Chapitre 1 - La rencontre (1)
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Papa et maman s'affairent à tout déballer et ranger, et c'est enfoncée dans le gros fauteuil que je les observe faire. J'aime quand les choses s'agitent autour de moi, lorsqu'elles ne nécessitent pas la moindre participation de ma part. Ainsi lovée, je suis le centre du monde, invisiblement tranquille, délicieusement présente à toutes les choses qui sont sans mots. Amoureusement absente des affaires des Hommes. Je plisse les yeux comme un chat bienheureux, et dans les douces vapeurs d'un sommeil qui n'est pas tout à fait là, le décor devient filigrane d'un spectacle plus excitant encore. Créativité débridée par le rêve éveillé.
«Lauraline, tu viens m'aider?!»
Oh non... Pourquoi donc faut-il toujours que ma contemplation soit dérangée d'une manière si brusque ? Pourquoi faut-il qu'elle soit dérangée, tout court? Mon bien-être, mon bonheur... Ne devraient-ils pas suffire à m'accorder une grâce, une protection qui empêcherait toute intrusion? N'existe-t-il aucune place sur Terre préservée de l'agitation des humains ? Quand m'accordera-t-on un éternel repos, une liberté de contemplation inviolable? Quand pourrais-je enfin...
«Lauraline!»
J'entends un grognement sortir de ma bouche tandis que je me lève du fauteuil. Mais où est donc Lili quand on a besoin d'elle ? Il y a une bonne odeur de tarte aux poireaux qui parvient à mes narines. J'ai à peine le temps de pousser la porte de la cuisine que ma petite soeur débarque comme une furie, s'arrêtant devant moi comme pour m'empêcher d'aller plus loin. Elle fait toujours ça quand elle croit que je vais accaparer maman et qu'elle ne pourra pas sortir de sa bouche les urgences existentielles vitales qui la traversent.
«Maman! Il y a un animal qui vit dans la cabane abandonnée! Et il est énorme!
- Gros comme ça? Raconte-moi.
- Plus gros que papa! Je crois que c'est un ours, mais un ours vraiment bizarre alors.
- Un ours dans une cabane? Ça oui qu'il est bizarre, ton ours. Ne serait-il pas sorti du conte de Boucle d'Or?
- Tu ne me crois pas, hein? Tu ne me croiras pas non plus si je te dis qu'il m'a dit son nom, alors...
- Désolée chérie, je te crois. Il t'a vraiment dit son nom? C'est un ours qui parle?
- Je ne sais pas si c'est vraiment un ours, je n'ai pas bien vu. Il a écrit son nom sur la buée de la fenêtre. C'était difficile à lire parce que c'était un peu à l'envers mais je suis quasiment sûre que j'ai tout bon!
- Alors, dis-moi?
- Il s'appelle Lousse!»
Évidemment, maman n'a rien cru de cette histoire. Lili se rend bien compte qu'elle fait semblant. Quand je lui ai demandé pourquoi elle continuait de parler à maman malgré l'évident mensonge, elle m'a répondu que c'était parce que maman avait besoin qu'on lui parle, autant que nous avions besoin d'être écoutées. C'était facile pour elle. Elle vivait dans le meilleur des mondes, puisque lorsqu'elle avait besoin d'être écoutée, elle savait que j'étais là.
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