35BIS.
[HERO]
Je savais dès le départ que j'en étais incapable. Ce n'était pas pour moi, tout ça. Les chocolats, les fleurs, le romantisme, être en couple, être intime avec quelqu'un... J'ai essayé, putain, j'ai fait plein d'efforts pour être à la hauteur de ses espérances. Mais, comme je le redoutais, j'ai merdé, encore une fois. C'était couru d'avance, que je n'allais pas arriver à gérer tous ces changements. Mes mauvaises habitudes sont revenues au galop pour bien foutre le bazar dans ce que j'essayais de construire avec elle...
*
Pendant le match de foot...
Je l'aime. Putain, je l'aime. Ca y est, je l'ai dit. J'ai l'impression qu'un énorme poids s'est envolé de ma poitrine, comme si j'avais retenu mon souffle pour une de ces compétitions d'apnée. Cette vérité, qui m'effraie toujours autant, est à présent bien réelle. Je suis amoureux de June Robbins. Même si je suspectais que ces sentiments inconnus qui grandissaient en moi au fil des jours ressemblaient à de l'amour, j'ai tout fait pour les combattre, mais il faut croire que l'adage qui proclame que l'amour est plus fort que tout est bien vrai. Malheureusement, ça ne rend pas la situation moins flippante. Qu'est-ce que je vais faire, maintenant, de tout ce que je ressens à l'intérieur ? Je n'ai jamais eu à gérer ce genre de bordel auparavant. Putain, je suis vraiment perdu !
Putain, c'est bien de l'amour, au moins, que j'éprouve ? Comment reconnaitre quelque chose qu'on n'a jamais expérimenté ? Et peut-on tomber amoureux de quelqu'un qu'on connait à peine en si peu de jours ?
Mon cerveau fume tant il est assailli d'interrogations, parfois sans queue ni tête. Felix, toujours assis à côté de moi sur le banc du vestiaire désert du complexe sportif, pose une main compatissante sur mon épaule et esquisse un sourire en coin.
- Tu vois, ce n'est pas si terrible que ça, me fait-il observer. Franchement, je ne pensais pas t'entendre prononcer ces mots, un jour... mais je te l'avais dit : ça devait bien finir par arriver !
A mon tour, je souris et repousse sa main pour le charrier. Je culpabilise d'avoir agi comme un connard envers mon meilleur ami, mais je suis soulagé qu'il ait bien voulu me pardonner parce que je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans lui.
Je me redresse et m'adosse contre le mur en me frottant le visage. Avouer à voix haute mon amour pour June, c'est déjà un premier pas, et maintenant, je suis censé faire quoi ? Ressent-elle la même chose que moi ? La crise de jalousie qu'elle m'a tapé en me voyant en compagnie de Miriam me laisse croire que c'est le cas, mais peut-être que je me fais des films. D'un autre côté, elle a paru tellement insensible à la remarque que Felix lui a faite sur la provenance de mes hématomes que j'en doute. Je ne sais pas quoi penser. J'essaie de me repasser le déroulement de la soirée dans ma tête, mais ma caboche refuse d'obtempérer tant elle est inondée de nouvelles informations.
Fait chier ! Je me retrouve exactement dans la position que j'ai voulu éviter toute ma vie : être dépendant de quelqu'un !
- Ca t'est déjà arrivé d'être amoureux, Felix ? je demande.
Mon ami soupire et adopte la même position que moi. Il a connu quelques histoires plus ou moins sérieuses, mais nous n'avons jamais vraiment parlé de ce qu'il pouvait éprouver pour ses ex petites-amies. Jambes allongées, nous fixons tous les deux un point invisible en face de nous.
- A côté de toi, je suis un vrai coeur d'artichaut, plaisante-t-il. Mais, je ne crois pas avoir déjà été amoureux d'une fille. Je n'ai jamais expérimenté le genre de coup de coeur que tu as eu pour June.
Me voilà bien avancé ! La seule personne à qui je peux me confier sur cette histoire se révèle ne pas être un expert en la matière. Bien sûr, je pourrais demander à d'autres potes, mais je ne veux pas qu'ils soient tous au courant de mes affaires... de coeur.
« Affaires de coeur »... comme c'est niais, putain !
Je grimace à cette pensée. J'ignore quoi faire. Je ne peux décemment pas confronter June et tout lui déballer, ce serait du suicide. En plus de ça, je ne sais même pas si elle veut encore m'adresser la parole, après mon comportement d'abruti et les vacheries que je lui balancées dans la tronche.
- T'as dit qu'elle était malheureuse quand tu l'as ramenée, la nuit dernière, je lui rappelle.
Les imaginer dans la voiture ensemble me fait encore grincer des dents, mais je suis rassuré de savoir qu'il ne se passe rien du côté de Felix. Et de son côté à elle ? Putain, je n'y avais pas pensé ! Et si elle se mettait à kiffer mon meilleur ami plus que moi ? Qu'est-ce qui se passerait si c'était le cas ? Est-ce que Felix oserait sortir avec elle, si elle le lui demandait ?
- Elle a pas mal pleuré pendant le trajet, mais j'ai réussi à lui remonter le moral avant qu'elle ne sorte du véhicule, m'apprend-il.
Putain, j'ai vraiment tout foiré. Pas étonnant qu'elle se soit rapprochée de Felix. Lui, il est la bonne humeur incarnée, alors que je n'ai rien de positif à lui offrir. J'ai bien vu la manière dont elle se marrait en sa présence. Elle n'a jamais ri comme ça avec moi...
- Sa soirée n'a pas été un désastre total, si ça peut te rassurer, ajoute-t-il.
Non, ça ne me rassure pas, putain de merde ! Parce que je ne suis pas celui qui était là pour la réconforter, mais celui qui a causé sa tristesse...
La colère fait son grand retour dans mon système nerveux mais, cette fois-ci, elle est dirigée contre moi-même. J'ai éloigné June de moi dans l'espoir de la protéger du mal que je pouvais lui faire, ainsi que pour me préserver... tout ça pour qu'au final, elle craque pour un de mes potes ! J'ignore si je serais capable de gérer ce genre de situations de merde.
- Je suis vraiment trop con ! je m'exclame de façon plaintive, en prenant ma tête entre mes mains, tout en m'accoudant sur mes genoux.
Je sens le regard peiné de Felix sur moi. Je dois vraiment faire pitié à me lamenter sur une cause perdue. Pour la seconde fois, mon ami pose une main compatissante sur mon épaule.
- Et si tu t'excusais ? suggère-t-il. Je sais que ce n'est pas ton genre, mais si tu veux rattraper le coup, je te conseille vivement de commencer par là.
M'excuser ? Voudra-t-elle seulement écouter ce que j'ai à lui dire ? Angie m'a dit de faire la même chose...
PUTAIN... ANGIE ! MAIS OUI !
Qui de mieux que la meilleure amie de June, la personne qui doit le mieux la connaitre, pour me conseiller quoi faire ?
L'espoir renait en moi quand j'attrape mon portable pour composer son numéro, sous le regard perplexe de mon acolyte. Merde ! Après les cinq sonneries, je tombe sur le répondeur. Je ne vais pas lui laisser de messages vocaux, je réessaierai plus tard. Devant la mine effarée de Felix, je lui explique la petite manœuvre que je viens de tenter et qui s'est résolue par un échec.
- Ecoute, je crois que j'ai une meilleure idée...
Felix et ses plans tordus...
Soudain, la porte s'ouvre avec fracas et nous sommes surpris de voir débouler Morgan et Trushal dans le vestiaire, à bout de souffle. Ils nous fixent, hébétés, comme s'ils s'attendaient à découvrir autre chose.
- Tu vois, je te l'avais dit ! s'exclame mon ami d'origine indienne à l'attention du capitaine de notre équipe. Ils ne se sont pas entretués !
Morgan se retourne alors vers nous, mécontent.
- Si vous avez réglé vos problèmes de gonzesses, peut-être qu'il serait temps que vous rameniez vos culs sur le terrain ! On est en train de se faire botter les fesses par ses connards de l'OPPS !
- Oi, oi, cap'tain ! On arrive ! répond Felix, alors que nous nous levons pour les rejoindre.
*
- Non ! Putain ! Hors de question qu'on fasse ça ! je m'écrie, alors que mon meilleur ami vient de m'exposer son idée.
Cela fait une demi-heure que nous sommes rentrés du match et Felix m'a invité à rester dormir chez lui. Après lui avoir révélé les détails de l'horrible nuit que j'ai passé chez Ham — lui offrant une bonne crise de rire au passage — il a eu pitié de moi — sachant le bordel sans nom que constitue le studio de notre pote — et a décidé d'héberger ma pauvre carcasse une fois de plus.
Sa mère nous a concoctés un bon petit plat pour récompenser nos efforts sur le terrain ainsi que notre victoire. Une fois que nous sommes revenus dans le jeu, c'en était fini de l'autre équipe. Ils étaient limite spectateurs de tous les buts qu'on leur a mis. Morgan était aux anges de constater que nous étions encore premiers de notre ligue.
J'adore la cuisine de Mrs. Kent. Elle prépare toujours ses recettes avec soin et on peut sentir tout l'amour qu'elle y met à chaque fois. Je n'ai jamais connu ça ailleurs que chez eux. Quand je rentrais chez moi après avoir passé du temps sous ce toit, la désillusion était grande lorsque je me retrouvais à faire réchauffer des plats congelés sans saveur tout prêts au micro-ondes. Mais bon, c'était toujours mieux que de mourir de faim...
- Pourquoi pas ? C'est quoi, le problème ? me demande mon hôte, me tirant de mes pensées.
- C'est que... et si elle... non, on peut pas faire ça ! je répète, catégorique, en secouant vigoureusement la tête, ma pensée incohérente me faisant bafouiller.
Allongé sur son lit, à plat ventre, Felix me regarde faire les cents pas, à la recherche d'une alternative à sa suggestion complètement débile. Il arbore un air amusé sur son visage, tandis qu'il tient son portable entre ses mains.
- Je ne vois pas ce qui te fait baliser, bro ! ricane gentiment mon meilleur ami. Je vais seulement envoyer un message à June sur Instagram et on verra ce qui va se passer. C'est même pas sûr qu'elle réponde !
A cet instant, j'envie sa putain de désinvolture. C'est clair que ça n'engage à rien de la contacter sur la messagerie de ce réseaux social mais... j'ai l'impression de jouer ma vie, là. J'ai les jetons à un point que je n'aurais jamais imaginé. Et tout ça, à cause d'une meuf !
Bordel, je dois ressembler à un ado boutonneux prépubère qui a besoin de son pote pour faire l'entremetteur avec la fille qu'il kiffe. Je passe plusieurs fois ma main moite dans mes cheveux pour essayer de canaliser ma nervosité. Je ne me suis jamais retrouvé dans un état de stress comme celui-là... surtout à cause d'une gonzesse. Je me répète, mais c'est encore tout nouveau pour moi.
- Et voilà ! Y'a plus qu'à attendre ! m'annonce fièrement Felix en balançant son iPhone à côté de lui.
L'objet rectangulaire argenté rebondit sur la couette tandis que mes yeux s'écarquillent en percutant ce qu'il vient de dire.
- QUOI ?! Qu'est-ce qu'on doit attendre, là ? je m'angoisse en prenant son téléphone à la hâte pour inspecter ce qu'il a fait.
Je clique sur l'icône d'Instagram et accède au fil d'actualité de son profil. Je vais directement sur la flèche en haut à droite, symbolisant la messagerie. Le premier nom qui apparait est celui de June. Putain ! Il lui a envoyé un foutu message. Je m'empresse d'appuyer dessus avec mon pouce pour découvrir ce qu'il lui a écrit.
- « Hello, toi ! Je venais aux nouvelles pour savoir comment t'allais. xx », je lis avant de reporter mon attention sur Felix.
Ce dernier me gratifie d'un sourire satisfait, tandis que je n'ai qu'une envie : lui arracher la tête. Bon, okay... il s'agit d'un message cordial. Il n'y a aucune raison de paniquer.
- Chill, bro... elle m'a dit qu'elle ne se connectait pas souvent, de toute façon, alors y'a peu de chance qu'elle le lise, m'apprend Felix en repositionnant sa légendaire casquette noire à l'envers.
Sans rien dire, j'en profite pour faire un tour sur le profil de June. La dernière fois que j'y suis allé, c'était pour faire mon enquête sur son enfoiré d'ex. J'avoue, ce n'était peut-être pas la « dernière » fois. Il m'est arrivé quelques fois de m'y balader dessus, surtout ces derniers temps. Et là, je suis frappé de stupeur lorsque je remarque que les photos où Matt apparaissaient ont disparu. Je veux dire toutes ! Plus une seule trace de cette ordure. Elle a dû s'en débarrasser ces jours-ci... peut-être même aujourd'hui.
A ce moment-là, le portable vibre dans ma main et un rectangle d'information s'affiche en haut de l'écran. Le nom de June en majuscules noires et en caractère gras me saute aux yeux, me laissant deviner qu'elle a répondu au message de Felix. Mon coeur s'affole et je lâche le téléphone comme s'il me brûlait les mains, ne voulant pas connaitre son contenu.
- Ouais, elle ne se connecte pas souvent... mon cul, oui ! Elle a effacé les photos de son ex et elle TE répond ! Je n'appelle pas ça « ne pas se connecter souvent » ! je m'insurge en crochant mes doigts dans les airs, pour mimer les guillemets.
Ma réaction provoque l'hilarité de mon pote, tandis que mon anxiété grandit. Il récupère son portable pour découvrir la réponse de June. Je reconnais que j'exagère un peu, mais c'est le stress qui me fait agir de cette façon. Même si j'appréhende, je suis quand même curieux de savoir ce qu'elle a écrit.
Je reporte mon attention sur mon ami qui s'affaire à taper la suite de leur conversation.
- Hey, tu fais quoi, là ? je lui demande en essayant de lui prendre le téléphone des mains.
Il a tout juste le temps de m'en empêcher et se redresse pour s'asseoir sur son lit, adossé au mur, prenant un malin plaisir à m'envoyer un sourire narquois.
- Putain, Felix ! Elle a dit quoi ?
Ouais, la curiosité l'a emportée sur la peur, okay ?
Il continue de me fixer sans rien dire. Ah, celui-là, franchement ! Il ne sait jamais quand la fermer, mais surtout quand l'ouvrir ! Après m'avoir bien fait mariner — et rager — mon pote finit par m'apprendre qu'elle va beaucoup mieux et qu'elle demande de ses nouvelles. Je suis content — et soulagé — de constater que je ne l'ai pas trop anéantie. Je m'en serais encore plus voulu si elle s'était retrouvée au fond du trou par ma faute. Bien que je ne l'ai pas frappée, la nuit dernière, je ne valais pas mieux que son enfoiré d'ex. Et en sachant le trou du cul qu'il est, on peut dire que j'ai excellé en me comportant comme un parfait connard.
Je prends place à côté de mon meilleur ami pour vérifier qu'il ne lui raconte pas trop de conneries.
- « Kent... serais-tu de la même famille que Superman ? Ou est-ce ta famille qui a donné son nom au comté dont je suis originaire ? Cela ferait de toi un aristocrate, Sir Kent ;P Félicitations pour le match ! T'as marqué combien de buts ? », lit Felix à voix haute pour me faire partager la réponse humoristique de June.
Je ne peux m'empêcher de sourire en relisant les mots comiques de la brunette. Elle a vraiment de l'esprit. Je m'aperçois à cet instant que je connais peu de choses sur elle. En même temps, je dois admettre que je n'ai pas cherché non plus à en savoir plus, à cause de ma stupide règle pour la tenir à distance. Elle a bien fonctionné, putain ! Rien qu'avec ce message, deux nouveaux éléments viennent compléter le puzzle que constitue June : à présent, je sais d'où elle vient, et qu'elle a un sens de l'humour que j'apprécie.
Je lis rapidement la réponse qu'a déjà composé Felix, pendant que je rêvassais à côté de lui. Mon meilleur ami est assez doué en répartie et je dois avouer que sa réplique pourrait faire de l'ombre à celle de June.
- Putain, mais où tu vas chercher tout ça ? je lui demande, épaté par son message.
- Toi, ton rayon, c'est les meufs, la drague et le sexe... nous autres, communs des mortels, qui ne sommes pas nés avec les gènes d'un dieu grec comme toi, devons développer d'autres talents pour attirer l'attention de la gent féminine. Et moi, j'ai choisi l'humour et le sarcasme ! déblatère-t-il en concluant avec un petit sourire satisfait avant de presser sur « Envoyer ».
Son discours ressemble étrangement à celui qu'Hamza m'a servi, il y a quelques heures. Okay, j'avoue que je suis loin d'être repoussant, que mon taux de succès avec les filles est assez impressionnant, que je suis à l'aise en drague, et côté sexe, elle sont toujours très satisfaites... mais ça me fait chier de n'être résumé qu'à ça. Les trois quarts du temps, les meufs ne s'attardent pas sur autre chose que mon look et ma beauté. Est-ce que c'est aussi le cas de June ? Ca expliquerait qu'elle en ait rien à foutre de mes bleus. J'ai d'autres qualités à offrir en plus du reste.
Je suis ramené à la réalité quand la réponse de June atterrit dans la boite de réception de Felix. Encore une fois, elle nous... euh, lui sert un monologue tout en finesse, qui m'arrache un second sourire. Ils continuent leur dialogue tout en second degré pendant quelques minutes encore. Le passage où mon pote s'autoproclame « sex-machine » me fait tiquer. J'espère vraiment qu'elle va le prendre à la rigolade et pas au pied de la lettre parce que, putain, ça me ferait chier. Mais sa réponse, toujours décalée, a fini par me rassurer. Elle a d'ailleurs cité un dialogue de « Spiderman ».J'ai quand même insisté auprès de Felix pour qu'il rajoute deux smileys qui tirent la langue, pour appuyer le coté « plaisantin » de sa boutade sexuelle. En guise d'approbation, il a levé les yeux au ciel.
Pas une seule fois, elle ne me mentionne. Pourquoi le ferait-elle ? Elle doit me détester. Après tout, elle est partie de ma chambre, les yeux remplis de larmes, en me traitant de connard. Voilà ce que je suis pour elle. Rien de plus, rien de moins. Mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Je ne pourrai jamais oublier la blessure que j'ai pu déceler au fond de ses iris sombres.
Je m'avance vers le bord du lit et me lève pour me diriger vers la porte de la chambre. Je préfère les laisser discuter tous les deux. Ca n'apporte rien que je reste à côté de lui.
- Tu vas où, bro ? s'enquiert Felix, ses yeux bleus quittant l'écran de son portable pour me regarder.
- Je... euh... j'ai un petit creux... je vais me chercher un truc à bouffer, je prétexte.
Je pose ma main sur la poignée de la porte, prêt à l'ouvrir, lorsque la voix de mon meilleur pote m'interpelle de nouveau :
- Et si on en venait à parler de toi ? demande-t-il.
Je me retourne vers lui, un sourire triste sur le visage.
- Ça n'arrivera pas, je réponds, résigné. Je dois vraiment être la dernière personne dont June ait envie de parler. Elle doit me voir comme la pire des merdes maintenant, alors...
Je m'interromps et secoue la tête, tant cette situation est complètement barrée. Si elle venait à m'évoquer, je sais ce ne serait pas en des termes très flatteurs donc, pas besoin de trainer par ici pour être témoin de ça.
Je m'engouffre dans le couloir lorsque, une nouvelle fois, la voix de mon ami parvient à mes oreilles :
- Tu disais ? m'annonce-t-il en se levant et se précipitant vers moi, un grand sourire aux lèvres. Regarde !
L'espoir renait une nouvelle fois en moi, accompagné cependant d'une bonne dose d'appréhension. Felix brandit son portable devant mon nez pour que je puisse voir ce que June a écrit :
- « Au fait, l'ambiance est de nouveau détendue avec Hero ? », je lis intérieurement.
Ouais... elle s'inquiète seulement de savoir si je n'ai pas fini par coller mon poing dans la figure de son nouveau coup de coeur. Pas grand-chose à avoir avec moi, au final.
Je garde le silence devant l'enthousiasme injustifié de mon meilleur ami, une grosse déception balayant le peu d'espoir qui habitait encore en moi.
- Arrête de faire la gueule ! s'exclame-t-il en agitant l'écran de son téléphone devant mes yeux. Tu ne vois pas que c'est l'occasion de redorer ton blason ?
Il se met alors à taper frénétiquement sur les touches digitales de son clavier avant de me montrer le contenu de sa réplique. Je valide les trois quarts de sa réponse. Par contre, je souhaite qu'il retire le passage où on a de nouveau failli en venir aux mains.
- Mais non, au contraire ! m'explique-t-il. Ca montre que tu as réussi, malgré la colère et la jalousie qui t'aveuglaient, à te remettre en question sur beaucoup de points, dont ton comportement avec elle. Si ça, ça n'ouvre pas à une discussion entre vous...
Je reste sceptique. Certes, la logique de Felix tient la route, seulement, il faudrait que June voie les choses de la même manière que lui et ça, j'en suis moins sûr.
- Je ne veux pas me faire d'illusions, bro, je lui révèle en haussant les épaules, la mine défaitiste.
Je suis certain que l'issue de cette conversation ne sera pas en ma faveur, même si Felix s'évertue à me défendre becs et ongles. En bon connard, je me suis assuré que June soit assez dégoûtée par ma personne pour ne plus vouloir m'approcher.
Quelle connerie !
La réponse de cette dernière se cantonne à un simple soulagement de savoir que nous ne nous sommes pas étripés. Je ne vois pas ce qu'il y aurait d'autre à ajouter. Clairement, elle n'a pas envie de s'étendre sur le sujet, mais mon ami ne l'entend pas de cette oreille.
Felix s'y reprend à plusieurs fois avant de taper un message qui sonne juste. Pour ma part, je pense qu'il pourra lui dire tout ce qu'il voudra, ça ne changera pas son opinion sur moi. Il envoie la missive digitale stipulant que malgré tous mes défauts, je suis une « bon gars ».
Je ne me suis jamais vu comme tel. Je ne suis une personne décente qu'en présence de mes amis, ma seconde famille. Ma seule famille. Pour eux, je décrocherais la lune s'il le fallait. Mais, avec le reste du monde, je dresse ma carapace pour me protéger. La seule qui a pu entrevoir le vrai moi, c'est Angie parce que, même si ça me fait chier de l'admettre, on est pareil. Elle sait ce que je traverse et comprend mes réactions, étant donné qu'elle agit et réagit de la même façon. Si moi-même, je ne me considère pas comme une bonne personne, comment June le pourrait-elle ?
« Si tu le dis... »
Outch ! Bien que je le pressentais, sa réponse me fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. Si elle avait mis un émoji blasé, ça aurait été la même chose. Je comprends son scepticisme. Elle doit se douter que l'avis de Felix doit être biaisé.
Soudain, le visage de ce dernier perd toute trace de gaieté et d'optimisme. Il relève un regard mêlant pitié et inquiétude à la fois. Sans attendre, je lui arrache l'iPhone des mains pour lire la suite du message de June.
- « Je salue ton courage de meilleur ami de le supporter, parce que ça ne doit pas être facile tous les jours. Franchement, le soir où je l'ai rencontré, j'aurais préféré qu'il m'ignore, ou qu'un autre mec soit venu m'aborder. Un mec... comme toi ! »
Putain, si elle voulait m'achever, je crois qu'elle n'aurait pas pu le faire d'une meilleure façon. Un mec comme Felix, voilà ce qu'elle veut. C'est écrit noir sur blanc. Un garçon qui la fasse rire, plutôt que pleurer, qui la traite bien au lieu de se montrer cruel envers elle... voilà ce qu'elle mérite. Mon ami sait faire tout ça, lui. Il la rendra heureuse, j'en suis sûr. Je dois juste accepter de voir la femme que j'aime au bras de quelqu'un d'autre.
Certainement un retour bien cynique de ce putain de karma pour toutes les saloperies que j'ai pu faire subir à des filles par le passé...
Je n'arrive pas à décoller mes yeux des quatre derniers mots qui clôturent le message. Elle regrette d'avoir croisé ma route, ça aussi, elle l'a marqué. J'ai vraiment déconné pour la rebuter à ce point. Sans dire un mot, je colle le portable sur le torse de mon meilleur ami avant de me retourner pour prendre la direction des escaliers.
- Bro, attends ! Je suis certain qu'elle ne le pense pas, tente de me rassurer Felix. Elle a dit ça sur le coup de la colère... ou de la frustration.
- C'est bon, te fatigue pas, elle a été très claire, je lui lance, aigri, alors que j'entame la descente des marches.
J'entends mon pote soupirer tandis que j'atteins le rez-de-chaussée. J'ai les nerfs, et je suis soulagé de constater qu'il n'y a personne dans les parages pour témoigner de ma colère. En remarquant l'heure tardive, Mr. et Mrs. Kent doivent déjà dormir.
Je tourne en rond, comme un lion en cage, passant frénétiquement ma main dans mes cheveux à plusieurs reprises. Tout ça me rend complètement dingue. Mon sang bouillonne dans mes veines et j'ai envie de tout casser. Mais, par respect pour la famille qui m'héberge, je n'en ferais rien. J'inspire et expire bruyamment pour tenter de faire baisser la pression.
A la place, je me dirige vers le placard où l'alcool est rangé. J'ouvre la petite porte en bois et parcours rapidement du regard les bouteilles alignées. Mon choix se porte instantanément sur un vieux scotch écossais, qui fera parfaitement l'affaire pour apaiser mon esprit meurtri et tourmenté. Je m'installe sur le canapé et prévois de vider le contenu ambré jusqu'à sombrer dans un état proche du coma éthylique. Je veux anesthésier la douleur que June m'a infligé et tuer tout ce que je peux ressentir pour elle. Si l'alcool pouvait agir comme un désherbant pour sentiment, je viderais tout le stock des Kent, jusqu'à redevenir moi-même, celui que j'étais avant de la rencontrer.
Plus je bois, plus la colère monte en moi. Les mots de June n'arrêtent pas de défiler devant mes yeux. Putain, pourquoi était-elle obligée d'écrire toute cette merde ? Moi aussi, je regrette de l'avoir abordée. Si mon choix s'était porté sur n'importe quelle autre nana de la boite, je ne serais pas ici, assis comme un misérable, à me morfondre. Je l'aurais tirée dans un recoin sombre du nightclub, et nos vies auraient repris leur cours normal. Pourquoi ça a été différent avec June ?
Je devrais certainement lui dire tout ce que j'ai sur le coeur, lui faire savoir qu'elle a autant été une erreur pour moi que je l'ai été pour elle. Ça me permettra de tourner la page et de l'oublier. Elle pourra également en faire de même, bien qu'il me semble que ce soit déjà le cas. Je ne veux plus jamais avoir affaire à elle.
Je bois une nouvelle gorgée de scotch et pose la bouteille à moitié vide sur la table basse. Pour ma défense, elle était déjà entamée. Je me lève et me dirige vers la porte d'entrée. Lorsque j'arrive au niveau des escaliers, j'entends des pas lourds à côté de ma tête. En la tournant, j'aperçois Felix dévaler les marches en bois pour me rejoindre.
- Je peux savoir où tu comptes aller, bro ? me demande-t-il, sourcils froncés.
Je continue mon chemin vers la porte, sans tenir compte de sa question. Mais, avant de l'atteindre, les doigts de mon meilleur ami s'enroulent autour de mon avant-bras et me freinent dans mon élan. Je donne un violent coup d'épaule pour me dégager de son emprise. Sa main me lâche, mais ses protestations continuent.
- Putain, Hero ! Qu'est-ce que tu vas faire ? insiste-t-il en haussant la voix.
Je me retourne finalement vers lui, un rictus mauvais déformant mes lèvres.
- Mettre les choses au clair, je crache avant d'attraper une des vestes sur le porte-manteaux mural.
- Tu ne comptes pas t'excuser, si je comprends bien ? lance-t-il, sur un ton plus affirmatif qu'interrogatif. Tu vas aggraver la situation, bro... et tu vas le regretter.
- Y'a rien à aggraver, c'est déjà mort, Felix ! je beugle en faisant de grands gestes avec mes bras.
- T'es vraiment con, si tu crois ça ! s'écrie-t-il. Si c'est par rapport à ce qu'elle a écrit...
- Je m'en fous de ce qu'elle peut écrire, ou penser, je lui coupe la parole en grommelant.
A ce moment-là, Felix se retourne et aperçoit la bouteille de scotch sur la table. Il reporte lentement son attention sur moi en secouant la tête, comprenant que ma décision n'a peut être pas été prise rationnellement. Mais je m'en contrefous.
- Tu vas tout faire foirer, H. Regarde à quel point t'es malheureux sans elle et, au lieu de vouloir arranger les choses... tu t'obstines à les empirer ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, man ?
- Je n'ai jamais tourné rond, vieux, je me contente de lui répondre en haussant les épaules avant de sortir de la maison.
- Tu ne pourras pas dire que je ne t'aurais pas prévenu, bro, m'avertit un dernière fois mon meilleur ami.
Alors que je m'apprête à refermer la porte, j'entends les voix lointaines de Mr. et Mrs Kent demandant à leur fils ce qui se passe. Je n'attends pas sa réponse et m'éloigne le plus vite possible en direction de ma moto.
*
Bien que l'alcool ait un peu altéré mes sens, je n'ai eu aucun mal à circuler dans la ville et me gare devant l'immeuble de June. J'ai conscience de l'heure très tardive, mais je m'en balance. Je dois mettre fin à cette mascarade le plus vite possible. Pendant le trajet, les mots de Felix n'ont pas arrêté de tourner en rond dans ma tête, mais le message de June les éclipsait à chaque fois.
Par chance, je n'ai pas besoin de sonner à l'interphone, la porte d'entrée étant mal fermée. Mon casque à la main, je monte les escaliers trois par trois jusqu'à atteindre l'étage où se trouve l'appartement. Sans attendre, je frappe trois bon coups sur le bois de la porte. J'attends quelques secondes avant de recommencer à tambouriner, plus énergiquement cette fois. Ce n'est pas un bout de bois amovible qui va me tenir à l'extérieur de chez elle.
- June, ouvre cette porte ! je scande en agitant de nouveau mon poing contre la porte.
Soudain, elle s'ouvre et je suis accueilli, à ma grande surprise, par le « mec » d'Angie, torse nu, à moitié réveillé...
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