CHAPITRE 1 LA VIE D'AVANT


Le réveil hurle et moi je sors de mon sommeil en maugréant. Aurore se redresse, déjà parfaitement réveillée.

-Il est quelle heure ? je demande, la voix ensommeillée.

-Cinq heures trente, rendors-toi.

Depuis trois semaines, Mademoiselle s'est mise à l'heure américaine. Réveil à l'aube, jogging, puis petit-déjeuner au pain complet avant d'aller travailler.

-Tu n'as pas l'impression d'en faire un peu trop ? je lui ai demandé l'autre jour. Tant de perfection, cela en devient agaçant.

-Tu n'y connais rien. En tout cas, je passe associée au cabinet le mois prochain, alors tu devrais en prendre de la graine.

Sûrement.... Mais en attendant une hypothétique promotion professionnelle, j'ai besoin de dormir, moi. Et je compte bien continuer à me lever à huit heures, et éviter tout effort matinal autre que celui de mastiquer les brioches que je préfererais toujours au pain complet.

Puis, parce que je refuse de me lever aux aurores, je quitte toujours l'appartement en retard, en oubliant un jour sur deux mon portable ou mes clés. Heureusement, mon bureau n'est qu'à deux stations de métro de chez moi ; infiniment pratique pour quelqu'un doté d'aussi peu d'esprit pratique que moi.

Depuis six ans, je suis informaticien à DC CONSULTING, où je fais partie d'une équipe chargée de mettre au point de nouvelles applications. Révolutionnaires évidemment, les applications.

Quand j'ouvre les yeux, ce matin, le jour est déjà bien levé et tout est silencieux autour de moi. Apparement, Aurore est partie, et moi j'ai un sinistre pressentiment. Celui que je suis très très en retard, et qu'on n'est pas dimanche.

Péniblement, je tourne la tête vers le radio-réveil. Huit heures trente. BonDiou ! Je le savais ! Je saute du lit et fonce sous la douche. J'ai mal au crâne, j'ai eu du mal à me rendormir après le départ de ma chère et tendre.

Un peu avant neuf heures, je pénètre dans l'immeuble de la société. Le miroir du hall me renvoie l'image d'un garçon brun et mince, le visage mangé par une barbe légère. Je porte une veste noire, achetée le week-end à la friperie. J'aime les fringues, peut-être trop pour un garçon. Du moins selon mes collègues qui se moquent parfois.

-Salut, me lance mon N+1 dès que j'entre dans mon bureau du 1er étage. Tu as pensé à finir le dossier Wolf, hier ?

J'enlève ma veste et la pose tranquillement sur mon siège avant de répondre.

-Oui, je t'ai envoyé un mail à ce sujet.

Edouard, la quarantaine stressée, plisse les yeux.

-Je vais vérifier. On a réunion à 11 h 30, tu te rappelles ?

Il repart en trombe et moi, j'allume mon ordinateur en étouffant un soupir. Depuis que les Américains ont pris des participations dans la boîte, rien n'est plus pareil. Edouard craint pour son poste et fait reposer toute la pression sur les épaules de son équipe. Et même entre nous, on en vient à une compétition qu'on n'aurait jamais osée envisager, un an plus tôt.

J'ai deux dossiers urgents à boucler, mais les heures s'écoulent lentement. Ces derniers temps, je manque complètement d'entrain au travail. Non seulement les échéances m'indiffèrent, mais je commets de plus en plus d'erreurs. Je sais que je devrais changer de poste, je supporte mal la pression. Mais malheureusement, ce n'est pas si simple.....

A 11 h 25, j'attrape mon ordinateur portable et quitte mon bureau pour me rendre à la réunion, à l'étage au-dessus. Alors que j'appelle l'ascenseur, un garçon m'interpelle :

-Il est en panne ce matin.

-Ah, d'accord.

Je me dirige vers l'escalier, l'autre sur mes talons.

-Je monte aussi.

Il est plus jeune de moi de quelques années, et dispose d'une magnifique paire d'yeux bleu clair. Je lui envoie un sourire avant de disparaître dans le couloir de gauche, là où se trouve ma réunion. Il est plutôt craquant. Les filles doivent l'adorer.

Tout le monde est déjà là quand j'arrive. Il y a Edouard, en bout de table, avec à la main un stylo qu'il tortille nerveusement, James, un trentenaire anglais roux comme une carotte, et Noah, jeune premier un brin arrogant. Tous rivés à leurs écrans.

-Salut, Louis, fait James.

C'est celui que le stress atteint le moins, mon préféré dans l'équipe. Noah, par contre, me toise. Il semble perpétuellement en train de se demander quelle bourde je vais bien pouvoir commettre et quel avantage il va en retirer.

Je m'installe et déplie mon ordinateur.

-Noah, commence Edouard, tu en es où de la vérification du fonctionnement de la nouvelle appli Cox ? Cela devient urgent.

-C'est à Louis que tu avais demandé de s'en occuper, Edouard, répond tranquillement l'affreux bambin.

Je grimace ; il a raison. Je m'en rappelle maintenant, mais ces derniers jours j'ai complètement oublié. Il faut dire que je suis débordé de travail ces derniers temps, et plutôt dépourvu d'énergie. Pour compenser mes baisses de productivité, je ne quitte plus le bureau avant 20 h. Je travaille mieux le soir mais pour autant, je parviens tout juste à rester en équilibre.

-Louis ?

-Je suis désolé, Edouard, je marmonne. Cela m'était sorti de la tête.

Pas la peine de se défiler, ce n'est de toute façon pas mon style. Mais je suis mortifié. Quand je ne souffre pas de pertes de mémoire, je ne fais pas bien mon travail. Je me suis pourtant toujours considéré comme un garçon sérieux mais ces derniers temps, rien ne va plus. Je ne comprends pas ce qui m'arrive, il me semble que je ne contrôle plus ma vie.

-Non, mais ce n'est pas possible ! rage mon boss en tapant du poing sur la table. Tu te crois où ces derniers temps, Louis ? Tu crois que les Américains vont nous pardonner nos bourdes ? Tu veux être le premier viré à la prochaine charrette ?

-C'est bon, je soupire. Je vais m'en occuper. Aujourd'hui.

Je ne suis pas encore sorti d'ici avant la fin de soirée, mais je m'en moque. Je vais essayer de rattraper mes erreurs. Et de là où je suis, je peux voir le demi-sourire de Noah. Ce dernier veut être dans les petits papiers de la direction, je le sens. Et il est prêt à tout.

Durant le reste de la réunion, je suis dans le brouillard. En descendant, j'envoie un bref message à Aurore pour la prévenir que je rentrerai tard. La réponse ne tarde pas :

« Oh, non ! C'est vendredi et on a rendez-vous à 19 h chez Elise. »

Elise, c'est la meilleure amie d'Aurore depuis la fac de droit. Toutes deux s'accordent parfaitement : bourreaux de travail et valorisant par-dessus tout la réussite sociale. Je ne l'ai jamais beaucoup appréciée.

Deuxième texto.

« J'imagine qu'on t'a encore refilé du boulot, tu aurais quand même pu te débrouiller autrement. »

Je soupire. L'opinion d'Aurore sur ma carrière, je la connais. Elle m'entend me plaindre depuis plus d'un an, et elle a du mal à le supporter parce que cela brise l'image du garçon super-héros qu'elle aurait voulu avoir à ses côtés. Celui qui accumule les honneurs et à qui rien de mal n'arrive jamais. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top