47.

Y'a-t-il une différence entre aimer quelqu'un et ne pas pouvoir se passer de la personne ? Y'a-t-il une différence entre amour et co-dépendance ? Y'a-t-il une différence entre jalousie et possessivité ? Plus ma relation avec Hero avançait, plus ces termes devenaient confus dans ma tête. Que ressentais-je vraiment pour lui ? Que ressentait-il réellement pour moi ?

Maintenant, avec le recul, j'arrive à discerner la toxicité qui caractérisait notre histoire. Je ne doute pas qu'il y avait tout de même de l'amour entre nous. L'intensité que nous éprouvions en étant ensemble, en parfait communion l'un avec l'autre, ne peut pas être le fruit de mon imagination. Et puis, malgré les dégâts engendrés par notre égoïsme — enfin, surtout le mien — dans un coin de ma tête, j'aime à penser que tout ça est arrivé pour une raison. Seulement, je ne saisis pas encore laquelle...

*

Ma tête enfouie dans l'oreiller, je peine à ouvrir les yeux. Je ressens une énorme fatigue suite aux brèves heures de sommeil qui viennent de s'écouler. Mes sens s'éveillant les uns après les autres, je remarque rapidement que j'ai chaud, très chaud même, et qu'un poids au niveau de mes côtes m'empêchent de bouger comme je le voudrais. En baissant mon visage, j'aperçois une main posée sur mon ventre et identifie la source de chaleur qui irradie mon dos comme étant le corps d'Hero collé contre le mien. Sa respiration est régulière et son souffle tiède s'écrase contre mon épaule. D'habitude, après nos ébats, nous nous endormons chacun de notre côté. J'ignore pourquoi, mais le fait de me réveiller enlacée par ses bras fait accélérer les battements, pourtant réguliers, de mon coeur.

Je me remémore alors le baiser que nous avons échangé. Lorsque je l'ai mis au pied du mur, je ne m'attendais pas à ce qu'il le fasse. Cependant, j'ai senti un certain empressement quand il a posé ses lèvres sur les miennes. Et la manière dont il tenait mon visage entre ses mains... Je ne sais pas vraiment quoi penser, même si j'ai adoré ce moment. C'est la première fois qu'un homme m'embrasse de cette manière et avec une telle intensité. Bon, je me fais peut-être des idées... Peut-être que cet échange n'a été exceptionnel que de mon côté... Peut-être qu'il n'a rien ressenti de particulier... L'a-t-il fait pour me faire plaisir, ou parce qu'il en avait envie ? Voudra-t-il recommencer ou était-ce juste pour marquer le coup pour mon anniversaire ? A-t-il aimé m'embrasser ? Qu'est-ce que ça a représenté pour lui, au final ?

Trop de questions de bon matin, June...

De bon matin... pas tant que ça. J'attrape mon portable, posé sur la table de chevet et allume l'écran pour constater que nous sommes plutôt en fin de matinée. D'une main délicate, je saisis le poignet d'Hero pour dégager en douceur son bras afin que je puisse me lever. Dans mon dos, j'entends un léger grognement et sens le corps du mannequin remuer derrière moi. Je me décolle de lui en glissant sur le matelas et finis par me redresser. Une fois debout, je remonte les bretelles de ma robe et la défroisse avec mes mains avant de mettre mes chaussures.

Devant la porte, je me retourne vers le lit pour regarder Hero, toujours endormi. Allongé sur le dos, son visage serein est tourné vers moi. Torse nu, le drap recouvre son corps jusqu'au nombril. A chaque fois, je suis ébahie par sa beauté, même dans des moments aussi simples que celui-là. Comment se fait-il qu'un mec comme lui s'intéresse à une fille comme moi ? C'est la question que je me poserais toujours...

J'ouvre la porte et quitte la chambre. Dès que je mets un pied dans le couloir, une délicieuse odeur de saucisses et de pancakes atteint rapidement mes narines. Je me laisse guider par ces agréables effluves à travers cette maison étonnamment calme. Suis-je la seule debout ? Aucune voix familière ne se fait entendre. Je commence à descendre les escaliers pour atteindre le rez-de-chaussée. Je perçois du bruit venant de la cuisine. Une voix féminine chantonne un air qui passe à la radio. En passant devant un miroir, je vérifie l'état dans lequel je me trouve, pour être sûre d'être présentable et pas trop effrayante. J'arrange mes cheveux comme je peux et efface du bout des doigts le maquillage qui a coulé sous mes yeux. Certes, je ne ressemble pas à une top modèle, mais je ne fais pas trop négligée non plus.

J'arrive dans la cuisine et aperçois un femme blonde, de dos, en train de siffloter et de se dandiner devant les fourneaux. Elle semble de bonne humeur et enjouée. Un léger sourire se dessine sur mon visage alors que je la regarde. Je n'ose pas l'interrompre. Quand la chanson se termine, elle finit par se retourner vers moi et sursaute en remarquant ma présence. Ses yeux s'écarquillent avant de se mettre à rire.

- Pardon, je ne voulais pas vous faire peur, je m'excuse platement, gênée de l'avoir surprise dans son petit moment de folie.

- Oh, ne vous excusez pas, ce n'est rien, dit-elle de manière enjouée, en agitant la spatule qu'elle tient dans sa main. Si vous saviez toutes les fois où ce genre de choses m'est arrivé... je pourrais ouvrir un musée de la honte !

Je me joins à elle et ris de bon coeur. Très rapidement, je devine qu'il s'agit de la mère de Felix. Ils ont ce même regard bleu, ce même nez rond et ces mêmes lèvres pulpeuses. Mes yeux se posent alors sur la table et je constate alors que Mrs. Kent a fait à manger pour un régiment. Ce n'est plus un petit-déjeuner, mais un brunch !

- Mon fils m'a laissé un mot disant que vous étiez plusieurs à dormir ici, mais il ne m'a pas spécifié le nombre exact, s'explique-t-elle devant mon expression ahurie. Oh, et puis, les garçons ont toujours bon appétit, n'est-ce pas ?

Je ne peux qu'acquiescer. Elle m'invite à prendre place et à me servir, stipulant que je peux prendre tout ce qui me fait plaisir. Je comprends à présent pourquoi Hero se sent si bien ici. Lui qui n'a jamais vraiment eu de mère, Mrs. Kent semble être la maman parfaite et aimante qu'il n'a pas connu et dont il a toujours eu besoin. Même si je ne la connais que depuis deux minutes, je peux clairement sentir qu'elle n'est que bienveillance et gentillesse.

- Je m'excuse mais... il ne me semble pas vous connaitre, lance-t-elle en plissant les yeux, trahissant son embarras, tout en gardant le sourire.

Je réalise alors que je ne me suis pas présentée à elle. Quel manque d'éducation de ma part ! La bouche pleine de bacon, je mâche rapidement avant d'avaler pour pouvoir lui répondre.

- Pardon... Je suis June, je suis une... amie des garçons, je dis, peu sûre du terme à employer.

Dès que je révèle mon prénom, Mrs. Kent fonce les sourcils tout en prenant un air songeur.

- June, June... Ah, ça y est, je vous resitue. Il me semble qu'Hero m'a déjà parlé de vous, m'apprend-t-elle, à mon plus grand étonnement. Vous êtes photographe, c'est bien ça ?

Pas de doute, Hero lui a bien parlé de moi. Je suis surprise par cette révélation. Pourquoi serait-il allé parler de moi à la mère de son meilleur ami ? En tout cas, j'ai bien envie de le savoir.

- Oui, oui, je suis bien la photographe, je réponds, abasourdie. Mais... euh... je peux savoir exactement ce qu'il vous a raconté sur moi ?

Je préfère ne pas tourner autour du pot et être directe avec elle. Mrs. Kent prend soudainement un air beaucoup plus sérieux et vient s'asseoir à côté de moi. Cependant, la bienveillance se lit toujours sur son visage.

- Je pense que c'est une conversation que vous devriez avoir tous les deux, me conseille-t-elle. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il a décelé en vous des choses auxquelles les autres hommes ne prêtent pas souvent attention lorsqu'ils sont... intéressés par une femme.

Sa réponse reste très énigmatique, ce qui me pousse à ne pas savoir quoi ajouter à cela. Remarquant ma mine concernée, la mère de Felix pose une main réconfortante sur la mienne.

- Je ne connais pas exactement la nature de votre relation, mais je peux vous assurer qu'Hero est un bon garçon. Je l'ai quasiment vu naître, alors je sais de quoi je parle. Certes, il a ses travers, comme tout le monde, mais c'est quelqu'un sur qui vous pouvez compter.

Ça, je l'avais remarqué, même si je n'en avais pas conscience sur le moment...

Je décide de profiter de cet instant en tête-à-tête avec Mrs. Kent pour en savoir plus sur toute cette histoire.

- Parlez-moi un peu d'Hero quand il était petit, je lui demande en souriant, le ton empreint de curiosité.

La mère de Felix prend alors un air nostalgique, en se replongeant dans ses souvenirs. Elle recule sur sa chaise, son dos heurtant le dossier en bois. Les yeux fixés vers un point invisible sur le plafond, la cinquantenaire commence son récit.

- C'était un enfant plein de vie, très souriant. Je le revois encore courir autour de la maison, Felix à ses trousses, très certainement en train de jouer au gendarme et au voleur. Ils avaient beaucoup d'imagination pour inventer des jeux, à l'époque. Depuis tout petits, ils sont inséparables. Saviez-vous qu'ils sont nés à seulement deux jours d'écart ?

Je secoue la tête, souriante, en imaginant les deux petites têtes blondes qu'ils étaient se courser en criant et en riant jusqu'à ce que l'un des deux attrape l'autre.

- Ils étaient destinés à être amis avant même leur naissance, poursuit-elle. La mère d'Hero, Martha, étaient l'une de mes meilleures copines. Nous nous sommes connues au collège et sommes devenues proches très rapidement. Nous avions notre petit groupe de filles, mais elle et moi partagions un lien spécial, que je ne saurais décrire encore aujourd'hui.

Mrs. Kent arbore désormais une mine plus grave... plus triste, aussi.

- Ça me fait toujours mal au coeur de penser qu'elle a disparu du jour au lendemain, sans donner de nouvelle. Mais ce qui m'attriste le plus, c'est qu'elle ait pu laisser ses deux petits garçons derrière elle...

Je perçois de la peine dans sa voix. Bien que je ne la connaisse pas, je ressens déjà beaucoup de rancoeur à l'encontre de Martha. Comment a-t-elle pu abandonner sa famille, sans une explication, et sans jamais chercher à les revoir ?

- Pour en revenir à nos moutons, se reprend mon interlocutrice, en secouant la tête pour retrouver une certaine contenance, Martha et moi nous sommes un peu perdues de vue après le lycée, au moment d'entrer à l'université. Elle rêvait de faire carrière dans le cinéma, c'était son rêve depuis toujours. De mon côté, j'ai préféré me consacrer à des études beaucoup plus terre à terre. Maintenant, je suis secrétaire dans un cabinet médical. Bref, durant sa première année, elle a rencontré son futur mari, George. Ils étaient tous les deux dans le même cursus et ça a été le coup de foudre entre eux. Je n'ai jamais vu deux personnes s'aimer autant qu'eux. C'était vraiment l'amour avec un grand A. Ils ont commencé à se fréquenter très rapidement. Je me souviendrais toujours de la manière dont George regardait Martha. Il y a avait un mélange d'amour, d'adulation et de dévotion à chaque fois qu'il posait ses yeux sur elle.

Mrs. Kent marque une pause dans son récit et se sert un verre de jus d'orange fraichement pressé. J'imagine les parents d'Hero jeunes, amoureux et avec un avenir radieux devant eux. Je me demande bien ce qui a pu se passer pour que tout ce bonheur capote.

- Très vite, ils ont emménagé dans un studio du centre-ville de Londres et tout allait pour le mieux jusqu'à ce qu'au beau milieu de ses études, Martha tombe enceinte de Titan, le frère aîné d'Hero. Voulant garder le bébé, elle s'est résignée à abandonner ses études, pourtant si prometteuses. Ils ont donc quitter leur petit appartement pour une maison plus grande, dans ce même quartier.

La mère de Felix se lève et se dirige vers la fenêtre de la cuisine. Elle pointe du doigt une direction. Je décide de l'imiter et la rejoins près de la vitre.

- C'est la maison tout au fond de la seconde rue, m'indique-t-elle. On ne voit seulement que le toit, mais c'est là qu'Hero a grandi. Avant, nous habitions la maison juste à côté.

Nous retournons nous asseoir.

- Elle s'était confiée à moi par rapport au fait d'abandonner son rêve et de devenir mère aussi jeune, poursuit Mrs. Kent. Elle ne savait pas trop si c'était le genre de vie qui la comblerait, n'ayant jamais imaginé avoir un enfant aussi tôt. A la naissance de Titan, elle a eu un peu de mal à s'adapter à sa nouvelle condition de maman, mais elle aimait profondément son fils. Puis, deux ans plus tard, la petite famille s'est agrandie à la venue au monde d'Hero. Très vite, elle a développé un lien très fort avec son second fils. Ils étaient fusionnels. On peut dire qu'Hero était toujours dans les jupons de sa mère. C'était très drôle à voir. Et puis... Martha a pris ses valises du jour au lendemain. Je ne lui ai plus jamais reparlé depuis. Je sais qu'elle est à Londres, quelque part, mais nous ne sommes plus que deux étrangères, l'une pour l'autre. J'ai perdu ma meilleure amie, mais le plus à plaindre dans cette histoire est ce pauvre Hero. Lui a tout perdu le jour où elle l'a abandonné.

Des larmes pointent au bord de ses yeux, ce qui me touche. Je suis également prise par l'émotion de son récit. Elle s'inquiète vraiment pour lui, comme s'il s'agissait de son propre fils. Mais sait-elle exactement ce qu'il endure depuis tant d'années ?

- Le départ de Martha a vraiment brisé cette famille. George, qui était pourtant un père aimant, a noyé son chagrin dans l'alcool, un peu plus tous les jours et s'est mis à détester Hero. Plusieurs fois, avec mon mari, nous avons essayé d'intervenir. Nous savions que des choses graves se passaient entre les murs de leur maison. Nous craignions pour la vie de ce petit garçon. Les services sociaux ont débarqué plusieurs fois, mais n'ont jamais trouvé de preuves incriminantes justifiant qu'Hero soit retiré de sa garde. C'était vraiment injuste. Felix nous suppliait plus d'une fois de l'adopter, "comme ça, ils deviendraient vraiment frères", comme il aimait à le répéter.

Si les choses s'étaient déroulées différemment, Hero ne serait pas aussi abîmé. J'aurais tellement aimé que son père n'ait plus aucun droit sur lui, que les Kent aient pu l'adopter et qu'il ait l'enfance heureuse qu'il méritait.

- Je me demande encore pourquoi elle a décidé de partir comme ça, ajoute la mère de Felix. Nous étions proches, nous nous voyions presque tous les jours et... jamais elle n'a parlé de problème à la maison, d'une rencontre qu'elle aurait faite, ou même de repartir à la poursuite de sa carrière dans le cinéma. Mon fils l'a croisée, il y a quelques temps, donc je sais qu'elle va bien. Et puis, elle n'a jamais cherché à reprendre contact avec moi, ou même avec ses enfants... Je ne comprends pas du tout son comportement. Elle n'était pas du genre à agir sur un coup de tête, pourtant...

- Peut-être que vous ne la connaissiez pas aussi bien que vous le pensiez, je lâche délicatement. Parfois, on pense connaitre les gens, et puis on se rend compte qu'ils ne sont pas du tout ce que l'on imaginait... j'en ai fait la récente expérience.

Les yeux de Mrs. Kent s'attardent sur mon visage en silence, qui portent toujours les marques, maintenant estompées, de la vraie personnalité de Matt.

- Je suis désolée de ce qui vous est arrivé, me dit-elle avec un sourire compatissant.

- C'est du passé, maintenant, je la rassure. Et puis, cela m'a permis de vraiment prioriser ce qui était important pour moi : faire de ma passion mon métier, et faire ce que j'ai envie de faire et profiter des plaisirs de la vie, tout simplement.

- Eh bien, j'admire votre capacité à rebondir d'une situation compliquée. Certaines personnes se laisseraient complètement submerger par les évènements.

- Je pense que ça aurait été le cas, mais je suis très bien entourée, et cela a vachement aidé, j'ajoute en souriant, en pensant à Angie, Jade, Dany, et évidemment Hero.

Un silence apaisant s'installe entre nous et je repars à la conquête de mon assiette lorsqu'une voix masculine dans mon dos se fait entendre :

- J'espère que je fais partie de ton entourage, maintenant.

Je me retourne et souris en voyant Hero, les bras croisés contre sa poitrine, une épaule contre l'encadrement de la porte, qui me regarde avec un sourire en coin, creusant la fossette dans sa joue.

- Je pense que tu as amplement mérité ta place dans mon cercle privé, je lui réponds sur le même ton.

Ma réplique semble le ravir et il s'avance vers nous pour prendre à son tour son petit-déjeuner.

- Je suis désolée d'abréger ce moment convivial que vous semblez partager, mais dans une heure, on doit rejoindre Jack, Trushal et les autres près du London Eye, June. Je suis allé réveiller Felix, mais il n'a pas l'air décidé à bouger son cul du lit !

Oh, mon dieu ! J'avais oublié la séance photo pour la marque de vêtements de Jack. Comment ai-je pu zappé un truc pareil ? Trop de distraction, certainement...

- Ne t'inquiète pas, mon chéri, j'ai le secret ultime pour que mon fils se lève, annonce Mrs. Kent avec malice, en prenant une assiette, qu'elle remplit de bacon, d'œufs brouillés et de saucisses.

Une fois l'assiette prête, elle nous adresse un clin d'oeil et s'éclipse en direction des escaliers. Je me retrouve donc seule avec Hero dans la cuisine.

- J'espère que Mrs. Kent ne t'a pas raconté d'anecdotes trop embarrassantes sur mon compte, lance-t-il en croquant dans une tranche de bacon, qu'il tient entre ses doigts.

- Qui te dit que nous avons discuté de toi, d'abord ? je lui demande sur un ton désinvolte. Tu n'es pas le centre du monde, je te rappelle !

Hero étire brièvement ses lèvres avant de se pencher vers moi et de chuchoter à mon oreille :

- Mais j'espère bien devenir le centre du tien.

Tout l'air contenu dans mes poumons s'échappe d'un coup et je déglutis en entendant ses mots et en sentant son souffle chaud contre ma peau. J'essaie de reprendre contenance, mais sous son regard intense, la tâche est plus qu'ardue. Après quelques secondes, je finis par me retourner vers lui et constate qu'il est satisfait de l'effet qu'il vient de provoquer chez moi.

- Euh... je pense qu'on ne devrait pas tarder à se mettre en route, je finis par dire, préférant ne pas relever sa remarque. J'aimerais passer à l'appartement pour prendre une douche et me changer, sans oublier mon matériel pour le photoshoot.

Hero acquiesce et me prévient qu'on va prendre la voiture de Morgan pour nous rendre à Whitechapel plus vite. J'imagine qu'Angie, Jade et Dany, encore dans les bras de Morphée, prendront le bus pour rentrer. Et puis, ils doivent récupérer ma Mini, toujours garée à proximité du Gaucho Grill.

*

Après un rapide arrêt à l'appartement, pour me refaire une beauté, enfiler une tenue plus confortable et casual que ma robe de soirée, composé d'un débardeur bleu ciel sans motif, d'une jupe en jean ni trop longue ni trop courte et des Converses — ensemble choisi par Hero après une certaine insistance suspicieuse — et prendre le matériel dont j'ai besoin, nous arrivons au Jubilee Park & Garden, se trouvant derrière le London Eye. Une partie de l'équipe est déjà sur place : je reconnais Jack et Aaron, en train de checker les vêtements qui vont être portés et présentés sur le futur site internet, entourés de quatre autres garçons qui me sont totalement inconnus. Trushal, un peu plus loin est en train de mesurer la luminosité pour optimiser au mieux son cadre, et nous ne tardons pas à être rejoints par Felix et Hamza, qui marchent ensemble. Lorsqu'ils arrivent à notre hauteur, j'interpelle ce dernier :

- Je pensais que Jade t'aurait accompagné.

Le jeune homme au teint basané me regarde avec une pointe de déception dans ses iris sombres.

- Elle aurait bien voulu, mais Angie a parlé d'un déménagement, et qu'elle devait les aider ou quelque chose du genre...

Le déménagement ! Mais oui... comment ai-je pu — encore une fois — occulter cet évènement duquel je suis à l'origine ? Pourtant, avec tous les cartons empilés, remplis de nos affaires, parsemés dans tout l'appartement, cela aurait dû me faire tilt. Plus tôt dans la semaine, le propriétaire a appelé Angie pour qu'elle libère les lieux le plus rapidement possible. Peut-être que d'ici la fin de la journée, nous habiterons dans notre nouveau logement.

Le visage du jeune homme à casquette s'éclaire tout d'un coup :

- Hey, qui dit déménagement, dit emménagement... et qui dit emménagement dit pendaison de crémaillère... et qui dit pendai...

- Bon, Felix... viens-en au fait, s'te plait, souffle Hero en levant les yeux au ciel.

Son meilleur ami perd un peu de son entrain mais finit par conclure sa pensée.

- Bah, faut que vous fassiez une fête pour célébrer votre nouveau nid douillet ! lâche-t-il en retrouvant le sourire. Et si possible, sans ce rabat-joie d'Hero... regarde comment il vient de casser l'ambiance !

Je ne peux m'empêcher de rire face à la taquinerie que Felix vient d'envoyer en pleine figure du mannequin. Mais, en voyant le visage plein de défiance de celui-ci, je me doute qu'il ne va pas en rester là.

- Ah ouais, je suis un rabat-joie, moi ? Je vais t'en montrer, du rabat-joie !

Il avance d'abord lentement vers Felix avant de se jeter sur lui et de commencer à faire semblant de se battre. Hero entoure son bras autour du cou de son ami, l'immobilisant dans une position de faiblesse. Mais celui-ci riposte en assénant des coups de poing dans les côtes du mannequin, tout en cherchant à se défaire de son emprise. Ils poussent des cris parfois très virils, comme des grognements d'hommes des cavernes, entrecoupés par des sons beaucoup plus aigus, décrédibilisant ladite virilité nommée ci-dessus. Je ris de bon coeur en les regardant se bagarrer comme des gamins et, du coin de l'oeil, j'aperçois Hamza en train de secouer la tête d'un air peu étonné.

J'ignore pourquoi, mais ce moment d'allégresse est teintée par une pointe d'émotion m'envahissant. En les regardant se chamailler comme deux chenapans dans une cour de récré, les paroles de Mrs. Kent me reviennent alors en tête, relatant des souvenirs en apparence heureux, mais cachant une bien triste vérité derrière les sourires et la légèreté d'un instant pareil.

Felix décide de faire un croche-patte à Hero, qui perd l'équilibre et tombe de toute sa hauteur, entrainant son meilleur pote dans sa chute en l'agrippant par le bras. Les rires redoublent de mon côté, et attirent l'attention du reste du groupe, qui se rapproche de la scène se jouant devant nos yeux.

- Hey ! Quand vous aurez fini de vous rouler dans l'herbe, on pourra peut-être commencer, lance Jack sur un ton moqueur.

Les garçons finissent par se relever et époussettent leurs vêtements. Jack porte alors son attention sur moi et un sourire en coin étire ses lèvres. Mal à l'aise sous son regard, je détourne mon visage du sien. Le créateur de la marque Young Goat s'approche de moi.

- Salut, je ne sais pas si tu te souviens de moi... on s'est croisé à une soirée chez Morgan, lâche-t-il avec désinvolture, en tendant sa main vers moi. Je suis Jack.

Bien sûr que je me souviens de lui... j'aimerais tant lui balancer ses quatre vérités dans la tronche, à cause de la manière dont il a traité Angie, mais je n'ai pas envie de pourrir l'ambiance et de rater une expérience professionnelle qui pourrait beaucoup m'apporter.

- Oui... Jack, je dis timidement, en glissant ma main dans la sienne avant de la secouer.

Ses yeux marrons clairs glissent vers notre poignée de main et il semble apprécier notre contact avant de relever son visage vers moi.

- Une poigne ferme... j'aime ça, dit-il avec un gros sous-entendu dans sa voix.

Ce mec peut-il être encore moins subtil ?

Encore plus mal à l'aise qu'auparavant, je retire vivement ma main. Il ne semble pas vexé par mon attitude et son assurance insolente me donne envie de lui coller une bonne gifle. J'aimerais tant lui faire ravaler son sourire écœurant !

A ce moment-là, Hero vient se poster à côté de moi et, immédiatement, je ressens un soudain soulagement. Ses doigts frôlent le dos de ma main pour me signifier sa présence — et son soutien ? — et, à ma grande surprise, il les entrelacent aux miens. En tournant ma tête vers lui, ses mâchoires sont serrées et il toise son pote d'un œil mauvais. Pourquoi un telle démonstration d'affection en public ? Évidemment, Jack ne manque pas de remarquer son geste et lâche un petit rire.

Affection ? Non... Jalousie ? Très certainement...

- Bon, au lieu de faire la causette, vous pourriez peut-être commencer, lance le mannequin d'un ton froid et agacé, en reprenant les mots de Jack, sans le quitter du regard.

Ce dernier lève les mains devant lui, en signe de paix, non sans laisser échapper un petite rire moqueur.

- Ah oui, j'oubliais... Très bien, mettons-nous au travail, alors.

Jack fait demi-tour et se dirige vers le reste de la bande, en train de choisir les tenues qu'ils vont porter pour les photos. « Ah oui, j'oubliais » ? Qu'a-t-il voulu dire, exactement ? Hero lâche alors ma main un peu trop brusquement à mon goût pour me faire face.

- Ça va ? Il n'a pas été trop... désagréable ? me demande-t-il, en scrutant mon visage à la recherche de la moindre contrariété dans mon regard.

Étrangement, je suis plus décontenancée par le comportement d'Hero — même si je remercie intérieurement qu'il soit venu à ma rescousse — que par les arrières pensées flagrantes de Jack.

- Ça va, je réponds. Il a été... égal à lui-même. Euh... je devrais y aller.

Je montre du doigt la bande de garçons avant de prendre congé auprès de lui. Je décide de laisser les questions qui tarabustent mon esprit de côté pour me concentrer à cent pour cent sur mon travail. Je m'approche de Trushal, qui m'accueille avec un grand sourire avant de me prendre dans ses bras.

- Merci de me remplacer, June. Je ne serais jamais arrivé à donner le meilleur résultat en étant sur les deux fronts en même temps.

- C'est normal et puis, ça me forme aussi... une expérience de plus est toujours la bienvenue ! je lui réponds avec un grand sourire, en mettant fin à notre accolade.

- Si tu veux, on peut collaborer sur des futurs projets... j'ai pas mal d'idées, de visuels dans la tête, et ça serait bien d'avoir quelqu'un qui s'y connait pour m'aider à les réaliser, me propose-t-il.

Je tombe des nues en entendant son offre. D'abord Charlie, le photographe de ES London Standard, et maintenant Trushal... mon rêve devient de plus en plus concret et accessible. Je n'aurais jamais cru que les choses iraient aussi vite pour moi, mais je ne m'en plains pas... loin de là !

Je le remercie chaleureusement, jonglant entre sourires et petits cris étouffés. Le jeune homme d'origine indienne est amusé par ma réaction.

- Hero m'a montré les photos du shoot pour ES London et m'a expliqué que tu avais grandement participé à la lumière, au cadre et à la mise en scène de l'image. J'aime beaucoup ton style, je voulais que tu le saches.

Même s'il n'est pas un professionnel de la photographie, je sais que Trushal a une certaine expérience dans ce domaine. Son avis compte tout autant que celui d'un photographe aguerri, et ses compliments sur mon travail me vont droit au coeur.

- Je n'ai pas eu l'occasion de voir ton travail, mais j'ai pu regarder quelques bouts de tes vlogs et j'aime aussi ton ton décalé et la manière dont tu tournes et montes tes plans. Je ne m'y connais pas trop en cinématographie, enfin pas aussi bien qu'en photo, mais tu as une très bonne signature, en tout cas.

Trushal me remercie et nous commençons à échanger sur la façon dont va se dérouler le photoshoot, en compagnie de Jack qui reste, malgré tout, le commanditaire de la séance. Pour commencer, celui-ci me présente ses associés de la marque : Al, Arthur, Vincent et Aaron. Je leur serre la main en souriant. L'apprenti réalisateur nous explique ensuite la manière dont il visualise le petit clip de présentation de la marque, en employant des termes qui me sont étrangers, comme le travelling avant et la contre-plongée par exemple, et dont je ne capte pas trop le sens. Il fait beaucoup de gestes avec les mains, mime les axes de caméra qu'il compte utiliser... bref, il a vraiment l'air motivé par ce projet. Il finit par se retourner vers moi :

- Et j'ai pensé qu'il serait bien d'intégrer quelques photos dans la vidéo, histoire de présenter plusieurs produits, comme des arrêts sur images et, ensuite, je repars en arrière en travelling et la vidéo se conclut sur le logo de la marque, propose-t-il, cherchant notre approbation, à Jack et à moi.

- Je suis grave partante, je m'exclame, trouvant son idée de mêler nos deux travaux brillante.

Jack semble également apprécier l'idée et consulte les storyboards que Trushal a dessinés à la main sur des feuilles blanches. Le jeune homme commence à balancer de nouveau des termes techniques, comme plan séquence, cut et j'en passe, me perdant totalement dans ses explications, mais je fais entièrement confiance en son génie et son professionnalisme.

Le créateur de la marque nous donne le feu vert et veut d'abord commencer par les photos. Je respire un bon coup pour calmer le stress grandissant en moi. Tandis que Felix et Aaron revêtissent les hoodies donnés par Jack, Hero s'approche de moi, les mains dans les poches de son jean serré.

- Tout va bien se passer, tu n'as pas à t'inquiéter, chuchote-t-il en se penchant vers moi, ponctuant sa phrase d'un sourire encourageant.

Il a raison, je n'ai aucune raison d'être nerveuse. Je suis entourée de gens que je connais, l'atmosphère est légère... bref, tous les éléments sont réunis pour travailler dans de bonnes conditions. La boule formée dans mon ventre diminue lorsqu'Hero saisit ma main et la presse légèrement pour me témoigner son soutien. Il croit plus en moi que je ne crois en moi-même.

- Prends le temps de te familiariser avec l'environnement pour en tirer le meilleur pour tes photos, me rappelle-t-il, en regardant autour de nous. Comme lors de notre premier photoshoot, tu t'en souviens ?

Comment l'oublier ? C'était notre premier tête-à-tête et mes retrouvailles officielles avec le monde de la photographie. Comme aujourd'hui, Hero avait réussi à calmer mes doutes et à voir ce que j'étais incapable de déceler à ce moment-là : mon potentiel. C'est ce soir-là aussi où j'avais découvert qu'il était l'inconnu de la boite qui m'avait odieusement allumé sur la piste de danse, et qui me proposait ce qui est devenu notre arrangement actuel.

Je hoche discrètement la tête pour répondre silencieusement à sa question.

- Tu sais ce dont tu es capable, alors déchire tout ! ajoute-t-il avant de s'éloigner de moi.

Ses petits mots ont fini de me remotiver. Je le gratifie d'un sourire et j'expire une nouvelle fois avant de commencer l'exploration de mon terrain de jeu. Le temps est clément, ensoleillé avec quelques nuages, donc je dois tenir compte des changements de lumière et faire attention au contre-jour et à l'exposition.

Je décide de commencer par des photos d'Aaron et de Felix ensemble. J'opte également pour ajouter une troisième actrice dans mes clichés : la grande roue. Il serait vraiment idiot de ne pas utiliser ce décor inédit. Je demande à mes deux modèles du jour de se tenir debout au milieu de la pelouse du parc, avec le London Eye en toile de fond. Sans poser de questions, les garçons s'exécutent, s'assurant que leurs poses et expressions correspondent à ce que j'ai en tête. Le visage neutre, ils fixent l'objectif et je débute mon photoshoot. Pour le second cliché, je les immortalise avec un immeuble derrière, adoptant une fois encore la même attitude. Je passe ensuite aux portraits individuels. Je commence par Aaron qui, les mains dans les poches de son hoodie, fixe intensément l'appareil photo. Vient le tour de Felix. Je produis deux photos de lui devant la grande roue, une avec la capuche sur la tête et l'autre sans — mais toujours avec sa casquette aux motifs de camouflage militaire — les mains, lui aussi, dans les poches du sweatshirt rose. Je dois avouer que cette couleur claire lui va plutôt bien. J'essaie une approche différente et demande à Felix de détourner le regard. Je capture son image en contre-plongée — terme que m'a rapidement expliqué Trushal en voyant mon expression larguée — et je remarque que le résultat est plutôt de bonne qualité.

Nous passons maintenant aux tee-shirts à promouvoir. En attendant que les deux garçons se changent, je rejoins Jack, Trushal, Hamza et Hero qui nous regardent travailler. Satisfaite par la première session que je viens de réaliser, je suis impatiente de leur montrer le rendu sur le petit écran de mon appareil photo. Je commence à faire défiler les différentes photos que je viens de prendre, un grand sourire aux lèvres. Je récolte rapidement des avis favorables de la part d'Hamza et Trushal, qui compte s'inspirer de mon travail pour exécuter le sien. Hero est également concentré sur les images, un léger sourire sur les lèvres. J'en déduis qu'il approuve, lui aussi, le résultat.

- Tu vois, je t'avais qu'elle était douée, lance fièrement Hero à l'attention de Jack.

Son compliment me va droit au coeur et je me retourne vers lui pour le remercier avec un sourire. Ses yeux se posent alors sur moi, et je me sens toute chose sous l'intensité de son regard. Mon attention est brusquement détournée lorsque Jack s'empare de mon appareil photo pour scruter les clichés plus en détails.

- Et pas que pour les photos, à ce qui parait... lâche-t-il en pivotant son visage vers le mien, marqué par un sourire équivoque.

Ma bonne humeur disparait, tandis que je sens Hero se raidir derrière moi. Aurait-il parlé de nous à ses copains ? Balancer des détails salaces à propos de nos ébats ? En me tournant vers lui, ses mâchoires sont serrées, tout comme ses poings à côté de ses cuisses. Quant à son regard, l'éclat vert que j'aime tant s'est mué en noirceur meurtrière.

- Et si tu fermais ta putain de gueule pour changer ? gronde Hero sur un ton menaçant, en le pointant du doigt.

- Quoi ?! Je dis juste ce qui est, se défend Jack, en pouffant tout en faisant de gros yeux étonnés. Il faut rendre à César ce qui est à César... ou ici, à June.

- Oh, t'es lourd, bro ! lui reproche Trushal.

- Arrête avec tes sous-entendus de merde, renchérit Hamza avec lassitude. On n'est pas là pour ça, okay ?

Un silence pesant s'installe alors autour de nous. Jack relève sa tête vers Hero, qui ne décolère pas. Je ne peux pas lui reprocher sa fureur, une immense rage bouillonnant également à l'intérieur de mon être.

- C'est bon, détends-toi, H... c'était juste une blague, lâche-t-il en levant les yeux au ciel. Je ne vais pas courir derrière ta chérie. Je ne suis pas là pour saboter ta petite amourette...

Il est vraiment con, ce mec ! Pour qui se prend-il, sérieux ? « Me courir après » ? Comme s'il pouvait m'intéresser... Tsssss !

Les yeux d'Hero s'écarquillent en entendant la réflexion de son « ami », avant de reporter son regard inquiet sur moi. Je fronce les sourcils, confuse par sa réaction. S'il pense que les propos de ce débile vont m'atteindre ou me blesser, il n'a pas à s'en faire pour ça.

- Hey, tout va bien, je lui chuchote en lui adressant un sourire réconfortant et en caressant son bras pour appuyer mes propos.

Le mannequin ferme les yeux et lâche un soupir de soulagement, se détendant instantanément. Je ne comprends pas la soudaine crainte qu'il vient d'éprouver, ni ce qui l'a provoqué. Jack joue au con, rien de bien nouveau de ce côté là, mais l'attitude d'Hero face à son commentaire reste tout de même étrange.

Felix et Aaron viennent interrompre ce moment gênant — et je les en remercie silencieusement — pour poursuivre le reste du photoshoot. Le premier est vêtu d'un tee-shirt blanc et le second en arbore fièrement un de couleur noire. Je m'éloigne en leur compagnie pour nous remettre au même endroit, avec l'immeuble derrière eux. Je choisis de faire une photo où ils figurent ensemble et décide de shooter Felix seul, en contre-plongée avec le tee-shirt noir au logo doré.

Derrière moi, j'entends des voix s'élever et prends quelques secondes pour vérifier ce qui se passe. Hero et Jack semblent avoir une conversation — ou un règlement de compte — plutôt enflammée. J'essaie de tendre l'oreille pour distinguer quelques bribes de leur échange, mais seul le son de leurs voix arrive jusqu'à moi.

- T'inquiète, me rassure Felix, en regardant dans la même direction que moi. Jack a souvent besoin d'être recadré, tellement il dépasse les bornes. Hero ne lui fera rien.

J'adresse un bref sourire à Felix avant de me concentrer de nouveau sur le photoshoot. Je me fiche bien qu'Hero lui fasse quelque chose — bon, je ne veux pas qu'il ait d'ennuis, hein — mais je ne cautionne pas du tout son attitude envers moi, ni la manière dont il essaie de pousser Hero à bout, en multipliant les provocations les unes après les autres. En quoi cela peut-il bien l'amuser ?

Après cette ultime prise, je clôture la séance pour ma part, estimant avoir produit le travail nécessaire pour promouvoir la marque et embellir leur futur site internet. Nous rejoignons le petit groupe et Trushal prend le relais avec le tournage du mini-clip. Je me retrouve une nouvelle fois avec Jack et Hamza, Hero étant en grande discussion au téléphone, à l'écart du groupe. Il fait les cents pas tout en parlant de manière sérieuse à son interlocuteur.

- Les photos sont vraiment canons, me félicite Hamza. T'as fait du bon boulot, June !

Sa voix détourne mon attention d'Hero et je remercie le petit-ami de Jade en lui souriant, heureuse que le résultat lui plaise. Je tourne mon regard vers Jack, bien que j'appréhende les futurs mots qui vont sortir de sa bouche. Va-t-il faire un autre commentaire déplacé, profitant de l'absence d'Hero ? Cette fois-ci, je ne me laisserai pas faire, ayant rempli ma part du contrat.

- C'est un travail de qualité, dit-il sur un ton neutre. Ça va donner un bon rendu sur le site. Merci.

J'attends la suite, mais il n'ajoute rien de plus. Je suis soulagée de voir qu'il se contente seulement de commenter mon travail, et rien d'autre. Je le remercie à mon tour et lui explique que je lui enverrai les photos par mail, une fois que je les aurai retouchées. Jack hoche la tête et s'éloigne, me laissant seule avec Hamza.

A croire que la séance « recadrage » du mannequin a porté ses fruits...

- Hero lui a mis les points sur les « i » pendant que tu prenais les photos, m'apprend-il, remarquant que le changement d'attitude de Jack me laisse perplexe. Mais ne tiens pas compte de ce que peut dire Jack, ça n'en vaut pas la peine, vraiment...

- C'est ce que j'avais cru comprendre, je réponds.

Quelques secondes plus tard, Hero revient vers nous d'un pas enjoué, un immense sourire plaqué sur ses lèvres. Toutes les contrariétés provoquées par Jack s'envolent instantanément en le voyant aussi heureux.

- Vous n'allez jamais croire ce qui vient de m'arriver ! s'exclame-t-il.

Il tourne sa tête frénétiquement dans tous les sens, certainement à la recherche de ses autres amis pour annoncer la bonne nouvelle. Une fois changés, Felix, Trushal et Aaron ne tardent pas à se joindre à nous. Hamza lui indique que Jack est déjà parti avec ses associés, mais cela ne semble pas l'affecter.

- Qu'est-ce qui se passe ? demande Felix, confus par la soudaine bonne humeur régnant sur notre petit groupe.

- Je viens d'avoir un coup de fil de mon agent, commence Hero, une pointe d'excitation dans la voix. Et elle m'a annoncé que début juillet , j'allais défiler pour une grande marque italienne... en Italie !

Les félicitations ne tardent pas à fuser. Tout à tour, ses amis le gratifient d'une accolade remplie de fierté, sans cesser de le congratuler. Hero finit par se diriger vers moi, sans se départir de son sourire et me prend dans ses bras. Je suis surprise quand mes pieds décollent du sol et que je me retrouve à virevolter dans ses bras. Je lâche un petit cri étonné avant de me mettre à rire. Quand il me repose par terre, je mets fin à notre étreinte.

- Je suis tellement contente pour toi. Tu le mérites tellement, je lui dis le plus sincèrement du monde.

- Je veux que tu viennes avec moi, lâche-t-il, le regard plein d'espoir.

QUOI ?!

Je n'ai pas le temps de rétorquer quoi que ce soit, que je suis coupée par Trushal :

- Hey ! Ça mérite qu'on aille boire un verre pour fêter ça, non ?

Felix, Aaron et Hamza semblent partants, tandis que le mannequin parait plus hésitant.

- C'est gentil, les gars... mais, en fait, j'ai déjà prévu quelque chose avec June, lance-t-il.

Au risque de me répéter... QUOI ?!

Ses amis bougonnent un peu, mais lui assurent que ce n'est que partie remise, avant de s'éloigner. Je me retourne alors vers le mannequin :

- Alors, comme ça, on a quelque chose de prévu ? je lui demande en arquant un sourcil interrogateur, et en croisant les bras sur ma poitrine.

Ma voix est empreinte de curiosité, et je me demande bien ce qu'il a en tête.

- Oui, et je ne te dirais que trois mots : toi, moi et... ça.

Il esquisse son fameux sourire en coin diabolique, celui laissant apparaitre sa fossette et pointe son doigt derrière moi. En me retournant, je constate qu'il me montre la grande roue.

Alors que je fixe le London Eye, en essayant de deviner ses intentions, je sens le menton d'Hero se poser sur mon épaule, ses mains agripper délicatement le haut de mes bras et son souffle chaud s'abattre contre mon oreille lorsqu'il murmure :

- J'ai envie de fêter nos deux succès... et quoi de mieux que de s'envoyer en l'air... en l'air ?

OH ! BORDEL. DE. MERDE !!!
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