La vie d'avant (3) : Aurore

En parlant d'Aurore... Je ne parviens pas à m'habituer au vide qui nous sépare. On s'aimait, pourtant... J'admirais son ambition, ma tendresse la rassurait. C'était encore l'époque du lycée Paul-Eluard, où je l'embrassais derrière les platanes de la cour. Une époque révolue à présent. J'ai oublié la dernière fois où on s'est enlacés, où on a fait l'amour.

Tout en ruminant mes pensées sombres, je rallume la télé qui diffuse une rediffusion d'Orange is the new black. Les aventures de Piper Chapman et de ses codétenues me distraient un moment. Pour une fois que certains rament plus que moi....

Derrière moi, je n'ai pas entendu Aurore revenir dans un petit déshabillé noir particulièrement affriolant. Je me retourne quand elle tousse, pour croiser ses yeux gris beaucoup plus doux qu'une heure plus tôt.

Elle me tend la main avec un petit sourire d'excuse :

-Je suis désolée. Je ne voulais pas...

J'ai un petit haussement d'épaules. Bien sûr que je vais lui pardonner. Je suis incapable de lui en vouloir bien longtemps puisqu'après tout, ces hauts et ces bas constituent notre vie.

-Allez, viens.

Je l'attire à moi, pensant suivre avec elle les péripéties de Piper en plein ébats érotiques avec la pulpeuse Alex Vause. Mais, à ma grande surprise, elle a d'autres projets. Celui de presser ses lèvres contre les miennes, de dévoiler ses épaules rondes et de me laisser respirer son parfum capiteux. Je tressaille. De telles initiatives sont rares, de sa part comme de la mienne.

-Louis....

Aurore gémit, m'entraîne vers la chambre. Je fais glisser son déshabillé, soulève sa nuisette pour caresser sa poitrine ronde et nacrée. De son côté, elle tire sur le haut de mon pyjama, promène ses mains sur mon torse. Presque nus, nous nous laissons tomber sur les draps fins du lit. J'embrasse doucement ses seins, son ventre, son intimité. Elle a envie de moi, alors j'écarte ses jambes, je me prépare, et....

Rien.

Malgré les caresses d'Aurore, mon sexe ne se soulève pas suffisamment pour la pénétrer. Je souffle, je gémis. Je m'imprègne de sa beauté offerte, de ses seins cambrés, de l'odeur de son corps. La main sur mon propre sexe, je ferme les yeux, je me souviens d'autres moments de complicité sensuelle. Prêt à tout, j'en viens même à rêver d'autres femmes. Des actrices dénudées à l'écran, des images que j'invente.

Mais j'ai beau faire de mon mieux, je ne m'enflamme pas. Alors, quand je comprends que la partie est perdue, je finis par me laisser basculer sur le côté, dépité. Je me sens nul. Même tenter de recoller les morceaux de mon couple, je n'y arrive plus.

-Désolé, je murmure à Aurore d'une voix tremblante. Je suis désolé.

Une chance que la pénombre protège les larmes qui percent sur mon visage rougi.

-Ce n'est rien, tu es fatigué.

Sa main se pose doucement sur mon torse, sa voix se veut paisible. Mais je devine sa déception, et je m'en veux d'en être responsable.

-Il est tard, on devrait dormir.

Je me retourne sur le côté et j'attends dans le noir que la respiration d'Aurore s'apaise. Où en est notre couple ? Si je n'y arrive plus, est-ce uniquement dû à la fatigue ? Peut-être que je ne parviens plus à passer outre nos rancoeurs.... Ou peut-être...

Tard dans la nuit, je finis par sombrer dans le sommeil. Mes pensées embrouillées et tristes attendront bien demain.

******

A mon réveil, Aurore n'est plus là. Jogging matinal, sûrement. Je passe en ronchonnant dans la salle de bains, puis dans la cuisine pour me préparer un petit déjeuner bien corsé. Jus d'orange, céréales aux pépites de chocolat, il n'y a rien de mieux.

Pendant que je dévore avec application, mon autre main prend un crayon et se met à griffonner sur la feuille près de moi. Dessiner, c'est mon refuge. L'évasion qui me permet d'oublier que tout va mal. Je sais que je suis doué, un peu. Mais suivre cette voie, à l'époque de mon baccalauréat, ç'aurait été impensable. Déraisonnable.

Comme souvent, j'ai dessiné une robe. Je la vois cintrée à la taille, printanière. J'aime imaginer des vêtements mais je n'ai jamais sauté le pas d'en créer réellement. Au fil de mes années d'études, l'informatique a fini par prendre le pas sur tous les autres pans de ma vie.

Je passe la matinée à dessiner et n'entends pas Aurore rentrer. Elle porte son jogging gris à la dernière mode et ses cheveux sont trempés de sueur. Elle est belle, et pour la première fois, je me demande pourquoi elle est encore à mes côtés. Elle retrouverait probablement un compagnon avec facilité. Les occasions ne doivent pas lui manquer, parmi le personnel de son immense cabinet d'avocats.

Nous passons un week-end tranquille. D'un commun accord, nous évitons de reparler de notre dispute et de l'incident d'hier soir. Nous regardons la fin de la saison d'Orange is the new black sur Netflix, puis Aurore se met aux fourneaux tandis que j'ouvre une bouteille de bon vin.

Le dimanche soir, je m'endors tôt en songeant aux dossiers qui m'attendent.

La semaine se déroule pourtant mieux que je ne l'aurais espéré. Aurore et moi semblons avoir adopté un statu quo quasi fraternel, Edouard me fiche la paix et l'ambitieux Noah ne trouve rien à se mettre sous la dent.

Le jeudi après-midi, je traîne devant mon ordinateur, comme à mon habitude un peu désoeuvré. Les heures se sont écoulées sans que je n'aie trouvé le courage de me plonger dans le travail. Heureusement que pour une fois, le rythme du bureau est plutôt calme.

-Tu viens à l'afterwork ? me demande Agathe, une brunette frisée qui travaille au service marketing. Elle a parlé à travers la porte ouverte et je sursaute.

-Je ne sais pas...

En règle générale, je ne me rends pas à ces soirées, incompatibles avec mon tempérament solitaire. Mais cette fois, j'hésite. J'ai besoin de me changer les idées, et d'éviter de trop croiser Aurore. Elle ne m'en voudra pas, elle qui m'encourage à me montrer plus sociable.

-Allez, viens ! La fête promet d'être très sympa, sourit la jeune femme.

Je lui promets d'y réfléchir. Quelques minutes plus tard, ma décision prise, je saisis mon portable.

« Je rentrerai tard. Une fête au bureau. Ne m'en veux pas et dîne sans m'attendre. Je t'aime. »

L'écran lumineux ne tarde pas à s'allumer.

« Bonne occasion de sociabiliser. Profite-en pour discuter boulot. J'irai dîner avec ma mère, je resterai peut-être dormir là-bas. Je t'aime aussi. »

Ma chère et tendre n'entend apparemment pas briser notre traité de paix implicite. A 18 heures, j'attrape une veste de rechange dans mon placard et je quitte le bureau. La fête n'est qu'à quelques rues de là, et j'ai le temps d'un dîner express à « Paul » avant de débuter une soirée que j'espère être de folie.....

Dehors, le temps du début d'été est radieux : un peu de vent et une lumière douce qui irradie Paris. Je m'arrête au restaurant de la rue Saint-Antoine, commande un sandwich gras et un muffin tout en observant un groupe de touristes anglais vêtus de capes de couleur. Le plus grand atout de mon boulot, c'est d'être situé dans ce quartier que j'adore. Le Marais déborde de créativité et de fantaisie.

Après mon dîner, je déambule au hasard des ruelles, jusqu'à me retrouver Place des Vosges, où un clown fait son numéro devant une des entrées. Quand je passe devant lui, il me salue d'une pirouette et j'esquisse un sourire un peu désabusé. Si maintenant, je dois attendre un artiste de rue pour rire un peu...

Une demi-heure plus tard, on y est. C'est l'heure ; l'afterwork va débuter dans quelques instants. Devant le bâtiment, quelques collègues sont déjà là, une cigarette aux lèvres.

-Tu es venu ? se réjouit Agathe, toute pimpante dans sa robe bleu ciel. Je n'aurais pas cru !

Il faut dire que j'ai la réputation d'être le sauvage de service. Mais je tente de sourire :

-Envie de danser, probablement.

Elle rit :

-Allez, beau gosse, viens !

Sur ses talons, je rentre dans la salle irradiée de projecteurs verts et violets. Le DJ aiguise ses platines, mais pour le moment, ce qui attire, c'est le buffet. Je laisse Agathe saluer les autres -elle est sociable, elle- et j'attrape un verre. Le champagne, c'est ce qu'il me faut. Suffisamment alcoolisé pour me faire passer la soirée en pilote automatique, mais pas assez pour me faire danser sur les tables.

Au deuxième verre, je me sens plus léger, au point de ne pas m'apercevoir du regard amusé de mon voisin, qui m'a vu avaler les coupes.

-Hello.

Je lève les yeux et reconnais Hugues, vêtu d'un élégant costume au style anglais. Cette semaine, bien qu'il m'ait indiqué avoir terminé son stage, j'avais souvent cru revoir ses boucles brunes dans les couloirs de la société. Je plisse le nez.

-Salut.Tu aimes danser, alors ?

-Pas spécialement, répond-il avec le plus grand sérieux. Et toi ?

-Pareil, je fais avec un sourire.

Derrière ma bonhomie apparente, je suis un peu désorienté. Pourquoi ce pincement au cœur, cette joie inexpliquée au moment où je l'ai aperçu ? Je le connais à peine. Heureusement, la musique se fait entendre à cet instant, ce qui m'évite de réfléchir davantage.

-On va danser ? propose Hugues. Autant s'entraîner....

J'éclate de rire et je le suis sur la piste. Il se déhanche drôlement sur le rythme de Wake me Up Before You Go Go, et je l'imite tant bien que mal.

-Tu te débrouilles bien, murmure à mon oreille mon nouvel ami. Il s'est rapproché de moi et a posé sa main sur mon épaule.

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