41 BIS.

[ANGIE]

Une fois ma conversation avec June terminée, je file dans le salon, où Jade a trouvé refuge. Je veux respecter la parole que j'ai donné à ma meilleure amie. Malgré la grosse révélation que ma chère génitrice lui a balancée, elle a réussi à me pardonner et ça... je ne l'aurais jamais cru. J'ai vécu avec ce secret pendant tant d'années, tentant de le refouler au plus profond de moi, comme si ce qui était arrivé avec Liam ne s'était jamais produit ou au pire, n'était qu'un lointain souvenir. Je ne devrais pas être étonnée du comportement sans vergogne de ma mère, mais je ne l'aurais jamais cru capable d'aller à de telles extrémités pour heurter June, ou même moi.

Je reporte alors mon attention sur Jade. Installée sur le canapé, les pieds rabattus derrière ses cuisses, un plaid marron recouvrant la partie supérieure de son corps, ses yeux sont rivés sur l'écran de la télévision, diffusant une série Netflix. Elle ne daigne pas jeter un coup d'oeil dans ma direction, mais je peux sentir, à ses mâchoires serrées, qu'elle n'a toujours pas décoléré depuis la veille.

Je m'arrête à une distance raisonnable et racle plusieurs fois ma gorge pour signaler ma présence. Cette petite peste décide de m'ignorer, préférant monter le volume de l'écran plat pour couvrir le son de ma voix. Je décide alors de me poster directement devant la source qui retient toute son attention, provoquant ainsi une moue furieuse sur le visage pourtant angélique de ma jeune colocataire.

- Bouge ! Je veux savoir qui a tué Polo ! bougonne-t-elle, en fronçant les sourcils et en se contorsionnant pour essayer de voir le plus d'image possible.

Voulant lui rendre la monnaie de sa pièce, je me déplace au gré de ses mouvements, pour l'empêcher de voir son épisode et m'accorder l'audience que je demande.

- C'est bon, ça fait déjà trois fois que tu regardes « Élite » ! On peut discuter ? je lui demande, commençant à perdre patience. 

La blondinette tend une nouvelle fois la télécommande vers la télévision pour mettre la série espagnole sur pause, avant de laisser tomber sa main sur son mollet. Elle se contente de me dévisager, me toisant du regard. Ses yeux verts expriment tout le mécontentement qu'elle éprouve à mon égard.

- De toute façon, y'a pas à discuter ! Je pense que tu as dit tout ce que tu avais à dire à ce pauvre Dany, hier soir ! crache-t-elle en attrapant son portable, rivant ses yeux sur le petit écran lumineux.

Non, mais elle est sérieuse ? Elle met tout la faute sur mon dos ?!

Je m'approche d'elle d'un pas furieux et lui retire le téléphone des mains. Je comprends qu'elle m'en veuille, mais ce n'est pas une raison pour être aussi irrespectueuse. Elle se lève, prête à en découdre pour récupérer son mobile.

- Rends-le moi ! m'ordonne-t-elle en me fusillant de ses iris émeraudes.

- Ecoute-moi avant ! je hurle à mon tour, tenant l'objet de sa convoitise hors de sa portée. Ce qui s'est passé avec Dany... je ne l'ai pas viré de l'appart', c'est lui qui est parti !

- Mouais, enfin... tu ne l'as pas retenu, non plus, pouffe-t-elle d'un rire mauvais, arrêtant de se débattre pour reprendre son iPhone. T'as tout fait pour le pousser vers la sortie, quand même... j'étais là ! Je sais ce que j'ai vu et entendu !

Bien sûr, je suis la méchante de l'histoire, la mégère qui a mis le pauvre Dany à la porte ! Aux yeux de Jade, j'ai le mauvais rôle. Bien qu'elle le clame haut et fort, elle n'a pas tout vu.

- Qu'est-ce que June a dit quand tu lui as appris que Dany n'habitait plus avec nous ? me demande-t-elle en croisant les bras. Je ne pense pas qu'elle ait bien pris la nouvelle...

- June ne sait rien... je lui ai seulement dit qu'on s'était disputé au sujet de Dany, mais pas le vraie nature de notre embrouille, je lui révèle. Elle n'a pas cherché à en savoir plus, de toute façon...

Jade se met alors à rire à gorge déployée, comme si ce que je venais de dire était la plus drôle des plaisanteries.

- Évidemment, tu ne lui as rien dit... parce que tu sais qu'elle t'aurait engueulé pour avoir été aussi garce avec lui, fulmine la blondinette.

« Garce » ? Ah oui, carrément ?

Je soupire, déjà lassée par cette altercation. Je connais Jade et à quel point elle peut être têtue, quitte à camper sur ses positions sans lâcher le morceau. Je préfère ne pas relever l'insulte et être la plus intelligente des deux. J'ai pu avorter la crise avec June, mais il me semble qu'avec ma jeune amie, je n'ai pas la même chance.

- Ecoute, June nous fait assez confiance pour qu'on arrive à mettre ce différend derrière nous, alors j'espère que...

- T'es sérieuse, là ? ricane-t-elle en tentant de reprendre son souffle, me coupant la parole au passage. Comment veux-tu qu'on mette ça derrière nous ? Franchement, après tout ce que Dany a fait pour nous, je n'arrive pas à croire que tu aies pu le traiter de cette manière...

Je sais que Jade apprécie beaucoup Dany, qu'elle aime passer du temps avec lui et l'ardeur avec laquelle elle le défend ne m'étonne pas. Elle doit certainement voir en lui le grand frère qu'elle n'a jamais eu, une figure protectrice prête à venir à notre rescousse. Mais je sais, au fond de moi, qu'il n'est pas ce chevalier à l'armure rutilante qu'elle imagine. Tout le monde a un côté obscur, et celui de Dany m'attire et m'effraie en même temps.

Il me fait tellement penser à... lui...

- La cohabitation avec Dany aurait été impossible, de toute façon, je tente de me justifier. On est toujours à s'écharper pour un oui ou pour un non. Peut-être que c'est une bonne chose qu'il soit parti avant qu'on signe un bail pour un plus grand logement...

Jade écarquille les yeux, stupéfaite par mes propos. Je peux sentir la colère l'envahir, prête à m'exploser à la tronche.

- Tu ne culpabilises même pas... même pas un petit peu ? Tu ne te demandes même pas où il a passé la nuit ? Il a peut-être dormi sous un pont, sous la pluie et dans le froid !

Bien sûr que je me suis posée des questions sur sa situation, après son départ. Bien sûr que je me suis inquiétée de savoir dans quelles conditions il allait dormir.

- Je suis certaine qu'il a logé chez des amis, je lui réponds pour la rassurer. Il est peut-être même retourné chez son père, qui sait ? C'est un mec plein de ressources et...

- PUTAIN MAIS OUVRE LES YEUX ! s'écrie la blondinette en portant les mains à sa tête. On est ses seules amies, Angie ! Il n'a que nous ! C'est fou de voir que tes sentiments pour lui t'effraient au point de te voiler la face ! T'as peur de souffrir, c'est ça ? Mais c'est un risque à prendre quand on tombe amoureuse ! C'est un mec en or, Dany... et toi, tu... argh ! Il ne te mérite pas !

Elle se fout vraiment de ma gueule ! Elle se prend pour qui, à me donner des conseils matrimoniaux ?!

Je m'approche d'elle, d'un pas lent et menaçant. Les mâchoires serrées, les poings fermées, je la fusille du regard.

- T'es qu'une petite pisseuse de dix-huit ans, donneuse de leçons ! je l'insulte en la regardant droit dans les yeux, pointant un index accusateur dans sa direction. Tu crois connaitre tout de la vie parce que t'as lu trois manuels de psychologie ? En tout cas, tu ne sais rien de la mienne. Tu ferais mieux de te mêler de tes affaires. Et, si j'étais à ta place, je balaierais devant ma porte avant de juger les autres, parce que, niveau relations amoureuses, tu n'es pas la mieux placée pour me faire la morale !

Si elle veut vraiment qu'on se dise les choses dans le blanc des yeux, on va le faire. Par contre, ça risque de ne pas lui plaire...

- T'es vraiment en train de parler d'Hamza ? s'égosille-t-elle. Je te signale que c'est de ta faute si on s'est séparé ! Si t'avais été capable de garder tes cuisses serrées pendant une soirée, on n'en serait pas là... et tout ça pour rendre Dany jaloux !

Sans réfléchir, je lève la main en l'air, prête à lui décocher une bonne gifle, mais je m'arrête à temps. Mes doigts s'immobilisent à quelques centimètres de sa joue. Jade fixe ma main avec des billes rondes et stupéfaites. Elle me pousse à bout, là ! Ses paroles me rappellent cruellement celles de Jack, lorsqu'il vantait ses exploits de manière complètement déformée à ses cons de potes. Les larmes ne tardent pas à poindre au bord de ses orbes émeraudes.

- Vraiment ? On en est là, alors ? sanglote-t-elle en reculant.

Je lis dans ses iris clairs une immense déception et une profonde tristesse quant à ma réaction, et certainement mon comportement en général. Alors qu'elle s'apprête à s'engouffrer dans le couloir, Jade se retourne vers moi :

- Tu sais quoi ? Si tu continues comme ça, à repousser tout le monde, tu finiras seule. Seule et malheureuse.

Tout en m'adressant un sourire triste, elle finit par disparaitre dans le couloir, et je lâche un soupir de frustration en pensant à cette situation merdique. J'entends la porte de la chambre claquer, quelques secondes plus tard. Cette histoire prend des proportions vraiment énormes, et qui me dépassent totalement !

Je me laisse mollement tomber sur le canapé, ignorant comment ma vie a pu dérailler à ce point. Tout allait bien avant que Dany ne débarque tel un tsunami dans mon existence. Pourquoi a-t-il fallu que l'univers mette ce trouble-faîte sur ma route ? A croire que je n'en ai pas eu assez avec lui...

Affalée dans les coussins moelleux, je me frotte le visage pour chasser les images de la soirée catastrophique de la veille, qui me hante. En tournant la tête vers la droite, j'aperçois un plaid plié en quatre, posée sur l'accoudoir en tissu du canapé, cette même couverture dans laquelle Dany dormait. J'étire mon bras pour la saisir et la déplie pour recouvrir mon corps. Je ferme les yeux et presse le haut du plaid contre mes narines, l'odeur du rebelle bouclé enivrant tous mes sens.

Je devrais lui en vouloir, le détester même. Hier soir a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Mais je n'y arrive pas. Après tout, c'est la continuité logique de ce jeu malsain qui s'est instaurée entre nous... bien que maintenant, je n'ai plus l'impression que ça en soit un. Les enjeux ont changé, les enchères ont considérablement augmenté et il a voulu me rendre la monnaie de ma pièce. Me blesser comme je l'ai blessé. Nous n'étions plus dans les taquineries frustrantes. Je n'aurais jamais dû sous-estimer mon adversaire et me lancer dans cet interminable ping-pong d'offensives et de ripostes.

Je le revois encore, allongé dans le lit — dans mon lit ! — un sourire satisfait aux lèvres, en constatant ma mine déconfite. Rien que pour ça, je devrais lui faire payer le triple de ce qu'il m'a fait, mais si je surenchéris sur son action d'hier, ça n'en finira jamais.

Le film de la soirée de la veille passe en boucle dans ma tête. Peut-être que si je n'avais pas réagi de cette façon à sa provocation, nous n'en serions pas là. Dany serait assis avec moi sur ce canapé, avec Jade à nos côtés, à regarder un bon divertissement à la télé, ou à discuter d'un sujet banal autour d'un bon déjeuner. Je ne sais pas... Et puis, avec des « si' », on pourrait mettre un cachalot dans une boite d'allumettes. Ca ne sert à rien de ressasser le passé, de s'interroger sur l'état des choses si elles s'étaient passées autrement.

Ouais, mais si...

Toutes ces questions sans réponses et vaines me torturent les méninges. Je dois faire quelque chose si je ne veux pas devenir folle. Mon entêtement vaut-il que je me mette Jade à dos ? Si Dany revenait vivre avec nous, que se passerait-il ? Je lui dois des explications quant à mon comportement, même si ça risque d'être une des choses les plus compliquées à faire. Suis-je prête à revivre ce moment pénible ? Un jour ou l'autre, je vais bien devoir faire face à ce passé qui me pourrit la vie. J'ai gâché plein d'opportunités, peut-être suis-je même passée à côté du bonheur — le vrai — à cause de ça... et Dany ne mérite pas d'être sacrifié au détriment de mes peurs et de mes craintes.

Et si Dany était l'antidote à tous mes problèmes, et non une complication de plus  ?

Je lève mes fesses du canapé et me dirige vers la chambre où Jade s'est barricadée. Par chance, elle n'a pas verrouillé la porte et j'entre. La petite blonde au caractère bien trempé est allongée sur le lit, recroquevillée en position fœtale sur le côté. J'entends des petits sanglots s'échapper de sa bouche, et perçois les spasmes secouant son corps, dus à sa crise de larmes.

Je suis peinée de la voir dans cet état, et culpabilise en sachant que j'en suis à l'origine. Je m'avance prudemment vers le lit, faisant le tour pour m'asseoir à côté de Jade. Celle-ci ne réagit pas à ma présence, se contentant de ravaler ses sanglots, en fixant un point invisible devant elle. J'approche lentement ma main de ses cheveux dorés pour coincer une mèche derrière son oreille. Elle ne me repousse pas, et reste immobile, malgré son corps victime de soubresauts.

- Jade, je suis vraiment désolée... pour tout. Je n'aurais pas dû te parler comme ça et... aussi pour tout le reste : Dany, la gifle que j'ai failli te coller... J'ai été injuste avec lui et avec toi. Je ne sais pas ce qui m'a pris... je suis complètement perdue et y'a trop d'émotions là-dedans que je fais n'importe quoi ! je lui explique en crispant mes dix doigts devant mon estomac.

Les yeux verts rougis de la benjamine de notre trio vrille furtivement vers moi, intrigués par mes propos. Je suis soulagée d'avoir capté son attention, qui semble également calmer ses pleurs.

- J'aurais pu mieux te parler, aussi, confesse-t-elle en haussant une épaule, me faisant comprendre qu'elle éprouve quelques remords quant à son attitude. Je sais que tu as certains problèmes émotionnels, et je n'aurais pas dû te pousser dans tes derniers retranchements. C'est que... je m'inquiète pour toi, Ang'. Je ne veux pas que tu passes à côté de quelque chose de merveilleux... et par ça, je veux dire Dany, bien sûr !

Je souris en secouant la tête devant son manque de subtilité. Son estime sans limite pour le bouclé m'époustoufle. Elle doit percevoir quelque chose en lui que je suis incapable de déceler... ou que je refuse peut-être de voir, sans doute aveuglée par mes à priori et mes peurs. J'ai certainement tort de le comparer sans cesse au seul garçon qui ait jamais compté à mes yeux, mais il y a tant de similitudes entre eux que ça m'ait tout simplement impossible. S'il me prouvait qu'ils n'ont rien à voir l'un avec l'autre, alors peut-être que...

Des « si », toujours des « si »...

Je ne veux pas ternir l'image qu'elle a de lui, mais elle doit savoir ce qui s'est entièrement passé la veille, avant que ça dégénère entre Dany et moi.

- Hier soir, tu n'as assisté qu'à la fin de la dispute entre Dany et moi, je poursuis. Si je me suis mise dans un tel état, c'est parce que je...

Bon dieu, c'est aussi pénible à raconter qu'à le visualiser encore et encore dans ma tête...

- ... j'ai surpris Dany avec une autre fille dans ce lit... exactement à la même place où tu te trouves ! je lui révèle en haussant les sourcils et en pinçant les lèvres.

Jade se redresse d'un coup en grimaçant et en exprimant son dégoût de vive voix. Elle déguerpit de la couette comme si le tissu lui brûlait la peau. A mon tour, je me lève pour lui faire face.

Après l'harassante et longue journée que je venais de vivre, je ne rêvais que d'une soirée calme, prévoyant de me prélasser dans un bon bain moussant avec une musique relaxante et un bon verre de vin blanc. Malheureusement, des petits bruits suspects ont rapidement attiré mon attention et, qu'elle ne fut pas la désagréable surprise de découvrir Dany en train de culbuter une pétasse sous mes draps ! Et cette lueur satisfaite et provocatrice dans son œil quand je les ai surpris... il avait clairement planifié de se faire attraper en flagrant délit...

- Autant te dire que je n'ai pas très bien réagi, je poursuis en lâchant un petit rire nerveux. La pouffe blonde qu'il a ramassé s'est fait la malle dès qu'elle a compris que Dany l'avait utilisée pour me rendre jalouse, me provoquer, me blesser... ou peut-être les trois à la fois, je ne sais pas trop.

Il a quand même osé ramener CHEZ MOI cette morue blondasse de... oh, comment elle s'appelle déjà ? Pippa, Peggy... enfin, la meuf insipide qu'il a rencontré à la soirée de Morgan. Dire qu'elle s'est vautrée dans MES draps... je devrais brûler toute la literie !

- Je comprends mieux maintenant pourquoi t'as été aussi dure avec lui mais... franchement, vous êtes pires que des gosses, tous les deux ! s'exclame Jade en levant les yeux au ciel. Arrêtez vos satanés jeux, ou je ne sais pas comment vous appelez ça, mais vous vous faites du mal pour rien ! Au lieu de discuter comme les adultes que vous êtes, vous... les mots me manquent tellement cette situation est aberrante ! Va le voir et dis-lui la vérité !

Je sais qu'elle a raison, et c'est agaçant de se faire remonter les bretelles par une gamine qui sort à peine de l'adolescence et qui semble être plus mature que moi. Je dois mettre ma fierté et mes craintes de côté, et prendre sur moi pour aller confronter Dany.

- T'as une idée d'où il peut être ? je lui demande, à tout hasard.

Bien que j'étais enfermée dans la salle de bains après nos éclats de voix, je sais que Jade est restée avec lui pour essayer de le dissuader de quitter l'appartement. Elle lui a sans doute demander où il comptait se rendre.

- Il a mentionné le Borough de Hackney, le quartier où il est né... il connait des gens là-bas, mais reste à savoir s'il y est allé ou pas... Attends, je vais essayer de l'appeler.

Jade, toujours pleine de ressources !

Ma jeune amie quitte la chambre pour se diriger vers le salon, là où j'ai laissé son portable. Je la suis de près, ne voulant rater aucune miette du coup de téléphone. Elle s'empare de son iPhone avec hâte et trouve rapidement le numéro de Dany dans son répertoire. Elle clique dessus et porte le mobile à son oreille. Le volume étant à son maximum, j'arrive à entendre les sonneries défiler les unes après les autres, jusqu'à arriver au répondeur. Elle raccroche avant le bip et, sans se décourager, compose un SMS, espérant avoir une réponse rapidement.

- « Dany, s'il te plait, réponds-moi. Je veux simplement savoir que tu vas bien », lit Jade en m'adressant un regard interrogatif quant au contenu du message.

Je valide le texto d'un signe de tête et elle appuie sur la petite flèche bleue pour l'envoyer. J'espère vraiment qu'il va répondre. Je sais qu'il peut être lui aussi borné, mais par amitié pour Jade, je prie pour qu'il fasse un effort pour la rassurer.

Quelques secondes plus tard, deux bips stridents retentissent dans la pièce silencieuse et mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Jade s'empresse de consulter son écran et, au sourire qui se dessine sur ses lèvres, je comprends que l'expéditeur du message est celui que l'on espérait.

- « Je suis toujours en vie, ne t'inquiète pas pour moi », lit la blondinette avant de commencer à taper une réponse.

- « Ecoute, je me suis disputée avec Angie et c'est parti loin. Je veux me barrer d'ici. Dis-moi où tu es, que je puisse te rejoindre, s'il te plait ! J'en peux plus d'elle ! » me communique-t-elle avec un sourire machiavélique.

Bon, j'avoue que c'est une bonne technique pour essayer de lui arracher cette information cruciale, nécessaire pour que je le retrouve, mais me faire — encore — passer pour une connasse, j'adhère un peu moins.

Mais bon, comme on dit, la fin justifie les moyens... alors je vais prendre sur moi !

- « L'endroit où je me trouve n'est pas idéal pour une jeune fille, alors essaie de te rabibocher avec elle », me lit Jade une nouvelle fois.

Putain, on ne va jamais réussir à lui extorquer l'adresse de l'endroit où il se trouve. Le désespoir commence à me gagner mais, du coin de l'oeil, je vois les lèvres de mon amie se courber une nouvelle fois. Elle agite l'écran de son téléphone de manière espiègle, me faisant comprendre qu'elle est parvenue à ses fins. En prenant le portable dans mes mains, je remarque une carte et un point vert clignotant dans l'écran. Je réalise alors qu'elle a localisé son iPhone et que nous avons la localisation exacte de Dany. A mon tour, j'esquisse un sourire victorieux et envoie les coordonnées géographiques sur mon mobile, pour les rentrer sur Google Maps.

Je constate rapidement qu'il se trouve au Borough de Hackney, comme il l'avait laissé entendre. Par chance, ce n'est pas trop éloigné de Whitechapel, notre quartier à nous. Je me mets alors en route en suivant les instructions de mon GPS.

Au bout de cinq arrêts, je descends du bus, à quelques centaines de mètres du lieu où je dois me rendre. Il tombe des trombes d'eau et mon manteau noir n'est pas imperméable. La capuche, ornée de fausse fourrure est complètement trempée, les pointes collées des poils dégoulinant sur mon visage.

En courant, les flaques éclaboussant le bas de mon pantalon, j'atteins enfin le pied d'un immeuble délabré en briques rouges foncées. En relevant la tête, j'aperçois certaines fenêtres brisées, d'autres condamnées avec des planches en bois. Cette rue, tout comme ses habitations en piteux état, n'a rien de rassurante.

Si Dany se trouve vraiment à l'intérieur, cela ne présage rien de bon...

Je pousse la porte branlante de l'entrée, à moitié défoncée. J'avance prudemment dans le hall désaffecté et sale, poussiéreux, dont le sol est parsemé de feuilles mortes dans les recoins de l'entrée. Le talon de mes bottines sur le carrelage résonne dans la pièce déserte et vide de tout ameublement. Je ne suis pas vraiment dans mon élément, et mon instinct me conseille de prendre mes jambes à mon cou et de me barrer le plus loin possible d'ici. Une lampe murale, dont l'ampoule grésille, donne un aspect encore plus glauque à ce bâtiment.

Je me dirige vers les escaliers menant aux étages, ignorant par où commencer à chercher. Il doit y avoir au moins six ou sept étages, et je ne sais même pas si je vais réussir à trouver Dany dans ce dédale de couloirs.

En espérant ne pas faire de rencontres indésirables en chemin...

Un silence de plomb règne dans l'immeuble, et cela m'angoisse de plus en plus, à chaque pas que je fais. J'atteins le premier étage. Un long couloir s'offre à moi. Je compte une dizaine de portes, toutes fermées. Déglutissant, j'avance, hésitante. J'ai peur de ce que je vais découvrir si j'ouvre un de ces portes. Je glisse une main dans mon sac et agrippe d'une poigne ferme le tube de spray au poivre, qui ne me quitte jamais lorsque je sors. Je ne suis pas de nature paranoïaque, mais je préfère être prudente. On ne sait jamais sur qui on peut tomber.

Étant donné qu'aucun bruit — ou présence — ne se manifeste, je décide d'inspecter l'étage du dessus. La peinture sur les murs de la cage d'escalier s'écaille et la moquette recouvrant les marches est complètement délavée et trouée à certains endroits. De grands courants d'air glacés s'engouffrent à travers les vitres cassées. Je referme un peu plus mon manteau trempé autour de mon corps, histoire de garder le peu de chaleur qui me reste. Arrivée au second palier, je suis une nouvelle fois confrontée à un silence assourdissant. Je commence à croire qu'il n'y a personne ici. Pourtant, la localisation de l'iPhone de Dany a pointé cet endroit, ce bâtiment spécifique. Je ne m'attarde pas ici et monte au troisième étage.

Je gravis les marches sans grande conviction, convaincue que l'immeuble est complètement inhabité. Cependant, ma conviction est quelque peu contrecarrée lorsque j'entends des rires gras et masculins depuis la cage d'escaliers. Je m'immobilise, ma main libre serrant la rampe en fer forgé noir. J'arrive au troisième étage et les sons se font de plus en plus distincts. Je parviens même à distinguer quelques bribes de conversations. Je suis définitivement sur la bonne voie, même si une énorme boule se forme dans mon ventre, trahissant l'appréhension que j'éprouve à l'idée de tomber nez à nez avec ces mecs.

Sont-ils des clochards ? Des voyous ? Des dealers de drogues, peut-être ?

A cet instant, j'ai un flashback de la nuit où j'ai rencontré... où je l'ai rencontré. C'était les mêmes conditions, avec des voix qui avaient attiré mon attention. Je me revois de nouveau à Enbrook Park, un peu perdue, l'esprit embrouillé par l'alcool que j'avais consommé pour me donner le courage de m'aventurer dans ce coupe-gorge. J'ai l'impression de revivre exactement la même chose.

Je me laisse guider par les éclats de voix et de rires, desquels je me rapproche un peu plus. Petit à petit, une forte odeur d'alcool et de cannabis, qui m'était familière à une époque de ma vie, empeste le couloir. J'aperçois alors une lumière vacillante émaner d'une des portes ouvertes et je sais que ma mission touche au but. Reste à savoir si Dany est avec eux.

Je ne suis plus qu'à quelques mètres de ma découverte, et je pense ne m'être jamais autant raccrochée à mon spray au poivre qu'en cet instant. Le premier qui cherche à faire le caïd, je vais le faire saigner des yeux !

Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration avant de passer la tête dans l'embrasure de la porte. Trois types sont assis par terre, sur un espèce de tapis en mauvais état, dans ce qui semble être un salon, ou une salle à manger. Quelques meubles poussiéreux fournissent la pièce, mais rien de bien chic. Deux sont dos à moi. J'inspecte un peu plus la pièce en détail, à la recherche de Dany, mais aucun signe de lui. Un énorme baril, dont les flammes dépassent du haut, trône au milieu de la pièce, à côté d'eux, et parait être la seule source de chaleur dont ils disposent. Les trois mecs sont en train de parler en buvant des bières et, à leurs voix trainantes et pâteuses, je suppose qu'ils n'en sont pas à leur première tournée. De plus, les canettes vides et écrabouillées jonchant le sol ne font que renforcer mes présomptions.

Leur état d'ébriété avancé ne me dit rien qui vaille. Ce n'est pas prudent de rester là, seule et à leur merci. Plus jeune, cette notion de danger m'aurait grisé, et je me serais jetée dans la gueule du loup sans réfléchir à deux fois. J'étais vraiment inconsciente. Maintenant, je préfère évaluer le potentiel niveau de menace qui plane au-dessus de ma tête.

J'ai du mal à imaginer Dany trainer avec cette bande de... losers. Oui, c'est ce qu'ils sont. Le seul sur qui j'ai un visuel complet semble approcher la quarantaine. Il porte une barbe crasseuse et inégale. A moitié dégarni du crâne, il tire le peu de cheveux longs qui lui reste en une queue de cheval grasse et mince. Son gros nez aviné trahit ses années de boisson intensive, sans oublier l'odeur nauséabonde qu'il dégage. Les vêtements amples qu'il a revêtu sont tâchés, troués et ne semblent pas avoir vu une machine à laver depuis des années... tout comme lui, l'intérieur d'une cabine de douche. Et les deux autres semblent être du même acabit.

Ils me rappellent tant ses amis... en plus vieux et plus crades...

Le nombre de parallèles que je dresse entre Dany et le grand amour de ma vie, au fur et à mesure que je m'immerge dans son monde, est accablant. Comme quoi, je ne me suis pas trop fourvoyée sur son compte, après tout...

Un énorme sentiment de déception m'envahit et il ne me reste plus qu'une chose à faire : tourner les talons et me tirer d'ici. M'attarder dans ce lieu de perdition serait une terrible erreur. Si Dany fait vraiment partie de ce monde — j'ai tout de même l'espoir que son téléphone se trouve ici par pure coïncidence, ou qu'il se l'ait fait voler — il ne pourra pas graviter autour du mien. J'ai mis trop de temps et ait eu trop de mal à m'en sortir pour y replonger.

Je me raidis lorsque je sens une présence derrière moi, mon coeur battant à tout rompre. Je peux sentir le corps de la personne se pencher vers moi, son visage frôlant mon oreille :

- Tu sais que ce n'est pas bien d'écouter aux portes, murmure la voix masculine que je reconnais immédiatement.

Je me retourne d'un coup et découvre Dany, vêtu d'un débardeur kaki et d'un pantalon de la même couleur. Mon expression apeurée semble l'amuser, au vu du sourire qui étire ses fines lèvres.

- Putain, tu m'as foutu une de ces trouilles ! je marmonne, mâchoire serrée, tout en lui assénant un coup sur le torse.

Le rebelle s'épaule contre le mur, son regard bleu se baladant sur mon corps. Il semble tout de même surpris de me trouver ici.

- Qu'est-ce que tu fous là ? Et puis, comment tu m'as retrouvé, d'abord ? me demande-t-il en sortant un joint de la poche de son marcel, avant de le porter à ses lèvres. Je te manquais déjà ?

Il se penche légèrement vers moi, murmurant sa dernière question avant de reculer et me décoche un de ses sourires charmeurs qui, en général, me rendent toute chose.

- Je savais que t'aurais du mal à te passer de moi, renchérit-il avec insolence, avant d'allumer le cône à l'aide d'un briquet.

Le voilà, le bad boy dans toute sa splendeur ! Avec le package complet : une attitude rebelle, un égo surdimensionné, et une tendance à s'enfoncer dans les ténèbres... Lui aussi était exactement pareil !

Je me mets à rire en secouant la tête devant l'absurdité de son assurance.

- Ne flatte pas trop ton égo, Sharman, je le préviens, toujours hilare. T'as souillé mon espace privé avec cette grognasse blonde, et ça... je n'accepte pas. T'as dépassé les limites...

Les images d'eux forniquant dans mes draps me révulsent, et j'ai envie de le frapper pour avoir scarifié mes rétines avec cette scène écœurante.

- Oh, vraiment ? me demande-t-il, avec ironie, en recrachant la taffe qu'il vient d'aspirer. Si June batifolait avec son petit jeune dans TON lit, je suis certain que tu n'y verrais aucun inconvénient... Le problème, ce n'est pas tellement ce que j'ai fait dans ton lit.

Il se penche de nouveau vers moi, une forme de détermination scintillant dans ses iris clairs. Il est persuadé de m'avoir percée à jour, et je crains qu'il n'ait raison. Il a toujours été capable de déchiffrer l'énigme que je m'évertue à être pour lui. Et j'ai bien peur que cette fois-ci, il ne déroge pas à la règle.

- Avoue que ce qui te fait le plus chier, c'est de m'avoir trouvé avec une autre meuf... parce que tu sais que ça aurait pu être toi, si tu ne t'obstinais pas à me repousser à chaque fois !

Je suis incapable de bouger, ou même de prononcer un mot. Mon visage se referme, durcissant mes traits. Bien sûr que j'aurais aimé être à la place de cette pouffiasse, mais si je cède à ses avances, me laissant aller à embrasser les sentiments amoureux qu'il a fait naitre en moi, ça ne pourra que se finir mal. Au vu de l'expression satisfaite que Dany arbore sur son visage, mon silence semble le conforter sur cette voie.

- Tu étais verte de jalousie, je l'ai vu, et ça prouve que tu ressens quelque chose pour moi, poursuit-il avec aplomb, en jetant le mégot de son joint à moitié fumé sur le sol du couloir. Sinon, tu ne serais pas venu me débusquer jusqu'ici. Qu'est-ce qui t'effraie au point de me tenir à l'écart de toi ? Dis-moi, parle-moi !

Le bouclé pivote vers moi, sa main venant se poser sur mon épaule. Il me plaque doucement contre le mur, ses deux bras m'empêchant de m'enfuir, comme il l'avait fait dans la chambre, la dernière fois que nous avions eu une discussion à coeur ouvert, et où j'avais fini par lui avouer que je ne l'aimais pas.

Les larmes me montent aux yeux devant son insistance. Si je lui expliquais, j'ouvrirais la porte aux souvenirs d'une période que je me suis jurée d'enterrer dans les tréfonds de ma mémoire.

- Je ne peux pas... je murmure, en ravalant un sanglot.

Ma réponse semble décevoir Dany, qui ferme les yeux en lâchant un soupir de frustration.

- Angie, je vais te parler franchement. Plus de jeux, plus d'entourloupes, okay ? Juste la vérité. Tu es persuadée que je te tourne autour juste pour coucher avec toi, mais tu sais très bien que ce n'est pas le cas. Il y a plus entre nous, et ça, tu ne peux pas le nier.

Non, je ne peux plus le nier, en effet. Les sentiments que j'ai développé à son égard ont pris une ampleur effrayante, au point que je ne peux plus les ignorer. Mais je peux toujours les combattre, jusqu'à ce qu'ils disparaissent, un jour où l'autre.

- Je... je ne peux pas être celle que tu veux que je sois, je bredouille. Et tu n'es pas celui que je veux que tu sois. Peu importe ce qu'il y a entre nous, ça ne changera rien. Et cet endroit me le prouve...

Dany fronce les sourcils en entendant ma dernière remarque. Il se recule, sans décoller les paumes de ses mains du mur.

- Je peux savoir ce que tu entends par là ? me demande-t-il en penchant la tête sur le côté, le ton mécontent.

- Tu as un côté auto-destructeur, Dany, je lui explique. Regarde où tu vis ! Un squat rempli de soûlards qui ont raté leur vie. C'est qui, ces mecs, d'abord ? Et puis, tu l'as dit toi-même : tu ne vois pas un avenir reluisant pour toi. T'imaginais même finir ta vie en prison !

Il s'éloigne de moi, me libérant de son emprise. Mes propos ne semblent pas lui plaire. Il porte ses mains jointes devant sa bouche et recule, la mine pensive.

- Putain, c'est vraiment gonflé de ta part de me balancer ça dans les dents. Je tiens à te rappeler que je me suis fait virer de mon boulot et de chez moi pour avoir défendu June, et j'ai même fait de la prison pour ça ! Et t'oses me reprocher... non, non, tu me juges, là ! Tu me juges sur mes fréquentations, alors que je n'ai rien fait de mal... Je pensais avoir fait mes preuves, avoir prouvé être quelqu'un de confiance, mais c'est moi qui me suis trompé... Jai vraiment été con de croire qu'on pouvait être... qu'on pourrait s'entendre. J'ai pris des risques pour vous, pour toi, merde ! Et voilà le remerciement !

Dany est vraiment en colère. Ses poings sont serrés et son corps tremble.

- Franchement, tu t'attendais à quoi, comme réaction de ma part ? je lui demande, abasourdie par son plaidoyer, même si je dois reconnaître que ses arguments sont recevables. Tu as délibérément cherché à me provoquer en ramenant cette... pute dans mon appart' et dans mon intimité !

- J'ai seulement cherché à savoir ce que tu ressentais à mon égard ! se défend-il avec hargne. Tu ne parles pas, et tu te caches derrière des mensonges au lieu d'affronter tes sentiments. Le moyen n'était peut être pas idéal, mais j'ai au moins obtenu la réponse que je cherchais.

- Et ça t'avance à quoi, au final ? Tu te retrouves ici, à partager un appartement insalubre avec des types peu fréquentables. J'espère au moins que la réponse que tu as eu en valait la peine !

- Tu m'as viré de chez TOI, de TON putain d'appart', comme tu aimes si bien le rappeler ! exulte le rebelle. Où voulais-tu que j'aille ? Tu voulais peut être que je te supplie de rester ?

- Je ne t'ai pas viré, c'est toi qui as pris la décision de claquer la porte ! je rétorque avec fermeté.

- Quand quelqu'un me dit : « je ne veux plus jamais te voir », le message est assez clair, non ? En plus d'être égoïste, t'es de mauvaise foi !

Moi, égoïste ? Elle est bien bonne, celle là ! Décidément, c'est ma fête, aujourd'hui !

Cette joute verbale ne mènera nulle part si on s'acharne à rester sur nos positions. J'ai déjà désamorcé deux conflits ce matin... et comme on dit : « jamais deux sans trois ». Je décide alors de ne pas relever la dernière partie de sa réponse et me contente de réagir à la première.

- Les mots ont peut être dépassé ma pensée, mais tu as le don de me faire sortir de mes gonds comme jamais ! je lance, avant de soupirer pour calmer mes ardeurs. Tu ne peux pas rester ici, à perdre ton temps et à fumer du shit avec cette bande de losers !

Évidemment, il fallait que la drogue s'invite dans cette équation déjà si complexe, et marquant un point commun de plus avec lui...

- Ces mecs sont peut-être des losers, des ivrognes qui n'ont pas fait grand-chose de leur vie et qui n'ont pas la meilleure des réputations, mais au moins, je sais que je peux compter sur eux, fulmine le bouclé en montrant une nouvelle fois l'appartement. Et ils ne me jugeront pas, eux !

Je reste plaquée contre le mur, paralysée.

- En fait, t'as décidé que je n'en valais pas la peine, ne préférant voir que mes mauvais côtés plutôt que les bons, conclut-il, défaitiste et déçu. Je pensais que tu serais différente, et que tu saurais faire la part des choses, mais tu ne m'as même pas laissé une chance, putain.

Dany lâche un rire nerveux. Je m'en veux terriblement, parce que je sais qu'il a raison. Je n'ai pas arrêté de le comparer à lui, sans prendre la peine de le connaitre. Peut-être qu'il est temps que j'arrête...

- Si t'es venue jusqu'ici pour le faire la morale, tu peux te casser, lance-t-il en me tournant le dos. À chaque fois que je me permets d'espérer que les choses vont s'améliorer, le karma se charge de me ramener à la réalité en prenant un malin plaisir à fourrer mon nez dans un gros tas de merde, alors je n'ai pas besoin que t'en rajoutes une couche...

- Si je suis là, c'est pour... c'est pour...

Dany se retourne vers moi, surpris par mon début de réplique. Malheureusement, les mots n'arrivent pas à passer la barrière de ma bouche. Je lâche un nouveau soupir et réunit mon courage à deux mains pour essayer de m'expliquer.

- Malgré tout ce que tu me fais endurer, je n'arrive pas à te détester, même si ça serait plus facile pour moi. J'aimerais tellement prétendre que tu n'existes pas, que tu n'as pas marqué mon existence de manière indélébile. Mais, encore une fois, ce serait nier l'évidence, et je crois que j'ai un peu trop tendance à faire ça, ces derniers temps, je lâche en riant nerveusement. Oui, j'avoue, ça m'a royalement fait chier de te découvrir au pieu avec l'autre connasse... parce que j'aimerais vraiment me laisser aller avec toi sans... sans craindre les conséquences qui en découleraient.

Dany fronce de nouveau les sourcils mais son expression s'adoucit, paradoxalement. Je suis vraiment en train de me confier sur le plus gros problème de ma vie.

- De quoi tu parles ? Quelles conséquences ? me demande-t-il en s'approchant lentement de moi.

Ça y est... on y est...

Bien que j'avais commencé à me confier à demi-mots sur cette histoire à Hero, le faire avec Dany est différent, comme si mes prochaines paroles allaient peser sur la balance du futur de notre relation. Je suis littéralement au pied du mur et, si je ne parle pas, j'ai le sentiment que je pourrais perdre le bouclé pour toujours.

- Tu me rappelles... quelqu'un, je lui confesse finalement dans un sanglot, essuyant une larme roulant sur ma joue. Quelqu'un qui... a énormément compté pour moi, et qui a fini par me détruire. Tu sais ce qui me fait peur ? Que tu sois comme lui... qu'un matin, je me réveille et découvre que tu es le même genre de personne.

Mon coeur martèle contre ma cage thoracique. Je suis sur le point de m'engouffrer dans un passé sombre et douloureux. Suis-je prête à rouvrir les plaies qu'il m'a infligées ? Vais-je le supporter ? Je suis morte de trouille rien qu'à cette idée.

Le rebelle est interloqué par mes paroles et relève son visage à l'expression circonspecte vers moi.

- Qui était-ce ? me demande-t-il d'une voix plus calme.

Je me décolle du mur et fais un pas en direction de Dany, tout en prenant une profonde inspiration. Je ne suis plus qu'à un cheveu de revivre l'événement le plus traumatisant de ma vie. Prononcer son prénom sera lourd de conséquences, mais tant pis...

- Il s'appelait... Justin...

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