53.
En règle générale, j'ai toujours su bien m'entourer. Pensant être une bonne juge de caractère, je me suis rarement trompée sur les personnes à qui j'accordais pleinement ma confiance. Je n'ai jamais eu à regretter mes choix en matière d'amitié. Mais cette année, mes capacités à discerner la personnalité de quelqu'un ont été mises à mal. Alors que j'avais cette image édulcorée d'Hero, mes idéaux se sont volatilisés au moment où il a dévoilé son vrai visage : celui d'un manipulateur sans scrupules, prêt à tout pour obtenir ce qu'il désirait. J'aurais dû le bannir de mon existence, le repousser le plus loin possible. Au lieu de cela, je lui ai laissé la porte ouverte, ouverte au futur désastre qui allait détruire ma vie...
*
Le jour du grand départ est arrivé. Je sui excitée comme une puce à l'idée de quitter Londres le temps d'un week-end et découvrir les beautés dont regorge l'Italie. Bien entendu, je m'y rends en premier lieu pour travailler mais j'espère pouvoir jouer les touristes pendant quelques heures avant de repartir.
A son retour de l'hôpital avec Angie, Dany m'a confirmé le rallongement de mon congé d'une semaine supplémentaire. Il ne s'est pas étendu sur les détails de l'arrangement dont je bénéficie, ni sur la façon dont se sont passées les retrouvailles avec son père mais a insisté sur le fait que mon poste serait assuré jusqu'à mon retour. D'ailleurs, il n'y a pas que mon inquiétude quant à ma stabilité professionnelle qui a disparu lorsqu'il est revenu avec Angie : l'étrange tension qu'ils partageaient depuis quelques temps semblait s'être également évaporée dans les airs. Quand ils ont franchi le seuil de l'appartement ensemble, ils paraissaient plus... complices qu'auparavant.
La valise ouverte sur mon lit, j'attrape les derniers vêtements que je rajoute à la pile déjà bien fournie. Je ne pars que trois jours mais j'ai pris des habits pour deux semaines. J'ai choisi des tenues à la fois confortables mais élégantes. Je ne veux pas paraitre négligée lors de mon premier photoshoot professionnel. Je me dirige vers la salle de bain pour récupérer mes affaires de toilettes. Je ne doute pas que l'hôtel dans lequel nous allons séjourner sera équipé de tout le matériel nécessaire à une bonne hygiène mais je préfère utiliser mes propres produits.
Par ailleurs, l'assistante de Mr. Enninful m'a envoyé par e-mail mes billets d'avion, la réservation de ma chambre d'hôtel ainsi que les détails relatifs au programme du défilé. Le samedi est réservé à la collection homme, tandis que le dimanche sera consacré à celle des femmes. Elle m'a joint quelques visuels des précédentes créations Ferragamo pour me faire une idée. Je ne m'y connais pas trop en mode mais le style me plait assez, comparé à certains plus extravagants. Les accessoires seront aussi de mise lors du show.
Dans son mail, elle me précise que je vais faire équipe avec un journaliste du nom d'Andrew Garner. Mr Enninful avait mentionné ce fait lors de mon entretien. Curieuse de connaitre son travail, j'ai fait quelques recherches sur Internet et me suis plongée dans quelques-uns des articles qu'il a pu écrire par le passé dans Vogue. J'ai fait appel à l'experte en chef, Angie, elle-même journaliste pour évaluer les écrits de mon futur partenaire. Ma meilleure amie lui a trouvé une belle plume et son style d'écriture lui plait beaucoup. Il a couvert plusieurs défilés de grandes maisons de couture et s'est aussi adonné à des interviews de célébrités. Un CV plutôt bien rempli !
Je descends les escaliers avec mon petit bagage à main et mon matériel photo. Après notre petite fête écourtée par l'annonce de l'hospitalisation du père de Dany, Hero s'est proposé d'aller chercher mon appareil photo chez Felix. Une fois récupéré, j'avais pu retravailler les photos prises durant la séance pour Young Goat et les envoyer à Jack pour la conception du site internet de la marque de vêtement. Son mail de réponse se perdait en compliments et remerciements. Malgré l'assentiment que j'éprouve pour lui, j'étais tout de même heureuse qu'il apprécie mon travail.
Au rez-de-chaussée, Angie et Dany m'attendent, une expression de fierté ancrée sur leurs visages. Je crois même apercevoir des larmes poindre au bord des yeux de ma meilleure amie.
- Tu vas enfin voler de tes propres ailes, lance Angie avec émotion. Si tu savais à quel point je suis fière de toi !
Elle ouvre grand ses bras en s'avançant vers moi et j'accueille son étreinte avec joie. L'émotion me gagne aussi, en proie à un étrange mélange d'excitation et d'appréhension.
- Ouais, enfin... elle va voler grâce aux ailes de l'avion, d'abord, relativise Dany sur un ton nonchalant, les mains glissées dans ses poches.
Nous nous retournons toutes les deux en même temps vers le bouclé, le dévisageant d'un air exaspéré.
- T'as rien de mieux à dire pour encourager ta pote ? lui demande Angie sur un ton légèrement réprobateur. Quand tu partiras en Norvège, on s'extasiera plutôt sur les caribous que sur ton grand accomplissement !
Peu impressionné par la pique d'Angie, Dany reporte son attention sur elle et penche la tête sur le côté, un sourire mystérieux étirant ses lèvres.
- Pour commencer, ce sont des rennes qui sont Norvège. Les caribous sont au Canada, répond-il avec malice. Et ensuite, ce sera sur moi que tu baveras en voyant les bêtes de photos pour lesquelles j'aurais posées. Bien évidemment, je serais plus que ravi d'essuyer tout ce qui dégoulineras de ton corps...
Je me dégage d'Angie en grimaçant, tentant d'effacer les images mentales d'eux deux en train de faire des choses peu catholiques qu'il vient de mettre dans ma tête. Cette dernière se contente de lui faire les gros yeux, sans relever sa remarque salace.
- S'il vous plait, je suis encore là ! je leur rappelle en prenant la anse extensible de ma valise à roulettes pour me diriger vers la sortie de l'appartement.
- T'es sûre que tu ne veux pas qu'on t'accompagne jusqu'à l'aéroport ? me demande Angie en me talonnant de près.
- C'est gentil, mais Hero vient me chercher, je leur apprends en me retournant vers eux. Ce sera plus pratique, étant donné que nous partageons le même vol.
Angie me prend une nouvelle fois dans ses bras en lâchant un petit grognement de frustration à l'idée de me laisser partir.
- Copine, promets-moi de t'éclater là-bas, de bien manger, de picoler...
- ... et de baiser aussi, ça te détendra si t'es trop stressée à cause du boulot, intervient Dany en décochant un rictus provocateur.
Je lui adresse une œillade noire en plissant les yeux par-dessus l'épaule de ma meilleure amie. Toujours le mot pour plaire, celui-là ! Je me dégage d'elle et leur lance un dernier regard avant d'ouvrir la porte et entamer une nouvelle aventure.
Alors que je me tiens sur le perron de l'appartement, je reconnais la voiture rouge de Morgan qui s'avance dans rue et s'arrête juste devant notre immeuble. La portière avant côté passager s'ouvre et Hero sort du véhicule avec la grâce qu'on lui connait. Un grand sourire s'affiche sur son visage lorsqu'il m'aperçoit. Il monte les escaliers deux par deux et arrive à ma hauteur.
- Salut... T'es prête ? me demande-t-il, un brin d'excitation dans la voix.
Sa bonne humeur étant contagieuse, je ne peux réprimer un petit cri d'euphorie lorsqu'il s'empare de ma valise.
- Plus que prête, même !
Ma réponse le ravit et il m'octroie un magnifique sourire avant de continuer à descendre les marches en direction de la voiture. A ce moment, si mon coeur avait des ailes, il s'envolerait jusqu'au septième ciel !
- Hey, beau gosse ! T'as intérêt à prendre soin de ma copine, l'avertit Angie depuis le seuil de la porte.
- Je la surveillerais comme le lait sur le feu, promis ! lui répond Hero avec le même entrain qui l'anime depuis son arrivée.
Il ouvre le coffre de la voiture et insère ma valise à l'intérieur, juste à côté de la sienne. Soudain, il se penche légèrement vers moi et susurre discrètement dans mon oreille :
- Ou alors... je pourrais te faire bouillir comme le lait sur le feu, à toi de voir...
Des images de lui, de sa bouche sur mon corps, de son souffle sur ma peau, de ses provocations verbales me transportent dans un autre monde. Il se redresse, comme si de rien était, tandis que je sens le rouge me monter aux joues et une certaine chaleur se répandre dans tout mon être.
Pourrait-il déjà m'embraser juste avec l'insolence de ses mots ? Bien sûr que oui ! Ce ne serait pas la première fois, mais je ne semble pas m'y habituer...
Le bruit du coffre se refermant me ramène brutalement à la réalité et je tente, tant bien que mal, de retrouver un semblant de contenance pour dissimuler au mieux mon trouble. Je salue de nouveau mes amis d'un signe de la main avant de monter dans le véhicule.
Je m'engouffre à l'arrière et des flashbacks de la dernière fois où je suis retrouvée à cette même place s'immiscent immédiatement dans ma tête. Mes lèvres s'étirent doucement d'elles-mêmes au souvenir de ce qu'Hero et moi avons partagé sur cette banquette. C'était tellement intense, tellement puissant, tellement bon, tellement sensuel, tellement...
- Salut June ! s'exclame la voix familière se trouvant derrière le volant.
Une fois de plus, je suis tirée de mes songes mais mon visage s'irradie lorsque mes yeux rencontrent ceux, pétillants, de Felix. Je suis tellement contente de le voir.
- Hey ! J'ignorais que, de toutes les casquettes que tu portes, tu avais en plus celle de chauffeur de taxi, je lui lance avec espièglerie.
- Hero voulait jouer les Uber... pour pouvoir se retrouver le plus tôt possible seul avec toi, glisse-t-il dans un chuchotement non-subtil, mais Morgz a besoin de sa caisse ce week-end et fallait quelqu'un pour la ramener...
Felix ne tarde pas à recevoir un petit coup de poing sur son épaule de la part de son meilleur ami, en réponse à sa petite boutade. Celui-ci fait semblant d'avoir très mal à l'endroit de l'impact, ce qui m'arrache un petit rire. Je lance une œillade amusée à l'attention d'Hero.
- C'est comme ça que tu remercies ton pote qui prend sur son temps libre pour vous escorter jusqu'à l'aéroport ? Bonjour, l'amitié ! feint de déplorer notre conducteur.
- Excepté jouer à FIFA et perdre contre l'équipe virtuelle, tu comptais faire quoi de ton temps libre ? lui demande Hero, moqueur. A force de te plaindre, tu vas nous mettre en retard, alors démarre !
Après quelques faibles signes de protestation, Felix se résigne à démarrer et s'insère dans la circulation. Le trajet se fait dans la bonne humeur. Cependant, j'ai une petite pensée pour Jade, qui me manque terriblement. J'aurais aimé lui dire au revoir avant de partir, mais nous n'avons pas le temps de faire un détour par l'appartement d'Hamza, au risque de rater notre avion. Je prends mon téléphone et tente de l'appeler. Au bout des cinq sonneries, je tombe irrémédiablement sur son répondeur, comme toutes les autres fois où j'ai essayé de la contacter depuis sa dispute avec Angie. Je décide alors de raccrocher, ne souhaitant pas lui laisser de message vocal. Je comprends qu'elle en veuille à ma meilleure amie mais j'ignore pourquoi elle refuse de me parler. J'opte pour un texto l'avertissant de mon départ, au cas où elle chercherait à me joindre.
« Hello Jade. J'espère que tu vas bien. Je voulais simplement te prévenir que je serai en Italie pour un photoshoot jusqu'à dimanche soir. J'espère qu'on pourra se revoir à mon retour. »
J'appuie sur le bouton « Envoyer » et mon message se transforme en bulle bleue dans le fil de discussion. La mention « Distribué » ne tarde pas à apparaitre sous la bulle. J'attends quelques secondes qu'elle se transforme en « Lu ». En vain. Je verrouille mon portable et me concentre de nouveau sur la route. Je regarde le paysage défiler par la fenêtre.
*
Arrivés à Heathrow International Airport, l'un des plus gros aéroports de la ville, nous quittons Felix à l'entrée de notre terminal. Je le gratifie d'une accolade amicale et le remercie de nous avoir conduits jusqu'ici pendant qu'Hero extirpe nos bagages du coffre. Il prend de lui-même la sacoche renfermant mon trépied et passe la sangle sur son épaule.
Nous entrons dans l'énorme hall éclairé par les innombrables vitres disposées sur la façade du bâtiment. C'est la première fois que je mets les pieds dans un aéroport et je suis fascinée par l'immensité de l'endroit et le nombre impressionnant de voyageurs transitant vers les différents terminaux. Hero jette un coup d'oeil de temps à autre dans ma direction pour être sûr de ne pas m'égarer.
Étant donné que nous n'avons que des bagages à main autorisés dans l'avion, nous n'avons pas besoin de passer par la case enregistrement, ce qui constitue un gain de temps considérable.
Nous nous rendons directement au comptoir d'embarquement. L'hôtesse d'accueil vérifie nos cartes d'identité ainsi que nos billets. Après avoir traversé l'espace duty free de l'aéroport, nous arrivons devant notre porte. Ayant encore quelques minutes avant que l'embarquement commence, nous nous asseyons dans l'énorme salle d'attente parmi les autres voyageurs empruntant le même vol que nous, posant nos affaires à nos pieds.
Sa pièce d'identité dans la main, je remarque un détail qui m'intrigue beaucoup. Avant qu'il puisse la ranger dans son portefeuille, je lui arrache sa carte des mains et examine la ligne des prénoms.
- « Hero Beauregard Faulkner Fiennes Tiffin » ? je lis, étonnée par la longueur de son identité. Mais qui a eu l'idée de te donner autant de prénoms... hors du commun ?
L'entrain qui l'animait quelques secondes avant ma question disparait derrière un voile de tracas. Je regrette aussitôt de m'être aventurée sur ce terrain-là. Il baisse la tête et commence à jouer avec ses doigts.
- Ma mère, très certainement, marmonne-t-il, contrarié. Par contre, elle n'a jamais eu l'occasion de m'expliquer pourquoi elle avait choisi de faire dans l'originalité.
Il fait évidemment référence à son départ de la maison, à l'abandon dont il a été victime de sa part et de toutes les conséquences qui en ont découlé. Je m'en veux tellement d'avoir remué le couteau dans la plaie et d'avoir gâché un moment aussi joyeux.
- Je suis désolée, je lui dis en lui rendant sa carte. Je n'aurais pas dû te...
Je prends ma tête entre mes mains, culpabilisant de l'avoir renvoyé à un souvenir aussi pénible. Je sais à quel point c'est un sujet sensible. Moi qui pensais tenir un sujet de boutade... eh bah, j'ai mis les deux pieds dans le plat. Bien évidemment que le choix de ses prénoms vient de sa mère... je suis vraiment trop conne ! A croire que je le fais exprès...
Soudain, je sens ses doigts s'enrouler autour des miens pour me forcer à découvrir mon visage. Je me laisse faire tandis que son index vient se glisser délicatement sous mon menton pour plonger son regard dans le mien. Étrangement, je n'y lis aucune colère ou tristesse.
- Hey... ce n'est pas grave, d'accord ? m'assure-t-il avec un léger sourire. Je ne peux pas t'en vouloir de chercher à en savoir plus sur moi, hein ?
Je suis soulagée qu'il le prenne comme ça et la douceur de sa voix me détend aussitôt. La dernière chose que je souhaite, c'est le blesser. Bien qu'il m'ait ouvertement parlé de son père à plusieurs reprises, j'ai le sentiment que sa mère est un sujet tabou. Il est vrai que j'aimerais en connaitre davantage sur lui. Peut-être n'est-il pas encore prêt à l'aborder...
- On va passer un bon week-end, m'assure-t-il avant de poser son front contre le mien.
Je l'espère aussi...
Une voix féminine résonne dans les hauts-parleurs, nous indiquant que les portes de notre avion sont sur le point de s'ouvrir pour nous accueillir à l'intérieur de l'appareil. Cette annonce met fin à notre petit moment d'intimité. Après les dernières vérifications d'usage, nous traversons la passerelle d'embarquement. L'excitation revient au fur et à mesure que nous avançons vers la porte du Boeing de la British Airways.
Nous nous arrêtons derrière des passagers qui attendent d'entrer dans l'avion. Nous en profitons pour échanger un sourire et un regard. Je n'arrive pas à croire que je suis sur le point de m'envoler pour l'Italie pour quelques jours en compagnie d'Hero... et tout ça pour faire quelque chose qui me passionne depuis que je suis gosse !
Vient ensuite notre tour d'entrer dans l'appareil. Une jolie hôtesse de l'air au teint hâlé et à l'uniforme impeccable aux couleurs de la compagnie nous accueille avec un grand sourire, nous souhaitant la bienvenue sur le vol Londres-Florence. Elle consulte nos cartes d'identité ainsi que nos billets pour voir si tout correspond avec le manifeste de vol.
- Mr. Fiennes Tiffin, vous occupez le siège 6F sur votre droite, lui indique-t-elle en lui rendant ses papiers. Et Miss Robbins... vous êtes placée en 19D.
Hero se retourne alors vers moi, une expression confuse sur le visage.
- Comment ça ? lui demande-t-il en fronçant les sourcils. Vous êtes en train de me dire que nos sièges ne sont pas côte à côte ?
L'hôtesse, affichant un sourire de façade semble quelque peu décontenancée par la question du mannequin. Elle hésite à me rendre mes papiers.
- Vous êtes en première classe tandis que votre... euh... que Miss Robbins a une place en classe économique, lui répond-elle en bredouillant un peu.
Cette éventualité ne m'a même pas effleuré l'esprit. En même temps, en y réfléchissant un peu, c'est logique. Mon billet a été réservé par Vogue, tandis que celui d'Hero a sans douté été acheté par Ferragamo ou son agent.
- Y'a pas moyen qu'elle soit surclassée ? demande-t-il tandis que la file d'attente derrière nous s'allonge. Ou que moi, j'aille en classe économique ?
L'hôtesse jette un rapide coup d'oeil sur le manifeste, à la recherche d'une réponse pouvant satisfaire le mannequin, mais au vu de sa mine qui se déconfit au fur et à mesure qu'elle tourne les pages, j'imagine qu'elle ne trouve pas ce qu'elle espérait.
- Je suis désolée, tous les sièges sont occupés, finit-elle par lui répondre.
Les narines du mannequin se gonflent, expirant l'air avec exaspération. Les lèvres pincées, il dévisage la pauvre employée qui redoute sa réaction. Il me fait penser à un gamin capricieux à qui on refuse le dernier jouet à la mode.
Pourquoi en fait-il tout un plat ? Pourquoi est-ce que ça le contrarie tant que ça ?
Commençant à bien connaitre le tempérament parfois orageux d'Hero — surtout quand les choses ne vont pas dans son sens — je préfère intervenir avant que les choses ne dérapent, que ce soit de son côté, ou de celui des passagers derrière nous, dont l'impatience se fait peu à peu sentir. Je veux éviter qu'un esclandre éclate.
Je récupère mes papiers, adressant un sourire d'excuse envers l'hôtesse et attrape mon compagnon de voyage par le bras pour l'éloigner de la file et laisser les autres passagers prendre leurs places.
- Ecoute, c'est juste l'histoire de deux heures et demi de vol, je lui dis sur un ton calme pour tenter d'apaiser son agacement. Ce n'est pas si grave, au fond... si ? C'est dommage qu'on ne fasse pas le voyage ensemble, mais c'est comme ça. C'est seulement un petit désagrément. Ça ne va pas gâcher le week-end...
Mes mots semblent faire effet sur l'insatisfaction du mannequin, dont les traits du visage se détendent lentement.
- Ouais, bon, d'accord, obtempère-t-il en soupirant. Je vais quand même t'aider à transporter tes affaires jusqu'à ton siège.
J'accepte volontiers sa proposition et nous avançons en direction de l'arrière de l'avion. Nous zigzaguons entre les voyageurs qui n'ont pas fini de s'installer. Les couloirs de l'appareil sont très étroits et se frayer un chemin relève un peu du défi. J'entends Hero grommeler derrière moi :
- Franchement, ils n'ont pas assez de pognon chez Vogue pour faire voyager leurs employés dans des conditions décentes ? Putain, ils engrangent des millions chaque année et ils ne sont même pas foutus de vous mettre en première classe...
Je ne relève pas sa remarque. Cependant, en découvrant le capharnaüm régnant à l'arrière de l'avion, je regrette quelque peu de ne pas avoir été surclassé. Entre les gamins qui se courent après — certains me bousculant au passage — ceux qui crient, ceux qui s'amusent à taper avec leurs pieds sur le siège de devant, sans compter les nouveaux-nés qui chouinent à en donner la migraine... Je ne comprends pas que les hôtesses n'interviennent pas pour ramener un peu d'ordre. Et les parents, dans tout ça ? Ils laissent faire. Certains font preuve un excès d'autorité sur leurs rejetons qui n'en ont rien à foutre et d'autres tentent une approche plus diplomatique en leur greffant un téléphone ou une tablette entre les mains pour avoir la paix. Bref... le voyage va être long !
Malgré les slaloms entre les gens et les bousculades des gosses braillards en chemin, j'accède enfin à mon rang. Lorsque j'arrive à mon siège, je remarque un jeune homme à côté de ma place, près du hublot. Son visage long et mince se relève vers moi, tandis qu'il était en train de travailler sur son ordinateur portable, installé sur la tablette rattachée au siège de devant.
- Bonjour, je le salue avec un timide sourire.
- Bonjour, me répond-il avec la même cordialité, alors que ses yeux marrons légèrement en amande pivotent vers la housse de mon appareil photo, que je porte autour du cou. Vous devez être June, la photographe. Je suis Andrew. Andrew Garner, votre binôme de travail pour le week-end.
Il me tend sa main, que je m'empresse de serrer. Il a l'air vraiment gentil. Immédiatement, l'ennui qui m'habitait à l'idée de voyager entourée du bordel constant provoqué par la marmaille s'évanouit.
- Enchantée. Mr. Enninful avait effectivement mentionné un partenaire pour mener à bien le travail sur l'article. Je ne pensais pas vous retrouver aussitôt dans l'avion !
Andrew me sourit de nouveau et se dit ravi de passer le weekend en ma compagnie. Je lui retourne alors sa politesse. Soudain, quelqu'un racle sa gorge juste derrière moi et je mets quelques secondes à me rappeler qu'Hero me suivait avec mes affaires. Je me retourne vers lui en souriant.
- Hero, c'est le journaliste avec qui je vais collaborer ce weekend pour l'article de Vogue, je lui explique avec enthousiasme.
Andrew se lève de son siège et tend, une fois de plus, une main amicale à Hero. Ce dernier, le visage fermé, se contente de le toiser du regard. Le journaliste pince les lèvres et retire son invitation en se rasseyant, gêné. Je partage également son malaise, me retournant vers Hero, confuse par son comportement.
- Y'a un problème ? je lui demande à voix basse.
Lâchant mes affaires sur le sol, celui-ci attrape mon poignet et m'attire à l'écart des oreilles de mon nouveau collègue.
- Je ne savais pas que t'allais bosser avec quelqu'un pendant le défilé, répond-il, visiblement mécontent.
- C'est... c'est un détail qui m'a complètement échappé, je me défends. Et... ça a l'air de te contrarier.
Je ponctue ma dernière réflexion avec un soupir. Entre ses sourcils foncés, son ton un brin réprobateur et ses mâchoires serrées, il y a peu de place au doute quant à son humeur. Cependant, je n'ai pas envie de me disputer avec lui à cause d'une telle broutille.
- Bien qu'on y aille pour le boulot, cette escapade... c'était toi et moi, à la base. Juste nous deux, en tête-à-tête... enfin, je veux dire, qu'on allait se retrouver pour la première fois depuis Sandgate seuls, et maintenant...
Son regard dur se braque à l'endroit où Andrew est assis. En écoutant son explication, je suis partagée entre être touchée et agacée par son comportement.
- Hey, ce n'est pas parce que je vais bosser avec Andrew qu'on ne va pas réussir à se voir, je tente de le rassurer en posant une main sur sa joue. On aura du temps pour nous, j'en suis certaine...
Il m'adresse un timide sourire en guise de réponse mais je sens qu'il n'est pas très convaincu.
- Je veux juste que ce week-end en Italie se passe dans les meilleures conditions possibles, Hero. Autant au niveau professionnel qu'au niveau personnel. Je ne veux pas rater cette chance qui m'a été donnée... mais je veux également passer des moments inoubliables en ta compagnie. Tu as un certain don pour rendre les choses... mémorables, j'insiste en lui décochant un petit sourire en coin.
Hero lâche un petit rire tout en faisant balader sa langue sur sa lèvre inférieure. Ce simple geste m'hypnotise complètement et me rend toute chose.
- Si tu me prends par les sentiments... dit-il, un sourire dans la voix.
Je suis rassurée de constater que j'ai réussi à désamorcer la bombe en laquelle Hero peut parfois se transformer. A ce moment-là, une hôtesse de l'air vient à notre encontre.
- Merci de regagner vos places. Nous n'allons pas tarder à décoller.
Elle nous gratifie d'un sourire avant de passer son chemin. Je me tourne une nouvelle fois vers Hero.
- Je crois qu'il est temps de nous dire au revoir pour quelques heures, je lui annonce en grimaçant.
Le mannequin lâche de nouveau un petit rire en secouant la tête. Il se penche alors vers moi, sa bouche au niveau de mon oreille :
- Ouais, bah je ne vais pas réussir à tenir deux heures sans te voir, alors... si tu veux, je peux rendre ta première fois en avion... comment tu as dit, déjà ? Ah oui... mémorable ?
Son souffle chaud effleure ma peau à chaque mot. Je sens les battements de mon coeur qui s'affolent pendant qu'une boule se forme dans mon ventre.
- Qu'est-ce que... euh... qu'est-ce que tu proposes ? je bredouille, déroutée par l'insolence de sa suggestion.
- Puisque tu as l'air de bien aimer l'altitude...
Il est interrompu par un son strident provenant des nombreux haut-parleurs situés dans la cabine, suivie de la voix grave du commandant de bord annonçant le décollage imminent de l'avion.
- Mesdames et Messieurs, bonjour et bienvenue à bord du Boeing 737 à destination de Florence. Notre temps de vol sera de deux heures et quarante-trois minutes. La météo annonce du beau temps avec quelques turbulences prévues en approche. A l'arrivée, c'est encore du beau temps avec une température de vingt-sept degrés.
A ce moment-là, le moteur de l'appareil se met à vrombir, faisant trembler le fuselage entier de l'avion. Les gens autour de nous regagnent leurs places, le calme revenant peu à peu, malgré le bruit assourdissant des engins. Je mets quelques secondes à m'acclimater à ce nouvel environnement.
Après cette interruption, prête à connaitre la suite de la pensée provocatrice du mannequin, une seconde hôtesse de l'air nous rejoint et elle demande, avec un peu plus d'insistance que la première, d'aller nous assoir sans plus attendre. Je regarde Hero s'éloigner — sans ronchonner, étonnamment — tandis que je m'avance vers ma rangée, où Andrew est toujours assis.
En m'apercevant, il relève la tête vers moi, l'air concerné.
- Tout va bien ? me demande-t-il, en refermant son ordinateur portable.
- Oui, oui, je lui réponds. Par ailleurs, je suis désolée... pour tout à l'heure, avec Hero. Il n'est pas comme ça, d'habitude, vous savez. Il est beaucoup plus aimable qu'il en a l'air.
- Ne vous inquiétez pas, me répond-il en souriant. Vous n'avez pas à vous excuser de son comportement, ni à vous justifier. Vous avez un petit-ami jaloux... c'est comme ça.
Je me redresse sur mon siège, surprise des qualificatifs qu'il emploie pour parler d'Hero. « Petit-ami » ? « Jaloux » ? Andrew ne peut pas être plus loin de la vérité !
- Il n'est pas mon petit-ami. Nous ne sommes pas... ensemble, je bredouille une nouvelle fois, toujours abasourdie par sa réflexion. C'est... compliqué à expliquer.
Je me sens gênée d'aborder ce sujet avec ce jeune homme qui m'est quasi inconnu. Déjà que d'habitude, je ne suis pas particulièrement à l'aise avec ce sujet, même avec mes amies proches, alors avec une personne que je viens à peine de rencontrer...
- Ah bon ? Parce que... j'aurais mis ma main à couper que...
Andrew n'est pas le premier à souligner la supposée jalousie d'Hero. Cependant, il a seulement confondu jalousie et contrariété de ne pas pouvoir voyager avec moi.
Et si...
- Bref, je ne vais pas insister, me dit-il avec gentillesse, remarquant mon embarras. Par contre, je suis curieux de savoir ce qu'il fait ici... si ce n'est pas indiscret, bien entendu...
Je lui apprends alors qu'Hero est mannequin professionnel et qu'il va défiler pour Ferragamo, d'où sa présence à bord de ce vol. Andrew semble alors intrigué par cette révélation.
- C'est intéressant, parce que j'avais pensé à une approche différente pour mon article, m'explique-t-il. J'aurais aimé avoir le point de vue d'un ou d'une mannequin durant tout le weekend : de son arrivée au lieu du show, tout ce que la préparation implique, les gens qui aident les top modèles à être aussi glamour sur le podium, le défilé en lui-même et, en conclusion, ses impressions une fois revenu en coulisses. Ce serait raconté à la première personne, comme si le mannequin s'adressait directement au lecteur.
Le sourire qui élargit mon visage au fur et à mesure que j'écoute ses propos traduit l'enthousiasme et la joie que j'éprouve à l'idée de participer à ce projet.
- Il y a aussi une interview de prévue avec Paul Andrew, le directeur artistique de la nouvelle collection Ferragamo, précise-t-il. Je trouve que ça sera un bon équilibre d'avoir deux styles d'articles différents mais complémentaires.
Bien qu'il jouisse d'une expérience de plus d'une quinzaine d'années dans le journalisme, je suis épatée de voir qu'il essaie de renouveler son style à chaque nouveau numéro.
- Je connais une mannequin qui prend part au défilé femme du dimanche mais... ce serait peut-être plus passionnant de s'immerger dans le quotidien d'un homme top modèle à l'aube d'un défilé, ajoute Andrew.
Je le vois arriver avec ses grands sabots mais je ne peux nier que son idée est plutôt bonne.
- Si vous voulez, je pourrais en parler à Hero, je lui propose.
Un sourire se dessine sur ses lèvres fines, entourées d'une barbe naissante châtain.
- D'accord... et j'ai une autre proposition à soumettre : et si on se tutoyait ?
J'accepte avec enthousiasme, pour son plus grand plaisir. Une nouvelle annonce retentit, nous demandant d'attacher nos ceintures, de relever les tablettes et de couper nos téléphones. Le décollage est désormais imminent. J'en profite alors pour jeter un dernier coup d'oeil à mes appels et messages avec de mettre le mode avion pendant plus de deux heures. Justement, une notification me prévenant de l'arrivée d'un texto apparait sur mon écran verrouillé. J'appuie sur la pastille qui m'envoie directement sur l'application « Messages ». Je suis heureuse — et soulagée — lorsque je remarque que l'expéditeur du SMS n'est autre que Jade.
Un premier contact en plusieurs jours... Alléluia !
Seulement, je déchante vite au moment où je découvre le contenu de son message :
« Bon voyage. »
Aucun émoji, aucune émotion ne se dégage de ses mots.
*
Nous sommes dans les airs depuis plus d'une demi-heure, à présent. J'ai plutôt bien vécu le décollage, même si le moment où les roues de l'avion quittent le bitume de la piste s'est révélé très impressionnant. Cette sensation d'être soulevée dans les airs, de monter en altitude presque à la verticale jusqu'à ce que l'appareil se stabilise à l'horizontal m'était complètement inconnue, mais pas déplaisante.
Avec Andrew, nous faisons peu à peu connaissance. Après lui avoir raconté mon parcours professionnel et toutes les péripéties qui m'ont conduite dans cet avion à ses côtés, il s'est livré à son tour. Originaire du Surrey, un comté au sud-ouest de Londres, il a déménagé dans la capitale après avoir fini le lycée pour suivre des études de journalisme. Il a intégré la prestigieuse Media School, un campus réunissant les métiers de la communication, du journalisme et du luxe. Peu de temps après son diplôme, il a travaillé pour plusieurs magazines spécialisés avant d'être recruté par Vogue.
- L'année prochaine marquera mes dix ans au sein de la rédaction de Vogue, m'avoue-t-il non sans une certaine fierté.
- J'espère pouvoir en dire autant, un jour, je soupire.
- Il n'y a pas de raison que ça n'arrive pas, me répond-il, confiant. Enninful m'a montré un aperçu de ton travail et tu as du talent, June. Faut savoir une chose très importante sur le big boss : il considère ses employés comme plus qu'une équipe. Nous sommes une famille et, souvent il aime l'agrandir... sans vraiment la changer. S'il est satisfait par tes photos durant le défilé, y'a peut-être un contrat qui t'attendra, et qui sera étendu sur plus que trois jours...
Ses encouragements font naitre un espoir inouï en moi et me booste encore plus à donner le meilleur de moi-même. C'est la première fois depuis que je me suis lancée dans l'aventure de la photographie que j'ai l'impression que mes rêves sont sur le point de se réaliser.
- En tout cas, je vais tout faire pour intégrer cette famille sur le long terme ! je m'exclame en levant ma main à hauteur de son visage.
Andrew sourit et ne tarde pas à taper sa paume contre la mienne dans un high-five claquant mais dont le bruit est étouffé par les turbines des réacteurs installés sur les ailes de l'avion.
Je suis heureuse d'avoir Andrew comme co-équipier pour couvrir le défilé. Du haut de ses trente-huit ans, il ne se prend pas la tête et voit chaque opportunité qui s'offre à lui comme une occasion d'apprendre et de prendre du plaisir dans ce qu'on fait dans n'importe quelle circonstance. Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu une personne aussi positive autour de moi. Je suis certaine que je vais apprendre beaucoup de choses à son contact. Quant à prendre du plaisir, je vais kiffer chaque seconde de ce séjour, l'appareil photo au poing !
Sans compter une certaine forme de plaisir avec une certaine personne...
Comme s'il avait lu mes pensées lubriques, Hero apparait dans le couloir, avançant vers nous d'un pas décidé. Il s'arrête à notre hauteur et s'accoude sur le haut du siège passager de devant. Seulement, je n'ai pas l'impression qu'il soit venu me voir, moi.
- Hey, mate... un siège en première classe, ça t'intéresserait ? demande-t-il à Andrew, surpris par la proposition du mannequin.
Le journaliste, dont le regard passe d'Hero à moi de manière frénétique semble indécis quant à sa réponse.
- Tous ces mômes qui piaillent, qui donnent des coups de pieds dans les dossiers des fauteuils... ça doit être chiant, non ? enchérit Hero, un sourire en coin. Pour bosser, tu serais tellement mieux en première... je dis ça comme ça, moi !
La bouche entrouverte en un léger sourire, Andrew cligne plusieurs fois des yeux avant de lâcher son verdict.
- Bro, écoute, merci pour ta proposition, commence-t-il à répondre en lui faisant de nouveau face, mais je suis bien où je suis, et en plus, je suis en charmante compagnie, alors... tu sais, ces petits désagréments ne sont pas si gênants, au final.
Petit à petit, le sourire narquois d'Hero s'efface, tendant drastiquement les traits de son beau visage, désormais fermé. Se déployant de toute sa hauteur sans cesser de fixer mon binôme d'un regard furieux — mais très sexy dans cette position de mâle dominant — je décide d'intervenir avant que la situation ne dégénère.
- Viens avec moi, dis-je à l'attention d'Hero en relevant l'accoudoir de mon siège pour me lever plus facilement.
Il se dégage sur le côté pour me laisser passer. Je m'excuse auprès d'Andrew qui, dans sa gentillesse naturelle, m'assure qu'il n'y a pas de problème. J'attrape le poignet du mannequin pour l'attirer plus loin dans le couloir. Nous nous arrêtons devant le poste des hôtesses, veillant à ne pas gêner le passage des chariots et des autres passagers. Je me retourne vers lui, attendant une explication quant à son comportement.
- Je peux savoir ce qui se passe ? je lui demande, un brin agacée.
Hero balaie toute la cabine du regard pour éviter de croiser le mien. Il passe une main dans ses cheveux et lâche un soupir, que je devine, de frustration.
- Je... je... bafouille-t-il, cherchant ses mots.
La narines gonflées, il humecte ses lèvres, trahissant sa nervosité latente.
- Hero...
- Je suis saoulé, okay ?! explose-t-il, me coupant la parole, au passage. Rien ne se passe comme je l'avais imaginé ! Déjà, je me retrouve coincé entre une vieille qui tourne les pages de son magazine en bavant sur son doigt, ce qui est plus que répugnant... et ça, à chaque page ! et un mec d'une quarantaine d'années, qui doit certainement être encore puceau et qui sursaute toutes les cinq minutes devant un film d'horreur en poussant des cris...
Je baisse la tête en pinçant mes lèvres pour éviter de rire du « calvaire » qu'Hero est en train de vivre, me rappelant son agacement quand il s'était retrouvé au milieu de la banquette arrière de la voiture de Morgan, assis entre Trushal et Max. La configuration est quasiment la même, ce qui rend la scène encore plus drôle. Cependant, je tente de contenir mon hilarité tant bien que mal, préférant éviter de rajouter plus d'huile qu'il y en a déjà sur le feu.
- ... sans compter que tu n'es pas avec moi mais avec ton « nouvel ami », qui commence déjà à me les briser, poursuit-il sur un ton tout aussi véhément.
Je relève mon visage vers le sien et m'aperçois que sa dernière revendication est probablement celle qui l'embête le plus. Mon envie de rire se dissipe rapidement.
- Andrew est seulement un collègue de travail, je lui rappelle d'un ton calme et légèrement amusé. Je ne vois pas pourquoi...
- Je n'ai pas aimé la façon dont il t'a regardé quand il parlait de « charmante compagnie », grogne-t-il en me coupant la parole. Je suis certain qu'il est intéressé par une collaboration plus que professionnelle avec toi...
Je suis toujours aussi ébahie à chaque fois qu'Hero fait allusion à mon pouvoir de séduction. Il pense que tous les hommes que je rencontre bavent instantanément devant moi, ce qui est loin d'être le cas. Je dois quand même lui accorder que sa perception des intentions de Liam à mon égard était fondée, mais c'est l'exception qui confirme la règle. Je ne suis pas une reine de beauté, loin de là. Je ne me considère pas comme moche mais je n'ai pas non plus l'impression de sortir du lot physiquement. J'ignore ce qui le pousse à croire ce genre de choses — la jalousie, peut-être ? — mais il imagine des choses qui n'ont pas lieu d'être.
Les mâchoires serrées, le mannequin a son regard sévère rivé en direction du siège d'Andrew. Je sais à quel point un Hero au bord de l'explosion peut s'avérer dangereux et je ne veux pas que mon binôme en fasse les frais... pour rien, qui plus est. Et si on rajoute à cette tension ses deux voisins de vol qui lui tapent fortement sur le système, ce ne peut être que la recette d'un futur désastre. Je dois absolument faire quelque chose pour faire redescendre la pression.
Je pose alors une main sur la joue d'Hero et le force doucement à ramener ses yeux vers moi. Je décèle beaucoup de colère, de frustration et... de peur dans ses iris émeraude. Pourquoi de la peur ? Que craint-il, au juste ? J'esquisse un petit sourire avant de lui rappeler quelque chose d'important qu'il semble pourtant oublier :
- Je te l'ai déjà dit, les autres hommes ne m'intéressent pas. Je ne sais pas en quelle langue te le rabâcher pour que ça rentre dans ta tête une bonne fois pour toute.
Je ponctue ma phrase par un petit rire tandis que je tapote le bout de mon index contre son front. Malheureusement, mes paroles ne semblent pas le rassurer.
- Tu dis ça maintenant, mais si tu rencontrais quelqu'un de mieux, genre... de ton âge, qui partage beaucoup de points communs avec toi, comme avec lui, là, crache-t-il en faisant un signe de tête vers le siège d'Andrew, et que tu te lasses de moi... Tu sais, une fois la nouveauté passée...
Sa confession inattendue me prend totalement au dépourvu. Nous n'avons jamais abordé ce sujet et c'est la première fois que je l'entends tenir un tel discours. Je m'aperçois alors que je ne me suis jamais imaginée la façon dont il nous percevait, ce qu'il pouvait en penser ou même ressentir par rapport à tout ça. Je suis bien avec lui et ne cherche pas forcément à trouver « mieux ».
Et si lui, trouvait « mieux » que moi... comment le vivrais-je ? Serais-je vexée ? Déçue ? Dévastée que tout ceci se termine ? Tout ce que je sais, c'est que je n'ai pas envie que ce que nous vivons prenne fin.
Sa vulnérabilité me touche. Je suis ravie qu'il n'ait pas peur de partager ses craintes avec moi. Les seules fois où il s'est montré aussi sincère, c'était pour parler de sa famille. Par contre, je ne sais pas d'où viennent ses inquiétudes au sujet de notre « relation ».
Peut-être que les actes seront plus parlants que les mots...
Je regarde alors autour de moi, que ce soit les passagers ou les employés de la compagnie aérienne. Aucun voyageur ne se promène dans les deux couloirs parallèles de la cabine et le personnel n'est pas dans les environs. Je me tourne derrière la porte derrière moi et constate qu'il s'agit des toilettes. M'assurant que la place est vacante en voyant la pastille verte sur la serrure, j'abaisse la petite poignée blanche en plastique tout en saisissant la main d'Hero pour l'attirer à l'intérieur de l'espace plus qu'exigu.
La légende comme quoi les toilettes d'un avion sont minuscules... bah ce n'est clairement pas une légende !
Je referme à la hâte la porte derrière un Hero surpris par mon initiative. Je me retrouve face à lui mais il nous est impossible de bouger ou même de tourner sur nous-mêmes tant la place est minime. Il y a seulement des toilettes dans le coin de la pièce triangulaire et un mini-vasque posé sur une planche blanche très étroite avec un distributeur de savon fixé sur l'une des parois. Par contre, je suis frappée par la grandeur du miroir au-dessus du lavabo, qui contraste totalement avec la taille du reste des fournitures.
Je me mets à rire lorsque je réalise qu'il nous est impossible de bouger. Nous sommes coincés, l'un en face de l'autre. Je suis contre le lavabo tandis que le mannequin a le dos collé au mur. Je tente plusieurs manœuvres mais le résultat reste le même. Hero me regarde, amusé.
- A quoi est-ce que tu pensais en nous enfermant, tous les deux, ici ? pouffe-t-il.
- J'ai voulu agir spontanément et improviser un truc, et... c'est un échec cuisant ! je m'exclame, me moquant de moi-même en secouant la tête.
Pour une fois que je voulais être celle qui prenne les choses en main... je ne suis vraiment pas douée !
- Et... quel genre de « truc » avais-tu en tête, exactement ? me demande-t-il, soudainement intrigué.
- Quelque chose qui requiert un peu plus d'espace, à l'évidence, je lui réponds, embarrassée, en lui montrant la pièce étroite. Mais, plus sérieusement, je voulais qu'on fasse notre... genre de « trucs », si tu vois ce que je veux dire...
Un sourire étire les lèvres pulpeuses d'Hero alors que sa main vient délicatement se poser sur ma joue. Une expression espiègle détend les doux traits de son visage :
- June Robbins, êtes-vous en train de me proposer de vous baiser dans ces minuscules chiottes ?
- Il me semble que vous êtes le premier à avoir évoqué les bienfaits que l'altitude ont sur moi, je lui réponds sur le même ton léger. Et puis, c'est une bonne manière de commencer à rendre ce voyage mémorable... non ?
Hero lâche un petit rire et ce son que j'adore vient directement se répercuter dans mon bas-ventre, réveillant mes hormones déjà sur le pied de guerre.
- Tu ne cesses de me surprendre, soupire-t-il sans se départir d'un sourire en coin qui est en train d'avoir raison de moi.
Ses yeux plongés dans les miens affolent les battements de mon coeur. L'ambiance et la tension entre nous changent radicalement... et ce n'est pas la première fois que cela se produit. Les derniers moments que nous avons partagés sont à l'image de celui que nous sommes en train de vivre. J'ignore ce qui se passe, ce qui a engendré ce changement entre nous et même ce que c'est. Je n'ai jamais vécu ça auparavant donc il m'est assez difficile d'y mettre un nom dessus. Est-ce que ça vient de lui ? De moi ? De nous deux ? Je ne sais pas... mais ça rend notre dynamique plus intense, à présent.
- Dis-moi ce que tu veux, June, murmure-t-il sans cesser de me fixer.
Malgré le bruit incessant et bourdonnant des moteurs, je perçois clairement sa requête. Je regarde autour de nous pour trouver une réponse. Le peu de place dont nous disposons met quelques barrières à mon imagination. Cependant, lorsque mes yeux rencontrent mon reflet ainsi que celui d'Hero dans le miroir, une idée germe alors dans mon esprit.
Difficilement, je tourne sur moi-même pour faire face au miroir, mon dos collé contre le torse d'Hero. L'arrière de ma tête vient doucement cogner contre le pectoral de mon partenaire qui, les bras ballants, se contente de nous dévisager à travers nos reflets. Je me presse un peu plus contre lui. Une de mes mains se hasarde sur le côté de nos corps jusqu'à ce que j'attrape la sienne que je porte sur mon ventre, tout en observant nos doubles faire exactement la même chose. Son autre main atterrit sur ma hanche. Ses doigts se faufilent sous le fin tissu de mon chemisier et le contact de sa peau sur la mienne me fait tressaillir. Je ferme les yeux pour mieux apprécier son toucher, me laissant complètement transporter par les sensations qu'il fait naitre en moi.
- Dis-moi ce que tu veux, June, répète-t-il au creux de mon oreille d'une voix plus rauque qu'à l'accoutumée.
- Je veux... je veux... que tu me touches, je bafouille, essayant de retrouver mes esprits.
Sa main continue de remonter sous mon chemisier jusqu'à atteindre la dentelle de mon soutien-gorge. Je lâche un soupir de désir quand elle glisse sous le tissu pour se saisir d'un de mes seins. Je me dandine sous ses caresses, mes fesses se frottant sans vergogne contre lui. Son autre main, jusqu'ici sur ma hanche, bifurque vers le bouton de mon jean, qu'il défait sans aucune difficulté.
- Ouvre les yeux, lâche Hero tout en continuant de me torturer.
Je m'exécute et, à ma grande surprise, découvre une version de moi que je n'avais jamais rencontrée auparavant. Les yeux mi-clos, les joues enflammées, la bouche entrouverte en un demi-sourire échappant des petits gémissements, se laissant tripoter par un jeune homme dans un avion... et qui adore ça.
- Regarde comme t'es belle, souffle une nouvelle fois mon tortionnaire alors que ses doigts se dirigent au sud de mon anatomie, effleurant ma culotte avant d'accéder à mon intimité.
Je ne me reconnais pas. Je suis consciente qu'Hero et moi avons fait des choses plus osées que celle-là, mais de le voir en action et cet effet qu'il produit sur moi sont une toute autre histoire. Je peux réellement voir, de mes propres yeux, tout le bien que j'éprouve à son contact. Sentir et voir sont deux choses complètement différentes. Cette June qui me toise — me nargue même — semble épanouie et confiante. Elle a lâché prise et profite du moment présent.
Un cri plus fort que les précédents sort de ma bouche quand les doigts du mannequin viennent me titiller entre les cuisses. Ses iris émeraudes sont braqués sur nos reflets et, même à travers un miroir, je peux sentir son regard m'embraser, regard assombri par le désir. De plus, son érection contre mes fesses ne fait que renforcer la tension sexuelle entre nous.
A ce cocktail déjà bien épicé, remuant mes entrailles et mes hormones, Hero baisse la tête vers ma nuque et y rajoute une pluie de petits baisers à la naissance de ma clavicule. Je passe un bras autour de son cou pour perdre ma main dans ses cheveux et l'attirer un peu plus près de moi. La douceur de ses lèvres sur ma peau me fait basculer dans un autre monde. Ma respiration devient plus haletante et mes jambes se raidissent un peu plus à chaque cercle dessiné par son majeur sur mon clitoris, à chaque nouveau pincement de tétons, à chaque fois qu'il pose sa bouche sur moi.
- Hero...
Son prénom s'échappe de mes lèvres dans un demi-murmure. Un sourire en coin se dessine sur son visage, lui donnant un air diabolique mais follement sexy, combiné à la fossette se creusant dans sa joue.
- J'aime que tu souffles mon prénom quand t'es sur le point de jouir, glisse-t-il dans mon oreille. Et j'adore te sentir jouir sous mes doigts...
Ses mots salaces ont raison de moi et un orgasme impressionnant m'emporte dans cet univers délicieux que je côtoie si souvent depuis qu'Hero est entré dans ma vie, mais chaque fois est différente de la précédente.
Alors que je reprends mon souffle et mes esprits, je me laisse complètement allée contre Hero, toujours adossé à l'une des parois des toilettes. Ses mains, jusque là occupée à me satisfaire ressortent de mes sous-vêtements pour que ses bras viennent encercler ma taille. Je plaque, à mon tour, mes mains sur ses avants bras. Son menton se pose sur mon épaule. Ce geste, aussi doux soit-il, contraste totalement avec son attitude lascive d'il y a quelques secondes. J'apprécie ces deux Hero qui se complètent.
- Comment tu te sens ? me demande-t-il.
- Comme si je planais à dix mille... alors que je suis vraiment à dix mille mètres d'altitude ! je m'exclame avant d'éclater de rire.
Hero ne tarde pas à se joindre à moi. Nous nous regardons longuement dans le miroir. L'image de ses deux jeunes gens enlacés qui nous est renvoyée n'est pas si déplaisante, au final. Je pensais que le décalage entre nous était plus évident que ça.
- Y'a qu'avec toi que j'ai envie de faire des folies pareilles, je lui lance avec un léger sourire, en l'observant à travers son reflet, resserrant un peu plus notre étreinte. T'es le seul à me donner autant confiance pour me laisser aller... de cette manière. Et pas seulement... pour faire ça, hein ! Mais pour tout le reste, aussi...
Un sourire étire les lèvres d'Hero en un sourire qu'il tente de dissimuler contre ma peau. Je sais qu'il a besoin d'être rassuré sur ce point — même si j'en ignore la raison — d'être certain d'être le seul pour moi et, étrangement, je me sens assez à l'aise pour lui confesser ce genre de choses.
- Bien que j'aimerais passer le reste du vol ici, avec toi dans mes bras, on devrait peut-être retourner à nos places, lâche-t-il sans grande conviction.
Alors qu'il commence à retirer ses bras de mon ventre, je le retiens, à sa plus grande surprise. Son regard étonné rencontre le mien, déterminé, par le biais du miroir.
- On les regagnera quand on aura fini... ce qui ne me semble pas être le cas, je rétorque en esquissant une moue facétieuse.
Le mannequin penche légèrement la tête sur le côté, interloqué par ma réplique. Sans lui laisser le temps d'ajouter un mot, je porte mes mains à l'ourlet de mon jean et commence à le descendre à mi-cuisse, ma culotte suivant le même chemin. Je me penche en avant à côté de la vasque, mon visage se rapprochant dangereusement de celui de ma jumelle de verre. Je m'accoude sur la planche et relève mon visage vers celui d'Hero. Sans rien dire, je le regarde baisser son jogging gris ainsi que son boxer. Bien que mon chant de vision est limité, j'entends le bruit de l'emballage en plastique du préservatif.
Je suis tout de même surprise de constater qu'il a toujours au moins une capote sur lui !
Je ne tarde pas à sentir son membre se frotter contre moi. Ses mains retrouvent une fois de plus mes hanches. Je le regarde à travers le miroir : ses yeux balaient avec envie l'arrière de mon corps, se baladant de ma nuque jusqu'à ma chute de reins. La manière dont il dévore chaque parcelle de ma peau de ses iris verts fait grimper mon désir, déjà bien présent, d'un cran. Si je n'étais pas dans cette position, je mordrais sans hésitation sa lèvre inférieure pendante. Charnue et rose, elle appelle à commettre ce genre de crime.
Soudain, ses yeux se relèvent et retrouvent les miens par le biais de mon reflet. Remarquant ma contemplation éhontée, il esquisse un sourire insolent, le rendant encore plus attirant. Je ne l'ai jamais trouvé aussi sexy qu'en cet instant.
- T'aimes ce que tu vois ? me demande-t-il d'une voix grave qui complète la panoplie de mon fantasme.
J'ai à peine le temps de hocher la tête pour lui répondre qu'il me pénètre soudainement, m'arrachant un cri mêlant surprise et plaisir. L'étroitesse de la pièce fait qu'il ne peut me donner que des coups de bassin courts et rapides, ses fesses se heurtant au mur à chaque va-et-vient. Sa bouche commence à s'entrouvrir, à l'image de la mienne. J'essaie de bouger, d'accorder nos rythmes malgré la configuration de l'espace. Je sais qu'il aime bien prendre son temps et faire grimper la température — j'adore ça, également — ce qui me parait un peu compromis ici. Cependant, je sais que ça ne changera pas l'issue de nos ébats, issue que j'entrevois très prochainement, d'ailleurs.
Multipliant les coups de rein à la cadence d'un lapin en chaleur, j'arrive rapidement à l'extase en lâchant un ultime gémissement en même temps qu'Hero. M'assénant un dernier va-et-vient, ce dernier se laisse mollement tombé sur moi, à bout de souffle. Moi-même haletante, je mets quelques secondes à retoucher Terre. Sa tête à côté de la mienne, il sourit avant de planter un baiser sur mon épaule. Il se redresse et se retire doucement. Malgré mes jambes tremblantes, j'arrive à me relever et me rhabiller. Hero se débarrasse du préservatif en le jetant dans la cuvette avant de tirer la chasse.
De nouveau face à face, nous nous regardons. Soudain, nous entendons des bruits sourds contre la porte. Quelqu'un est en train de frapper. C'est à ce moment-là que je m'aperçois que j'ignore depuis combien de temps nous sommes enfermés dans les toilettes. Dix minutes, une demi-heure, trois quarts d'heure, je n'en sais rien du tout. Je jette un dernier coup d'oeil au miroir. Je passe mes doigts dans mes cheveux, histoire de redonner contenance à ma coiffure. Le rose sur mes joues, qui commence à s'estomper, me va bien au teint, finalement. Je m'attarde encore un peu sur mon reflet, quittant mon double qui s'est révélé d'une grande aide dans une prise de conscience inattendue.
- Ouvrez cette porte ! gronde la voix furibonde d'une hôtesse de l'air, de l'autre côté de la pièce.
Notre petit aparté est désormais terminé et nous devons rejoindre le monde réel. J'ouvre la porte et me retrouve face à une employée de la compagnie qui me fusille du regard. Sa fureur redouble lorsqu'Hero lui passe devant, se fichant bien des réprimandes qu'elle pourrait nous adresser quant à notre monopolisation des toilettes. Je m'engouffre dans le couloir, tentant de réprimer un petit rire, comme une collégienne qui vient de se faire attraper en train de faire des « bêtises » avec un garçon. Tout en avançant, je me retourne vers Hero qui, lui aussi, se retient de rire. Nous nous arrêtons à une distance raisonnable de l'endroit où se trouvait l'hôtesse, qui a d'ailleurs disparu de notre champ de vision.
- Tes doutes se sont calmés ? je lui demande sur un ton taquin.
- Pour l'instant, oui... mais je pense que j'aurai besoin d'une piqûre de rappel dans peu de temps, répond-il facétieusement. Et toi... tes ardeurs ont-elles été... refroidies ?
Sa main trouve mon bras et ses doigts frôlent délicatement ma peau jusqu'à atteindre mon poignet. Mes yeux se portent immédiatement sur son geste qui dresse mes poils au garde-à-vous.
- Tant que tu ne les rallumes pas, je devrais pouvoir d'attendre de débarquer de l'avion, je réplique à mon tour sans lâcher du regard ses doigts s'entremêlant aux miens.
Ma réflexion le fait sourire. Ce simple contact m'hypnotise littéralement. J'adore quand il témoigne de petites marques d'affection comme celle-ci.
- Cette fois-ci, on devrait vraiment aller nous rasseoir, lance-t-il en faisant glisser ses doigts le long des miens jusqu'à ce que nos deux mains se séparent. Le pétochard des films d'horreur et la vielle qui suce son index me manquent terriblement alors...
Il ponctue sa remarque remplie d'ironie d'un roulement des yeux. Je ne peux m'empêcher de sourire en l'écoutant. Il me passe devant sans manquer de se frotter grossièrement contre moi — alors qu'il avait largement la place de m'éviter — en lâchant un « oups » faussement regretté. Je secoue la tête en plissant des yeux pour lui faire comprendre que j'ai bien vu son petit manège.
Alors qu'Hero est désormais en première classe, je reprends le chemin vers ma place. Andrew est toujours assis sur son siège, concentré sur l'écran de son ordinateur. A première vue, il est en train de lire un article mais, de là où je me tiens, je n'arrive pas à en saisir le sujet. Dès qu'il m'aperçoit, le journaliste m'adresse un sourire pincé pendant que je m'assois.
- Tout va bien ? Tu es partie un long moment, me dit-il, un brin concerné.
- Disons que ça va... mieux, je me contente de lui répondre en réprimant un sourire en coin au souvenir de ce que ce « mieux » implique.
Andrew se détend en entendant ma réponse. Nous continuons de discuter de tout et de rien jusqu'à l'atterrissage sur une des pistes de l'aéroport florentin.
*
A la descente de l'avion, Andrew et moi rejoignons Hero pour récupérer nos bagages. Devant le tapis roulant rempli des valises des voyageurs, nous attendons. Le mannequin vient se positionner à côté de moi et passe son bras autour de ma taille pour m'attirer un peu plus contre lui. Je remarque alors qu'il ne lâche pas Andrew du regard. Cherche-t-il à le narguer ? Très certainement. Pourtant, Hero n'a pas besoin d'agir de cette façon. Le journaliste, de son côté, reste stoïque et ne préfère pas entrer dans son jeu, ce que j'apprécie. Je pense pourtant avoir été très claire dans les toilettes de l'avion quant à mon point de vue sur notre situation.
Nos valises apparaissent enfin, pour mon plus grand soulagement. Je me précipite vers la mienne pour installer une certaine distance avec Hero. Dans l'intimité, j'aime bien quand il se la joue dominant, voire possessif. Cela amène du piment dans nos ébats. Au contraire, je suis moins fan quand il se sert de ces artifices pour dissimuler sa... jalousie.
Oui, oui, il est bien jaloux !
Nous nous dirigeons vers la sortie de l'aéroport. Sur le trottoir face à la multitude de taxis qui attend de prendre en charge les voyageurs, je me retrouve entre les deux hommes, Andrew à ma droite et Hero à ma gauche.
- L'hôtel se trouve au centre de la ville, juste en face du Duomo, nous apprend Andrew en consultant la réservation sur son téléphone. Comment on s'organise ? On prend un taxi tous les trois ?
Je pense que c'est le plus pratique. Au moment où je suis sur le point d'acquiescer, Hero prend la parole :
- Tu peux prendre un taxi. Par contre, j'ai prévu un autre moyen de transport pour June et moi.
Je me retourne vers ce dernier, étonnée par cette surprise. J'écarquille les yeux en souriant. Hero ne me prête aucune attention à ce moment-là, trop occupé à clouer son « rival » au pilori.
- Par contre, si ça ne te dérange pas, tu peux prendre nos bagages dans ton taxi ? Ça nous encombrerait plus qu'autre chose...
Le mannequin ponctue sa phrase par un petit sourire plein de provocation. J'ai de la peine pour Andrew. Il n'a rien fait pour mériter d'être traité de la sorte par Hero, excepté être mon binôme pour deux jours. Je dois vraiment avoir une conversation avec lui par rapport à son comportement envers mon partenaire de travail.
- Oui, bien sûr... obtempère le journaliste en lui adressant un sourire de capitulation.
Je le gratifie d'un regard compatissant avant qu'Hero ne prenne ma main pour m'entrainer dans la direction opposée, laissant Andrew et nos valises en plan à la sortie de l'aéroport. Je voudrais protester — je devrais protester — devant son attitude insolente mais l'excitation de découvrir ce qu'il a prévu l'emporte sur ma raison.
Nous finissons par arriver devant un parking rempli de Ducati toutes plus belles et luxueuses. En relevant la tête, je constate que nous sommes devant une entreprise de location de motos italiennes. Un homme sort du magasin et nous accueille avec un grand sourire.
- Signore Fiennes Tiffin, benvenuto a Firenze ! s'exclame l'employé de la concession avec enthousiasme.
- Grazie, lui répond Hero dans un italien qui me surprend.
Entendre Hero parler une autre langue — même juste un mot — est pire qu'un aphrodisiaque. L'homme nous invite à le suivre et s'arrête devant le modèle dernier cri de la marque. Dans un anglais approximatif et avec un accent très prononcé, il nous décline toutes les qualités de son produit et les raisons pour lesquelles nous allons vivre une expérience hors du commun. Je dois avouer qu'il assure bien dans son job de vendeur. Il finit par nous tendre les clés et deux casques avant de nous souhaiter un bon séjour en Italie. Hero se retourne vers moi et, avec un sourire satisfait, me tend l'une des deux protections.
- Prête ? me demande-t-il sans se départir de son rictus creusant sa fossette.
En guise de réponse, j'attrape le casque et, avec ce même sourire convaincu, l'enfourne sur ma tête, pour son plus grand bonheur. Hero monte en premier sur la moto et démarre l'engin dans un bruit assourdissant. Il la recule suffisamment pour que je puisse y monter dessus. J'enroule mes bras autour de sa taille et pose ma tête sur son dos. Alors que le moteur vrombit sous nos corps, la moto sort du parking et s'élance dans les rues pittoresques de l'agglomération florentine.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un très bon pressentiment quant à ce séjour en Italie... mon instinct m'a-t-il déjà fait faux bond ? Jusqu'à présent non, mais nous ne sommes pas à l'abri d'une tuile de dernière minute...
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