35TER.
[ANGIE]
*
Des bruits sourds parviennent à mes oreilles endormies. Une fois... deux fois. Comme si, comme si quelqu'un donnait de grands coups contre... quelque chose. Je fronce les sourcils et enfonce un peu plus ma tête dans l'oreiller, dans l'espoir d'atténuer le branle-bas de combat qui se joue à quelques mètres de moi. Après le départ de June, au fil des heures, mon après-midi s'est compliquée plus que je ne l'aurais souhaité, et j'aimerais passer une nuit plus calme que l'a été ma journée. Mes yeux restent fermés et je tente de faire abstraction du brouhaha.
- June, ouvre cette porte ! s'écrie une voix masculine qui ne m'est pas du tout inconnue.
Cette fois-ci, mes paupières se relèvent d'un coup et mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Je m'accoude contre le matelas, histoire de m'assurer que je n'ai pas halluciné ce que je viens d'entendre. Je tourne la tête vers Jade, qui dort profondément à côté de moi. Elle ne semble pas perturbée par ce qui se passe au bout du couloir. Une seconde voix s'élève et je reconnais immédiatement celle de Dany, mais les mots restent indistincts.
Je me lève, enfile ma robe de chambre rose, en prenant soin de nouer la ceinture autour de ma taille et m'avance près de la porte dans le noir. Je tends l'oreille contre le bois pour tenter de capter des bribes de la conversation.
- Tu ferais mieux de rentrer chez toi, mec, l'avertit calmement Dany.
- Parce que tu penses que tu vas m'empêcher de voir June ? pouffe la voix que j'identifie rapidement comme celle d'Hero. Tu vas faire quoi ?
Je m'engouffre à grande vitesse dans le couloir pour empêcher un nouveau massacre. Il y a eu assez de violence cette semaine, et je voudrais attaquer la prochaine dans le calme et la sérénité, sans drame ni séjour à l'hôpital. Je m'arrête à hauteur de Dany, seulement vêtu de son boxer, qui vient juste de bousculer Hero. Ce dernier recule de deux pas avant de revenir à la charge. Le sourire moqueur qu'il arborait disparait pour faire place à une expression revancharde. Le regard menaçant, les lèvres pincées, il se rue sur Dany, prêt à lui fondre dessus. Je m'interpose entre eux et, lorsque Hero m'aperçoit, il s'arrête dans son élan.
- Non, mais vous avez vu l'heure qu'il est, les mecs ? je les réprimande, en leur envoyant une œillade meurtrière à chacun. Hero... qu'est-ce que tu fous, ici ?
Je soupire en me frottant les yeux, pour tenter d'y voir clair, étant donné que les deux mâles alpha autour de moi préfèrent la bagarre à la diplomatie.
- Je dois voir June. Il faut que je lui parle, me répond-il.
- Il est hors de question que tu entres, intervient Dany, en faisant un pas vers lui, sans le lâcher du regard. Tu ne crois pas que tu lui as fait assez de mal ?
Je pose une main sur l'épaule dénudée du bouclé pour le faire reculer. Bien évidemment, il ne me facilite pas la tâche et ne scille pas. J'exerce une nouvelle pression — plus forte que la précédente — au niveau de son bras pour le faire bouger. Il se décide finalement à faire un pas en arrière, ce dont je le remercie silencieusement. Décidément, trop de testostérone les empêchent de réfléchir comme des personnes civilisées !
- Dany, ne te mêle pas de ça, s'il te plait, je lui demande d'un ton las en me tournant vers lui. Je contrôle la situation. Retourne dans ton lit, je m'en occupe...
Celui-ci m'adresse un regard assassin.
- Tu veux plutôt dire « ton » lit... ou non, c'est même pas un lit, c'est « ton » canapé, comme on est chez « toi » ! crache-t-il en insistant bien sur les adjectifs possessifs, avant de nous fausser compagnie en direction du salon.
- Wow, pouffe Hero en lançant un regard moqueur envers Dany, qui lui tourne le dos. Moi qui te prenais pour un gros dur, tu te laisses dicter ta conduite par une fille... C'est triste...
Le mannequin croise les bras contre sa poitrine et baisse la tête pour cacher le sourire narquois qu'il affiche. Le bouclé s'arrête et se retourne vers nous. Il n'hésite pas avant de rebrousser chemin pour se coller à quelques centimètres d'Hero, me bousculant au passage. Leurs fronts se touchent presque, et je peux sentir une énorme tension émaner de leurs corps. Ils ne se lâchent pas du regard et je crains vraiment que la situation dégénère.
- Si tu veux, je peux te montrer à quel point je peux être un gros dur, marmonne Dany d'une voix menaçante. J'ai déjà refait le portrait de ton connard de pote, alors je n'aurais aucun problème à refaire le tien !
- DANY ! STOP ! je hurle, en m'interposant une nouvelle fois entre eux, posant une main sur chacun de leur torse pour accroitre la distance inexistante entre eux. Putain, Hero, t'es sérieux ? Le provoquer comme ça ?
Je tourne la tête vers Dany pour essayer de le dissuader de cogner Hero et de laisser tomber cette guéguerre ridicule. Je l'implore du regard de capituler. Quelques secondes plus tard, il finit par obtempérer et s'éloigner une nouvelle fois en direction du salon. Je suis soulagée d'avoir désamorcé ce conflit. Je ferme les yeux en expirant bruyamment avant de faire de nouveau face à Hero. J'en ai désormais la certitude : ma nuit sera tout aussi mouvementée que mon après-midi.
- Y'aurait-il quelques petites tensions dans l'air ? me demande le mannequin sur le ton le plus faussement innocent du monde.
Oui, et tu ne fais rien pour les arranger !
Je plisse les yeux, me mordant l'intérieur de la joue pour éviter de devenir trop désagréable avec lui. Parce qu'honnêtement, ce n'est pas l'envie qui me manque de l'envoyer balader, surtout pour avoir gâché ma nuit de sommeil !
- Ecoute, il est près de quatre heures du mat', beau gosse. Demain, j'ai du boulot par-dessus la tête et je vais avoir la tête dans le cul toute la journée, grâce à ton irruption intempestive. Et, à l'odeur de ton haleine chargée en whisky, c'est une très mauvaise idée que tu entres ici...
- C'est peut-être à June d'en juger, non ? rétorque Hero, qui refuse d'en démordre.
Je veux abréger cette entrevue inutile et retourner dans les bras de Morphée le plus vite possible. Il ne me reste plus beaucoup d'heures de sommeil avant que l'alarme vienne agresser mes oreilles. Autant lui dire qu'il perd son temps et qu'il n'est pas au bon endroit s'il veut parler à ma meilleure amie.
- June est partie cet après-midi, alors tu ferais tout aussi bien de rentrer chez toi, je lâche d'un ton las.
L'expression narquoise qu'arborait le beau gosse quelques secondes avant laisse place à de la confusion. Son regard vert prend une teinte plus sombre tandis que ses sourcils se froncent.
- Partie ? Mais où ? Et, pourquoi d'abord ? demande-t-il, décontenancé.
J'arque un sourcil et opte pour une moue démontrant l'évidence de la réponse. Soudain, la perplexité affichée sur ses traits fait place à un fort sentiment de culpabilité.
- Oh...
Il hoche la tête en la baissant. J'avoue ressentir de la peine pour lui, en le voyant dans cet état, mais les larmes que June a versées par sa faute pendant la soirée me reviennent en mémoire et le peu d'apitoiement que j'éprouvais s'évanouit aussitôt. Bien qu'il ne soit pas le seul responsable à avoir pesé dans la balance de la décision de ma meilleure amie de partir, il y a fortement contribué.
A ce moment-là, une Jade encore ensommeillée apparait à mes côtés, les yeux mi-clos, emmitouflée dans la couette. Lorsqu'elle remarque la présence d'Hero, elle le détaille rapidement de la tête au pieds avant de se tourner vers moi.
- Qu'est-ce qu'il fout ici ?
- Il était sur le point de s'en aller, je lui apprends en reportant mon attention sur mon invité surprise. N'est-ce pas, Hero ?
Maintenant que ma jeune amie est réveillée, j'ai peu d'espoir de rattraper les quelques heures de sommeil qu'il me reste. J'espère simplement que le départ d'Hero la convaincra de retourner se coucher. Une nouvelle fois, il secoue la tête en signe d'approbation.
- Au fait, tu diras à ton pote que c'est un gros blaireau ! s'exclame ma copine à lunettes.
Confus, il fronce les sourcils, ne sachant pas à quoi elle fait référence exactement. Il avance vers elle, pinçant sa lèvre inférieure rosée entre son pouce et son index.
- Euh... je crois que Jack a bien reçu le message, grâce à ton ami, lui répond-il, hésitant, en pointant du doigt Dany derrière nous.
Un peu de bile remonte le long de ma trachée, formant une boule dans ma gorge à la mention de son prénom. Je revois encore son sourire suffisant pendant qu'il racontait ses exploits de manière tout à fait déformée, et ses yeux bruns méprisants emplis de moquerie détailler mon corps comme si j'étais un bout de viande qu'il venait de consommer. Rien que d'y repenser, j'ai envie de vomir.
- Argh ! Je ne te parle pas de Jack, même si c'est une grosse baltringue, lui aussi ! s'égosille-t-elle en levant les yeux au ciel. Non, je parle de ton pote Hamza ! Tu devrais apprendre à mieux t'entourer...
Elle crache un petit rire à la fin de sa réplique, puis détourne le regard. Je remarque qu'Hero est encore plus déconcerté par les propos de la blondinette.
- Hamza ? répète-t-il, circonspect. Qu'est-ce qu'il vient faire dans cette histoire ?
La perspective de retrouver mon lit s'éloigne de plus en plus. Je crois que je suis partie pour me taper une nuit blanche... Génial ! Jade se lance alors dans un monologue, lui révélant la manière peu cavalière dont Hamza a fait preuve pour rompre avec elle. Dans sa voix, je peux déceler de la tristesse, mais aussi beaucoup de colère. Hero semble surpris par ce qu'il vient d'entendre.
- Je ne sais pas quoi te dire, Blondie... Je lui ai parlé plus tard dans la soirée, mais il ne m'a rien dit par rapport à ça...
- Ouais, bah, ça n'a plus d'importance, de toute façon. Je ne veux plus rien avoir affaire avec lui ! s'exclame-t-elle, déterminée. Et puis, arrête de m'appeler Blondie ! J'ai un prénom, tu sais... Je ne suis pas juste une simple couleur de cheveux !
La verve et la gouaille de Jade m'épateront toujours. Quand elle est énervée, elle se transforme en petite tornade, capable de tout balayer sur son passage. J'aimerais avoir sa force de caractère. Je ne me considère pas comme faible, mais elle est plus forte qu'elle ne le laisse paraitre. J'envie souvent ce côté de sa personnalité. Malgré tous les coups durs qu'elle peut endurer, elle ne se laisse jamais marcher sur les pieds et est prête à tout pour avoir le dernier mot, et je pense que l'aplomb dont elle vient de faire preuve va clouer le bec de son interlocuteur.
- Je te présente mes plus plates excuses, Blon... euh... euh...
Je le vois batailler pour retrouver le prénom de ma jeune amie. Il plisse un œil, tandis que ses lèvres se pincent. Un nom est sur le bout de sa langue, seulement... sera-t-il le bon ?
- ... euh... Janice ? finit-il par répondre, finissant sa proposition sur une note aigüe.
Les yeux verts de la blondinette s'arrondissent alors que son visage emprunte une mine outrée. J'ai envie de rire devant la grosse offense dont elle vient d'être victime, mais j'appréhende plus sa réaction, qui risque d'être excessive, surtout à cette heure-ci de la nuit.
- JAAAAAAAADE ! s'écrie-t-elle en levant les bras au ciel de manière théâtrale, avant de les laisser retomber lourdement le long de son corps.
Je lui fais les gros yeux pour qu'elle baisse le volume. Je n'ai pas envie d'attirer l'attention, ou de créer des problèmes avec le voisinage. Elle ne réalise pas à quel point sa voix peut porter. Indignée, elle nous quitte pour rejoindre Dany dans le salon. Ce dernier, télécommande à la main, change de chaine toutes les deux secondes, sans prendre la peine de s'intéresser au programme. Je sais que, même s'il m'en veut, il nous surveille du coin de l'oeil.
Soudain, j'entends la porte de l'appartement d'à côté s'ouvrir et Mrs. Jenkins, dont les cheveux grisonnants sont ébouriffés, s'avance vers nous, les traits de son visage ridé déformés par la colère.
Bon, on repassera pour la discrétion...
- C'est pas bientôt fini, tout ce tintouin ? J'appelle la police si vous continuez à crier comme des possédés ! nous menace-t-elle en nous pointant de son index tordu.
Je sors la tête dans l'encadrement de la porte pour lui faire face. Elle ressemble vraiment à une vieille sorcière, prête à nous faire bouillir dans son chaudron. Elle n'est pas réputée pour être la plus sympathique des locataires de l'immeuble, mais je n'ai jamais eu d'ennuis avec elle.
- Je suis vraiment désolée, Mrs. Jenkins. Cela ne se reproduira plus ! je lui assure, un grand sourire aux lèvres, en empoignant Hero par le bras pour le faire entrer.
Ses petits yeux noirs me mitraillent tellement que s'ils avaient envoyé de vraies balles, je ressemblerais à une passoire. Elle me dévisage quelques instants en grognant, puis s'en retourne finalement chez elle sans ajouter un mot de plus. Je referme rapidement la porte derrière nous et fais de nouveau face à Hero.
- Bon, on peut discuter, maintenant ? me demande-t-il.
- A ta place, je ferais gaffe, l'ami, intervient Dany, à l'attention du mannequin. Angie est du genre à te jeter comme un malpropre dès qu'elle t'aura balancé ses quatre vérités dans la tronche !
Qu'il peut être énervant, ce Dany ! J'ai conscience d'avoir été dure avec lui cet après-midi, mais je n'ai fait que lui dire la vérité, aussi déplaisante soit-elle. Bon, j'avoue avoir exagéré sur quelques points, mais c'était nécessaire. Sourcils froncés, mâchoires serrés, je pivote lentement vers lui, le gratifiant d'un regard assassin que je n'ai pas à envier à la voisine.
- Tu veux vraiment remettre ça sur le tapis ? je marmonne, agacée, entre mes dents.
- Pas la peine... tu as été très claire. Je tenais juste à prévenir ton jeune ami des risques qu'il encourt à vouloir te faire la conversation, c'est tout !
J'aperçois un sourire étirer le coin de ses lèvres. Il cherche à me provoquer, je le sais. Mais je ne lui donnerai pas la satisfaction de me rabaisser à son niveau. Pour la seconde fois en quelques minutes, j'empoigne le bras d'Hero pour le conduire jusqu'à ma chambre. S'il veut parler, on va parler... mais je préfère le faire en toute discrétion, sans aucune oreille indiscrète qui pourrait trainer dans les parages.
Je referme la porte et lui passe devant pour m'asseoir sur le bord du lit. Le mannequin reste planté au milieu de la pièce et je le surprends à la balayer du regard, un petit sourire naissant sur ses lèvres pulpeuses. Je me demande bien à quoi il pense.
- Bon, maintenant que ma nuit est foutue, je t'écoute ! je lui lance sur un ton sarcastique. De quoi veux-tu tant parler ?
Mon interpellation le tire de sa rêverie, faisant disparaitre son petit sourire en même temps.
- De... June, mais je peux savoir ce qui se passe avec... euh... lui, là ? me demande-t-il en pointant du pouce le salon, faisant référence à Dany. Je croyais que tout roulait entre vous... mais je dois t'avouer que c'est vraiment un crétin !
Visiblement, il n'a pas du tout la mémoire des prénoms. Comme pour Jade, il est incapable de se souvenir de celui de Dany, ou du moins, celui des gens qui ne l'importent pas.
- Parce que ce n'était pas idiot de ta part de t'en prendre à lui avec ta pauvre remarque sexiste ? je rétorque en arquant mes sourcils.
Hero se contente de hausser les épaules en guise de réponse, pour me faire comprendre qu'il se fiche éperdument de ce qu'il a pu faire et de ce que je peux en penser.
- Alors, tu vas me dire ce qui ne va pas entre vous ? insiste-t-il.
Je n'ai pas vraiment envie de ressasser les évènements de cet après-midi chaotique. Je n'ai même pas tout raconté à Jade. Elle n'était pas là lorsque la grosse dispute entre Dany et moi a éclaté. A son retour, elle a seulement senti que quelques chose n'allait pas et, quand elle m'a demandé des explications, je me suis contentée de lui en révéler le moins possible. Mais, peut-être qu'Hero est mieux placé pour me comprendre qu'elle...
- Tu veux la version courte ou longue ? je lui demande, résignée.
Il s'avance vers le lit et prend place en face de moi. Il plie sa jambe droite et coince son pied sous sa cuisse gauche.
- Comme ma nuit est également foutue... va pour la version non-censurée ! lance-t-il.
Petit flashback...
Après le départ de June, je me suis isolée dans ma chambre, afin de rédiger deux articles que je n'ai malheureusement pas eu le temps d'écrire durant la semaine mouvementée que je venais de passer. Même si elle était un peu triste de l'absence de notre colocataire, Jade s'est lancée dans la recherche intensive de notre nouveau chez-nous, complètement emballée par l'idée de June. Je dois avouer qu'elle n'a pas complètement tort sur le papier, cet appartement est tout juste pour deux personnes. Il est à peine un peu plus grand qu'un studio, mais s'y apparente étonnamment. Je conçois que nous avons chacune besoin de notre intimité et de notre propre espace, mais je n'arrive pas à m'enthousiasmer à cette perspective. Quant à Dany, il s'est proposé d'aider la blondinette dans la fouille approfondie des sites d'agences immobilières londoniennes.
Il me faut seulement un peu de calme pour me concentrer et laisser la magie de l'inspiration guider mes doigts sur le clavier de mon ordinateur portable. Le premier sujet que je dois traiter est à rendre au magazine National Geographic, qui traite des solutions adoptées pour combattre la pollution le long de la Tamise. Malgré le peu de temps dont je disposais, j'ai réussi à appeler les responsables du collectif s'occupant de ramasser les dêchets sur les rives du fleuve et à décrocher une petite interview. Le reporter chargé d'illustrer l'article m'a envoyé ses photos par mail pour que je puisse baser mes écrits dessus. J'espère boucler assez rapidement celui-ci pour m'attaquer au second, dédié à un restaurant végane qui vient d'ouvrir dans le centre de Londres. La particularité de la propriétaire est qu'elle cultive tous les ingrédients qu'elle intègre dans ses plats et, comme pour le premier article, j'ai pu discuter avec elle et, photos à l'appui, pourrais m'aider à pondre une jolie petit chronique et faire, en même temps, la promotion du nouveau livre de recettes qu'elle vient de sortir.
En moins de deux heures de temps, je boucle mes deux articles, que je m'empresse d'envoyer aux deux rédactions les ayant commandés. Je n'aime pas trop travailler dans l'urgence, préférant prendre le temps d'évaluer chaque mot que je tape, mais je suis assez fière du résultat. J'ai besoin de tous ces petits jobs de pigiste free lance si je veux continuer à mener un certain train de vie, et pouvoir consacrer mon temps libre au vrai projet qui me tient à coeur : "Bella Ciao". Ce roman sur lequel je passe des heures et des heures est comme mon bébé et j'espère, un jour, pouvoir partager avec des lecteurs l'histoire trépidante d'Alessia Costello, une jeune femme issue d'une grande famille mafieuse, et qui accède au pouvoir après la mort de son père. Elle doit apprendre à gagner le respect des hommes sous son commandement, tout en évoluant dans un milieu ultra-machiste. A ses côtés, elle pourra toujours compter sur le soutien de Reggie Romano, son fidèle bras droit, amant occasionnel et premier amour, que j'imagine bien incarné par le sexy Tom Hardy. Depuis que je l'ai vu dans le double rôle-titre du film « Legend », je n'arrive pas à retirer de mon esprit cette image de lui en mafieux. Et puis, sa carrure et son air bestial ne m'ont pas non plus laissée indifférente... Mais l'arrivée de son mystérieux garde du corps, Nerio, à l'aura aussi mystérieuse que son passé inexistant, suscite l'attention — et même un peu plus — de mon héroïne. Pour lui, l'inspiration physique m'est venue de...
Quelqu'un frappe à la porte, me tirant de ma rêverie. Lorsqu'elle s'ouvre, Dany me fait face, une épaule appuyée contre l'encadrement en bois marron foncé. Il plonge son regard océan dans le mien et l'expression énigmatique qu'il arbore m'intrigue.
- A quoi tu penses ? me demande-t-il.
Je reporte mon attention sur l'écran où mon chapitre prend forme petit à petit.
- Tom Hardy ! je lui réponds en soupirant, à sa grande surprise, au vu des sourcils qu'il hausse d'étonnement.
Je lui explique alors que j'ai créé un personnage de mon histoire, basé sur son physique, lui révélant aussi l'origine de cette inspiration. Les mains dans les poches de son jogging noir, Dany avance vers moi d'un pas nonchalant. Il s'assoit sur le bord du petit banc en bois où j'ai pris place, derrière mon bureau — tout le monde n'a pas le luxe de pouvoir s'offrir un beau fauteuil en cuir confortable ! — et survole mes derniers écrits.
- « Les parois de la douche à l'italienne dégoulinent de buée. L'air est quasiment irrespirable dans cette pièce, mais cela m'apaise étrangement. Debout sous le jet brûlant, mon attention est attirée par la poignée de la porte qui s'abaisse. Reggie entre et s'approche de la porte coulissante en verre. Je l'ouvre et attrape sa cravate, le forçant à me rejoindre, entièrement vêtu. Sans une parole, il se place lui aussi sous le jet d'eau... »* lit Dany avant de m'envoyer un oeillade suggestive. Dis donc, il t'inspire drôlement, ce cher Tom !
Cela me gêne un peu qu'il lise mon travail. Je n'ai encore jamais soumis mes écrits à un avis extérieur, même pas celui de June ou de Jade. Pourtant, ce sont des férues de lecture mais, leur opinion me fait légèrement peur. Je sais qu'un jour où l'autre, je vais devoir affronter la critique si je veux le faire publier, mais je n'en suis pas encore arrivée à ce stade, autant au niveau de l'avancement de l'histoire qu'au niveau de ma maturité d'écrivain.
- « Les mains de Reggie attrapent sauvagement mes cheveux et ses lèvres s'écrasent sur les miennes. Immédiatement, je lui laisse libre accès et cherche sa langue avec la même fougue dont il fait preuve »* continue le bouclé en fendant ses lèvres d'un sourire entendu. Dis-moi si je me trompe mais... cette scène de douche, je ne pense pas que Tom soit le seul à te l'avoir inspirée, hein ?
Il me pose cette question sur un ton si insolent que j'ai envie de lui faire ravaler ses dents. Je sais exactement qu'il fait référence à notre petit corps-à-corps dans la salle de bains, il y a deux jours de cela.
- Désolée de décevoir ton égo, mais je ne partage aucune expérience personnelle dans mes écrits, je rétorque, feignant d'être peinée pour lui. Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnages ayant réellement existé serait purement fortuite !
Je lui cite le message d'avertissement se trouvant généralement à la fin des génériques de films ou de séries basées sur des histoires vraies. Il se met alors à rire, et je ne peux m'empêcher d'en faire autant. Il pose ensuite ses longs doigts fins sur le trackpad de mon ordinateur et remonte de plusieurs paragraphe. Ses iris bleus parcourent les lignes noircissant ma page à une vitesse impressionnante. Il s'arrête lorsqu'il tombe sur la scène de flashback entre Alessia et son défunt père.
- Bon, okay... et lui ? Tu as piqué l'identité de quel acteur pour Giuseppe ? me demande-t-il, en s'accoudant sur le bureau, maintenant sa tête conte son poing fermé, le visage tourné vers moi.
Son ton est vraiment empreint de curiosité et d'amusement.
- J'ai immédiatement pensé à Liam Neeson, je lui réponds. Comme ce personnage meurt dès le début de l'histoire, j'ai trouvé drôle de coller un acteur dont les personnages meurent dans quasiment tous les films qu'il tourne... et de le faire trépasser aussi vite qu'il est apparu.
Il lâche un petit rire en humectant ses lèvres. Mon regard est automatiquement attiré par sa langue passant lentement sur sa bouche. Je plisse les yeux et déglutis avant de les poser de nouveau sur l'écran de l'ordinateur.
- Et, Alessia ? Qui, dans ta tête, serait parfaite pour l'incarner ? continue-t-il de m'interoger, sans cesser de me fixer.
Je lui révèle qu'Alycia Debnam-Carey, l'actrice australienne qui joue dans la série « The 100 » a été mon choix direct pour se glisser dans la peau de cette héroïne badass et à la classe inégalable. Dans la série, elle jouait la chef d'un clan initialement ennemi de celui des héros de l'histoire et, je me rappelle lui avoir trouvé une prestance incroyable, donc je ne voyais personne d'autre pour endosser un rôle aussi complexe et fort.
- Et lui, là... euh, Nerio ? demande-t-il en plissant les yeux. Quel acteur a la carrure parfaite pour être un bodyguard ?
Je ne sais pas si je dois répondre à sa question. La réponse m'embarrasse un peu, et je n'ai pas tellement envie qu'il la connaisse.
- Euh... personne en particulier, je lâche en levant les yeux au ciel. Je l'ai juste créé... comme ça !
Dany penche un peu plus la tête, un air amusé se lisant sur le visage. Il fronce légèrement les sourcils, tandis que ses lèvres s'étirent en un sourire.
- Tu... mens ! lance-t-il en décollant la tempe de son poing, la mine faussement outrée. Tu ne veux pas me dire qui c'est parce que... tu t'es inspirée de quelqu'un que tu connais, et pas d'un acteur... c'est ça ?
Il est chiant à être aussi perspicace. Comme une gamine, je fais la moue en croisant les bras sur ma poitrine. J'espère qu'il n'est pas aussi persévérant que moi lorsque je veux obtenir des informations.
- Alors, c'est qui ? m'interroge-t-il, un sourire bêta plaqué sur son visage. Tu sais, tu peux le dire si c'est moi. Je ne te réclamerais aucun droit à l'image, tu peux m'utiliser autant que tu le souhaites... et gratuitement !
Il bouge ses sourcils de manière comique et suggestive. Il n'est vraiment pas croyable ! Je secoue la tête en riant et lui assène également une petite tape sur le bras pour le faire redescendre de son piédestal.
- Je vais te décevoir encore une fois, mais tu n'es pas Nerio, je lui réponds. Et tu n'as pas à connaitre toutes mes inspirations, d'abord ! Un auteur doit garder ses secrets de fabrication. C'est comme un tour de magie, on n'en révèle pas les ficelles.
Sans dire un mot, il me jauge pendant quelques instants. Je sens son regard braqué sur moi, et fais tout mon possible pour ne pas plonger le mien dans l'océan de ses iris.
- C'est qui ? C'est un ex ? insiste-t-il.
- Tu ne lâches jamais l'affaire, dis-moi ! je m'exclame, en lui faisant les gros yeux. Non, ce n'est pas un ex...
Il lève son regard vers le plafond, semblant vraiment réfélchir à la question. Sa bouche bouge, adoptant des formes diverses, comme s'il était en train de compter dans sa tête, ou d'énumérer une liste.
- Ne me dis pas que c'est le musicien, parce que je prendrais très mal le fait que tu penses à lui pour un rôle dans ton roman plutôt qu'à moi... j'ai bien plus de charisme que lui, non ?
Il joue les indignés, mais j'ai conscience que c'est de la comédie. Encore une fois, je me mets à rire en entendant ses élucubrations. Il commence à me montrer ses biceps et à les contracter.
Ah, les mecs et leur vision basique de la réalité...
- Le charisme n'est pas qu'une question de muscle, mais de ce que la personne dégage, je lui explique. Tom... le musicien, pas Hardy, a du charisme, mais je dois avouer que tu en as plus... Je peux bien t'accorder ça, après avoir maltraité autant ton égo !
Je conclus ma petite tirade avec un sourire avant de me lever et d'aller fouiller dans la poche de mon pantalon, à la recherche d'un paquet de cigarettes. J'en attrape une et jette le paquet à Dany, pour qu'il se serve aussi. J'ouvre la fenêtre de la chambre et le bouclé ne tarde pas à me rejoindre. La fine tige blanche coincée entre mes lèvres, j'approche mon visage près de Dany pour qu'il l'allume à l'aide de son briquet. Je me recule et recrache la fumée dans les airs. Mon compagnon m'imite avant de briser le silence :
- Tu fous quoi avec lui, alors ?
- Avec Tom ? je lui demande, surprise par sa question. Rien qui te concerne, mon grand. Je ne te demande pas ce que tu fais avec tes autres conquêtes, que je sache...
- « Autres » ? Donc, tu te considères comme l'une d'entre elles, si je comprends bien, lance-t-il, un sourire agaçant scotché sur son visage.
- Pour que je sois une de tes conquêtes, il aurait fallu qu'on couche ensemble, et je me rappelle très clairement que tu as remballé le matériel avant que ça se produise ! je lui réponds, une pointe de frustration dans la voix.
Je jette ma clope dans la rue, bien que je n'ai tiré qu'une malheureuse taffe dessus, mais cette proximité avec Dany m'est insupportable.
- On peut remédier à ce problème quand tu veux, ma belle, s'exclame-t-il sur un ton insolent en ouvrant les bras, non sans me gratifier d'un clin d'oeil.
S'il croit que je vais m'y ruer dedans, il se trompe lourdement. Comme je l'ai dit, je ne me montrerais plus vulnérable en sa présence.
- T'aimerais bien, hein ? Je vais te donner un petit spoiler pour la suite : ça n'arrivera pas. Je ne coucherai pas avec toi aujourd'hui, ni dans un avenir proche ou lointain, peu importe ce que tu diras ou feras, alors économise ta salive et ton énergie, je le nargue avec un sourire hypocrite.
Ma pauvre tentative de lui clouer le bec échoue lamentablement, attisant encore plus le côté prédateur de mon adversaire. Après avoir jeté sa cigarette à moitié fumée, il s'avance vers moi, un sourire malicieux étirant ses fines lèvres.
- Vraiment ? Pourtant, je sens dans ta voix que ça te frustre que je ne sois pas allé au bout des choses, réplique-t-il. Toi aussi, tu auras beau dire ce que tu veux, tu finiras par céder, c'est inévitable...
Son aplomb et son assurance me déclenchent un rire nerveux. Je n'arrive pas à croire qu'il soit aussi convaincu de ma faiblesse. Il s'approche lentement de moi, et je me mets à reculer, pour conserver la distance de sécurité, qui s'amenuise entre nous. Je finis par heurter le mur, mettant fin à ma petite crise nerveuse, tandis que Dany se plante à quelques centimètres de moi, me surplombant de sa hauteur.
- Tu n'es vraiment pas crédible quand tu me repousses, ajoute-t-il dans un murmure, en posant délicatement sa main sur ma joue.
Ma bouche s'entrouvre et ma respiration s'accélère, tout comme les battements de mon coeur, cognant comme des tambours dans une marche militaire. Ce doux contact me provoque des frissons et je ferme les yeux pour l'apprécier à sa juste valeur.
- Mais j'ai quand même envie de savoir pourquoi tu te donnes autant de mal pour me tenir à distance. Et ne me dis pas que c'est parce que je t'ai gueulé dessus au poste de police, ou que j'ai refusé de te donner ce que tu voulais dans la salle de bain, parce que tu étais aussi consentante et même désespérée de m'avoir... parce que je ne te croirais pas, poursuit-il, tandis que ses doigts quittent mon visage pour venir taquiner ma clavicule.
Aucun mot n'arrive à franchir la barrière de mes lèvres, alors que Dany continue sa douce torture. Sa main bifurque vers mon épaule, dont il frôle à peine la surface de la peau. Je suis en train de perdre le peu de raison qui m'habite encore. Mes yeux se posent sur sa bouche, qui esquisse un léger sourire. Je halète sous son emprise.
- Angie, arrête de résister et laisse libre cours à toutes tes envies. Je saurais les combler, fais-moi confiance, murmure-t-il de manière très séductrice, sa tête se nichant dans mon cou, libérant son souffle chaud contre ma peau, en même temps que ses paroles tentatrices. Je suis certain que tu ne fais pas autant de cinéma pour écarter ton Mozart. Alors, quelle est la vraie raison, Angie ?
La vraie raison. A cet instant, son visage apparait clairement devant mes yeux et cela me fait l'effet d'un électrochoc. Je reprends instantanément mes esprits, prête à répliquer et à me dégager de ce piège qui est en train de se refermer sur moi.
- Tu sais quoi ? Je ne te dois aucune explication. Pourquoi tu t'acharnes sur moi ? Je ne t'intéresse pas plus que ça. En vrai, tout ce que tu veux, c'est me sauter, n'est-ce pas ? Y'a plein de meufs qui n'hésiteront pas à écarter leurs cuisses dès que t'ouvriras la bouche, alors passe ton chemin, d'accord ?
Cette fois-ci, l'amusement a définitivement quitté ses traits pour laisser place à de l'agacement. Il recule, comme si je venais de lui donner un coup de poing dans l'estomac, plaque ses deux mains sur ses hanches et me dévisage en fronçant les sourcils.
- Franchement, si c'est vraiment ce que tu penses, c'est que tu n'as rien compris, répond-il sèchement. Tu m'as reproché que je considérais tout ça comme un jeu, mais c'est plutôt toi qui ne prend rien de tout ça au sérieux. Putain... je ne sais pas comment te faire comprendre que... Je ne comprends pas ce qui peut à ce point t'effrayer... parce que je suis persuadé que tu as peur de quelque chose, mais je n'arrive pas à savoir quoi ! Tu m'as quand même embrassé, cette nuit...
- Putain, pour un mec, tu te prends la tête pire d'une meuf ! je raille en levant les yeux au ciel. Et si t'arrêtais de mener ton enquête ? Je suis chez moi, je fais encore ce que je veux, okay ? T'es qu'un invité, ici ! Et ne cherche pas d'explication logique au fait que je te repousse... c'est juste que je ne t'aime pas.
Dany pâlit au fur et à mesure que les mots sortent de ma bouche. La dernière phrase lui assène le coup de grâce. Mais, malheureusement pour lui, je continue sur ma lancée :
- Et puis, je pense que c'est une mauvaise idée que tu emménages avec nous. Honnêtement, tu te vois vivre au crochet de deux meufs ? je pouffe. Jade ne paiera pas sa partie du loyer, étant donné que sa bourse d'étude couvre à peine les frais d'université. Elle participera quand même aux courses. Mais toi... t'as pas de boulot, certainement aucune économie de côté, alors... qu'est-ce que tu vas bien amener sur la table ?
Je suis à bout de souffle après mon plaidoyer. Visiblement en pétard, à présent, Dany s'avance vers moi et se penche pour murmurer à mon oreille :
- Quand tu réaliseras vraiment ce que tu veux, il sera peut-être trop tard...
Il se redresse et finit par quitter ma chambre.
Fin du flashback.
Je baisse la tête à la fin de mon récit. Je me sens un peu honteuse de la manière dont j'ai traité Dany, mais comme le dit l'adage : « il faut combattre le mal par le mal ». J'étais vraiment sur le point de craquer, à deux doigts de lui donner ce qu'il voulait. Si j'avais cédé, j'aurais commis la plus grosse erreur de ma vie. Cela peut paraitre égoïste, mais je préfère faire souffrir Dany, jusqu'à ce qu'il me déteste, plutôt que de revivre la douleur que l'on m'a un jour infligée, et que je supporterais plus.
Hero, toujours en face de moi, est bouche bée. Putain, si même lui, j'ai réussi à le scotcher, c'est que je n'y suis pas allée avec le dos de la cuillère.
- Wow, Angie... je comprends mieux maintenant l'attitude hostile que vous avez l'un envers l'autre, réagit le mannequin. Mais... quand on a discuté pendant la soirée, je croyais que tu ressentais quelque chose pour lui.
- C'est le cas, je lui avoue, en relevant la tête vers lui. J'ai des sentiments pour lui, mais je ne peux pas me permettre de l'aimer. C'est compliqué, beau gosse. Je ne veux plus être amoureuse, en fait. J'ai déjà donné et... ça a failli me tuer.
- J'ai réalisé très récemment que... lorsqu'on aime quelqu'un, peu importe à quel point tu combats tout ce qui se passe à l'intérieur de toi, ça finira toujours par prendre le dessus, admet-il en triturant ses doigts.
Bien que je le soupçonnais depuis un moment, et après avoir eu une quasi-confirmation à la soirée, je sais à présent qu'Hero est amoureux de June. Pourtant, lui qui est un anti-amour, anti-couple, anti-intimité, s'il a déposé les armes et accepté ce qu'il éprouve, j'ignore si je serais capable de tenir longtemps le siège que mes sentiments ont érigé autour de ma raison.
Je pose une main compatissante sur celle du mannequin.
- Toi et moi, on est dans de sacrés beaux draps ! je m'exclame, la mine défaitiste.
Il hoche la tête en signe d'affirmation. Je retire ma main, et me laisse tomber en arrière sur le matelas en soufflant bruyamment.
- Au fait... pourquoi ça a failli te tuer, de tomber amoureuse de quelqu'un ? me demande Hero de manière hésitante.
Les yeux rivés sur le plafond, je prends une profonde inspiration avant de lui répondre :
- Ce n'est pas tant d'être amoureuse qui a failli avoir ma peau, mais le garçon dont je l'étais... et Dany me le rappelle tellement. Dans ses attitudes, dans sa manière d'être, même de s'exprimer. Certaines de ses intonations de voix sont les mêmes que celles de Jus... de lui, quoi.
Je n'ai pas prononcé son prénom depuis des années, et s'il venait à s'échapper de ma bouche, cela ouvrirait la porte à des souvenirs que j'ai banni de ma mémoire. C'est une route que je me refuse d'emprunter, tant elle est imprégnée de noirceur et de ténèbres.
Je finis par me relever pour faire de nouveau face à Hero.
- Pour en revenir à la raison de ta présence... qu'est-ce que tu voulais dire à June ? je lui demande pour changer de sujet.
- Pour être franc... à la base, j'étais venu lui mettre la misère, confesse-t-il d'une voix penaude, en baissant la tête. Elle... elle a parlé à Felix ce soir et... elle a écrit des trucs...
Il s'interrompt au milieu de sa phrase, pinçant ses lèvres pulpeuses, tout en détournant le regard. Je peux sentir la colère monter en lui mais, étonnamment, au bout de quelques secondes, il arrive à faire baisser la tension qui menace d'exploser.
- ... elle a dit qu'elle aurait préféré que ce soit Felix qui l'ait abordée en boite, plutôt que moi, finit-il par lâcher. Autant te dire que je n'ai pas très bien pris la nouvelle... et je voulais seulement lui faire ressentir le mal qu'elle m'a fait. Mais, en écoutant ton histoire avec Larry, je me rends compte que j'ai agi exactement de la même façon que toi pour la repousser et, regarde le résultat, maintenant...
« Larry »... aucune mémoire des prénoms, je le savais...
Il a raison. Même si les contextes ne sont pas les mêmes, June et Dany ont pâti de nos peurs respectives. Nous avons tout fait pour les tenir à distance, quitte à nous montrer cruels envers eux, alors que ce n'était pas du tout mérité.
- Je veux simplement essayer de... je ne sais pas... qu'elle veuille seulement que je fasse partie de sa vie, pour commencer. Des personnes très avisées m'ont conseillé de présenter mes excuses, m'explique Hero en me lançant une œillade entendue. J'espère juste qu'elle les acceptera... Je sais qu'elle me déteste, mais je veux rattraper mes erreurs. Est-ce que tu peux me dire où elle se cache ?
Sa moue vulnérable, doublée de son plaidoyer tire-larmes, me mettent dans une position délicate. J'ai conscience que June s'est éloignée pour prendre du recul par rapport à tout ce qu'elle a vécu, et en particulier à cause d'Hero, donc ce serait très inconvenant de ma part de lui révéler l'adresse du refuge de ma meilleure amie.
- Hero, écoute, je sais que tu veux te faire pardonner, mais peut-être qu'il vaudrait mieux que tu attendes qu'elle revienne...
Il se penche vers moi, son regard vert me suppliant de lui accorder cette faveur.
- Je ne peux pas attendre, Angie ! insiste-t-il, un air désespéré tirant ses jolis traits. Je te promets que je ne la blesserais pas, peu importe l'issue de notre conversation. Même si elle me rejette, je ferais avec. Je veux juste... j'ai besoin de la voir.
Oh, putain ! Je n'arrive pas à croire que je suis sur le point de trahir ma meilleure amie, mais quand je vois son air de chien battu, je ne peux pas résister.
- Très bien, très bien... mais si elle verse une seule larme à cause de toi, je vais te débusquer comme un lapin et te faire regretter d'être né, d'accord ?
L'espoir renait en lui, et un resplendissant sourire vient embellir son visage déjà parfait. J'attrape un calepin posé sur la table de chevet et commence à griffonner l'adresse de la maison de la grand-mère de June...
C'est sûr, ma meilleure amie va me tuer !
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* « Bella Ciao » de AJM-BIENAIMEE
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