Lousse. Ça fait de nous une famille d'aventuriers de la forêt, protecteurs des animaux en détresse : « défenseurs des cloportes et remueurs de boue ! » dirait Lauraline. 

Quoi? Quoi? Quoi? Quoi? Quoi? Non! Ça ne peut pas m'arriver à moi! Où est Lili? Où est-elle?! La neige glacée brûle mes pieds tandis que je courre plus vite que jamais auparavant. Je devais veiller sur elle, maman va me tuer. Tout ça n'a aucun sens ! Les ours ne se conduisent pas de cette façon, nous avons été si naïves, mais pourquoi personne ne s'est inquiété ? Je m'enfonce de plus en plus et je remercie le ciel d'avoir déjà parcouru cette forêt de si nombreuses fois auparavant. Mais je, je n'ai plus de souffle... Quelle est cette obscurité? La lumière de la lune s'efface et je... Tout est flou... C'est...

« Lauraline... », Lili chuchote. « Lauraline, j'ai entendu un bruit... »

Hein ? Les murs en bois, le poêle, les couvertures... Dieu merci. Ah, je pourrais exploser de joie! Heureusement qu'il fait sombre sinon Lili verrait que j'ai les larmes aux yeux. La voilà qui me pousse.

« Espèce de grosse chenille, tu vas te réveiller? Je te dis que Lousse est dehors »

Sacrebleu, elle a raison, je l'entends moi aussi. J'espère que ce n'est pas un sanglier.

« Ok, on va aller voir ensemble. Tu vas t'habiller sans un bruit et en dix secondes chrono, tu peux faire ça? C'est un défi. »

« Pas de pitié pour les croissants ! , s'écria Lili en jetant son bras au milieu de la table pour en saisir un. C'est maman qui a ramené le petit déj', ce matin. Aujourd'hui, nous allons faire des maths, de l'histoire, de l'anglais et du français. Ça va être trop cool. C'est une belle journée. Je suis si heureuse, si heureuse de pouvoir dire que tout va bien !

« Maman, tu sais quoi ? Ben Lauraline et moi on a discuté avec Lousse hier soir !

- Pffrrrschhhhhttt ! Kof, kof, kof, kof !

- Lauraline, ma chérie tu vas bien ?»

Maman me donna de petites tapes dans le dos en essayant de pouffer de rire le plus discrètement possible.

«Beeuurk, tu en as craché par le nez, dit Lili.

- C'est toi le nez ! C'est bon, maman, tout va bien, tu peux arrêter.

- Alors les filles, racontez-moi. Comme ça vous avez trouvé l'ours qui parle ?

- Maman... Lili invente n'importe quoi... »

L'intéressée me jeta un regard noir avant de se lever de table, emportant un deuxième croissant au passage.

La vérité c'est que j'ai super peur. Comment font-ils tous pour avancer avec une telle confiance ? C'est comme s'ils choisissaient une position et s'y tenaient coûte que coûte. Ça semble si simple, à les voir. Tous coincés dans leurs ornières, tous persuadés d'avoir raison. J'aimerais bien, moi aussi, me contenter de certitudes ! A la place je m'entoure d'amis galvaudeux et de frustration. Je suis trop jeune pour être cynique. C'en est trop, je vais voir papa.

« Tu sais j'ai longtemps été malmené par ces questions aussi.

- Vraiment ?

- Oui, mais pas à ton âge. Ta sœur et toi êtes vraiment précoces... , dit-il en peaufinant les réglages d'un de ses appareils.

- Mais comment ça s'est terminé ? Tu as finit par trouver ta place, trouver tes certitudes ?

- Tu sais très bien que tu n'as pas de place à trouver, tu es déjà parfaitement à ta place, comme chacune de ces racines, participant à l'ensemble qu'elle le veuille ou non. Ton problème n'est pas de trouver ta place, seulement de t'y sentir confortable.

- Tu te sens confortable, toi, papa ?

- Absolument pas !»

Nous éclatons de rire.

«Tu sais, tu devrais aller t'excuser auprès de ta petite sœur, discuter avec elle. Je crois que tu lui as fait de la peine. Des fois, les choses s'arrangent d'elles-mêmes quand on ose aller parler à ceux qui nous entourent. »

Et dire que j'ai tellement culpabilisé ! Lili ne m'en voulait pas vraiment, elle me faisait seulement du chantage affectif pour que je revienne dans son club des remueurs de boue. J'ai dit à Fred que j'allais arrêter de fumer après ce paquet-là. Il m'a semblé apercevoir du soulagement dans son haussement d'épaules.

« Tu fais comme tu veux ! T'es pas vraiment accro, là, de toute façon, non ?».

Sûrement pas. Je suppose? Je n'ai pas répondu.

Nous voilà dans la forêt. Lili gambade et appelle Lousse, et moi, je sens mon ventre cuisiner du gloubi-boulga. J'ai tiré mes taffes trop rapidement. Faut que je réfléchisse, vite, et bien. Que s'est-il vraiment passé hier soir ? 


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