54.

[HERO]

Comment peut-on donner de l'amour quand on n'en a jamais reçu ? Le départ de June n'était qu'une question de temps du moment où on a décidé d'accorder une chance à notre histoire. Et, honnêtement, je ne peux pas la blâmer de m'avoir largué. Les sentiments pour elle étaient réels, puissants et sincères, mais je ne l'ai pas aimée comme il fallait, comme le petit-ami qu'elle méritait. J'ai enchaîné les bourdes et les mauvaises décisions tout du long. Mon impulsivité a toujours été l'un de les pires défauts. Sanguin, j'ai toujours foncé tête baissée dans les embrouilles et ce, depuis mon plus jeune âge. La violence fait partie intégrante de mon quotidien depuis la départ de la donneuse d'ovules qui aurait pu me servir de mère. Cette rage cachait — et cache encore — la souffrance infligée par des personnes censées m'aimer et prendre soin de moi.
J'ai pris une décision basée sur la colère et la douleur, choix que je regrette amèrement et qui a mené à une débâcle sans nom, provoquant larmes, blessures, et la fin d'une histoire bâtie sur le mensonge... mais tout cela n'était que le début d'un engrenage infernal dont nous sommes tous devenus prisonniers...

*

Nous arrivons devant l'entrée de l'hôtel Duomo Firenze, situé juste en face de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Je fais vrombir une dernière fois le puissant moteur de la moto avant de l'arrêter devant le portier de l'établissement. Pendant tout le trajet depuis l'aéroport, June me tenait fermement, ses bras autour de ma taille, mais pas avec autant de ténacité que les premières fois. Je pense qu'elle commence à se détendre à l'arrière et à apprécier de se faire balader de cette façon. Il me semble même l'avoir entendu pousser des petits cris d'excitation à chaque fois que j'accélérais un peu.

Et puis, me défouler sur l'accélérateur m'a également permis d'évacuer le stress accumulé depuis notre départ de Londres. Le vol ne s'est pas exactement déroulé comme je le prévoyais — bien que notre aparté dans les toilettes a vachement aidé à faire redescendre la pression — mais c'est surtout cet abruti de journaliste avec lequel June va devoir passer le plus clair de son temps qui me fait le plus chier. Avec sa gueule de premier de la classe, sa manière d'intello de s'exprimer... putain ! Je sais que c'est le genre de mec avec qui June peut bien s'entendre, et ça me fout les boules. Quand je les ai vus en train de discuter et de rire comme s'ils se connaissaient depuis des années, ça m'a mis un seum de malade. J'ai conscience que ce con ne représente rien aux yeux de June mais... j'ai cette putain d'impression qu'il va foutre sa merde dans une histoire qui ne le regarde pas.

D'un léger coup du pied, j'abaisse la béquille pour stabiliser la moto sur ses deux roues. Les bras de June délaissent mon corps au moment où nous nous redressons. Je descends de l'engin et aide ma compagne de voyage à en faire de même. Nous ôtons nos casques et nous dirigeons vers le voiturier. Je tends les clés de l'engin à ce dernier en lui demandant d'y faire bien attention. L'employé m'adresse un signe de tête en répondant poliment en italien avant de se diriger vers la Ducatti. Je me retourne vers June qui, tous sourires, s'émerveille de tout ce qui l'entoure.

- C'est vraiment magnifique, ici ! s'exclame-t-elle, en tournant sur elle-même pour examiner chaque parcelle des bâtiments historiques encerclant notre hôtel.

Je suis si content de la voir aussi heureuse. Ses yeux, plein d'étoiles, contemplent l'environnement comme si elle venait de découvrir un endroit magique. Son sourire béat allège un peu plus mon humeur tant j'aime la voir comme ça.

- Si tu veux, après notre installation, on peut aller explorer les environs, je lui propose. Tu savais que l'Italie est le pays qui fait les meilleures glaces ? Y'a plein de petits glaciers à chaque coin de rue...

June reporte alors son regard vers moi et, tout en se mordillant la lèvre inférieure, elle hoche frénétiquement la tête, comme une petite fille. Je ne peux m'empêcher de rire devant ce tableau attendrissant. Pour venir compléter cette scène, un rayon de soleil se pose sur son visage, la rendant encore plus belle que d'habitude. Je pourrais la regarder pendant des heures, mais notre temps en Italie nous est compté.

Je l'invite alors à me suivre à l'intérieur de l'hôtel. Nous franchissons ensemble la porte automatique transparente et je ne manque pas de lui prendre la main pendant que nous nous dirigeons vers la réception. La femme derrière l'accueil nous salue chaleureusement avec un fort accent italien avant de nous tendre nos clés. Je suis ravi d'apprendre que, contrairement à l'avion, nous sommes logés dans le même étage et que nos chambres sont en face l'une de l'autre. Elle nous apprend également que nos bagages ont déjà été montés et installés dans nos quartiers respectifs. Nous la remercions et prenons la direction de l'ascenseur pour atteindre le dernier étage.

Nous arrivons sur le palier du dernier niveau de l'établissement, pourvu des plus belles chambres avec les meilleures vues sur la ville. Je suis étonné que June puisse bénéficier d'un tel luxe de la part de Vogue, étant donné les conditions dans lesquelles elle a voyagé jusque-là. Ils ne sont peut-être pas si radins, au siège du magazine...

June, à mes côtés, scrute les moindres recoins du long couloir dans lequel nous avançons. Elle s'extasie devant les peintures ornant les murs, devant la finesse de la moquette que nous piétinons et même sous les dorures au plafond. Elle cite quelques noms d'artistes, au passage, prônant la richesse de la culture italienne, surtout durant la Renaissance. Aucun élément n'échappe à son oeil ébahi par tant de luxe. C'est probablement la première fois qu'elle met les pieds dans un hôtel aussi prestigieux et je veux absolument qu'elle garde son visage aussi illuminé pendant tout le séjour.

J'ouvre la porte de ma chambre et découvre une suite somptueuse. J'inspecte rapidement les lieux : un immense panier d'accueil garni de fruits, de chocolats et autres douceurs trône fièrement sur la grande table en bois, dans l'entrée, avec une carte de bienvenue de la part de la direction de l'hôtel, me souhaitant un bon séjour, avec tous leurs compliments. En avançant, je remarque, à côté de l'espace salon, une bouteille de champagne trempant dans un seau avec deux coupes sur le côté. En arrivant dans la chambre, je découvre un grand lit king-size avec des bouquets de fleurs près des fenêtres. Je me dirige ensuite vers la grande baie vitrée qui donne sur une terrasse privée avec vue sur le côté du Duomo. En contemplant le paysage florentin du haut de mon balcon, je réalise soudainement que ma vie est un paradoxe constant : comment puis-je vivre les meilleures expériences grâce à mon métier, aux quatre coins du monde, alors que chez moi, à Londres, j'ai une vie de merde ? Je passe du glamour des palaces internationaux au glauque d'une bicoque pourrie de South London.

C'est pour cette raison que je dois me barrer de Londres, de l'Angleterre même. Je sais qu'une meilleure vie est ailleurs, peu importe la destination. Rien ne peut être pire que ça.

Je rebrousse chemin et traverse ma chambre pour rejoindre June. Sans frapper à la porte, j'entre et découvre la photographe en train de défaire ses bagages. Je remarque immédiatement que sa chambre est un peu plus modeste que la mienne mais bien agencée, tout de même. Lorsqu'elle s'aperçoit de ma présence, un immense sourire étire ses lèvres.

- Oh. Mon. Dieu ! Je n'arrive pas à croire que je suis ici ! s'exclame-t-elle en se dirigeant vers moi. Regarde un peu tout ça !

Sa voix se fait de plus en plus aiguë, trahissant son excitation. Elle fait un tour sur elle-même pour observer l'endroit où elle va passer ses deux prochaines nuits. Elle s'empare d'une lampe et me la montre en écarquillant les yeux.

- Je suis sûre que c'est du cristal... enfin, je veux dire, du vrai cristal qui coûte plus cher que mes deux reins réunis, comme de celui qu'on trouve dans les palais de maharadjahs ! s'enflamme-t-elle une nouvelle fois, en pointant du doigt le fin pied transparent et sculpté de la lampe.

Elle finit par reposer l'objet avant de se diriger vers la gigantesque télévision à écran incurvé.

- Et ça ! Regarde la taille de cette télé... Elle ne passe même pas la porte de l'appartement !

Son ébahissement infini m'amuse beaucoup. Elle ressemble à une gamine qui vient d'arriver à DisneyWorld et qui ne sait plus où donner de la tête tant tout ce qui l'entoure attire son oeil. Je croise les bras contre ma poitrine et la regarde d'un air attendri.

- Même la salle de bains... la douche ! Y'a la fonctionnalité massage, tu te rends compte ? Comment ça marche, exactement ? Comment l'eau peut-elle te masser ? s'étonne-t-elle en se dirigeant d'un pas excité vers la porte de la salle d'eau.

Elle est presque à bout de souffle quand elle termine son tour.

- Je suis ravi de voir que ta chambre te convient, je lui lance en riant. Et, franchement, je n'ai aucune idée de la manière dont fonctionne le massage sous la douche... mais peut-être qu'on pourra résoudre ce mystère ensemble, plus tard...

Un sourire coquin s'affiche sur ses lèvres tandis qu'elle s'approche de moi. Elle tend ses mains pour attraper les miennes jusqu'à ce que l'espace entre nos deux corps soit infime.

- C'est une idée très alléchante, je dois bien l'avouer et...

A ce moment-là, quelqu'un frappe à la porte, interrompant notre moment d'intimité. Je maudis intérieurement la personne qui se trouve dans ce couloir. June me délaisse pour aller accueillir cet invité non-désiré. Lorsqu'elle ouvre la porte, j'ai la très désagréable surprise de découvrir son putain de collègue de travail dans l'encadrement de la porte.

- Hey ! le salue-t-elle chaleureusement.

Les mains dans les poches, il lui sourit. Cependant, il déchante assez vite lorsqu'il m'aperçoit. Il m'adresse brièvement un signe de tête, que je ne lui rends pas.

Connard...

- Tout se passe bien ? lui demande-t-il en reportant son attention sur elle.

- Je ne pouvais rêver mieux ! lui répond-elle d'une voix enthousiaste. Je suis dans l'une des plus belles villes d'Italie, dans l'un des hôtels les plus chics de la capitale toscane pour faire le métier de mes rêves... alors, je te laisse imaginer mon état !

Il se met à rire et June ne tarde pas à se joindre à lui. Qu'est-ce qu'il m'énerve, putain !

- J'avais pensé qu'on pourrait aller boire un verre au bar de l'hôtel, propose-t-il. Ils ont de supers bon cocktails que tu dois absolument essayer.

June se retourne alors vers moi, ne sachant que répondre. Son visage fait des allers-retours entre nous deux. Ce mec n'a vraiment aucune gêne ! Il l'invite, en détente, alors que je suis dans la pièce ! J'espère qu'elle va refuser et l'envoyer chier en lui disant qu'on a déjà quelque chose de prévu.

- Euh... pourquoi pas ? On pourrait y aller tous les trois, non ? répond-elle en se tournant vers moi, me demandant du regard si j'accepte de les accompagner.

Non, mais je rêve ?!

- Je suis désolé, mais on s'apprêtait à sortir... juste tous les deux, je rétorque à l'attention du journaliste en insistant bien sur la dernière partie de ma réponse.

Tout en lui parlant, je le toise du regard. Il ne m'impressionne pas avec son sourire qui pue l'hypocrisie et ses fausses bonnes manières qui le feraient passer pour le gendre idéal. Si June est incapable de voir son manège, je suis là pour lui ouvrir les yeux.

Lorsque j'arrive à leur niveau, sans cesser de le dévisager, je pose une main sur l'épaule de June pour bien lui faire comprendre qu'il n'a pas intérêt à la convoiter. La jeune femme se dégage soudainement de mon emprise, à ma plus grande surprise et se retourne vers moi en me fusillant du regard.

- Peut-être qu'on peut faire un détour au bar avant d'aller faire notre tour, non ? me demande-t-elle, les yeux écarquillées et les mâchoires serrées.

Elle est sérieuse, là ? Elle sait très bien que je n'ai aucune envie de passer du temps avec cet enfoiré de journaliste. A mon tour, je fronce les sourcils pour lui montrer ma désapprobation.

- Écoutez, je ne veux pas créer de problèmes ou de tensions entre vous, intervient machin-bidule.

- C'est rien, c'est juste... commence à répondre June sur un ton qui se veut rassurant tout en lui faisant face. Attends, deux secondes...

Elle se retourne vers moi et m'entraine avec fureur dans la partie de sa chambre où l'autre fouille-merde ne pourra ni nous voir, ni nous entendre. Ce petit bout de femme furax finit par s'arrêter et me lâche avant de me mitrailler de ses iris marron courroucés.

- Ecoute, c'est important pour moi que tout se passe bien avec Andrew, chuchote-t-elle avec hargne. Je joue mon avenir au sein de Vogue. Je sais que t'as du mal avec lui, mais je te demande simplement une chose : tolère-le pendant ce weekend, okay ? Est-ce que tu peux au moins faire ça pour moi ?

Putain, voilà que je me retrouve à culpabiliser, maintenant. Bien sûr que je veux que ces deux jours se passent le mieux possible pour June et qu'elle décroche d'autres contrats avec Vogue ou n'importe quel autre magazine.

- Ouais, d'accord... je lui réponds, peu enthousiaste. Je vais essayer, mais s'il tente quoi que ce soit...

- Il ne tentera rien. C'est seulement professionnel entre lui et moi, me coupe-t-elle avec un léger sourire.

- Si je me souviens bien, tu voulais aussi que ça reste professionnel entre toi et moi... je lui rappelle sur un ton se voulant espiègle.

June penche la tête sur le côté et arbore une moue faussement boudeuse. Elle fait un pas vers moi et plaque ses deux mains sur mon torse.

- Peut-être... mais il n'est pas toi, rétorque-t-elle en faisant glisser ses mains le long de mon tee-shirt jusqu'à atteindre l'ourlet de mon jogging.

Ses doigts s'arrêtent tandis qu'elle relève son regard vers moi, regard dans lequel la colère que je pouvais y déceler a laissé place à une lueur que je préfère.

- Si tu commences à m'allumer...

Je ponctue mon allusion par un sourire en coin. June laisse échapper un petit gloussement et retire aussitôt ses mains de moi, à mon plus grand regret. Le visage adouci, la brunette m'adresse un sourire en guise de remerciements avant de rejoindre l'autre con.

- C'est bon pour le verre, lui annonce-t-elle de bon coeur.

Je finis par réapparaitre dans leur champ de vision et les suit hors de la chambre.

*

Nous arrivons au rez-de-chaussée, le nouveau meilleur ami de June jouant les guides, celle-ci à ses côtés, discutant de conneries sans grand intérêt et moi, fermant la marche en trainant du pied. Je sens que la prochaine heure va être longue et ennuyeuse. La dernière chose que je voulais était de me retrouver dans la même pièce que ce con et devoir faire semblant de l'apprécier. Putain, rien qu'à voir sa gueule, je sais que ça va être difficile de prétendre m'intéresser à ce qu'il raconte et même juste d'endurer sa compagnie. Je respire un bon coup pour décompresser. Ce gars a le don de me faire monter en pression en quelques secondes ! Bordel... je dois mettre mon animosité envers lui de côté et penser aux bénéfices que June peut tirer de cette collaboration avec lui. Je lui ai dit que je ferai un effort et je veux éviter de la décevoir. Je serre donc la mâchoire et ronge mon frein tandis que nous avançons dans le hall.

En passant devant la réception, nous constatons qu'elle est prise d'assaut par des passionnés de mode originaires des quatre coins du globe — au vu de leurs tenues plus excentriques les unes que les autres et des différentes langues parlées devant le comptoir — venus spécialement pour la Fashion Week. Le hall est bondé et nous tentons de nous frayer un chemin pour rejoindre le bar, où l'ambiance est légèrement plus calme.

La modernité du lobby contraste énormément avec le style baroque reproduit à travers le mobilier et la décoration. Des peintures, similaires à celles que June et moi avons pu voir dans le couloir de notre étage, sont également exposées, représentant des scènes de la vie courante des siècles passés. Un serveur vient à notre rencontre avec un sourire accueillant et, à la demande de machin-bidule, nous escorte vers le coin lounge, en retrait de la salle principale.

Quel snob ! Une table normale nous aurait suffi...

Alors que nous suivons le cortège, June s'arrête et se retourne vers moi. Elle prend ma main et m'attire dans un coin du bar. Intrigué par la tournure des évènements, je la suis sans broncher.

Veut-elle continuer la discussion que nous avons entamé dans la chambre quelques minutes plus tôt avant de devoir descendre ici ? Si ça peut m'éviter de passer trop de temps avec l'autre, ça me va...

Nous nous arrêtons à l'écart des autres clients et June croise les bras sur sa poitrine, visiblement nerveuse. Son regard se balade frénétiquement aux quatre coins du bar, évitant soigneusement de croiser le mien.

Okay, on n'est plus du tout dans le même « mood » que dans la chambre...

Elle finit par relever son visage vers moi et je peux lire une certaine appréhension dans ses yeux.

- Hero, je sais que tu as déjà fait beaucoup de choses pour moi et parfois même sans que je te le demande et... je ne te remercierais jamais assez pour tout ça, commence-t-elle en pressant ses doigts dans la chair de ses bras.

Elle s'interrompt, semblant chercher ses mots. D'après son début de discours, j'en déduis clairement qu'elle a quelque chose à me demander... et ce doit être assez déplaisant étant donné son état.

- Dans l'avion... Andrew m'a... il m'a demandé s'il était possible que... enfin, c'est juste pour demain, hein, mais... j'ai conscience que c'est un gros service et je sais que tu ne l'apprécies pas trop mais...

June bafouille et danse d'un pied sur l'autre, trahissant son malaise. Je redoute ce qu'elle a à m'annoncer, maintenant que je sais que ça concerne son collègue. Qu'est-ce qu'il a bien pu lui demander ? S'il l'éloigne trop de moi, putain, je jure que...

- Est-ce que tu accepterais d'être le sujet de son article ? lâche-t-elle à la vitesse de l'éclair, en fermant ses yeux avec crispation, comme si elle craignait ma réaction.

Quoi ? C'est juste... ça ?

June ouvre un oeil, puis le second et parait surprise de me voir aussi calme. J'esquisse un sourire, amusé par cette situation. Je me contente de la regarder, sans répondre.

- Tu... Tu n'es pas...

- Quoi ? Fâché ? Furieux ? Prêt à péter un câble ? je la taquine avec un petit sourire. June, je sais à quel point ce job est important pour toi et, si je peux t'aider à réaliser tes rêves, je ferais du mieux que je peux... même si je dois supporter l'autre tête de con !

Le soulagement envahit les traits, à présent détendus, du visage de la brunette. Un immense sourire ne tarde pas à apparaitre sur ses lèvres.

- Oh ! Merci ! s'exclame-t-elle en me sautant dessus.

Je recule d'un pas sous l'effet de son étreinte inattendue, que j'accueille avec joie. J'enroule mes bras autour de sa taille pour la serrer plus fort contre moi. Je tourne la tête pour que ma bouche arrive à hauteur de son oreille :

- J'espère être récompensé en conséquence, je murmure sans manquer de frôler son lobe du bout des lèvres.

June tressaille à ce simple contact. Elle tente d'étouffer un petit gloussement contre mon épaule. Je sais qu'elle aime que je lui parle comme ça, que je lui glisse des sous-entendus salaces. Elle jouait les choquées jusqu'à présent quand je faisais ça, mais plus maintenant.

- Tu pourras faire tout ce que tu veux de moi, chuchote-t-elle près de mon visage, après avoir retrouvé son sérieux.

Cette perspective me fait déglutir. Si elle savait tout ce que je veux lui faire...

- Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd, je lâche avec un sourire en coin avant de la laisser glisser contre moi jusqu'à ce que ses pieds touchent le sol.

Nos corps s'éloignent l'un de l'autre et notre petit moment prend fin. Nous nous dirigeons vers le coin lounge du bar et nous installons sur les banquettes en velours bordeaux encerclant une table basse en bois aux sculptures délicates. Je m'affale sur la première, rebondissant grossièrement sur l'assise. Je croise les jambes avec décontraction et pose un bras sur le haut du dossier. June s'assoit à côté de moi alors que l'autre est déjà assis en face de nous.

- Prenez ce qui vous fait plaisir, c'est moi qui régale ! nous lance-il avec un grand sourire, en attrapant son portefeuille dans la poche arrière de son pantalon moutarde trop moulant.

Encore une fois, je manque de provoquer un torticolis à mon nerf optique tant ce mec m'exaspère. Il veut se la jouer grand seigneur pour impressionner June. S'il pense qu'il suffit de dégainer la carte bleue pour séduire celle que je convoite, il se trompe sur toute la ligne. Moi aussi, j'ai du pognon — peut-être même plus que lui — et je pourrais lui en mettre plein la vue, si je le voulais, mais je sais que June n'est pas du tout intéressée par ça. Le serveur sort une mini-tablette de la poche de son tablier et attend que nous passions commande.

- Je vais prendre un verre d'Orlondo Abrigo cuvée 2012, lui indique le collègue de June.

Quel prétentieux...

- Pour moi, ce sera un... Bellini, ajoute la brunette avec un gentil sourire à l'employé.

Ce dernier enregistre les boissons sur l'écran tactile avant de relever sa tête vers moi. Je parcours rapidement la carte du regard mais rien ne me fait envie. Je me rabats alors sur un classique.

- Euh... mettez-moi un whisky-coca, je lui réponds.

Au départ du serveur, un silence étrange s'installe entre nous trois. Nous nous regardons tous les trois à tour de rôle, sans vraiment savoir quoi se dire. C'est peut-être le moment idéal pour jauger la dangerosité de mon adversaire :

- Donc, Anthony, étant donné qu'on va passer la majorité de notre journée de demain ensemble, j'aimerais en savoir un peu plus sur toi, je lance avec défiance.

Avant qu'il ne réponde, June lui apprend, avec une certaine excitation, que j'ai accepté sa proposition d'être le sujet central de son article.

- Oh ! dit-il avec surprise. Merci beaucoup, Hero... et je m'appelle Andrew, et non Anthony.

Comme si je ne le savais pas...

Après cette rectification inutile, il commence à déblatérer une liste ennuyeuse tirée de sa biographie.

- Je suis né à Los Angeles mais j'ai grandi à Banstead, dans le Surrey. D'ailleurs, à écouter ton accent, j'en déduis que toi aussi, tu es du sud de Londres... je me trompe ?

Ah, parce qu'il est expert en accent, aussi ?

- J'ai grandi à Brixton, dans le quartier de South London, mais passons...

J'encourage le journaliste à poursuivre son récit.

- Je suis très proche de mon grand frère, qui a suivi des études de médecine pour devenir pneumologue. Mes parents vivent toujours dans le Surrey et j'essaie, au moins une fois par semaine, d'aller leur rendre visite. Ils ont toujours été d'un grand soutien dans tout ce que j'entreprenais... surtout ma mère. C'est elle qui m'a poussé à explorer plusieurs voies avant de trouver celle qui me convenait.

Je constate que nous avons beaucoup de points communs, lui et moi... L'ironie de ma pensée me fait intérieurement pouffer de rire. Il a la vie dont j'ai toujours rêvé : une mère présente et aimante, un père qui ne le tabasse pas dès qu'il est de mauvais poil, un frère complice...

- J'ai toujours été très sportif. J'ai commencé par faire de la gymnastique... et j'ai même gagné une compétition dans la catégorie des moins de douze ans. A l'adolescence, j'ai délaissé la gym à cause d'un coach aux manières un peu trop borderline pour moi et me suis adonné à une autre passion : le skateboard. J'adorais me balader sur ma planche en écoutant Rage Against the Machine ou The Beastie Boys à fond dans mes écouteurs. Je mettais des tee-shirts très larges et des pantalons baggy trop grands pour ma carrure de grand dadais de l'époque... c'était la mode de le porter en bas des fesses !

- Je me rappelle de ça ! s'exclame June en riant. Tous les mecs de mon lycée trouvaient cool d'exhiber leurs caleçons sous nos yeux ! Et, en général, ils ne portaient pas des sous-vêtements les mettant en valeur !

- Mais non, c'était super branché, au contraire ! feint de s'offusquer Andrew, sans pouvoir réprimer un rire. Les miens étaient souvent à l'effigie de mes héros préférés : Superman, Batman... et même Spiderman ! Maintenant, je porte des caleçons un peu plus classes... mais j'ai quand même une grande tendresse pour mes dessous d'adolescents !

Ils se mettent de nouveau à rire. Attends... comment en est-on arrivé à parler de calbut ?!

- Et, ensuite ? j'interviens pour mettre fin à ce sujet très déplaisant.

- Euh... à vrai dire, j'étais un peu perdu à cet époque. Je passais mon temps à faire du skate et à fumer trop de weed avec les copains sans vraiment me préoccuper de mon avenir. Ma mère, inquiète de me voir gâcher ainsi mon potentiel, m'a conseillé de me diriger vers des domaines artistiques. J'ai d'abord essayé la peinture, ce qui s'est conclu par un gros échec. J'ai enchainé avec la sculpture... mais étant maladroit, j'ai vite arrêté avant de perdre un doigt ! Par la suite, j'ai pris des cours de théâtre, où je me débrouillais pas trop mal, selon ma prof... mais je ne me voyais pas déblatérer les monologues de MacBeth ou faire l'acteur devant des caméras. J'ai également fait un crochet par la photographie mais je n'étais pas très doué... Peut-être que tu pourras me donner quelques cours pour m'améliorer ?

Quoi ? Il est sérieux ?! Il cherche vraiment la merde, on dirait !

- Pourquoi pas ? lui répond-elle avec un grand sourire. Mais sache que mes honoraires sont très élevés !

Je décèle de la plaisanterie dans son ton, mais je ne veux pas qu'elle passe du temps avec lui en dehors de ce putain de défilé. Cette face de pet se met à rire et une envie irrépressible de lui tordre le cou s'empare de moi.

- Du coup, j'ai tenté l'écriture et là... ça a été la révélation ! poursuit-il en écarquillant les yeux. J'ai commencé par écrire des petites histoires et je me suis dirigé petit à petit vers le journalisme... et me voilà, ici, plus de quinze ans après l'obtention de mon diplôme, et je ne regrette absolument pas !

June le regarde avec admiration. Évidemment, avec une vie aussi parfaite, y'a de quoi faire des envieux !

- Par contre, plus tard, j'aimerais rédiger des articles qui parlent d'autre chose que de vêtements, d'accessoires et de taille zéro... j'ai envie que mes écrits changent les mentalités, laissent un impact sur le monde... vous voyez ce que je veux dire ?

Il se prend pour Mère Theresa, maintenant...

- Totalement, lui répond June en lâchant un soupir. J'ai envie que mes photos racontent quelques chose, qu'elles témoignent d'une réalité qui nous échappe ou que nous refusons de voir. Tout comme Annie Leibovitz, je veux être capable de prendre des photos qui marqueront le monde et qui le feront évoluer aussi...

- J'étais certain qu'Annie Leibovitz était une de tes influences, ajoute-t-il comme si c'était l'évidence même.

Ils se mettent à parler de cette Annie, que je devine être une photographe, mais qui m'est complètement inconnue. Pour être honnête, je décroche de la conversation jusqu'à ce que je sente June gesticuler à côté de moi. En posant mon regard sur elle, je constate qu'elle essaie d'atteindre la poche de sa jupe, dans laquelle se trouve son téléphone portable. Lorsqu'elle aperçoit la personne qui l'appelle, son visage s'illumine aussitôt.

- C'est Angie ! Excusez-moi, les garçons... je reviens tout de suite !

Elle se lève à la hâte et décroche en s'éloignant de nous. Je la suis du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse de mon champ de vision. Comme je le craignais, je me retrouve en tête-à-tête avec l'autre con... c'est bien ma veine, putain !

Angie... je vais te tuer, bordel !

- Hero, je voulais te remercier encore une fois de participer à ce projet, annonce Andrew, me ramenant à cette terrible réalité que je rêve de fuir. Je suis conscient que tu as déjà beaucoup de travail durant ce weekend et c'est très gentil de ta part de m'accorder du temps.

J'écoute sa tirade avec exaspération. S'il pense qu'il va arriver à m'amadouer en me caressant dans le sens du poil, il se fourre le doigt dans l'oeil ! Je me penche vers lui, un rictus en coin sur le visage :

- Ne te fatigue pas... tu peux garder tes belles paroles, ça ne marche pas avec moi. Je ne suis pas June, je lui lance avec calme et aplomb.

Il semble surpris par mes propos. Il a un mouvement de recul et secoue sa tête pour être sûr d'avoir bien capté le sens de la pique que je venais de lui adresser.

- Je... je ne comprends pas... bafouille-t-il.

- Laisse-moi être très clair, alors : l'article, c'est pour June que j'ai accepté de le faire... pour aucune autre raison, et certainement pas pour toi.

Au vu de son expression — et de l'agressivité sous-jacente qui émane de mes mots — je pense qu'il a compris la direction que prenait cette conversation.

- Ecoute, mate, je crois que tu te méprends complètement sur la situation ! tente-il de se défendre en levant ses mains devant lui, lâchant un petit rire nerveux. Je ne suis pas du genre à courir après la petite-amie de quelqu'un... bien que June m'ait laissé entendre que vous n'étiez pas ensemble...

Putain, elle lui a parlé de nous ! Qu'a-t-elle bien pu lui raconter ? Qu'on couchait ensemble ? Bien que sa dernière remarque me fait bouillir intérieurement, je tente de garder mon sang-froid pour aller au bout de mon avertissement.

- Ce qui se passe entre elle et moi ne te regarde absolument pas, peu importe ce qu'elle t'a dit, okay ? je rétorque, un poil énervé. Il y a seulement une chose qu'il faut que tu saches : June est à moi.

Les sourcils d'Andrew s'arquent d'étonnement. Il reste, quelques secondes, interdit avant de répondre :

- Tu ne trouves pas ce commentaire un peu... rétrograde ? me demande-t-il. Qui dit ça encore de nos jours ?

Quoi ? Qu'est-ce qu'il est en train de me chanter, là ?

Mes sourcils, au contraire des siens, se froncent face à cette remarque débile. Ça y est, maintenant, il va me donner une leçon de féminisme à deux balles... comme si j'avais besoin de ça !

- Je sais que tu es très encore très jeune et... peut-être que ta mère ne t'a pas enseigné la meilleure manière de traiter les femmes, mais tu ne peux pas parler de June de cette façon, explique-t-il en se penchant à son tour vers moi, en putain de moralisateur qu'il est.

Je ne lui ferai pas le plaisir de lui raconter les détails glauque de mon enfance. Après tout, ça ne le regarde pas et, déjà qu'il me parle sur un ton qui me plait moyennement, je n'ai pas envie qu'il me prenne en pitié. De plus, il a le don de bien me faire monter en pression et ce petit commentaire sur ma génitrice pourrait bien mettre le feu aux poudres. Je suis vraiment à deux doigts de lui refaire le portrait ! Je lâche un petit rire nerveux, histoire de libérer un peu la tension qui m'habite.

- Tu ne sais rien de notre relation ! June et moi, on a une connexion spéciale, d'accord ? Elle est à moi autant que je suis à elle... et ça, personne ne peut rien y faire ! je rétorque avec agacement.

- C'est étrange parce qu'elle ne m'a pas du tout parlé de vous deux de cette façon dans l'avion... en tous les cas, elle ne t'appartient pas, insiste-t-il lourdement.

Putain, mais on dirait qu'il fait exprès de me provoquer !

Bien sûr, il n'a rien à perdre maintenant que j'ai accepté de faire son article de merde. Si j'avais su, j'aurais fermé ma gueule... mais celle qui devrait être verrouillée à double tour, c'est la sienne !

Mes mâchoires se contractent, mes poings se serrent sans que je m'en rende compte. C'est un réflexe... ce mec me donne envie de le frapper ! Je le fusille du regard, prêt à lui sauter dessus, ce qui ne semble pas l'impressionner le moins du monde.

- June s'est un peu confiée à moi pendant le vol et, de ce que j'ai compris, elle a déjà été dans une relation abusive par le passé. Tu ne voudrais qu'elle revive la même chose, n'est-ce pas ?

IL EST SÉRIEUSEMENT EN TRAIN DE ME COMPARER A CETTE SOUS-MERDE DE MATT ?!

Je ne sais pas ce qui me fait le plus enrager : qu'il ose me mettre au même niveau qu'un enfoiré capable de tabasser une femme par frustration et presque la violer ou que June lui ait avoué des choses intimes sur son passé, prouvant qu'elle lui fait confiance et qu'un lien fort — qui m'emmerde profondément — est en train de s'établir entre eux ? Je sais qu'elle ne parle pas de cet épisode peu reluisant à n'importe qui...

- Je ne suis pas comme son ordure d'ex ! je me défends avec hargne. Je soutiens June dans tout ce qu'elle entreprend, je veux l'aider au maximum à réaliser ses rêves... Je veux simplement son bonheur.

- Je suis rassuré d'entendre ça, répond-il. Mais, peut-être qu'elle n'a pas toujours besoin de toi... ou de quelqu'un, en général, pour l'aider à atteindre son but. Après tout ce qu'elle a vécu, cela boosterait sa confiance en elle d'arriver à accomplir ses objectifs elle-même, tu ne penses pas ?

Je rêve... il se la joue défenseur de June, maintenant ?!

- Je sais qu'elle n'a pas besoin de moi ou de qui que ce soit pour prouver son talent. Son travail et sa détermination parlent d'eux-mêmes, je rétorque, piqué au vif. D'ailleurs, elle a décroché ce contrat toute seule, comme une grande... et je suis fier d'elle. Je ne sais pas pour qui tu me prends, mais je n'ai aucune mauvaise intention envers elle.

C'est la pure vérité. Je sais que, depuis que nous nous connaissons, je n'ai pas toujours été correct avec elle mais j'ai fait des efforts pour éviter de la blesser inutilement. Je ne veux que le meilleur pour elle. Plus la conversation avance, plus je m'aperçois que je suis en train de me justifier auprès d'un mec que June a rencontré depuis moins de douze heures et qui prétend vouloir s'assurer de son bien-être, alors que je n'ai aucune obligation envers lui !

- Je ne sais pas si je peux en dire autant de toi, j'ajoute.

- Je veux simplement être sûr que June est dans les meilleures dispositions pour faire son travail comme il se doit. Je ne voudrais pas que son week-end soit parasité par des problèmes extérieurs, si tu vois ce que je veux dire...

Je mords l'intérieur de ma joue pour éviter d'être encore plus désagréable avec lui. Je ne voudrais pas lui donner raison et devenir un « parasite » — pour reprendre ses termes — aux yeux de June et lui donner une raison de me casser du sucre sur le dos.

Heureusement, j'aperçois la brunette revenir vers nous, à ce moment-là. Même si je continue de maudire Angie intérieurement pour le moment traumatisant que je viens de passer avec l'autre tête de cul, je suis soulagé de voir sa meilleure amie s'avancer dans notre direction, un grand sourire aux lèvres.

- Argh ! Angie est une très grande pipelette et elle tenait absolument à faire un FaceTime pour que je lui montre l'hôtel, se justifie June en prenant de nouveau place à côté de moi.

Sa présence m'apaise aussitôt. Elle nous regarde tour à tour, essayant de deviner comment s'est passé notre tête-à-tête pendant son absence, une expression perplexe sur son joli visage.

- Tout va bien ? nous demande-t-elle.

- Oui. Hero et moi avons appris à faire connaissance... n'est-ce pas ? lui répond Andrew en se redressant pour s'adosser nonchalemment contre le dossier de la banquette, non sans braquer ses petits yeux vicieux sur moi.

Un léger rictus déforme ses lèvres. Il sait qu'il est en position de force... et il en profite, ce connard ! Je ne rentrerai pas dans son jeu et le toise également, voulant lui prouver qu'il ne me fait pas peur pour un sou.

S'il veut jouer, on est deux !

- Ouais, je lâche mollement avant de reporter mon attention sur June.

Mes doigts s'enroulent autour de la main de celle-ci, qui me gratifie d'un sourire. J'ai besoin d'elle. Elle seule arrive à canaliser la colère que j'éprouve en cet instant, m'empêchant d'exploser et de donner satisfaction à l'autre enflure en face de moi. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas lui donner une seule raison de « m'enlever » June.

Je resserre un peu plus mon emprise comme si j'avais peur qu'elle m'échappe. Cette seule pensée me fait carrément flipper. S'il lui donnait des arguments en ma défaveur qui la ferait changer d'avis par rapport à notre « arrangement » ? Etant donné qu'elle semble sérieusement prendre en compte son avis, j'ai peur qu'il profite de son influence auprès d'elle pour l'éloigner de moi.

Soudain, une main sur mon bras me tire de mes tristes songes et je rencontre alors le regard inquiet de June, qui sonde mon visage à la recherche d'un indice quant à mon attitude.

- T'es sûr que ça va ? s'enquiert-elle. T'as l'air... ailleurs.

- Ouais, je... j'étais perdu dans mes pensées, je lui réponds en secouant la tête. De quoi... de quoi vous parlez ?

- June venait de me demander quelle personnalité m'avait le plus marqué durant ma carrière, intervient l'autre, sans vraiment l'avoir invité dans la conversation. Et je lui ai révélé que j'avais passé un super bon moment lors de mon interview de Tom Holland...

- ... T'imagines ? Il a rencontré Tom Holland ! s'enflamme la brunette, sa main toujours posée sur moi. Je l'adore tellement. C'est un acteur génial et il semble être très simple et très terre-à-terre comme garçon ! Et puis, il n'est pas désagréable à regarder...

Je réalise alors que je ne connais pas trop les goûts de June. Je serais incapable de citer un de ses centres d'intérêt — excepté la photographie — ou un de ses hobbies. On a certainement brûlé beaucoup d'étapes dans notre « arrangement » qui sont essentielles pour construire les bases solides d'une bonne relation... ce que nous n'avons clairement pas fait, puisqu'on n'a même pas de relation à proprement parler !

- June a un petit faible pour les mecs plus jeunes, je lance à l'attention d'Andrew, non sans ponctuer ma pique d'un sourire narquois.

Ce dernier baisse la tête en lâchant un petit rire. Et ouais... MATE ! S'il y a bien un terrain sur lequel il ne peut absolument pas me battre, c'est la jeunesse. June se tourne vers moi en écarquillant les yeux, pinçant ses lèvres pour s'empêcher de sourire.

- Hero ! feint-elle de s'offusquer en me pinçant le bras. Tu vas me faire passer pour une cougar !

Le rouge lui monte aux joues. C'est mignon !

Alors que je m'esclaffe face à la gêne de June, une voix grave et familière m'interpelle de l'autre côté du bar :

- Yo, bro !

Je tourne la tête et aperçoit une chevelure courte et rose qui confirme mes soupçons. Je me lève d'un bond et quitte le coin lounge pour rejoindre mon ami Evan Mock, son indémodable skate sous le bras. Je l'accueille avec une accolade chaleureuse tant je suis heureux de le voir. Je savais qu'il participait lui aussi au défilé Ferragamo, mais je ne pensais pas le retrouver avant le jour J.

- What's going on, mate ? Pas trop fatigué à cause du décalage horaire ? je lui demande en le taquinant.

- Il a couvert le bruit des moteurs tellement il ronflait fort... et depuis Los Angeles, ça en fait des heures de ronflement ! se moque Jamie, mon agent — et aussi l'agent d'Evan — en ôtant ses lunettes de soleil avant de me prendre dans ses bras et de déposer un baiser sur ma joue. Comment vas-tu, honey ?

- Je vais bien, merci, je lui réponds en mettant fin à notre étreinte.

Je suis si content de les voir. Etant donné qu'ils vivent tous les deux aux Etats-Unis, il est difficile de nous retrouver régulièrement. Jamie essaie de venir le plus souvent possible à Londres pour garder un œil sur moi et ma carrière et, quand je suis en déplacement en Californie, je ne rate jamais une occasion de lui rendre visite, à elle et sa famille. Elle a toujours été bienveillante à mon égard. J'avoue que je la considère un peu comme une mère, une grande sœur, mais surtout une amie.

Quant à Evan, nous nous sommes rencontrés, il y a quelques années de ça, à Los Angeles lors d'un évènement similaire à celui-ci et nous avons immédiatement sympathisé. Son look extravagant, conjugué à ses racines hawaïennes, est la première chose qui m'a frappé chez lui. Il aime casser les codes en alliant plusieurs mondes qui, à priori, n'ont rien à voir les uns avec les autres. Il est à la fois fashion-victim et skate-boarder professionnel. Il a défilé et posé pour les plus grandes marques tout en s'affirmant dans le monde de la planche à roulettes, parcourant les skate-parks des quatre coins du monde et enchainant des figures plus périlleuses les unes que les autres. J'ai déjà assisté à une de ses compétitions et il a même voulu m'initier à cette discipline, initiation qui s'est conclue par plusieurs ecchymoses sur mes bras et mes cuisses et, tout ça, la veille du défilé Dior à Miami, en Floride, où nous étions invités. Toujours en rapport avec la mode, il a pour ambition de sortir sa propre marque de vêtements. Son cerveau bouillonne d'idées et ne s'arrête jamais !

- Aaaaahhhhh ! J'ai besoin d'une bonne douche pour me réveiller, soupire bruyamment Evan en laissant tomber sa tête en arrière. Je veux être frais pour la soirée chez Paul ! J'espère que t'es prêt, Hero !

Je fronce les sourcils en écoutant sa dernière remarque. Quelle soirée ? Il ne me semble pas avoir entendu parler d'une quelconque soirée organisée par le directeur artistique de Ferragamo. Remarquant mon air perplexe, Jamie intervient :

- T'as pas reçu mon mail, honey ? me demande-t-elle en rassemblant ses longs cheveux blonds sur son épaule. Paul organise une soirée avec tous les mannequins dans un sublime manoir sur les hauteurs de la ville.

- Il nous a même envoyés des tenues issues de la nouvelle collection... si c'est pas cool, ça ! s'extasie le skateur.

Merde ! Cette petit fête tombe hyper mal ! Ça contrecarre mes plans avec June et notre escapade florentine. Je me retourne vers le coin lounge où la brunette jette, de temps à autre, un regard dans ma direction.

- Est-ce que...est-ce qu'il est possible de venir... accompagné à cette soirée ? je demande, bien que je connaisse déjà la réponse.

- Tu sais comment fonctionne ce genre d'évènement, me répond Jamie en penchant la tête sur le côté. Et tu connais Paul... qui dit soirée privée dit « privée ». Aucun autre guest que ceux qui figurent sur sa liste n'est autorisé à entrer au manoir.

Je hoche la tête même si ça me fait chier. Je ne peux pas faillir à mes obligations, étant un des ambassadeurs de la maison de couture mais, d'un autre côté... il est hors de question que June passe la soirée avec l'autre guignol. Je ne sais pas quoi faire, putain !

Evan m'adresse un sourire plus que suggestif. Il s'approche lentement de moi, l'œil pétillant, avant de passer son bras autour de mes épaules.

- Qui est l'heureuse élue ? me demande-t-il de but en blanc, sans que je m'y attende.

- De quoi tu parles ? je lance en tournant ma tête vers lui, essayant d'esquiver sa question.

- Come on, bro ! Je te connais ! Jamais tu ne demanderais d'amener quelqu'un à la soirée de Paul si elle n'était pas importante. Une femme aurait-t-elle réussi l'exploit de capturer ton petit cœur de pierre ?

Je me mets à rire et me dégage de l'emprise de mon ami. Bien que nous ne nous voyons pas souvent, nous nous connaissons plutôt bien, tous les deux. Il est au fait de mes habitudes auprès de la gent féminine et cette question peut sembler déroutante et contradictoire par rapport à la manière dont je me comporte avec les femmes. Jamie me dévisage également de ses grands yeux bleus avec intérêt, attendant ma réponse.

- Eh bien... euh, ouais, y'a bien quelqu'un mais... je commence en passant une main dans mes cheveux, sans vraiment savoir comment finir cette phrase. Elle... elle est... spéciale.

- Ecoute, honey, en qualité d'agent, tu peux faire ce que tu veux tant que cette histoire ou cette fille ne nuit pas à ta carrière. Ton image doit rester aussi lisse et immaculée que possible. Qui sait ? Peut-être que dans les mois ou les années qui suivent, tu voudras t'orienter vers une autre activité et, à ce moment-là, ton profil sera scruté à la loupe... surtout ton passé et ils seront à la recherche du moindre faux pas. Mais je suis aussi là en qualité d'amie et tu sais que tu peux venir me parler de n'importe quoi à n'importe quel moment... même de tes histoires de cœur, okay ?

Je lui adresse un sourire en guise de remerciement. Je suis conscient qu'elle est là pour moi, autant professionnellement que personnellement.

- Tu comptes nous la présenter ou est-ce qu'on doit deviner de qui il s'agit ? me demande mon ami à la peau hâlée et aux tatouages visibles sur ses mains et ses bras en baladant son regard dans tout le bar. J'imagine qu'elle est dans les parages si tu voulais l'inviter...

Elémentaire, mon cher Mock-son !

Je tourne une nouvelle fois la tête vers le coin lounge où June parait en grande discussion avec son bouffon de collègue. J'ai les boules de savoir qu'ils vont certainement passer la soirée ensemble mais je ne peux rien y faire, malheureusement !

J'invite mes amis à me suivre jusqu'à l'espace en retrait du bar. Nous montons les quelques marches menant aux banquettes. Andrew est le premier à nous voir arriver. Son regard se pose sur chacun de nous trois avant que June ne remarque notre présence. Cette dernière se lève et nous accueille avec un grand sourire. J'aurais préféré faire les présentations sans cet abruti mais je ne peux pas décemment lui demander d'aller voir ailleurs si on y est.

- June, voici mon ami Evan Mock. Mannequin, skate-boarder, globe-trotter, styliste à ses heures perdues... j'oublie quelque chose ? je lui demande en posant l'index sur mon menton.

Les yeux marron en amande de mon ami hawaïen me fixent avec une fausse exaspération surjouée jusqu'à ce qu'il reporte son attention sur June. Il lui tend sa main, qu'elle s'empresse de serrer avec enthousiasme.

- Ravie de te rencontrer, Evan, lui dit-elle gentiment.

Mon ami lui retourne le compliment avec un accent américain qui semble surprendre la brunette. Mon métier m'a permis de faire la connaissance de personnes sur les cinq continents. Je suis certain qu'elle va étendre petit à petit son réseau dans tous les pays que cette Terre possède.

- Et voici Jamie Skinner, mon agent qui prend grand soin de moi, dis-je en gratifiant cette dernière d'une œillade remplie de tendresse.

Alors qu'elle lui tend sa main — que June serre avec plaisir — mon amie blonde se met à dévisager longuement la photographe alors qu'elle s'approche d'elle.

- Votre visage me parait familier... On s'est déjà rencontrées, non ? lui demande-t-elle sans cesser de la fixer.

June semble réfléchir quelques secondes avant que ses yeux ne s'écarquillent en répondant :

- Oui ! Nous nous sommes vues lors du photoshoot d'Hero pour ES London.

- Ah oui, c'est ça, je m'en rappelle maintenant. Vous étiez l'assistante de Charlie Gates pendant cette séance, renchérit Jamie. Oui, votre visage était...

Je me racle bruyamment la gorge pour faire taire mon agent. June esquisse un petit sourire gêné en baissant la tête. Je ne tiens pas à ce que Jamie lui rappelle l'état dans lequel son connard d'ex l'avait mise. Quelques marques sont encore visibles mais elles se sont presque toutes estompées.

- Il se trouve que je remplace Charlie ce weekend, lui apprend la photographe avec fierté, mettant son embarras de côté. Il a eu un empêchement et m'a recommandée pour couvrir le défilé.

- June travaille pour British Vogue, je lâche en lui souriant.

Jamie la félicite avant que June n'ajoute :

- Et je ne suis pas seule. Je fais équipe avec Andrew Garner, journaliste émérite du magazine.

Putain, elle était obligée de l'inclure dans la conversation...

Ce dernier se lève et vient à notre encontre. Il serre les mains d'Evan et Jamie tout en échangeant des politesses. Il remarque alors la planche que mon ami mannequin tient à la verticale :

- T'es skateur ? lui demande-t-il en scrutant l'objet en bois aux motifs variés et très colorés.

- Un peu que je le suis ! lui répond-il. Et toi ?

- J'en ai fait beaucoup durant mon adolescence, mais je pense avoir gardé quelques restes...

- Y'a deux skate-parks que j'aimerais tester ici... ils sont chanmé ! s'exclame l'hawaïen. J'espère avoir le temps d'y aller pendant le weekend.

Je rêve ou ils sont en train de sympathiser ? D'abord June, maintenant Evan ? C'EST UNE PUTAIN DE BLAGUE ???!!!!

Ils se mettent à discuter de leur passion tandis que le portable de Jamie se met à sonner. Elle s'éloigne de nous avant de décrocher. Je me retrouve alors avec June.

- Ils ont l'air très sympa, m'avoue-t-elle en les regardant tour à tour.

- Ils le sont, je lui réponds avant de retrouver mon sérieux. Écoute, je ne vais pas pouvoir visiter la ville avec toi, ce soir. J'ai appris que j'étais invité à une soirée organisée par le directeur artistique de Ferragamo... J'ai essayé de t'incruster mais on n'a pas le droit d'inviter des personnes extérieures...

June parait un peu dégoûtée mais me sourit rapidement.

- On est ici avant tout pour le boulot, me rappelle-t-elle avec un ton se voulant très sérieux. Écoute, on a encore demain pour explorer la ville donc, va à ta soirée. Et moi, je vais bien trouver de quoi m'occuper...

Tant qu'elle le fait seule et pas avec l'autre con...

Je hoche la tête même si ça ne m'enchante pas de passer des heures loin d'elle.

- Et puis... commence-t-elle en prenant mes mains, rien ne nous empêche de nous voir après ta soirée...

Elle relève la tête vers moi, un sourire en coin étirant ses lèvres. Ses yeux pétillent, ne laissant aucun doute quant au message qu'elle essaie de me faire passer. Je serre ses mains et lui rends son sourire.

Alors que je m'apprête à lui dégainer une réplique salace pour répondre à sa proposition, les paumes d'Evan viennent claquer sur mes épaules, m'arrachant un petit cri de douleur.

- Je suis désolée de te l'enlever, June, mais on doit aller se préparer pour ne pas être en retard ! s'exclame le skateur en m'attirant à reculons vers les escaliers.

Je lâche les mains de June qui nous regarde nous éloigner. Par contre, la dernière image que j'aperçois d'elle me plait moyennement : Andrew vient se poster à ses côtés, tout souriant et pose une main sur son épaule...

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