29 BIS.

[ANGIE]

- Bonne baise, ma grande !

J'entends la voix de Dany — non, on en est revenu à DA-NIEL — résonner dans le couloir tandis que June, dont les joues ont dû virer rouge pivoine, ne doit plus savoir où se mettre. J'avoue que cette petite scénette dans ma tête m'arrache un léger gloussement. Je sais que le bad boy caractériel a un don pour mettre les gens mal à l'aise. Et il s'en délecte, le salaud... même si c'est un tantinet drôle !

La porte de l'appartement claque quelques secondes plus tard, ce qui signifie que je suis, à présent, seule avec cette grande gueule de Sharman. Je suis tellement, mais tellement contente pour June. Elle a enfin réussi à accepter ses désirs — et, plus important, à vouloir les assouvir — et j'en suis plus qu'heureuse. Ma meilleure amie mérite tout le bonheur du monde et, si elle le trouve occasionnellement dans les bras de ce beau gosse d'Hero, grand bien lui fasse !

La majorité des gens pense que l'amour et le bonheur vont de paire. Pour avoir testé le premier, je peux attester que ce n'est pas le cas... loin de là ! J'ai été amoureuse, vraiment amoureuse d'un garçon. On parle de l'amour avec un grand A, ici. Le premier amour, celui qu'on n'oublie vraiment jamais... Pour lui, j'étais prête à décrocher la lune et toutes les étoiles qui allaient avec. Je l'aimais tellement que j'aurais pu explorer toutes les autres galaxies possibles et inimaginables pour lui ramener tous les trésors que j'y aurais déniché. J'ai vécu une histoire d'amour épique, violente et destructrice, digne d'un bon film dramatique à Oscars, où j'aurais tenu le premier rôle féminin, celui de la jeune fille innocente qui se laisse corrompre par les beaux yeux et les belles paroles d'un garçon. Quant au héros de mon histoire, il s'est révélé en être le méchant. Celui dont on découvre la vraie nature que trop tard et aucun retour en arrière n'est possible.

Les bons moments ressemblaient au septième ciel et les mauvais aux neuf cercles de « l'Enfer » de Dante. Mais je l'aimais. Et il m'aimait. C'était tout ce qui comptait, à l'époque. Avec notre amour, nous pouvions faire face à n'importe quelle situation, n'importe quel coup dur. J'étais là pour lui, et lui était là pour moi. Ensemble, nous étions invincibles.

Quelle désillusion ! Je ne me suis jamais autant fourré le doigt dans l'œil.

Enfin, bref. Tout ça pour dire qu'on n'accède pas au bonheur à travers l'amour. En bonne célibataire endurcie que je suis, je peux dire que je suis plutôt satisfaite de mon train de vie. Je n'ai de comptes à rendre à personne, mes décisions n'engagent que moi et, comme je mène ma petite existence comme je l'entends, je n'ai aucune raison de me retrouver dans le pétrin.

Que demander de plus ?

Et puis, je n'ai pas besoin d'un homme pour être heureuse. Mes deux amies remplissent ce rôle à merveille, et cela me suffit amplement. Les mecs de passage, c'est juste un bonus !

En ce qui concerne Daniel, même si June est persuadée qu'il n'est pas si mauvais que ça, je connais ce genre de personnes, celles qui se tiennent au bord d'un précipice, prêtes à basculer à n'importe quel moment, laissant les ténèbres consumer le peu de bon qui pesait dans la balance. Il a cette noirceur en lui, je l'ai entraperçue au poste de police. C'est quelque chose qui m'attirait autrefois. Le mystère qu'il dégage, le danger qu'il représente... c'est vraiment grisant pour une jeune femme innocente à la petite vie rangée. Le bad boy révolutionne nos petites existences, retourne nos mondes à l'envers, nous fait découvrir un tout autre univers qu'on n'aurait jamais suspecté. Et, en général, ce type d'histoire finit en happy end. Enfin... c'est ce qu'on nous fait croire dans les romans et les films. Le garçon montre des remords par rapport à ses mauvaises actions et prouve à la personne qu'il aime qu'il est capable de changer. Et, souvent, il réussit, pour le plus grand bonheur de l'héroïne et de ceux qui suivent l'intrigue.

Mais la réalité est bien différente des fictions...

Mais aujourd'hui, je ne retomberais pas dans ce piège. Je me le dois, mais je le dois aussi à June. Si elle ne m'avait pas soutenu après cette débâcle, d'un soutien sans faille allant au-delà de ce qu'une simple amie pourrait faire, j'aurais sombré dans les abysses de la dépression, et peut-être même de la mort. Je lui dois tellement... J'ignore si, un jour, je serais capable de lui rendre la pareille. Ou juste le quart de ce qu'elle a fait pour moi.

Après ce bref retour dans le passé, je commence à retirer mes vêtements afin d'aller prendre une douche. Le sexe avec Tom, c'est du sport et, qui dit sport... dit transpiration ! Je ne suis pas contre me dépenser, surtout en pratiquant ce genre d'activités physiques, mais avoir le corps recouvert de la sueur de quelqu'un d'autre, no way ! D'ailleurs, je commence à regretter d'avoir refusé les prolongations avec mon musicien. Cela m'aurait évité de me retrouver en mauvaise compagnie.

Argh ! Pourquoi June l'a laissé entrer ? Et pourquoi est-il toujours là, d'ailleurs ? Oh, je sais ! Je n'ai qu'à le virer de l'appartement, comme ça, le problème est réglé !

En soutien-gorge et en culotte, je suis tirée de mes longues pensées machiavéliques lorsque l'objet de ma rancoeur frappe à la porte de la chambre, dans laquelle je suis toujours enfermée. Je souffle bruyamment au souvenir de sa présence. Mais, au lieu de le gratifier d'une réaction de ma part, j'attrape ma paire d'AirPods et les fourre dans mes oreilles pendant que je sélectionne une musique qui couvrira le son de sa voix lors de ma sortie. Je lâche mes cheveux pour cacher les écouteurs sans fil. Faisant défiler les chansons d'une de mes playlists Spotify, j'en sélectionne une plutôt rock dont le titre fait écho à mon ressenti : « Make Me Wanna Die » de The Pretty Reckless.

À la base, il ne me donne pas envie de mourir... juste envie de le tuer ! Mais les puissants riffs de guitare se chargeront de le rendre muet à mes yeux... et c'est tout ce qui compte !

J'enroule une serviette autour de mon corps quasiment dénudé. Avant de franchir la porte, je m'empare de mes affaires de rechange, un tee-shirt blanc arrivant au-dessus du nombril et un short en coton, pour passer une soirée confortable... vestimentairement parlant, évidemment ! Le reste de son déroulement, je n'en suis pas aussi sûre...

Je me retrouve dans le couloir et, du coin de l'oeil, aperçois Daniel adossé au mur, les mains dans les poches. Il tourne rapidement son visage vers moi et se redresse pour me faire face. La tête haute, j'avance d'un pas mesuré vers la salle de bain, un léger sourire narquois étirant mes lèvres, sans lui prêter un regard. Même si sa présence me perturbe un peu, je ne lui ferai pas le plaisir de le lui montrer.

Alors que ma main se pose sur la poignée de la porte, le grand brun bouclé approche, l'air penaud. Les lèvres pincées, il s'arrête à quelques centimètres de moi. Je remarque immédiatement qu'il porte le même tee-shirt que je lui avais prêté pour remplacer celui qu'il avait tâché de sang, suite à sa bagarre avec Matt. Il pose un regard timide sur moi et, à ce moment-là, je sais que j'ai le dessus dans cette situation. Il est conscient d'avoir merdé et il fait dans son froc. J'ignore pourquoi, mais cette perspective m'enchante. A vrai dire, je sais très bien pourquoi, mais je ne veux pas passer pour une sadique... même si je le suis un peu. Beaucoup, même !

OKAY ! Je suis une grosse malade de sadique qui apprécie la souffrance de ceux qui lui ont chié dans les bottes ! Contents ?!

J'hésite quelques secondes à entrer, feignant d'ignorer sa présence, mais où serait le fun là-dedans ? Il m'a blessée, il va en baver !

Je lève un visage impassible vers Sharman. Ses lèvres s'agitent, mais sa voix ne parvient pas à mes oreilles. Taylor Momsen et son groupe font bien leur travail. Je me contente de regarder sa bouche s'articuler, sans avoir la moindre idée de ce qu'il peut raconter. J'ai du mal à garder mon sérieux en pensant qu'il parle dans le vide. Je me mords l'intérieur de la joue pour éviter de rire.

Je suis peste, j'avoue... mais il l'a bien cherché, non ?

Il continue sa tirade, entrecoupée de brefs sourires gênés, en baissant la tête. Il essaie également de cacher sa nervosité en passant sa main dans les cheveux, faisant bouger ses boucles au rythme du mouvement. Et, il doit être sacrément inquiet, étant donné les nombreuses fois où ses doigts ont parcouru son cuir chevelu.

Au bout d'un moment, il s'interrompt et plante ses yeux couleur océan dans les miens. Ses fines lèvres roses restent à présent inertes, et je comprends alors que son monologue touche à sa fin. Il doit certainement attendre une réponse de ma part. J'espère pour lui qu'il a de la patience, parce qu'il peut se brosser pour en avoir une !

Hmm... quoi que... il veut tellement une réaction ? Je vais lui en donner une...

J'entrouvre la bouche, prête à répliquer, mais me ravise au dernier moment. Je penche la tête sur le côté, sans le quitter du regard. Il appréhende ce qui va sortir de mes lèvres, je le vois. Mais... qui a dit que ma réponse serait orale ?

Je pose mes mains de part et d'autre de ma nuque, les faisant doucement remonter jusqu'à la naissance de mes premiers cheveux, dans un geste lascif. Daniel détaille chacun de mes mouvements du regard, confus et intrigué par mon attitude. Je commence à remonter ma chevelure, toujours à un rythme lent, histoire de faire durer le suspense. Je bascule ma tête en arrière, offrant une belle vue sur mon décolleté, malgré la serviette dissimulant la majorité de mon corps. Je noue ma crinière violine en un chignon négligé sur le sommet de mon crâne, avant de constater, avec satisfaction que mon petit stratagème a fonctionné.

Angie 1 - Sharman 0

Le fils du patron de June fixe avec frustration les écouteurs blancs enfoncés dans mes oreilles, comprenant que je n'avais aucune intention de l'écouter. J'en retire un, dont la mélodie rock'n'roll s'échappe de la minuscule enceinte — au volume maximal, pour être précise — et, d'un air innocent, haussant légèrement les sourcils, lui adresse enfin la parole :

- Oh... tu voulais me dire quelque chose ?

Plissant les yeux, Daniel se mordille la lèvre inférieure en dodelinant de la tête, réalisant que de simples excuses ne suffiraient pas. Et, il est loin du compte ! J'espère qu'il a plus d'une paire de rames en stock, parce qu'il va devoir pagayer sur une longue distance avant que je ne considère seulement l'idée de lui pardonner.

Règle numéro un : ne jamais chercher de noises à Angie, sous peine de violentes « RDI » : Représailles  à Durée Indéterminée !

Règle numéro deux : j'aime bien parler de moi à la troisième personne ! (D'accord, c'est pas tellement une règle, mais j'aime bien le préciser !)

Fière de mon petit coup bas, je le nargue en passant devant lui, remettant mon AirPod dans l'oreille, pour enfin ouvrir la porte de la salle de bain et m'y engouffrer. Je fredonne même un peu l'air, afin d'enfoncer un peu plus le clou, avant de le faire disparaitre derrière la paroi amovible en bois.

J'allume la lumière de la pièce et fais quelques pas en direction de la baignoire, avant de retirer la serviette que je pose sur le couvercle de l'abattant des toilettes, avec mes habits propres. Toujours en sous-vêtements, je me dandine pieds nus sur le carrelage gris froid en mode rockeuse, tout en marmonnant approximativement les paroles. Je secoue la tête dans tous les sens, jusqu'à m'en faire souffrir. C'est, en quelque sorte, ma petite danse de la victoire.

Au moment où la chanson se termine, je retire mes écouteurs en soupirant de satisfaction. Je pourrais les garder sous la douche, mais étant donné que j'ai eu la fausse bonne idée de la diffuser en boucle, je préfère éviter d'en faire une overdose.

- On peut discuter, maintenant ? demande calmement la voix de Daniel, derrière mon dos.

Je sursaute en hurlant, me retournant vers le coupable de la possible crise cardiaque que je suis en train de faire. Il est entré sans aucune gêne, alors que j'aurais pu être entièrement à poil ! Non, mais pour qui il se prend, ce con ?

Je pose ma main sur le haut de ma poitrine, qui monte et qui descend frénétiquement. Mon cœur palpite comme une locomotive à pleine vitesse. Me remettant petit à petit de mes émotions et m'apercevant que je suis à moitié nue devant lui, je me jette sur la serviette pour m'en recouvrir.

- Qu'est-ce... qu'est-ce que... SORS D'ICI ! je hurle en pointant la porte du doigt, contre laquelle il s'appuie, tentant de cacher mon corps à la hâte du mieux que je peux de ses yeux curieux.

La tête collée contre le bois, le bouclé ne me quitte pas du regard. Il ne semble ni en colère, ni vexé par mon ingéniosité en matière de duperie. Il se contente de me fixer, un léger rictus dessiné sur ses lèvres.

Je ne m'attendais pas à une offensive de sa part. Ma victoire aura été de courte durée. D'ailleurs, à quel moment est-il entré dans la salle de bain ? M'a-t-il vue en train de remuer du popotin en culotte ?

Si c'est le cas, j'ai, maintenant, envie de mourir !

- Je ne partirai pas tant qu'on n'aura pas discuté, annonce-t-il sur un ton confiant.

Sa main se dirige lentement vers la poignée de la porte mais, au dernier moment, bifurque vers la clé, qu'il tourne dans la serrure avant de la retirer. Le petit cliquetis me fait immédiatement comprendre qu'il nous a enfermés dans cette petite pièce de moins de dix mètres carrés. J'écarquille les yeux, horrifiée par la simple perspective de me retrouver coincée avec lui dans un endroit aussi exigu, sans issue de secours, excepté son bon vouloir.

D'accord... Angie 1 - Sharman 1

Je m'approche d'un pas pressé vers lui, furieuse de l'avoir sous-estimé. J'essaie d'attraper la clé dans sa main mais, du fait de sa grande taille, il n'a aucun mal à l'isoler au-dessus de sa tête, sans aucun moyen pour moi de l'atteindre. Je me mets sur la pointe des pieds, m'agrippe à ses vêtements, prends appui sur ses épaules, tente de tirer son bras vers le bas, mais ce con est plus fort que moi, et semble même prendre un malin plaisir à me voir me débattre comme une lionne.

- Ouvre cette putain de porte ! je lui ordonne, en le fusillant du regard.

- Si tu veux à ce point me grimper dessus... suffit de demander, me nargue-t-il à son tour, passant sa langue sur sa lèvre inférieure, tout en arquant un sourcil subjectif.

Argh ! Il m'exaspère au-delà de l'entendement. Je le pousse en lâchant un grognement frustré, et m'éloigne de lui. Il n'a pas l'air de réaliser à quel point je suis furax contre lui. Ou peut-être bien qu'il ne le sait que trop bien...

Il veut jouer au plus malin ? Eh bien, on va être deux, mon coco !

Je prends une profonde inspiration pour me calmer. Ce n'est pas par la violence que j'obtiendrais quoi que ce soit de lui. Je dois être maline. Plus maline que lui, en tout cas.

Je me retourne vers lui, penchant la tête sur le côté, un air compatissant sur le visage. Je lui adresse un petit sourire pincé, faisant un pas vers lui avant de m'arrêter.

- Merci, mais j'ai déjà eu ma dose pour aujourd'hui... si tu vois ce que je veux dire, je lâche, en mordillant le bout de mon index.

Le sourire suffisant qu'il arborait quelques secondes plus tôt s'évanouit au fur et à mesure qu'il comprend mon sous-entendu.

Et boum ! Quel retour de ma part !

- C'est pour ça que je tiens tant à prendre une douche, je précise pour l'achever un peu plus. J'ai encore sa sueur sur moi... sueur qui a coulé sur ma peau pendant nos ébats passionnés... sueur qui s'est propagée sur toutes les parties de mon corps, alors qu'il me prenait sauvagement sur son piano. Ouais, parce que c'est un musicien de surcroît, donc il a de la créativité à revendre... dans tous les domaines !

Daniel se décompose petit à petit devant moi. Pendant mon discours dithyrambique, vantant les exploits sexuels de mon musicien, je fais glisser mes mains de façon langoureuse le long de mon corps, m'attardant sur les zones de mon anatomie pertinentes à mon récit, histoire de lui foutre un peu plus les boules. Bien qu'il ne rate pas une miette de mon petit spectacle cruel, je ne décèle pas seulement de la frustration dans ses yeux. Y'aurait-il aussi... un peu d'excitation ?

Je pensais remporter le match avec ça... mais on dirait qu'on peut remettre la balle au centre... Merde ! Je dois donc accorder un nouveau point à cet empaffé...

Je me sens un peu prise à mon propre jeu. Je savais que le binôme de June était coriace, mais pas à ce point. Je vais devoir redoubler d'ingéniosité pour le faire plier. Il est hors de question que je le laisse avoir le dessus sur moi. Il ne peut y avoir qu'une issue à ce petit jeu, et ma défaite n'est pas envisageable.

Je resserre un peu plus la serviette autour de mon corps, ayant la désagréable sensation d'être complètement exposée. Daniel se redresse et s'avance lentement vers moi, la clé toujours dans sa main. Une boule se forme dans mon ventre. Je déglutis avec difficulté, tandis que ses yeux clairs sont ancrés dans les miens, pendant qu'il s'approche tel un prédateur ayant coincé sa proie. Je commence à reculer pour éviter de me sentir submergée par son imposante stature.

Lorsque le bas de mon dos touche le rebord du lavabo, j'ai conscience que je dois trouver une échappatoire, et vite. Je regarde furtivement la main qui détient littéralement la clé de ma libération, alors que l'espace entre nous s'amenuise de plus en plus, jusqu'à être réduit à néant. Même si nos corps ne se touchent pas, je peux sentir la chaleur émaner du sien.

Sharman jette un rapide coup d'oeil sur la vasque en porcelaine marron clair enfoncée dans le creux de mes reins, non sans réprimer un petit rire. Cela doit certainement lui rappeler notre petit moment où les choses auraient pu aller plus loin, si June ne s'était pas mise à crier. J'ai l'impression que cela s'est passé, il y a une éternité... et avec une autre personne.

- De la créativité, hein ? répète-t-il, intrigué, avant de poser de nouveau ses iris d'une intensité folle sur moi.

Ses mains viennent se poser sur le lavabo, de part et d'autre de mon corps. Je suis physiquement prisonnière de son emprise. Mon pouls s'accélère d'un coup et ma respiration se saccade lorsque son visage descend pour faire face au mien. Il ne manque pas d'esquisser un rictus suggestif, pour couronner le tout. Putain, je ne devrais pas le trouver sexy en cet instant, mais c'est plus fort que moi. Mon bas ventre en est d'ailleurs tout jouasse. Il sait jouer de ses charmes, je dois au moins lui reconnaitre ça et, si j'avais été faible, je me serais déjà jetée à son cou. Malheureusement pour lui, ma rancoeur est plus tenace que le petit crush que j'avais développé.

La clé se trouve toujours entre ses doigts. Je dois absolument m'en emparer, peu importe le moyen que j'emploierai. J'analyse rapidement la situation pour essayer de trouver une solution efficace et rapide. Placé comme il est, il me serait facile de lui filer un coup de genou dans les bijoux de famille. Il s'écroulerait au sol en poussant un cri de douleur, recroquevillé sur lui même. Alors, j'en profiterais pour lui tirer la clé, non sans lui lancer une petite pique au passage, histoire de le narguer un peu plus et finirais par m'évader. Je pourrais même l'enfermer seul dans la salle de bain.

Oui, je sais... j'avais dit que ce n'était pas par la violence que je réglerais ce problème... comme quoi, y'a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis !

Étonnamment — ou pas — cette perspective me ravit. Oui, encore mon côté sadique, je sais. Mes pensées machiavéliques me surprendront toujours. Cependant, il ne doit rien soupçonner pour l'instant. Je dois faire profil bas et jouer le jeu.

- Je... je croyais que tu voulais qu'on parle, je lui rappelle, haletante.

Daniel approche un peu plus son visage et nos nez se frôlent presque. Je peux sentir son souffle chaud s'échapper de ses lèvres entrouvertes. Il jette de nouveau un furtif coup d'oeil vers le lavabo avant de reporter son attention sur moi.

- Ton copain pourrait composer la cinquantième symphonie de Beethoven avec sa bite qu'il ne m'impressionnerait pas, murmure-t-il d'un ton moqueur, en me fixant dans le blanc des yeux. Je suis prêt à relever le défi.

Le défi ? Quel défi ? Je fronce les sourcils, pas sûre de savoir à quoi il fait exactement allusion. Parle-t-il de musique ou bien...

Peu importe, je dois mettre mon plan en action... et maintenant !

Je pose une main sur son bras, la faisant doucement glisser sous les yeux de Daniel, qui suit le mouvement du regard, tout en faisant naitre un sourire sur son visage.

- Et... en quoi consiste le défi, précisément ? je chuchote de manière sexy, alors que j'atteins presque son poignet. Suis-je un prix à remporter, à tes yeux ?

Le bad boy pose de nouveau ses yeux sur moi, sans se départir de son rictus diabolique. Mes doigts, frôlant sa peau, entament des allers-retours entre son coude et le dos de sa main, agrippant toujours le bord du lavabo.

- Tu n'es certainement pas un vulgaire prix, Angie, pouffe-t-il. Non, toi... toi, t'es le putain de gros lot.

Oh, la vache ! Mon cœur rate un battement en entendant ses propos. L'oxygène se vide instantanément de mes poumons. Je suis soufflée par sa réponse. Je m'attendais à une réplique machiste et sexiste. Je pensais être offensée par une réflexion d'homme des cavernes. Mais non ! Il m'a complètement prise au dépourvu avec le meilleur des compliments qu'on puisse me faire.

Bordel de merde... je crois qu'il mène au score !

Je souris comme une idiote. Je ne dois pas me laisser embobiner par ses mots. Avant de craquer — parce que oui, j'essaie tant bien que mal de contrôler mes pulsions, mais Daniel me fait tout de même de l'effet — je dois absolument récupérer cette clé et mettre le plus de distance possible entre lui et moi.

Ma raison et mes hormones s'adonnent à un duel interne. Comme si ça suffisait pas déjà de me mesurer à Sharman.

Ma main s'affaire toujours à caresser son bras et, cette fois, je décide de passer à l'action. L'objet de ma convoitise — la clé, je tiens à préciser — est enveloppé dans son index et son majeur, l'anneau dépassant à peine. Il y a moyen que j'arrive à la lui retirer. Mais... je ne suis plus très sûre pour la partie « coup de genou dans les valseuses ». Bien que ce soit la dernière chose que je souhaite, ses mots m'ont touché et, une partie de ma rancoeur s'est en quelque sorte évaporée. Ça me fait bien chier de l'avouer, mais c'est ce que je ressens. La manière dont il me voit, dont il me convoite, fait incontestablement naître des papillons dans mon ventre. Mais je lui en veux encore à quatre-vingt-dix pour cent !

Putain, Angie... ce ne sont que des mots ! Reprends-toi. Il dit seulement ce que t'as envie d'entendre pour t'amadouer, rien de plus ! Il ne se bat pas à la loyale. Qui te dit qu'il est sincère ? T'as déjà été mise sur un piédestal, idéalisée, considérée comme la plus belle merveille du monde et... regarde ce que ça a donné...

Ma conscience marque un gros point. Je ne dois pas perdre de vue que ces mots sont sortis de la bouche du même mec qui m'ordonnait d'aller me faire foutre. Comme je le pressentais, il est capable du pire comme du meilleur. Et, juste comme ça, en une fraction de seconde, mon taux de rancune est revenu au niveau maximal.

- Wow, je ne sais pas quoi dire, je finis par répondre avec un petit rire, feignant d'être flattée. Je suis donc le « gros lot » à tes yeux... la récompense ultime, hein ?

Le bouclé hoche la tête, arborant une moue satisfaite. Ma main quitte son bras et, avec l'autre, je me mets à caresser son torse à travers le tee-shirt. Il se redresse de toute sa hauteur, me donnant un accès total à ses pectoraux et abdominaux ciselés, et lâche un petit soupir en fermant les yeux.

- Et... moi... je représente quoi, pour toi ? halète-t-il.

Lorsque mes doigts atteignent l'ourlet de son haut, je tire le tissu blanc vers le bas, obligeant Daniel à se pencher vers moi. Sa tête rejoint naturellement ma nuque, ses fines lèvres déposant un collier de baisers. Même si la sensation est enivrante, je ne dois pas me laisser aller, bien que la tentation soit grande. Ma bouche vient titiller le lobe de son oreille, que je capture entre mes dents. Je lui assène un petit coup de langue, provoquant un gémissement de la part du rebelle, avant de lui susurrer :

- Un obstacle.

Mon bourreau met quelques secondes à réaliser ce que je viens de lui dire mais, il est déjà trop tard. Sans prendre garde, je plie mon genou et relève ma cuisse dans un geste brusque pour atteindre ma cible. Lorsque ma rotule percute l'entrejambe du jeune homme, un cri de douleur s'échappe de sa bouche et il se recule en portant sa main à l'endroit sensible. Malgré le coup, il n'a pas lâché la clé !

Je me jette sur sa main, essayant de déplier ses doigts afin de récupérer ma liberté. Daniel m'adresse un regard furieux, malgré les petits cris plaintifs qu'il émet. Je concentre toute ma force sur l'anneau en métal, que j'essaie tant bien que mal de lui soutirer. Mais il s'y accroche avec force et, dans un mouvement que je n'ai pas du tout anticipé, je me retrouve le dos plaqué contre son torse, immobilisée par son bras entravant ma poitrine.

- Putain, mais t'es folle ou quoi ? s'écrie-t-il, tandis que je me débats pour me dégager de son emprise.

Sans répondre et sans faiblir, je tourne la tête vers son biceps, et le mords à pleines dents. Un second hurlement résonne dans la petite pièce et, cette fois-ci, j'arrive à m'éloigner et, avec rapidité, lui subtilise la clé.

Et le vainqueur est... ANGIE !

Je cours vers la porte et, dans la précipitation, rencontre des difficultés à la déverrouiller. Bien évidemment, Sharman n'a pas dit son dernier mot et enroule un bras autour de ma taille pour m'éloigner du dernier rempart se dressant entre moi et le reste de l'appartement. Je gigote des pieds et le frappe pour qu'il me lâche. Dès qu'il me pose au sol, il essaie de me reprendre la clé mais, dans un geste de panique, je jette le petit objet dans les airs et réalise immédiatement que c'est une très mauvaise idée quand je le vois rebondir dans la baignoire jusqu'à tomber dans le drain, comme une balle de golf destinée à finir dans son trou. Sauf que moi, en bonne professionnelle de la maladresse, j'ai réussi mon coup au premier essai. Je suis la Tiger Woods des salles de bain !

On se précipite vers la baignoire, mais il est déjà trop tard. Un petit bruit métallique se répercute entre les quatre murs. Oh, putain, mais c'est pas vrai ! Cette situation était déjà cauchemardesque mais maintenant, elle est infernale. Je n'arrive pas à croire que ça m'arrive à moi. A MOI !

La déclaration de victoire était un peu prématurée...

Dépités, Daniel et moi regardons le trou, comme si la clé allait magiquement ressortir. Je ferme les yeux et lâche un soupir de frustration, complètement affalée contre la paroi de la baignoire. J'ignore comment on va faire pour se sortir de ce pétrin. Je masse doucement mes tempes pour tenter de retrouver un semblant de calme en moi. Quelques secondes plus tard, j'entends les mains de mon compagnon de cellule frapper l'une dans l'autre.

Je rêve ou... il est en train de m'applaudir, ce con ?

Je rouvre les yeux, la mâchoire serrée. Il se fout vraiment de moi ! Je me retourne vers lui en l'assassinant du regard. Je me relève sans rien dire, essayant de trouver une solution à cet épineux problème.

- J'ai seulement envie de dire une chose, annonce-t-il sur un ton sérieux. Le karma est une vraie salope !

Il jubile, l'enfoiré. Son petit sourire narquois le trahit. La furieuse tentation de lui faire ravaler ses dents m'envahit, tant il m'exaspère. Il rigolera moins, après ça. Je vais lui en foutre, du karma, moi !

- Non, la seule salope ici, c'est toi ! je grommelle tandis que j'entame les cents pas dans l'espace confiné. C'est de ta faute, tu en es conscient, au moins ?

Daniel pousse mes affaires se trouvant sur le couvercle de l'abattant des toilettes et s'y assoit. Il est relativement calme, alors que je bouillonne de rage.

- Techniquement, si tu n'avais pas essayé de te la jouer « Veuve Noire », on n'en serait peut-être pas là, réplique-t-il en s'adossant contre le réservoir de la cuvette. D'ailleurs, je dois avouer que tu es une adversaire redoutable ! On peut se refaire un combat au corps-à-corps quand tu veux...

Il n'est pas croyable ! Je pouffe en secouant la tête, les bras croisés sur la poitrine, continuant de creuser un sillon dans le carrelage. Il rêve pour que je m'approche de nouveau de lui !

- Au lieu de faire le con, dis-moi que t'as ton portable avec toi, qu'on puisse appeler June ou Jade, ou je sais pas qui, mais quelqu'un qui nous sorte de là ! je m'écrie. Le mien est dans la chambre...

- Désolé, il est dans ma veste, et je l'ai laissée au salon, me répond-il. Mais bon, on n'a pas trop à se plaindre. Et puis, je peux te montrer à quel point je peux être créatif, pour éviter l'ennui...

Il me décoche un de ses fameux sourires en coin qui, d'habitude, m'aurait remué les entrailles. Mais là, j'ai plus envie de le tuer qu'autre chose...

- Au fond, tout ceci n'est qu'un jeu pour toi, n'est-ce pas ? je lui demande, toujours en pétard, en m'arrêtant dans mon élan. Tu ne prends rien au sérieux, peu importe les conséquences.

Il se redresse et se penche, croisant les mains entre ses jambes écartées.

- Techniquement, c'est toi qui m'as invité à jouer cette partie, si mes souvenirs sont bons. Au magasin, tu as tiré la première, je te rappelle. Tu m'as délibérément provoqué, ce jour-là. Tout comme aujourd'hui, d'ailleurs. Et j'avais cru comprendre que c'était notre... dynamique : tu tires, je réplique, tu renchéris, et ainsi de suite... jusqu'à ce qu'un de nous deux ait le dernier mot.

Quel ramassis de conneries ! Je l'ai « provoqué » ? Ça veut dire quoi, ça ?

- Donc, si je comprends bien, je t'ai provoqué au magasin, ce qui a attisé ta curiosité. J'avoue que j'ai cherché à faire mon petit effet. Et tu as mordu à l'hameçon, comme tous les mecs. Mais... au poste de police... je t'ai encore provoqué, selon ta définition du mot, ce qui a attisé ta colère. Mais là, honnêtement, je l'ai fait involontairement. Tout ce que je souhaitais, c'était venir en aide à un ami. Je ne savais pas qu'on pouvait qualifier ça de provocation, mais on en apprend tous les jours, à ce qu'il parait... Wow ! Je suis vraiment une provocatrice de folie ! je lâche avec cynisme, en ouvrant grand la bouche, comme si j'étais choquée de ce constat. 

Sharman soupire en fermant les yeux.

- Ce n'est pas ce que...

- En tout cas, notre... « dynamique » ou le jeu auquel on s'adonnait n'existe plus, de toute façon ! je rétorque fièrement, lui coupant la parole. Si je me rappelle bien, tu m'as gentiment envoyé me faire foutre, il me semble. Et te voici, dans mon appartement, pour une raison qui m'échappe.

Cette fois-ci, son sourire s'évanouit pour de bon. Aucune lueur d'excitation décelée dans son regard. Seulement de l'embarras et du regret. Comme quoi, il a une conscience !

- A propos de ça, commence-t-il en baissant la tête, je voulais m'excuser de t'avoir gueulé dessus. En fait, je l'ai déjà fait, tout à l'heure, mais tes oreilles ne pouvaient pas l'entendre. Ou... ne voulaient pas, peut-être. Enfin, bref. Je ne sais pas si June t'a expliqué les circonstances mais... ça n'a pas d'importance, au fond. Je n'aurais jamais dû te parler comme ça.

- Donc, tu es venu ici pour me présenter tes excuses ? je lui demande, croisant une nouvelle fois les bras sur ma poitrine.

Il grimace légèrement, me faisant entendre que ce n'est pas le seul motif de sa présence ici.

- En fait... euh... j'aurai besoin d'un endroit où dormir cette nuit, finit-il par annoncer, appréhendant clairement ma réaction, ses yeux faisant frénétiquement des allers-retours entre mon visage et le sol.

J'écarquille les yeux, saisie par le culot dont il fait preuve. Il veut que je l'héberge ? Non, il déconne ! Et dire que je pensais que cette soirée ne pouvait être plus surréelle...

Un rire nerveux s'empare de moi, que je ne peux contenir. Je porte ma main à ma bouche pour essayer de dissimuler mes expirations saccadées. Au moins, il m'aura fait rire. Mais lorsque je vois sa mine restée sérieuse, malgré l'absurdité de sa demande, j'en déduis que ce n'est pas une blague.

- Oh... oh, merde alors ! je continue de pouffer.

- Après mon arrestation, mon père m'a gentiment fait comprendre qu'il ne voulait plus rien à voir affaire avec moi, confie-t-il. Et comme j'habite encore chez lui... j'en conclus qu'il ne m'accueillerait pas chaleureusement si je me pointais à la porte de sa maison... et comme, June, Jade... et toi, vous êtes mes seules amies...

Mes rires redoublent lorsqu'il me mentionne en tant qu'amie. Je crois qu'il ne capte pas à quel point je lui en veux. Il ne réalise pas à quel point il m'a blessé quand il m'a rejeté... enfin, rejeté mon aide aussi violemment. Et ses trois pauvres excuses n'y pallieront pas.

- T'as une fâcheuse tendance à te mettre les gens à dos, on dirait, je constate avec ironie. Cependant, je tiens à clarifier un point très important que tu ne sembles pas avoir compris : toi et moi, on n'est pas amis. Et, en fait, y'a autre chose que je voudrais mettre au clair : si j'avais réellement cherché à te provoquer aujourd'hui, je t'aurais avoué qu'au moment même où on te passait les menottes, j'étais en train de me faire sauter par un autre mec... Ça, mon « non-ami », c'est de la provocation !

Je le vois pâlir de seconde en seconde, contractant ses mâchoires. Ses iris bleus deviennent glacials. Je lui adresse un sourire hypocrite en tapotant son épaule, avant de passer à côté de lui pour m'isoler dans le coin opposé au sien, sans oublier de fourrer les écouteurs dans mes oreilles.

Je n'ai qu'une chose à dire : Angie winner - Sharman K.O. !

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