Chapitre 1 - La rencontre (2)
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L'été est bien haut. Lauraline avance sur le chemin qui mène à la forêt. Il fait si chaud. Elle décide de s'écarter du sentier pour aller trouver le ruisseau un peu plus loin.
Dans l'eau, à l'abri de tout regard une forme s'agite. Elle décrit des cercles, vrille, ralentit, le plus heureux des poissons. Le poisson est narquois, il voit la fille approcher et il se cache. Tout ça l'amuse beaucoup. La fille est un peu déçue, elle avait entendu du bruit. Elle s'assoit et fume une cigarette. Le poisson est contrarié. Lauraline regarde sa cigarette et culpabilise un peu, mais continue quand même.
Une silhouette jaune pâle se balade dans la cime des arbres. Il est impossible de la suivre correctement. Elle semble par moment se volatiliser en fumée pour réapparaître un peu plus loin, et c'est sûrement sa vitesse qui donne cette impression. Elle s'arrête et se pose sur une branche. Elle marche sur la branche comme on marcherait sur le sol. Elle s'approche d'un trou dans le tronc et y entre. Elle penche tout son buste vers le bas de son corps et sa tête se recouvre de cornes puis de poils. C'est bientôt tout son minuscule corps qui est enroulé sur lui-même, prêt à dormir dans sa propre chaleur.
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Nous voilà donc parées pour notre première expédition d'aventurières, Lili et moi. Prêtes à débusquer l'ours qui écrit sur les vitres des maisons abandonnées. C'est l'aube, et au petit matin les oiseaux nous accompagnent. Ils veillent sur nous, qu'ils le veuillent ou non, car toute la faune est avertie de notre présence grâce à eux.
La cabane est vide. Lili est tellement déçue. Je lui propose de chercher aux alentours, derrière les buissons, derrière les hautes herbes, bref je trouve une solution pour qu'elle ne perde pas le sourire.
C'est après une demi-heure de fouille assidue que je la vois se tourner vers moi avec son index sur les lèvres, comme pour dire de faire silence. S'approchant avec une patience impressionnante d'un petit tas d'herbe, elle se relève brusquement pour laisser échapper un cri: « Oh non ! ».
Envolé, le lapin brun, petite boule de poils sautant dans les fourrés.
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Je me fiche de ce que pensent Lauraline et maman. Moi, je crois qu'il faut laisser de la nourriture dans la cabane. Je ne sais pas qui est cet animal mais il cherchait refuge, c'est sûr. Les autres ne me croient qu'à moitié, et c'est bien normal, ils ne l'ont pas vu. Mais ça m'est égal. Je veux le revoir. Avec mon copain Jeannot on a un plan. Il a rigolé quand je lui ai dit que j'avais fait fuir un ami à lui, hier. Jeannot, il aime bien les lapins. Bref, notre plan c'est qu'on va se relayer tous les jours pour aller à la cabane. C'est une mission d'observation. Nous verrons bien si Lousse vient chercher la nourriture qu'on lui laisse, et quand. Est-ce un animal nocturne ou diurne ? Oui c'est vrai, je suis contente d'utiliser ces mots parce que c'est des nouveaux, que j'ai appris. Les mots, c'est important, parce que sans eux vous ne pouvez pas dire ce que vous avez sur le cœur.
Ce soir c'est à Jeannot d'y aller, puisque j'y suis déjà allée hier. Lauraline vient souvent avec moi et on s'amuse bien.
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Un garçon s'approche de la cabane. C'est le soir. Il est curieux car Lili lui a parlé de Lousse. On entend des grognements.
Le garçon tremble, il sort sa lampe de poche. Il éclaire la cabane. Les grognements sont entrecoupés de halètements bruyants. Dans le coin inférieur gauche de la vitre, on peut voir une touffe de poils dépasser: elle se meut au rythme de la respiration. L'animal dégage tellement de chaleur que la vitre est recouverte de buée. Jeannot décampe.
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J'ai froid. J'ai froid dans mon cœur. Les allées et venues des êtres ne me réchauffent plus. Peut-être est-il temps d'arrêter le jeu ? Je ne sais plus pourquoi je suis ici. Pourtant, quand je les regarde, je sens en moi des mouvements, et dans ces mouvements, il y a de la vérité. Mes feuilles tombent, la sève se rétracte dans mes branches tandis que quelque chose en moi est en train de mourir. Je ne saurais vous dire. Il y a ce souffle... Il y a le vent... Il y a Lili.
Il y a ce brin d'herbe devant mes yeux, qui plie, et la goutte d'eau dessus qui se moque de ma petitesse me rappelle qui elle est vraiment. La magie, ici, est différente. On peut la sentir. On peut la regarder comme une « chose qui est là ». On peut la toucher, on peut la boire, on peut la respirer, on peut la perdre, on peut la cracher, on peut l'aimer, on peut la bafouer, on peut la vivre. Et je me rappelle de ces siècles passés ici, millénaires à attendre, en hibernation. Attendre quoi? Y a-t-il eu une erreur? Laquelle? Comment la réparer? A quel moment me suis-je perdue dans cette forêt? Depuis combien de temps suis-je ici? Je suis le vent et je suis les arbres, je suis le sentiment et la mélodie macabre, je suis l'automne et je suis les pommes. Je suis le froid, et je ne suis personne.
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