37BIS.
J'étais à un carrefour de ma vie, oscillant entre deux choix primordiaux. J'hésitais entre être une personne raisonnable et celle qui fait passer ses envies en premier, voulant brûler la chandelle par les deux bouts. Depuis toujours, l'extravagance n'a jamais fait partie de mon existence. J'ai toujours été cette fille qui ne voulait pas se faire remarquer, qui rasait les murs sans vouloir attirer l'attention, et faire sa vie tranquillement de son côté, sans causer de problèmes. Autant dire que j'étais assez ennuyeuse. Certes, je me laissais parfois entrainer par le grain de folie d'Angie, ou par la fougue de la jeunesse dont Jade fait souvent preuve, mais je ne saurais qualifier ce que je suis au sein de ce trio, ou dans la vie en général. Qui suis-je, au fond ? Mais surtout, je dois déterminer qui je veux être réellement.
Cette réponse est arrivée en même temps qu'Hero. Avec lui, je me suis découvert un côté plus facétieux, plus aventureux, plus... libéré. L'insouciance, que je pensais avoir perdue à tout jamais, à la suite des deux deuils consécutifs auxquels j'avais dû faire face, est revenue dans ma vie au moment où j'en avais le plus besoin. Seulement... j'ai été trop grisée par cette frivolité retrouvée, par cette nouvelle jeunesse qu'il m'était donné de vivre une seconde fois, plus pleinement qu'avant même, que je n'ai pas su m'arrêter quand il l'aurait fallu. Le bien et le mal n'avaient plus aucune valeur à mes yeux, jusqu'au moment où j'ai réalisé la souffrance que je causais autour de moi à cause de mon attitude irresponsable. Mais il était déjà trop tard...
*
Quelques minutes plus tôt...
Après ma discussion mouvementée avec Hero, je finis par rejoindre Polly et ses cousines, qui se dandinent toujours au son pop des Wallows. Ma jeune amie coiffeuse s'avance vers moi, les bras en l'air, balançant des hanches au rythme de la musique, un grand sourire aux lèvres.
- C'était qui, ce beau gosse qui t'a abordé ? hurle-t-elle en penchant sa tête vers moi, pour que je puisse l'entendre malgré le volume excessivement fort.
- Euh... une connaissance de Londres ! je mens, préférant éviter de rentrer dans les détails de mon histoire avec Hero.
Elle écarquille les yeux, certainement subjuguée par la neutralité de ma réponse. Peut-être aussi par la beauté du mannequin. Ou sans doute les deux...
- Wow ! Franchement, si tous les mecs sont aussi canons que lui dans la capitale, tu m'enfermes dans une de tes valises et tu me ramènes chez toi quand tu décides de rentrer ! s'exclame-t-elle en finissant sa remarque dans un éclat de rire.
Tous, peut-être pas, mais je ne peux pas nier qu'Hero est quand même au-dessus du lot, niveau physique !
Je réponds à sa boutade par un petit rire gêné avant de m'immerger de nouveau dans le flow du concert. Tandis que Polly lâche un petit cri de joie et se remet à danser en marmonnant les paroles de la chanson, je ne peux m'empêcher de repenser à toutes les bonnes paroles du londonien. Ces confessions qu'il m'a faite sont en totale contradiction avec son mode de vie. Il a été plus que clair quand à ses principes de non-engagement, de non-intimité, de non-amour et ce soir... il m'a tenu un discours à l'opposé de sa manière de vivre. Pourquoi ce revirement ? Je n'en ai pas la moindre idée !
La chanson se finit sous les applaudissements du public et le chanteur aux cheveux bleus s'approche du micro pour nous informer que le prochain titre est une ballade intitulée « Uncomfortable ». Ce titre pourrait résumer les longues minutes que j'ai passées en compagnie d'Hero. Les premiers accords de guitare résonnent dans les baffles, avant qu'un doux riff envoûtant s'empare de la foule qui se calme et se balance à l'unisson d'un côté à l'autre. Polly ne tarde pas à passer un bras par-dessus mes épaules, imitant Lili et Maddie, qui se tiennent par le cou, les yeux rivés sur la scène. Nous formons une chaine de quatre filles en train de suivre la cadence de la musique. Je dois avouer que ce petit moment est fort agréable. Il me permet de me sortir momentanément Hero de la tête et j'accueille ce répit de l'esprit avec joie. Bien que je ne connaisse pas les paroles, je me contente de fredonner l'air entêtant, à l'inverse de mes nouvelles copines, qui semblent connaitre la chanson sur le bout des doigts.
Au moment où le guitariste s'apprête à entamer le refrain, une main se pose sur mon épaule et j'aperçois Liam derrière moi, souriant. Je me retourne vers lui, interrompant la chaine que je forme avec Polly et ses cousines, et me mets sur la pointe des pieds, compte tenu de sa grande taille, pour lui hurler à l'oreille :
- T'es autorisé à prendre autant de pauses pendant une soirée aussi chargée ?
A son tour, il se penche vers moi pour s'écrier près de mon visage :
- Je ne suis pas trop motivé à travailler, ce soir, répond-il avec un sourire suggestif, me faisant comprendre que je suis une distraction à ses yeux. Et puis, y'a mes autres collègues qui vont très bien s'en sortir sans moi... S'ils ont besoin, ils savent où me trouver. En attendant, tu veux danser ?
Il se redresse et ouvre ses bras, en attendant ma réponse. J'en hausse mes sourcils de surprise tant je suis prise au dépourvu par sa suggestion. La dernière fois qu'on a partagé un slow tous les deux remonte à plus de quinze ans en arrière. Cela devait être pour le bal de fin d'année, malgré mon âme endeuillé par le décès de mon père, survenu à peine un mois plus tôt. Tout le monde avait insisté pour que je participe au dernier évènement de ma vie de lycéenne, qui devait me changer les idées, et j'avais fini par prendre une cuite royale à la bière, effaçant la plupart des souvenirs de cette soirée pourtant qualifiée d'inoubliable. Liam m'avait naturellement accompagnée, en qualité de petit-copain, et s'était montré d'une compréhension et d'une gentillesse hors norme.
Après quelques secondes de réflexion, j'accepte la proposition de mon ami et viens me lover contre lui. Ma tête se pose doucement contre son torse, tandis qu'un de mes bras entoure sa taille et mes doigts viennent se poser sur son biceps. Quant à lui, ses mains atterrissent sur mes hanches, et nous commençons à tourner lentement sur nous-mêmes. Son menton barbu se pose délicatement sur le haut de mon crâne. Je ferme les yeux pour mieux apprécier ce moment. Je m'aperçois alors qu'une certaine forme d'intimité subsiste encore entre nous, malgré le temps qui passe. Une sensation familière de réconfort m'envahit alors. Je me laisse complètement habiter par l'ambiance autour de moi : cette musique apaisante et les bras de Liam m'encerclant.
Cette sérénité ne dure pas longtemps, à mon grand dam. Essayant tant bien que mal de faire le vide dans ma tête, je le sens. Son regard. Lorsque j'ouvre les yeux, j'aperçois Hero accoudé sur le muret de la jetée, surplombant la plage, ses iris verts verrouillés sur moi. Même à cette distance, ses prunelles brûlent ma peau. Suis-je en train de me consumer sous son regard ? J'en ai bien l'impression. J'ai, par la même occasion, la certitude que ce n'est pas lui qui m'a suivi toute la journée. Je l'ai cru quand il a clamé son innocence devant mon accusation. En voilà la preuve, parce qu'il n'y a que lui pour provoquer autant d'émotions contradictoires au plus profond de mon être, quand ses yeux sont braqués sur moi. Et, aujourd'hui, quand je me sentais épiée, ce n'était pas du tout la même impression qui surgissait.
Malgré la meilleure volonté du monde, je suis incapable de détourner mon attention de lui. J'ai envie de lui en vouloir, ce serait tellement plus facile de le détester. Mais je n'arrive pas à m'y résoudre. Ca m'embête de l'admettre, mais ses mots m'ont plus que touchés et, bien que mes meilleurs instincts me conseillent de me méfier, j'ai envie de lui accorder une seconde chance. Peut-être que c'est l'effet de ses yeux posés sur moi, de sa proximité, de l'avoir revu, je l'ignore, mais je suis sérieusement en train de considérer cette option. Une personne raisonnable ne prendrait pas le risque de se faire bernée une seconde fois. Mais... ai-je envie d'être raisonnable ? Tout ce que je sais, c'est qu'avec Hero, il n'y a pas de demie-mesure, et il me donne envie d'être irréfléchie. Et puis, il est venu me retrouver jusqu'ici... Il y a tellement de pour dans cette liste, mais il y a également un gros contre : son attitude imprévisible. S'il est vraiment sincère, comme il prétend l'être, alors il ne peut pas faire pire que samedi soir. Enfin, je l'espère.
Je lui tourne à présent le dos, mais je sais — je sens — qu'il continue de me fixer. Comme la fois où j'ai cédé à ses avances, je me sens belle et désirable à travers son regard. C'est un sentiment grisant auquel il est difficile de résister. Je finis par lui faire de nouveau face et, comme je le pressentais, il est à la même place, cette même expression plaquée sur son visage. Même s'il est assez loin, j'y lis ce qui s'apparenterait à... de la jalousie ?
Jaloux ? Non, Hero ne peut pas l'être. Il n'est pas du genre à tomber amoureux, comme il me l'a si bien répété quelques minutes plus tôt. Pourtant, il a évoqué la peur que notre « relation » puisse dépasser le stade du simple coup d'un soir occasionnel. C'est certain qu'il ne parlait pas pour lui. Mais le fait qu'il veuille devenir « monogame » dans ce domaine... tout ça est vraiment contradictoire. Qu'est-ce que ça veut dire, au juste ?
Je ne veux en aucun cas me lancer dans une nouvelle relation amoureuse. Je ne suis pas prête pour ça, et puis, je ne le souhaite pas. J'ai assez souffert comme ça, donc la perspective de m'amuser et de prendre du bon temps est plus qu'alléchante. La seule question qui se pose est : Hero est-il la bonne personne pour ça ?
Alors que je m'apprête à lui tourner une nouvelle fois le dos, je le vois se redresser et quitter sa place, jusqu'à ce qu'il disparaisse de mon champ de vision. Où va-t-il ? Va-t-il débarquer comme un cheveu sur la soupe pendant ce slow ? Je m'arrête de danser, sous les yeux étonnés et inquiets de Liam, tandis que les miens s'attardent sur la place désormais vide qu'Hero occupait jusqu'à maintenant. La brûlure que son regard me procurait a disparu, tout comme lui. Et, étrangement, je me sens orpheline de sa présence. Un de mes objectifs, en venant me mettre au vert dans ma ville natale était de l'oublier. Et maintenant, je me retrouve à le manquer. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive, bon sang ?
- Tout va bien ? s'enquiert Liam, un air concerné sur le visage.
Je détourne alors mon regard de la jetée pour lui faire face. J'arbore alors un sourire forcé pour le rassurer.
- Oui... ça va, je lui réponds en hochant la tête, pour appuyer mes — faux — propos.
Vais-je bien, en y réfléchissant bien ? Je l'ignore. Je ne vais pas bien depuis un moment, et les seules fois où mon esprit s'autorisait à penser à autre chose, ou même à s'accorder un répit dans tous les tourments qu'il affrontait, c'était avec Hero... même si le remède s'est rapidement transformé en poison !
- Tu veux peut-être aller boire un verre ? me propose-t-il.
J'accepte sa proposition et avertis Polly de ma désertion temporaire. Je suis Liam à travers la foule et monte les escaliers menant à la jetée. Une queue impressionnante se tient devant la buvette et mon ami se rue derrière le comptoir pour venir en aide à ses deux collègues débordés. Les voyant s'affairer comme des fous pour servir les clients le plus vite possible, je décide de les rejoindre pour leur apporter mon aide. En examinant la longueur de la queue, nous ne serons pas trop de quatre pour honorer les commandes. Liam semble surpris de me voir débarquer dans la zone de travail mais, d'un signe de tête, je lui fais comprendre que je suis prête à remplir la tâche qu'il m'incombera. Il me charge de m'occuper des bières, tandis qu'il s'occupe d'encaisser. Les verres défilent alors entre mes mains à une vitesse impressionnante. De ce fait, je ne vois pas le temps passer et j'ai momentanément sorti Hero de ma tête.
Il est bientôt onze heure et demie, ce qui signifie la fin du concert. Après avoir interprété la dernière chanson, chaque membre du groupe énonce un petit discours de remerciements à l'attention des organisateurs du festival pour l'invitation, ainsi que le public, qui « a été particulièrement chaud, ce soir » selon le chanteur aux cheveux bleus. Les musiciens se retirent de la scène en saluant les gens sur la plage et les stroboscopes s'éteignent, plongeant la rivage dans une obscurité relative. Les personnes présentes commencent à se disperser par petits groupes. Ils cherchent tous un bon point de vue pour admirer le feu d'artifice d'inauguration des festivités.
Depuis la buvette, je dois avouer que nous ne sommes pas trop mal placés. Nous ne sommes pas totalement face à la Manche, mais nous avons un bon panorama. En général, le feu d'artifice est lancé au-dessus de la mer, donnant un aspect encore plus féerique au spectacle, avec le reflet des scintillements sur l'eau couleur d'encre. D'ailleurs, ça ne devrait pas tarder à commencer.
Quelques secondes plus tard, un bruit sec éclate dans nos tympans, résonnant dans l'immensité du large, en même temps qu'un flash de lumière rouge illumine le ciel, retombant en filins étincelants sur l'eau. D'autres explosions colorées s'ensuivent, sous les regards émerveillés des habitants et des touristes. Des cris d'ébahissement se font entendre dans la foule. Je suis moi-même complètement subjuguée par ce spectacle, quitte à en oublier de faire couler la bière dans les verres des commandes qui se succèdent. Je me reprends rapidement, même si je jette de temps à autre un coup d'oeil aux gerbes flamboyantes qui éclairent le ciel.
Après plus d'une demi-heure de pétarades, le calme et l'obscurité s'abattent de nouveau sur la plage. Des applaudissements émergent pendant quelques secondes et, cette fois-ci, les gens désertent pour rentrer chez eux. La première soirée du Sandgate Sea and Food Festival est à présent terminée et a été couronnée de succès. J'ignore ce qu'il y a au programme le lendemain, mais ils ont commencé fort.
Cette journée a décidément été riche en émotions. En me levant, ce matin, je n'aurais jamais imaginé ce qui m'attendait : retrouver deux personnes de mon passé, et revoir Hero, qui a fait tout ce chemin pour me convaincre de lui pardonner son comportement idiot du weekend dernier. J'ignore ce qui est le plus surprenant entre les deux.
Je commence à ressentir les premiers effets de la fatigue et je préviens Liam que je compte rentrer. Les clients se font de plus en plus rares, le gros rush étant passé.
- Je te raccompagne, si tu veux, me propose-t-il.
Il a été distrait à plusieurs reprises à cause de moi, et je ne veux pas qu'il risque sa place à cause d'une absence injustifiée. Certes, ma grand-mère habite de l'autre côté du village, mais ce n'est pas si loin que ça, au final. Malgré tout, la pensée du harceleur qui m'a suivi toute la journée ne me rassure pas. M'aventurer seule dans les rues de Sandgate n'est peut-être pas une si bonne idée que ça...
- Et ton boulot ? je lui demande. Je ne veux pas t'attirer d'ennuis...
- Mon patron est trop paresseux pour faire un tour ici, surtout à cette heure-ci. On va bientôt fermer de toute façon, et mes deux collègues me couvriront. Ne t'inquiète pas pour ça.
Je ne veux pas mettre sa parole en doute, mais je ressens un certain malaise à le monopoliser autant, alors qu'il a des obligations professionnelles.
- June, il y a à peine dix minutes de marche, m'assure-t-il en riant. Je préfère te raccompagner et te savoir saine et sauve chez toi, plutôt que de rester ici et m'inquiéter. Avec les festivités, on ne sait jamais quel genre de tarés peuvent atterrir ici. Dans vingt minutes, je serais de retour pour aider à plier la buvette.
Devant son argumentation — et ma paranoïa sous-jacente — je finis par accepter sa proposition de m'escorter jusqu'à la maison de ma grand-mère. Liam avertit ses collègues qui, d'un signe de tête, lui donne leur approbation. Nous nous mettons alors en marche dans les rues animées de Sandgate. Mon ami glisse ses mains dans ses poches, en pinçant ses lèvres. Je le regarde du coin de l'oeil. Le connaissant, soit il est gêné par le silence qui règne entre nous, soit il a une question à me poser qui lui brûle la langue. Je penche plus pour la seconde option.
- Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais... ce mec... c'est qui exactement pour toi ?
Je le savais !
- Et, rassure-moi... ce n'est pas lui qui... t'a fait... tu sais... bafouille-t-il, en agitant sa grande main devant mon visage.
Il fait référence à mes hématomes toujours visibles. Bien évidemment, je lui réponds qu'Hero n'est en aucun cas responsable de ce carnage facial, si ce n'est ma maladresse. Le mensonge me semble une meilleure idée, ne voulant plus évoquer cette ordure de Matt. Tout comme ma grand-mère, je ne veux pas l'inquiéter.
- Donc, ce... Hero... quel drôle de prénom ! Il est... vous êtes...
- Je te trouve bien curieux ! je le taquine en riant. Si tu veux tout savoir... et je vais te surprendre, je me suis lancée dans l'aventure des... coups d'un soir !
Les yeux bleus de Liam s'écarquillent et il s'arrête même de marcher tant cette révélation le sidère. Bouche bée, il continue de me fixer en secouant la tête de surprise.
- Vraiment ? s'étonne-t-il. Toi, June Robbins, tu t'adonnes aux plans cul avec des inconnus ? Je n'aurais jamais cru entendre ces mots sortir de ta bouche !
- Des inconnus, des inconnus... calme-toi ! je le reprends en riant. Non, y'a juste eu Hero.
- Et... qu'est-ce qui t'a poussé à tenter une expérience aussi opposée à tes principes, ou même à ton caractère ?
Je ne sens aucune moquerie dans sa voix. Liam est vraiment intrigué par mon changement de mode de vie. Je ne suis plus la même June qu'il a côtoyé, il y a plus de quinze ans. Mais je dois avouer que ce genre de décisions reste très surprenant, venant de moi.
- Après cette relation de cinq ans qui venait de se terminer brutalement, au lieu de m'apitoyer sur mon sort, Angie m'a conseillé de sortir des sentiers battus et d'explorer ce que la vie avait de mieux à nous offrir. Et puis, j'ai fait la connaissance d'Hero et tout s'est très vite enchainé...
- Il est quand même un peu... jeune, non ? ajoute-t-il.
- Je crois qu'on a une dizaine d'années d'écart, quelque chose comme ça, je réponds. Mais je ne suis pas très regardante, surtout pour ce genre de pratique. Si c'était une relation plus sérieuse, ce serait différent, bien sûr, mais ce n'est pas le cas. Et puis, un partenaire reste un partenaire, tu sais...
- Donc, si je suis bien ton raisonnement, tu serais prête à donner dans la gériatrie, avec des hommes de soixante ans et plus ? me demande l'australien en explosant de rire. Tu sais que les vieux libidineux raffolent des jeunes demoiselles comme toi !
- Ah non, faut pas abuser quand même ! je pouffe, grimaçant à cette idée, tout en lui assénant une petite tape sur le bras. Ma limite d'âge ne dépasserait pas la quarantaine, je pense... ou grand max, quarante-cinq ans ! Y'a encore des hommes potables dans cette tranche d'âge-là, comme Leonardo DiCaprio ! Mais au-delà... c'est un non catégorique ! Et dans l'autre sens, je ne pécherais avec aucun jeune garçon en dessous de vingt ans !
Nous rions pendant quelques secondes en remontant la rue qui même vers la route principale.
- Et toi, comment as-tu géré ton après-divorce ? je lui demande, ayant retrouvé mon sérieux.
- Je suis parti quelques temps en Australie, pour être entouré de ma famille, m'apprend mon ami. J'avais besoin de leur soutien pour passer cette mauvaise passe. J'ai également retrouvé beaucoup d'amis d'enfance, et ça m'a reboosté. Quand je me suis senti d'attaque, je suis revenu en Angleterre pour me consacrer à mon objectif premier : commercialiser ma bière. Étant donné que ma vie privée est à jeter aux toilettes, je mise tout sur ma carrière professionnelle.
Je comprends tout à fait sa démarche. Sans Angie et Jade, je pense que j'aurais sombré dans la tristesse. Une rupture, c'est la fin d'une aventure, mais aussi le commencement d'une nouvelle et, aussi difficiles que soient les débuts, on finit toujours par en ressortir plus fort.
- Il ne faut pas dire ça, je lui réponds. Je suis certaine qu'une femme fabuleuse t'attend quelque part. Il ne faut pas désespérer...
- Dixit celle qui se tape un mec de vingt piges par dépit, après une rupture amoureuse ! se moque-t-il.
Pour la seconde fois, je lui donne un petit coup de poing dans l'épaule, et Liam feint d'avoir atrocement mal avant de partir dans un fou rire.
- Quels sont tes projets à toi, maintenant ? me demande-t-il, ayant regagné son sérieux.
Je lui révèle alors que je souhaite poursuivre dans la photographie, surtout après les encouragements et les félicitations que j'ai reçus à la suite du photoshoot pour ES London. J'espère qu'une opportunité du genre se représentera bien assez tôt, de cette façon, je pourrais laisser tomber mon emploi au Crest Of London pour me consacrer pleinement et professionnellement à ma passion.
- Je te souhaite d'y arriver, ajoute-t-il avec un grand sourire.
Je souris à mon tour avant de renchérir avec enthousiasme :
- Et nous fêterons nos succès respectifs en nous soûlant à grandes gorgées d'Austr'Ale !
Liam s'arrête de marcher et, lorsque je m'en aperçois, je l'imite avant de me retourner et de revenir vers lui.
- C'est une promesse ? me demande-t-il en plongeant son regard bleu dans le mien.
Je hoche la tête en lui tendant la main, pour sceller cet accord. Il ne tarde pas à glisser sa paume contre la mienne avant de la secouer doucement.
Lorsque nos mains se séparent, je m'aperçois que nous sommes arrivés devant la pente en gravier menant à la maison de ma grand-mère. Je lève la tête vers le chemin sombre avant de reporter mon attention sur mon escorte.
- Merci de m'avoir raccompagnée, je lui dis en souriant.
- Ce n'est rien.
Il se penche vers moi, en ouvrant ses bras. J'accepte son étreinte en posant mes mains sur son dos musclé. Je peux sentir les années de surf flotter sous sa chemise. Je me dégage de cette accolade, un peu gênée.
- Si tu ne fais rien demain, on pourrait trainer ensemble, me propose Liam. En période de festival, je ne bosse pas la journée.
- J'ai promis à ma grand-mère de rester avec elle, je lui réponds. Ca ne fait qu'un jour que je suis là et, si je suis venue ici, c'est aussi pour passer du temps avec elle. Mais peut-être plus tard dans la semaine...
L'australien semble un peu déçu par ma réponse, mais se reprend rapidement avec un sourire.
- T'inquiète, je comprends. On s'appelle, alors... Bonne nuit, June.
- Bonne nuit, Liam.
Il commence à reculer avant de se retourner et entreprendre le chemin inverse vers la plage. Ma soirée s'achève ici, la sienne peut encore se prolonger selon la fréquentation de la buvette. Je commence à remonter la pente gravillonneuse et remarque rapidement que la lumière du perron est allumée. Habituellement, elle ne se déclenche que lorsqu'elle détecte un mouvement. Une vague de panique m'envahit et, le portable à la main, je suis sur le point d'appeler la police. Et si c'était la personne qui m'a suivie toute la journée ? Je sais pertinemment que ce n'est pas ma grand-mère qui fait le pied de grue devant la porte à cette heure-ci.
Je compose le 999 sur mon portable et appuierais sur le bouton d'appel en cas de danger. Je continue de remonter, apercevant le toit de la maison. Plus j'avance, et plus la maison se dévoile à moi. En arrivant en haut de la côté, le coeur battant, je découvre, à ma grande surprise... une moto. Enfin, pas n'importe quelle moto. Sa moto. Son satané engin de la mort. Je lâche un soupir de soulagement en remarquant Hero, assis sur le petit trottoir en béton entourant les murs extérieurs de la maison. Lorsqu'il entend mes pas sur le gravier, il relève la tête vers moi, et se redresse rapidement. Je m'approche de lui, abasourdie de le voir devant la demeure d'une partie de mon enfance.
- Hero ? Qu'est-ce que tu fais là ? Je pensais que tu étais reparti.
- Euh... ouais, c'était le plan, mais je n'aime pas conduire la nuit et j'ai essayé de trouver un hôtel, mais... je suis allé jusqu'à Folkestone mais tout était complet alors... j'ai pensé que... peut-être...
Il marque une pause, mais je devine facilement la suite de sa phrase.
- Non, non, non, non, non, je m'exclame telle une mitraillette, en écarquillant les yeux et en lâchant un petit rire nerveux. Tu ne peux pas dormir ici. Qu'est-ce que ma grand-mère va dire si elle te voit ?
- Ecoute, je sais que j'ai dit que je te laisserai du temps et de l'espace et, si j'avais eu le choix, je ne serais pas là. Je ne veux pas que tu croies que je veux profiter de ta bonté... ou de toi, ou de quoi que ce soit venant de toi. Mais je suis vraiment au pied du mur. Et puis... c'est juste pour quelques heures, June. Je te promets qu'aux premières lueurs du jour, je déguerpirais aussi vite que possible. Ta grand-mère ne me verra pas...
Serais-je vraiment un monstre si je le laissais dehors, livré à lui-même ? Je sais, en tout cas, que ma conscience me ferait un procès si je ne l'invitais pas à rester ! Quant à ma raison, elle hurle que c'est une très mauvaise idée... Que faire ?
Après quelques secondes d'hésitation, je finis par céder et me dirige vers la porte d'entrée, talonnée par Hero, qui n'en finit pas de me remercier. J'allume la lumière de la cuisine et fais rapidement un tour du propriétaire à mon invité surprise. En me retournant, je constate que ce dernier examine les photos trônant fièrement sur les divers meubles de la pièce. Un petit sourire amusé étire ses lèvres pulpeuses lorsqu'un cliché en particulier attire son attention.
- C'est toi, ça ? me demande-t-il d'une voix surprise, en pointant une fillette aux yeux marrons rieurs et aux cheveux bruns coupés au carré, dont la frange arrivait à la limite en dessous des sourcils, dévoilant un sourire avec des dents manquantes.
Il s'empare du cadre en bois sombre pour me montrer la photo et je suis obligée d'admettre qu'il s'agit bien de moi, non sans lâcher un petit rire. Je devais avoir cinq ans à peine et, je me souviens que ma grand-mère avait absolument tenu à ce que mes cousins Colleen, Sullivan et moi fassions toute une série de portraits individuels et groupés chez un photographe professionnel.
- T'étais vraiment mignonne, s'exclame-t-il en reposant le cliché à sa place.
Mes joues rougissent légèrement sous l'effet de son compliment, même si c'est ma version enfantine qui le reçoit. J'essaie de me reprendre avant de lui montrer l'endroit où il va dormir.
Nous arrivons devant le salon, dans lequel nous pénétrons. Je m'arrête devant le canapé et remarque l'accoudoir en bois qui risque d'être inconfortable sous la tête d'Hero. Malheureusement pour lui, il n'est pas convertible. Comme la plupart des meubles habillant les pièces de cette maison, ils ne sont pas récents. Peut-être qu'avec un oreiller très épais —ou plusieurs — il ne sentira pas la rigidité du bois...
- Euh... je n'ai pas mieux à t'offrir, je lui annonce, gênée, en me tournant vers lui.
Hero examine le canapé et semble s'en contenter.
- Ne t'inquiète pas, j'ai connu pire, lâche-t-il en s'asseyant sur le tissu en velours du canapé. Il est très confortable, ça fera l'affaire. Et puis, je te l'ai dit, c'est seulement pour quelques heures.
Je me dirige alors vers ma chambre pour aller chercher un drap, une couverture et un oreiller. « J'ai connu pire ». Je n'ose imaginer à quoi il fait référence, mais j'ai un pincement au coeur à cause du ton peiné sur lequel il m'a dit ça. Cela a certainement un rapport avec son père et ce qu'il lui fait.
Je reviens au salon, où je découvre Hero torse nu, en train de se déshabiller. Il a déjà retiré sa veste noire en cuir, posée sur l'un des deux fauteuils assortis au canapé, ainsi que son indémodable tee-shirt blanc. Ses mains s'attaquent au bouton de son jean. Je détourne rapidement le regard et dépose les affaires pour son lit de fortune sur l'autre fauteuil.
- Euh, si tu as faim, ou soif, tu peux te servir. Et les toilettes sont à droite au bout du couloir, je lui énonce avant de faire demi-tour et sortir de la pièce, sans lui laisser le temps de répondre.
J'entends un « merci » lointain et entre dans ma chambre tout en refermant brusquement la porte. Je grimace en réalisant à quel point je manque de discrétion, ma grand-mère dormant dans la chambre d'en face. J'espère ne pas l'avoir réveillée. Pourquoi suis-je aussi mal à l'aise en sa présence ? Non, ce n'était pas vraiment de l'embarras, à vrai dire, mais plutôt... de la timidité. Putain, il me fait vraiment redevenir cette adolescente de quatorze ans manquant cruellement de confiance en elle ! Et puis, la situation étant un peu bizarre entre nous, j'ignore comment me comporter avec lui. Il me fait ressentir tellement de choses à la fois que c'est vraiment confus dans ma tête.
J'essaie de me calmer et commence à me déshabiller. J'enfile un tee-shirt rose avec un lapin dessus et, alors que je fouille dans mes bagages, je n'en crois pas mes yeux quand je sors l'horrible short rose à dentelles qu'Hero déteste tant. Je ne savais même pas que je l'avais pris. J'ai dû l'embarquer inconsciemment avec le reste de mes affaires. Je me mets à rire en pensant à sa tête s'il le voyait.
Non, non, non ! Hero ne verra pas le short... ni rien d'autre !
Je secoue la tête, balayant cette pensée de mon cerveau. Je retire la couette pour me glisser dans le lit avant de la rabattre sur moi et éteins la lumière. J'enfonce ma tête profondément dans l'oreiller, espérant trouver le sommeil le plus vite possible, mais mon esprit est distrait et s'éparpille dans tous les sens. J'attrape mon portable, que je n'ai pas consulté depuis ce matin et décider d'aller sur Instagram. Un petit cercle rouge apparait en haut à droite de mon écran, m'indiquant que j'ai reçu un message. Je clique dessus et découvre que Felix a répondu à ma story. Je m'empresse d'ouvrir sa réponse :
« Définitivement une tête à bobs haha ! Mais je te préfère avec ma casquette ! 😜 »
Je ne peux m'empêcher de sourire devant sa réplique. J'ai horreur des bobs. J'appuie deux fois sur la bulle contenant ses mots et un petit coeur rouge apparait en dessous à droite. Je reviens sur le fil de mon actualité pour voir l'activité des gens auxquels je suis abonnée, mais rien de bien passionnant n'accroche mon regard. Je repose mon téléphone sur la table de chevet et me retourne pour trouver une bonne position.
Une heure et demie plus tard, mes yeux sont encore grand ouverts. Morphée ne veut vraiment pas de moi, ce soir... ni le marchand de sable. Il a dû sauter mon adresse ! Je me redresse en position assise et allume la petite lampe de chevet. Il est presque trois heures du matin et ma nuit s'annonce longue. Je n'ai pas forcément envie de me taper une nuit blanche. Je ne vais pas rester à tourner en rond comme un lion en cage, en proie à mes nombreuses pensées, toutes inévitablement dirigées vers une seule et même personne se trouvant à une certaine proximité. Peut-être un verre de lait chaud m'aidera à engourdir mon esprit trop bavard.
Je sors du lit, revêt mon short — je ne vais pas déambuler en culotte sachant qu'Hero est à côté — et quitte ma chambre. A pas de loup, je me dirige vers la cuisine, passant devant le salon. La porte est à moitié refermée et, la curiosité l'emportant, je ne peux m'empêcher d'y jeter un coup d'oeil. Une faible clarté, filtrée à travers les volets en bois, me donne un sombre aperçu du canapé. Ce qui me frappe en premier, ce sont les deux grands pieds d'Hero dépassant de son lit d'appoint, reposant sur l'accoudoir en bois. Je n'ai pas pris en compte sa taille lorsque je lui ai proposé de dormir ici. Il risque d'avoir mal aux chevilles et aux jambes quand il va se réveiller. Je l'entends remuer également, devant probablement chercher la position la plus confortable.
Bon courage !
Je décide de poursuivre ma route et atterris dans la cuisine. J'ouvre la porte du réfrigérateur et m'empare de la bouteille de lait. Dans un des placards, j'attrape un verre et y verse le liquide blanc. Je le passe un peu plus d'une minute au micro-ondes avant d'en boire une gorgée. Je pose le verre sur le meuble et mes yeux se reportent de nouveau vers la porte du salon. Comment se fait-il que je sois autant attirée par lui ? Et qu'il me fasse tant d'effet ? En venant ici, je lui en voulais à mort pour l'humiliation qu'il m'avait fait subir et, maintenant, je me retrouve à éprouver de la peine pour lui. Qu'est-ce qui m'arrive ? Qu'est-ce qu'il est en train de me faire ?
Je finis mon verre et le pose dans l'évier avant de sortir de la cuisine. Une nouvelle fois, je m'arrête devant le salon et l'entends de nouveau bouger. J'ignore si c'est ma conscience, ma bonté infinie ou autre chose, mais mes doigts viennent toquer à la porte, sans que je réfléchisse vraiment à mon geste.
- Tu dors ? je chuchote dans entrebâillement.
- Pas vraiment, souffle-t-il. Et toi, qu'est-ce que tu fais debout ?
J'ouvre la porte mais reste sur le seuil. Il est assis, le dos contre l'accoudoir. Ca ne doit pas être agréable, malgré l'oreiller qui doit adoucir la dureté du bois.
- J'ai une proposition à te faire... et je n'en reviens pas de te suggérer ça, mais ça m'embête de te voir galérer sur ce canapé, je commence en levant les yeux au ciel. Alors voilà : si tu cherches un peu plus de confort, je veux bien partager mon lit avec toi, mais tu restes de ton côté, d'accord ?
Il se lève, n'étant vêtu que de son boxer et s'avance vers moi. Mes yeux remontent rapidement vers son visage. Au fur et à mesure qu'il approche, je remarque ses sourcils froncés et son expression confuse.
- T'es certaine que ça ne te gêne pas ? me demande-t-il en passant une main dans ses cheveux.
- Tant que tu gardes tes mains pour toi, non, ça ne me gêne pas, je lui réponds.
- Okay... mais je pourrais exiger la même chose de toi, réplique-t-il avec un léger sourire entendu et en arquant un sourcil avant de passer devant moi pour aller dans ma chambre.
Je fais rouler mes yeux en secouant la tête. Malgré son toupet, un sourire s'affiche également sur mon visage. Je le suis et referme la porte derrière moi...
________________________________________________________________________________
******
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top