43.
Etait-ce la plus grande décision à prendre de ma vie ? Je ne crois pas mais, en tout cas, le choix que j'ai fait et les conséquences qui en ont découlé en ont influencé une bonne partie. Comment une personne peut-elle laisser une empreinte aussi indélébile en nous ? On n'avait rien en commun et pourtant, on s'est retrouvé l'un dans l'autre, comme le reflet d'un miroir nous renvoyant notre propre image. Les différences qui nous caractérisaient étaient également là pour nous rappeler cruellement que tout ceci n'était qu'une illusion, une utopie à laquelle on voulait croire dur comme fer. Je n'arrive toujours pas à me l'expliquer, ni à réaliser que mon existence ne tournait qu'autour d'un seul et même homme. Malgré la petite voix dans ma tête qui ne cessait de me rappeler que ce « bonheur » n'était que temporaire, je préférais la mettre en sourdine et continuer cette course destructrice qui allait, irrémédiablement, se finir dans un mur...
*
Nous sommes vendredi, et j'ai décidé qu'il était temps de rentrer à Londres. Ces derniers jours, j'ai préféré me la jouer ermite en restant à la maison. L'envie de sortir, de voir du monde m'a totalement quitté. J'ai pu mettre ce temps libre à profit en le passant avec ma grand-mère, lui faire quelques travaux, l'aider dans le ménage et remplir le réfrigérateur, de cette manière, elle n'aura pas besoin de faire les courses au moins pour deux semaines. Oui, je sais, rien de bien excitant dans tout ça, mais j'avais besoin de retrouver une routine un peu ennuyeuse avant de reprendre mon train de vie de folie londonien.
J'ai décliné les invitations de Polly pour les soirées au festival, malgré son insistance et la détermination qu'elle mettait dans ses messages pour me convaincre de la rejoindre. J'ai également eu des nouvelles de Liam, mais je ne lui ai pas répondu. J'ai privilégié le silence radio avec lui. Depuis que j'ai appris son aventure avec Angie, je ne sais pas mais, mais cette révélation me met mal à l'aise. Ce n'est pas que je lui en veuille, mais je ne sais pas trop quoi penser de tout ça, en fait...
Hier, c'était mon anniversaire. Je viens de prendre un an de plus, une année supplémentaire s'ajoutant aux trente-deux premières qui se sont déjà écoulées. Aussitôt réveillée, j'ai eu droit à un FaceTime avec Angie, Jade et Dany, qui a donné le ton à cette journée. Elles ont beuglé des « joyeux anniversaire » en pagaille, dans une cacophonie presque incompréhensible, tandis que les hauts-parleurs de mon téléphone saturaient à cause de leurs hurlements, leurs voix grésillant dans mes oreilles. Ensuite, elles ont chanté la fameuse ritournelle qui accompagne toujours ce genre de célébration.
Si j'avais été là, elles auraient, comme à leur habitude, sauté sur le lit en criant pour m'offrir un réveil bruyant et brutal. Ensuite, elles se seraient jetées sur moi pour m'étouffer sous leurs câlins. En général, je râle sous la douleur imposée par leurs poids morts gesticulant sur mon corps et essaie toujours de me dégager de leur étreinte forcée mais, en fin de compte, j'apprécie toujours ce petit rituel qui, je dois l'avouer, m'a quelque peu manqué, hier.
J'ai également remarqué, entre les déferlements de bonne humeur et les souhaits qu'elles m'adressaient, qu'elles avaient retrouvé leur complicité d'antan. J'en déduis qu'elles ont réussi à mettre un terme à leur querelle, ou tout du moins à la mettre sur pause le temps de cet appel vidéo. Je suis quand même curieuse de savoir ce qui s'est passé entre elles, Dany étant au coeur de leur différend. J'aurais aimé leur demander, mais je réserve cette discussion à mon retour. Justement, en parlant du loup, j'étais aussi ravie de le revoir, et il n'a pas manqué de me taquiner sur mon « vieillissement ». Bien évidemment, je ne me suis pas laissée faire et n'ai pas hésité à lui répliquer sur le même ton espiègle que, quoi qu'il puisse dire, il sera toujours plus vieux que moi.
Jade a abordé de nouveau le sujet de ma soirée d'anniversaire, me prévenant encore une fois, et sur un ton faussement menaçant, que j'avais intérêt à ramener mes fesses à Londres avant le weekend. J'ignore ce qu'elle a prévu — j'ai essayé de lui soutirer quelques informations, sans succès — mais, étant donné l'excitation que j'ai pu entendre dans sa voix, quelque chose me dit que je peux oublier mon petit restau pépère...
Ma grand-mère m'a cuisiné un magnifique gâteau au chocolat pour l'occasion, et m'a donné un peu d'argent pour me faire plaisir dès que je rentrerai. Je l'ai chaleureusement remerciée, non pas seulement pour son petit geste, mais pour tout ce qu'elle a fait pour moi depuis que je suis née.
J'ai eu l'immense plaisir de recevoir un message de Felix sur Instagram. J'ignorais qu'il connaissait ma date d'anniversaire, puisque qu'elle n'ait mentionné nulle part sur ma page. Je pense qu'Hero a dû lui glisser discrètement cette information. Quant au mannequin, il m'a envoyé un joli petit texto, en précisant qu'il lui tardait de me revoir, concluant son message avec un émoji au sourire coquin, comme celui qu'il esquisse souvent et qui me fait totalement craquer.
D'ailleurs, moi aussi, j'ai hâte de le retrouver... d'où ma décision de repartir aujourd'hui !
J'ai quand même décidé de passer une partie de cette ultime journée à Sandgate avec ma grand-mère. Je ne sais pas quand je vais revenir, et comme elle n'est plus toute jeune, le futur reste incertain pour elle, même si, pour l'instant, elle se porte comme un charme. Pourvu que ça dure le plus longtemps possible !
Après le succulent repas que nous avons dégusté toutes les deux, je charge mes bagages dans le coffre de ma Mini, sous le regard attristée de mon aïeule. D'ailleurs, en faisant mes valises, je n'ai pas réussi à remettre la main sur mon short rose. Je me demande bien où il est passé... Plus sérieusement, je suis consciente qu'elle redoutait le jour de mon départ, se retrouvant de nouveau confrontée à la solitude. Plusieurs fois, je lui ai proposée de venir vivre à Londres. Nous aurions pris un appartement toutes les deux et je me serais bien occupée d'elle. Malgré ma persévérance, elle a toujours voulu rester ici, dans la ville qui l'a vue naitre et qu'elle n'a jamais vraiment quitté, ce que je comprends tout à fait.
- Tu as tout pris ? Tu es sûre que tu n'as rien oublié ? me demande-t-elle, le gravier s'entrechoquant sous ses pieds, tandis qu'elle s'approche de moi.
- Ne t'inquiète pas, je lui lance. Si j'oublie quelque chose, je sais que ce n'est pas perdu, et ça me donnera l'occasion de revenir.
Je me retourne vers elle en lui adressant un sourire malicieux, pour tenter d'alléger son coeur lourd. Les bras croisés contre sa poitrine, je sens qu'elle est submergée par l'émotion. Je ferme le coffre de la voiture et reviens vers elle pour l'étreindre.
- Ça va aller, grand-mère, je lui assure, en caressant son dos pour la réconforter. Et puis, on va se revoir très vite, d'accord ?
A mon tour, mon coeur se serre à l'idée de me séparer d'elle. Ca me fait toujours un petit pincement de quitter cette maison, cet environnement si familier, et surtout cette seconde mère si essentielle à mon équilibre mental. J'ai l'impression de l'abandonner. Si j'avais les mêmes opportunités professionnelles à Sandgate qu'à Londres, je n'hésiterais pas à m'installer de nouveau dans la région.
Je m'éloigne d'elle pour la regarder. Ses petits yeux sont humides et des larmes menacent de couler sur ses joues.
- Tu fais bien attention à toi, ma puce, me conseille-t-elle, la gorge serrée, en posant une main tremblante sur ma joue. Et ce garçon... celui qui est venu te voir... il a l'air très gentil.
J'ignore pourquoi, mais un sourire apparait instantanément sur mes lèvres lorsqu'elle mentionne Hero. Certainement dû aux souvenirs de nos moments passionnés passés ensemble. Elle ne m'en a pas parlé de tout le séjour, ce qui m'étonnait un peu. Elle n'est pas du genre à raffoler des moindres détails de ma vie privée — contrairement à une certaine personne vivant de l'autre côté du grillage — mais je pensais qu'elle allait me poser quelques questions par rapport à sa présence à la maison, ou bien nos rapports.
- Il s'est montré très curieux à ton sujet, m'apprend-elle. Je crois qu'il t'aime bien.
Je suis surprise par cette révélation. J'imagine mal Hero demander des détails sur moi, surtout à ma grand-mère. Mais, en y repensant, il était tellement différent du jeune homme à qui j'ai eu affaire il y a quelques jours. Durant le peu de temps qu'il a passé à Sandgate, il a dévoilé une facette beaucoup plus douce, plus à l'écoute, réconfortante même ! Il est vraiment plus complexe que je ne l'aurais cru. Je suis certaine qu'il n'a pas fini de me surprendre.
- Tu crois ? je lui demande, un petit sourire en coin. Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
S'il lui a fait des révélations, ou si elle a relevé des petits détails, je veux tout savoir !
- Oh, des petites choses... qui veulent dire beaucoup, répond-elle sur un ton légèrement enjoué. C'est normal que tu lui plaises, tu es belle à croquer.
- Grand-mère... tu n'es pas objective, je pouffe en secouant la tête.
- Il est peut-être un peu jeune pour toi, non ?
- Un peu oui, mais ce n'est pas comme si j'envisageais quoi que ce soit de sérieux avec lui, je rétorque. De toute façon, il ne cherche pas l'amour, donc le problème est réglé.
Ma grand-mère pince ses lèvres en haussant les sourcils.
- En es-tu sûre ? J'ai bien vu l'inquiétude sur son visage quand tu es partie précipitamment de la maison, bouleversée. Il avait vraiment peur qu'il t'arrive quelque chose, comme s'il était effrayé de te perdre. Je ne veux pas te mettre d'idées en tête mais, étant donné son comportement quand tu as disparu, j'aurais tendance à penser qu'il tient à toi...
Hero... tenir à moi ? Qu'est-ce que ça veut dire, exactement ? Je ne sais pas trop. S'il elle sous-entend ce que je crois, elle fait complètement fausse route. S'il y a bien une chose dont je suis certaine, c'est qu'une relation amoureuse entre Hero et moi n'arrivera jamais. Nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde concernant ce sujet, en parti dû à notre différence d'âge. Mais, encore une fois, je dois admettre que son changement d'attitude me perturbe au plus haut point, m'empêchant d'avoir une vue claire de la situation.
Et moi... est-ce que je tiens à lui ?
Je ne me suis jamais vraiment penchée sur ce que je pouvais ressentir pour Hero. Je suis la première étonnée de me sentir bien à ses côtés, au delà de toutes les émotions qu'il provoque en moi. Il a fait renaitre une insouciance qui m'avait quittée, il y a une quinzaine d'années et que je croyais perdue à tout jamais. Nous avons aussi des blessures, liées à nos parents, qui nous ont indéniablement rapprochés. Je me suis retrouvée dans sa douleur, tout comme lui s'est reconnu dans la mienne. Sans compter ces petites choses chez lui qui me font complètement tourner la tête : son magnifique regard vert, son sourire en coin, creusant des fossettes irrésistibles sur ses joues, sa voix douce prenant un ton très suave lorsqu'elle devient grave, et son rire... je ne me lasserai jamais de l'entendre rire.
C'est bien beau, tout ça... mais je ne dois pas me voiler la face. Peu importe ce que j'éprouve pour lui, ça ne pourra jamais aller plus loin que de simples apartés sexuelles, de temps à autre...
- ... d'accord, Junie ? m'interpelle ma grand-mère, en passant sa main devant mon visage.
Je plisse les yeux et secoue la tête pour m'extirper de mes pensées Hero-iques. Je rencontre alors le regard de mon aïeule, qui fronce les sourcils, perplexe devant mon silence prolongé et mon manque de réaction face à sa question.
- Hein ? Euh... tu disais ? je bredouille, en tentant de reprendre le fil de la conversation.
- Je te demandais d'être prudente sur la route, et je crois que je fais bien de te le rappeler puisque tu as l'air de rêvasser...
- Je ne rêvassais pas, je rétorque en levant les yeux au ciel. J'étais juste un peu perdue dans mes pensées... mais ne t'inquiète pas, je resterais concentrée au volant, les yeux scotchés sur la route... ça te va ?
Ma grand-mère m'adresse une moue quelque peu réprobatrice, tout en collant ses petits poings contre ses hanches.
- Tu sais très bien pourquoi je te dis ça...
Oui, j'en suis plus que consciente. Elle est morte d'inquiétude lorsque je dois parcourir une distance important en voiture. Quand j'ai eu mon permis, déjà à l'époque, elle m'interdisait de doubler les autres véhicules, ou même de prendre des inconnus en stop. Mais cette crainte s'est accentuée depuis l'accident de voiture dont j'ai été victime avec Angie... mais je lui ai cachée une grosse part de vérité par rapport à cette histoire.
- Grand-mère, c'était il y a presque dix ans... depuis, je n'ai plus eu d'incidents de ce genre, et j'ai également progressé en tant que conductrice... fais-moi un peu confiance, d'accord ? je lui demande en posant mes mains sur ses épaules.
J'aurais beau lui sortir une liste interminable d'arguments, elle s'inquiétera toujours de me savoir au volant. Donc, dès que j'arrive à destination, je l'appelle immédiatement pour la rassurer.
Après une dernière étreinte, je me dirige vers la voiture et lui adresse un ultime signe de la main avant de grimper dans ma Mini. Le moteur vrombit et les roues écrasent le gravier en prenant lentement la direction de la pente. Je lance un regard dans le rétroviseur intérieur et aperçois ma grand-mère, épaules affaissées, tourner les talons et rentrer dans la maison.
Avant de me mettre en route pour Londres, je décide de faire un dernier arrêt dans le centre-ville de Sandgate pour dire au revoir à Polly. Je gare la voiture devant le salon de coiffure et, depuis l'habitacle, je la vois, derrière la caisse, en train de discuter avec une cliente.
La cloche de la porte d'entrée retentit et le visage de ma jeune amie s'illumine lorsqu'elle remarque ma présence. Après avoir remercié la dame avec qui elle discutait, elle se dirige vers moi, un grand sourire aux lèvres.
- Une revenante ! Je commençais à m'inquiéter, s'exclame-t-elle avant de me prendre dans ses bras.
Je mets rapidement fin à l'accolade et lui apprends que je repars à Londres. Son sourire éclatant se mue en grimace tristounette.
- Déjà ? déplore-t-elle. Mais... on n'a eu le temps de rien faire ! En plus, ce soir, il y a un super groupe qui joue au festival. Ils ne sont pas super connus mais ont une super bonne réputation... T'es obligée de rentrer aujourd'hui ?
La déception dans sa voix me provoque un petit pincement au coeur, et je regrette, à présent, de ne pas avoir passé plus de temps en sa compagnie.
- J'ai bien peur que oui, je lui réponds en imitant sa mine attristée. Mais ce n'est que partie remise. J'espère te revoir très vite à Londres. Tu mérites beaucoup mieux que de finir dans ce salon de coiffure. Je suis certaine que de belles choses t'attendent là-bas.
- Si je pouvais, je planterais tout maintenant et partirais avec toi ! Plus tu me parles de Londres, et plus j'ai envie d'y aller.
- T'as mon numéro de téléphone, mon Facebook et mon Instagram... j'attends de tes nouvelles très rapidement, d'accord ?
Polly hoche la tête alors que ses lèvres se courbent pour former un sourire malicieux. Son enthousiasme est si contagieux qu'il me gagne. Après une seconde et dernière embrassade, je la quitte et m'avance la porte, lorsque la voix de l'apprentie coiffeuse m'interpelle :
- Au fait, comment ça s'est terminé avec ton beau Londonien ?
La main sur la poignée, je me retourne vers elle et lui réponds, sur le même ton espiègle :
- Bien mieux que ça n'avait commencé...
Sur cette dernière phrase, ponctuée d'un petit rictus qui en dit long, je franchis la porte du salon de coiffure et, alors que je devrais monter dans la voiture, je jette un coup d'oeil vers la jetée. Une soudaine envie de voir la mer avant de partir prend possession de moi et, de manière presque machinale, j'emprunte le chemin du rivage. En slalomant entre les nombreux passants et touristes profitant du soleil, je m'arrête devant le muret en pierre et m'y accoude dessus. Je prends alors une profonde inspiration pour m'imprégner de l'air marin qui me manque tant quand je suis à Londres, tout comme le bruit apaisant des vagues. Certes, nous avons la Tamise dans la capitale, mais le fleuve n'a pas le même attrait que la Manche.
Soudain, mon petit moment de sérénité est perturbé par une oppression qui s'insinue dans mon être. Un sentiment fort désagréable que j'ai déjà éprouvé lorsque je me sentais... épiée. Je fais rapidement volte-face pour sonder les personnes foulant la jetée, à la recherche du dérangé qui s'amuse à m'espionner. J'aimerais que ce soit ma paranoïa qui me joue des tours mais, dès que je m'aventure en ville, cette impression me prend tellement aux tripes que ça ne peut pas être dans ma tête, ou quelque chose que j'imagine.
Je ferais mieux de partir. Bien que la distance entre Sandgate et Londres n'est pas si importante que ça, je préfère m'éloigner d'ici et de ces mauvaises ondes que je reçois. Je rebrousse chemin, tentant de me frayer avec urgence un passage dans la foule. Malgré tout, je continue de jeter des coups d'oeil de tous les côtés pour essayer de repérer une personne suspecte. Ne regardant pas où je vais, je finis par heurter quelqu'un et, en relevant la tête, je rencontre les yeux bleus perplexe de Liam. Interloquée de le retrouver ici, il est tout aussi surpris de me croiser. La légère panique qui doit se lire sur mon visage semble l'inquiéter.
- Hey, hey... qu'est-ce qui se passe ? me demande Liam, en posant ses mains sur le haut de mes bras, m'entrainant dans un coin plus tranquille, hors du sillon des passants.
Je secoue la tête, tentant de chasser l'impression détestable provoquée par un regard malsain posé sur moi, et que je ne peux m'empêcher de ressentir. Et ne pas savoir de qui et d'où ça vient me fait vraiment flipper.
- Euh... non, rien... je bafouille, en évitant son regard.
Je ne voulais pas croiser Liam. Le confronter était la dernière chose dont j'avais envie mais, de le voir en face de moi, surtout avec cette mine concernée... je ne peux pas décemment l'éviter.
- Ça n'a pas l'air d'être rien, souligne-t-il sur un ton ferme. Tu semblais fuir... quelque chose.
Quelqu'un, plutôt... mais qui ?
Je me recule d'un pas, en essayant de reprendre contenance.
- De toute façon, je n'allais pas m'attarder... Je rentre à Londres aujourd'hui, je lui apprends, finissant ma réponse en pinçant les lèvres et en hochant la tête.
Ma révélation semble le surprendre, au vu de ses sourcils haussés.
- Oh... et tu comptais te barrer comme ça, comme une voleuse ? Sans me dire au revoir ? me demande-t-il, l'étonnement ayant laissé la place à de la frustration.
Je reste silencieuse face à son accusation, ne souhaitant pas le baratiner avec une excuse débile. Car la vérité est là : j'allais quitter Sandgate, et je n'avais aucune intention de le lui faire savoir. En guise de réponse, je me contente de baisser la tête, en croisant les bras contre ma poitrine.
- Je t'ai envoyé plusieurs textos, et je t'ai laissé des messages sur ton répondeur, mais tu ne m'as jamais répondu, soupire-t-il. Je peux savoir ce que j'ai fait pour que tu m'évites du jour au lendemain, sans explication ?
Je relève mon visage vers le sien et l'incompréhension a envahi les traits de son beau visage. Je voulais absolument éviter de me retrouver dans cette situation : devoir m'expliquer sur mon soudain silence.
- C'est à cause du petit con qui est venu te voir ? insiste-t-il.
Je n'apprécie pas vraiment le ton qu'il emploie, ni même le terme qu'il utilise pour qualifier Hero. Certes, il a été un petit con, même un gros con, mais il a su se rattraper... et je ne parle pas de nos ébats.
- Hero n'a rien à voir dans cette histoire, je finis par répondre. Et ne parles pas de lui de cette façon, tu ne le connais pas.
- Tu le défends, maintenant ? s'étonne-t-il, une pointe d'ironie dans la voix. L'autre soir, tu lui en voulais à mort, et là... je n'imagine même pas ce qu'il a pu te dire ou faire... pour te faire changer d'avis...
J'ai l'impression d'entendre Hero avec ses allusions à deux balles. Mais, dans son cas, le Londonien a l'excuse de l'immaturité pour ce genre de réactions. Pour ce qui est de Liam, je n'en dirai pas autant. Il pouffe, et la direction que prend cette discussion ne me plait guère. Mais s'il veut s'engager sur ce terrain-là, bah allons-y !
- T'es sérieux, là ? T'es en train de me reprocher un manque de jugement de ma part ? Alors explique-moi comment je pourrais qualifier le fait que tu aies couché avec ma meilleure amie sans jamais m'en parler.
Je vois, à son expression surprise, que je viens de lui couper littéralement l'herbe sous les pieds. L'assurance qu'il arborait dans son argumentation s'est complètement envolée. Il voulait des explications, sauf que maintenant, c'est à lui de m'en fournir.
- Comment... c'est Angie qui te l'a dit ? me demande-t-il, la voix mal assurée.
- Non, c'est sa mère qui s'est fait un malin plaisir de m'envoyer cette petite pépite en pleine gueule, je lui lance. Je n'ai pas voulu y croire au début, tant ça me paraissait gros. Je refusais d'admettre que ma meilleure amie, ou même toi, ayez pu me cacher un truc aussi énorme pendant des années... et puis Angie a fini par me le confirmer...
L'Australien devine alors, à ce moment-là, la raison de mon silence radio à son égard. Il passe une main dans sa masse capillaire châtain foncé, en essayant de se reprendre. Je lève les yeux au ciel devant son silence et m'éloigne de lui, prenant la direction des escaliers, pour remonter vers le centre-ville. J'arrive en haut des marches lorsque la main de Liam saisit mon bras et m'arrête dans mon élan.
- On n'a jamais voulu t'en parler pour ne pas te blesser, se défend-il. Angie avait peur que tu lui en veuilles. Elle ne voulait absolument pas perdre ton amitié. De toute façon, c'est arrivé une fois, c'était sans importance, autant pour elle que pour moi.
Il marque une pause et soupire.
- Je ne sais pas si elle t'en a parlé, mais Angie s'est retrouvée seule du jour au lendemain, après ton départ pour l'université, commence-t-il. Et je dois avouer que je l'ai assez mal vécu aussi...
Je me souviens qu'Angie a mentionné son sentiment d'abandon quand on s'est parlé en FaceTime, quelques jours plus tôt. Elle avait aussi évoqué Liam et le désarroi qu'il ressentait quant à mon absence. Si j'avais su ce que mon départ allait provoquer comme catastrophe — je ne parle pas seulement du petit quickie entre Liam et Angie, mais de tout ce qui a découlé depuis — je me serais retenue de partir !
- Malgré notre rupture, j'avais espoir qu'un jour, toi et moi...
Liam laisse la fin de sa phrase en suspens, mais je devine assez facilement la suite non divulguée. Je détourne mon regard, embarrassée par sa révélation. Bien que ma meilleure amie m'en ait vaguement parlé, l'entendre prononcer ces mots m'attriste. Quand j'ai rompu avec lui, j'étais dans un tel état de désespoir que je ne réalisais pas que je faisais du mal aux personnes autour de moi.
- Tu as été mon premier amour, June, m'avoue-t-il d'une voix douce. Je n'avais jamais aimé aucune fille avant toi. Et faire une croix sur cette histoire... je pense que c'est la chose la plus difficile que j'aie jamais eu à faire de ma vie... même mon divorce n'a pas été aussi dur à surmonter.
Je suis surprise par la fin de son monologue. Je prends alors conscience de la force des sentiments qu'il éprouvait à mon égard et je n'en comprenais pas l'ampleur, à l'époque. Liam, légèrement dépité, s'assoit sur le haut de la rampe en pierre.
- Je suis vraiment désolée, je m'excuse.
- Je ne t'en ai jamais voulu d'avoir rompu avec moi, aussi étrange que ça puisse paraitre. Je savais que tu traversais une période très difficile et, la priorité pour moi était d'être là pour toi, même en tant qu'ami. Tu avais besoin de tout le soutien que tu pouvais avoir, alors j'ai mis mes sentiments et ma propre peine de côté.
Ses paroles me touchent vraiment. Je ne réalisais pas du tout la chance que j'avais de l'avoir près de moi. Et je suis ravie de l'avoir retrouvé, même si les choses ont quelque peu changé entre nous, avec le temps qui a passé, et les expériences que nous avons vécues entretemps.
Malgré tout, une chose me frappe dans son explication. J'ai l'impression de reproduire ce schéma tout le temps, en négligeant les sentiments de mes proches quand je suis blessée. J'ai fait exactement la même chose après ma rupture avec Matt, en prêtant peu d'attention — voire aucune — à ce qui pouvait se passer dans les vies d'Angie et Jade.
Je dois vraiment travailler sur ça !
- Et puis, tu es partie... L'expression qui dit « loin des yeux, loin du coeur », c'est une vraie connerie. Je n'ai pas été capable de t'oublier avant de rencontrer Millie.
Si mes calculs sont bons, il a rencontré sa future ex-femme l'année de mon retour de l'université. Je ne m'attendais pas à avoir une discussion à coeur ouvert avec lui. Depuis que je suis revenue à Sandgate, je multiplie ce genre de conversations !
- Je pense que tu le sais, mais je n'ai pas rompu avec toi parce que je ne t'aimais plus. Quand je me suis retrouvée à l'université, je commençais à aller mieux et, plus d'une fois, j'ai regretté ma décision d'avoir mis fin à notre histoire. Mais une relation à distance...
- Je t'aurais rejoint, m'annonce-t-il, complétant la suite de ma phrase. J'aurais parcouru les kilomètres qui m'auraient séparé de toi...
WOW ! Je n'étais pas prête à entendre ses confessions. Maintenant, j'ai le sentiment d'avoir complètement gâché notre histoire et il vient de répondre aux questions que je me suis longtemps posée.
- Je me suis souvent demandée ce qui nous serait arrivés si on était resté ensemble, ou si j'avais décidé d'accorder une seconde chance à notre relation.
- Je pense que ces mêmes questions ont tourmenté mon esprit pendant un long moment, ajoute-il.
Un petit rire s'échappe simultanément de nos lèvres, en repensant à l'ironie de cette situation. Liam reprend son sérieux et poursuit :
- Concernant Angie, pendant ton absence, j'ai toujours gardé un œil sur elle, au cas où... Tu ne me l'as jamais expressément demandé, mais j'ai pensé que c'était quelque chose que tu souhaitais.
Je suis, une nouvelle fois, touchée par la petite attention dont il a fait preuve. Il ciblait d'une manière étonnante mes besoins, sans avoir besoin de les exprimer.
- Ce soir-là, je suis rentré dans un pub de la ville, avec des potes, et je l'ai trouvée complètement soûle au bar, en train de se faire lourdement draguer par un vieux porc. J'ai réprimandé le barman d'avoir servi de l'alcool à une mineure et de laisser cette scène répugnante se dérouler sans intervenir. Angie était vraiment proche du coma éthylique, et dans ses marmonnements, j'ai cru comprendre que ça se passait mal avec son copain, mais je n'ai pas cherché à en savoir plus. Peut-être que j'aurais dû, après tout. Elle venait aussi de se friter avec sa mère et m'interdisait de la ramener chez elle. Après plusieurs heures passées à discuter, j'ai finalement réussi à la convaincre de rentrer, mais une fois que j'ai coupé le moteur de la voiture, je ne sais pas exactement ce qui s'est passé entre nous, mais... je pense qu'on avait besoin de réconfort l'un et l'autre et...
Il se tait, ce que j'apprécie. Je n'ai pas besoin de connaitre les détails de leur nuit ensemble.
- Tu en veux à Angie ? me demande-t-il, après un long silence.
Je secoue la tête, en guise de réponse, le regard perdu dans le vide, avant de remonter mon visage vers le sien.
- Je ne peux pas la blâmer pour ça, et encore moins maintenant que j'ai un peu plus d'éléments pour reconstruire cette fameuse soirée. De toute façon, ça s'est passé, il y a très longtemps... Et je ne t'en veux pas non plus, si ça peut te rassurer.
- Alors, pourquoi tu m'as évité, ces derniers jours ? continue-t-il de m'interroger en se levant, me surplombant de sa hauteur.
- A vrai dire... je ne sais pas vraiment, je lui avoue en toute sincérité. Je ne savais pas comment réagir par rapport à tout ça, en fait. J'étais un peu vexée que vous ne m'en ayez pas parlé, mais je comprends pourquoi vous ne l'avez pas fait.
- Donc... tout est bon, entre nous ?
L'Australien me pose la question avec prudence, comme s'il appréhendait la réponse. Je commence à sourire, ce qui le détend immédiatement.
- Bien sûr.
Un sourire franc et joyeux apparait sur son visage, et je ne peux m'empêcher de l'imiter. Liam ouvre grand ses bras, m'invitant à l'étreindre. J'accepte volontiers et me retrouve complètement enveloppée par ses biceps. Encore une fois, comme avec Polly, j'en viens à regretter de ne pas avoir plus profité de sa présence.
- Tu vas me manquer, lâche-t-il, en mettant fin à notre accolade.
Je suis un peu gênée par cette marque d'affection, mais je dois admettre qu'il va me manquer aussi, ce que je ne tarde pas à lui révéler, provoquant un nouveau sourire éclatant sur ses lèvres.
Il me raccompagne jusqu'à la voiture et, avant d'y grimper dedans, Liam m'interpelle une dernière fois :
- Tu crois que ça veut dire quelque chose ?
Je fronce les sourcils, peu certaine de comprendre le sens de sa question. Devant mon incompréhension, il s'étale un peu plus sur le sujet :
- Je veux dire... tu viens de rompre avec ton petit-ami, et je viens de divorcer d'avec Millie... je sais pas, c'est un pur hasard, ou bien...
Je ne suis pas du genre à croire aux signes envoyés par l'univers, le karma, ou même une force supérieure, mais je dois avouer que le timing est impeccable quant à nos retrouvailles. Maintenant, concernant la signification de tout ça...
Et Hero, on en fait quoi ?
Ma conscience ne manque jamais de me rappeler le grain de sable qui vient toujours se loger dans la chaussure.
- Je ne sais pas du tout, Liam. Peut-être qu'il y a un message subliminal, ou peut-être que c'est une coïncidence. En tout cas, je suis plus qu'heureuse de t'avoir revu. Et, si tu es de passage à Londres, n'hésite pas à me faire signe...
Ma réponse ne semble pas le satisfaire mais, comme à son habitude, il ne montre aucun signe de contrariété. Il se contente de hocher la tête avec un sourire pincé.
- J'espère juste qu'on n'attendra pas dix ans avant de retomber l'un sur l'autre, dit-il en plongeant ses mains dans les poches de son jean.
Je lui adresse un signe de tête pour lui montrer mon accord et grimpe dans la voiture. Je démarre le moteur et lui lance un dernier regard à travers le rétroviseur intérieur, en lui adressant un petit signe de la main. Avant d'embrayer, je remarque, loin derrière Liam, une personne de taille moyenne, avec une casquette blanche et bleue recouvrant des cheveux blonds décolorés ondulés, dont la longueur frôle ses épaules, avec des lunettes de soleil cachant une bonne partie de son visage, nous fixer avec insistance. Au vu de sa tenue, je dirais qu'il s'agit d'un homme. D'un jeune homme, même, mais je n'en mettrais pas ma main à couper. J'ignore pourquoi, mais un malaise s'empare de moi jusqu'à ce que mon attention se reporte sur mon ami.
Je passe la première et m'éloigne de la ville de mon enfance. Dans un peu plus d'une heure, je serai de retour à Londres...
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