26.

[HERO]

Émotions. Dans le dictionnaire, j'avais parcouru la définition qui parlait "d'état affectif, plaisir ou douleur, nettement prononcé". A croire que seuls le bonheur et le malheur co-existaient dans cette vie. Si je comprenais bien, nous étions voués soit à être heureux, soit à être misérables. En gros, fallait tirer le bon numéro à la loterie. Pour ma part, la chance n'a jamais été de mon côté. Je n'ai jamais connu le bonheur, pas une fois. Mon existence a été dictée par le désordre et l'anarchie. Jusqu'à ce que je la rencontre... Avec elle, j'ai eu un aperçu de ce à quoi pouvait ressembler la douceur, le ravissement et la sérénité. Elle était l'oeil du cyclone qu'il n'allait pas tarder à tout emporter...

*

June nous attend devant la porte de l'immeuble. Couverte d'une espèce de poncho noir en laine recouvrant la partie supérieure de son corps, qu'elle serre fort autour de ses épaules à cause du vent qui s'est mis à souffler, elle s'approche de nous, lançant un regard désapprobateur à son amie, à moitié évanouie à mon bras. Cette dernière se contente de glousser, alors qu'elle est sur le point de trébucher, ses pieds ne cessant de se heurter. Heureusement pour elle, j'ai assez de force pour la soutenir.

Je m'arrête à hauteur de June, qui semble embarrassée par le comportement d'Angie. Elle cache son visage contracté derrière ses mains.

- T'as vu, copiiiiiiiiiiiine ? J'ai ramené "Super Hero" à la maisooooooooon ! s'écrie Angie d'une voix suraiguë, avant de se mettre à rire.

Ce surnom m'horripile au plus haut point. Plus jeune, j'ai dû essuyer les moqueries de mes camarades de classe, qui s'amusaient à faire des jeux de mots toujours plus originaux. J'ai également maudit ma mère de m'avoir attribué un prénom pareil. Qu'est-ce qui lui est passé par la tête, le jour de ma naissance ? Elle a décidé de me détester dès les premières secondes de ma vie ? Certes, je n'ai pas à me plaindre tant que ça. Mon grand frère a hérité du prénom saugrenu de Titan. Et là aussi, les boutades ont fusé. Si elle n'avait pas l'instinct maternel, fallait qu'elle s'abstienne de faire des gosses !

Et puis, si Angie me connaissait vraiment, elle saurait que je n'ai rien de "super", comme elle s'efforce de le répéter à tort et à travers...

June ne peut s'empêcher de lancer un regard amusé à sa "copiiiiiiiine", qui sombre de plus en plus dans un coma éthylique. J'ignore la quantité d'alcool qu'elle a ingurgité, mais je peux lui garantir que le réveil ne sera pas clément avec elle, lorsqu'elle émergera de ce brouillard.

- Je ne sais pas comment te remercier encore une fois, Hero ! lance June avec soulagement, en réceptionnant maladroitement son amie, qui s'écroule, hilare, dans ses bras.

Tu ne sais pas comment ? Moi, j'ai une petite idée... plusieurs, même !

Portant le poids mort qu'est Angie, ressemblant à cet instant à un mannequin désarticulé, la brunette entre dans l'immeuble, duquel elle a bloqué la porte au préalable et installe, tant bien que mal, son amie aux cheveux violets sur les premières marches de l'escalier, non sans lui intimer de ne pas bouger, je suppose, avant de revenir vers moi. Les bras croisés, refermant un peu plus le poncho sur son corps, la tête baissée, elle s'arrête finalement devant moi.

- Je suis vraiment désolée que t'aies dû assister à ça, s'excuse June en relevant enfin son regard marron vers moi. Angie et l'alcool ne font pas bon ménage, parfois. Et... elle n'a fait que boire, n'est-ce pas ?

Je souris en remarquant sa gêne soudaine. Elle n'a pas à se sentir embarrassée par le comportement d'Angie mais, comme je commence à bien la connaitre, sa réaction m'étonne à peine.

- Pour ce qui est de sa consommation, je ne pourrais pas te dire. Elle était déjà dans cet état quand je l'ai trouvée. Mais t'inquiète, j'ai vu bien pire, je la rassure. Je suis très mal placé pour la juger.

June lâche un petit rire. Je me joins à elle. En temps normal, je n'en aurais eu rien à battre de ce qui aurait pu arriver à Angie, et encore moins la ramener. Je l'admets, le taxi ne m'a pas couté une blinde, mais je ne suis pas le type de mecs à rendre des services, surtout à des meufs. Seuls mes amis comptent. Ils sont ma vraie famille. Honnêtement, je ne sais pas ce qui me pousse à agir différemment. J'ai déjà eu envie de baiser des nanas plus récalcitrantes que ça, mais jamais je ne me suis abaissé à faire ce genre de choses.

Depuis que je connais June, je n'ai cessé de remettre mon attitude en question. Merde, c'est une gonzesse comme les autres, quoi ! Pourquoi je me transforme en putain de toutou a sa mémère dès qu'il s'agit d'elle ?

- J'ignore ce qui lui a pris de boire autant, dit-elle en jetant un coup d'oeil à sa colocataire, qui essaie de se redresser pour adopter une position plus confortable. Je lui ai appris l'arrestation de mon collègue, mais je n'aurais jamais pensé qu'elle le prendrait aussi mal !

Une nouvelle fois, j'arrive à lire de la culpabilité sur son visage rond. Faut qu'elle arrête de porter le poids du monde sur ses épaules ! D'ailleurs, même si je devrais m'en foutre royalement, je ne peux m'empêcher de lui demander comment s'est passé l'entrevue avec son patron.

- Il m'a appris que son fils avait été arrêté à cause de moi, m'avoue-t-elle, troublée. Ils le détiennent au poste de police de la City... Et oui ! Mon connard d'ex a porté plainte contre lui et maintenant, Daniel risque la prison ferme !

Ah, l'enfoiré ! Il a trouvé le moyen de refaire des siennes, celui-là ! C'est une chose d'avoir cogné son ex-copine, c'en est une autre de continuer à foutre la merde dans sa vie. Et, apparemment, il est bien décidé à continuer de s'immiscer dans ses affaires, peu importe le moyen...

- Mais, je vais aller voir Matt pour le convaincre de retirer sa plainte, annonce-t-elle avec aplomb.

J'écarquille les yeux, abasourdi par ce qu'elle vient de me balancer. Elle est folle, ou quoi ? Rapidement, mon étonnement laisse place à de l'indignation.

- Euh... attends, je crois que j'ai mal entendu, là, je pouffe. T'es prête à aller confronter ce salaud, après ce qu'il t'a fait ? Est-ce que tu te souviens dans quel état t'étais il y a encore quelques heures ?

J'ai conscience de l'agressivité dans ma voix, mais comment peut-elle émettre une telle proposition ? A croire que ça ne lui a pas suffi de se faire refaire le portrait à coup de main plate !

Je vois June en train de bouillir devant moi, mais je m'en fous.

- Je ne veux plus entrainer personne dans cette histoire. Y'a déjà eu beaucoup trop de dommages collatéraux ! D'abord Jade, maintenant Daniel... Il ne s'arrêtera pas tant qu'on n'aura pas mis les choses au clair ! se défend-elle avec ardeur.

- "Mettre les choses au clair", je répète avec ironie. La dernière fois que t'as essayé de lui parler, rappelle-moi comment ça a fini ? Tu te préoccupes des autres et même pas de toi. Regarde ta tête, putain ! T'es trop naïve si tu crois que tu peux réussir à le faire changer d'avis.

Je crache cette dernière phrase avec dédain. Le regard de mon interlocutrice se durcit, me foudroyant de ses iris ténébreux. J'essaie de me calmer, mais en entendant ses arguments pourris, les gonds de ma patience sont prêts à sauter.

- Pourquoi tu ne portes pas plainte contre lui ? je lui demande, la voix un peu plus posée.

- Tu crois que je le fais de gaité de cœur ? hurle-t-elle, les yeux remplis de larmes. Tu penses que j'ai vraiment envie de le revoir ? C'est clair que non ! Mais je n'ai pas le choix ! Y'a que moi qui peut faire quelque chose pour sortir Daniel de prison ! Porter plainte contre Matt n'arrangerait rien. Je n'ai pas envie de me lancer dans une procédure qui va prendre des années et qui risque de déboucher sur le même résultat. Ce connard est dans la finance, et il connait du monde. Des gens de renom qui peuvent lui rendre service. Même si je pouvais payer la caution de mon ami, qu'ils ont fixé à vingt-mille livres, tu te rends compte ! il finirait en cellule s'il était reconnu coupable lors de son jugement. La seule solution, c'est de faire sauter la plainte.

June ravale des sanglots en me tournant le dos. Pour une fois, ce n'est pas de la tristesse que je décèle dans ses geignements, mais de l'injustice. Ce sentiment d'impuissance alors qu'on voudrait pouvoir faire quelque chose, je ne le connais que trop bien. Je commence à en avoir ras-le-bol de la voir pleurer, surtout en sachant que son putain d'ex en est la cause.

Bien que je ne sois pas d'accord avec son idée, le pire dans tout ça, c'est que je comprends sa décision. Si un de mes potes se trouvait dans la même position que son collègue, je ferais n'importe quoi pour le sortir de ce mauvais pas, peu importe les risques ou les conséquences.

- Hey, viens là, je murmure en l'entourant de mes bras.

La brunette plaque l'arrière de sa tête contre mon torse, tout en posant ses mains sur les manches de mon sweatshirt.

Putain, je devrais me barrer de là. Cette fille, elle pue les emmerdes. Dès qu'un problème se règle, il y en a un autre qui lui tombe sur le coin de la gueule, et ce schéma a l'air de se répéter à l'infini. Et je n'ai vraiment pas besoin de ça. Comme je l'avais déjà dit à Angie, ma vie est déjà un bordel sans nom, et je n'ai pas envie de rajouter ses ennuis à la longue liste des miens. Elle a des gens sur qui elle peut compter, après tout ! Franchement, je veux seulement la niquer et passer à autre chose... C'est trop demandé ?

Mais avec June, encore une fois, mes décisions sont en complète contradiction avec mes habitudes. Parfois, j'aimerais raisonner avec ma vraie cervelle, pas celle qui se trouve dans mon boxer !

- J'en ai marre, Hero, se lamente-t-elle, en pressant mes bras des ses petits doigts. J'ai l'impression que ça ne s'arrêtera jamais...

Je ferme les yeux et serre les mâchoires tellement l'entendre dire des trucs pareils m'est insupportable. Fait chier ! Je me suis toujours juré de ne jamais interférer dans la vie privée de mes proies potentielles ou déjà consommées. D'un côté, ma tête m'ordonne sévèrement de me tirer de là aussi vite que possible avant de commettre l'irréparable. Mais, de l'autre, ma conscience me hurle de l'aider. Bordel, j'ai toujours agi en fonction de ce qui était le mieux pour moi. Putain de dilemme à la con !

Doucement, je fais glisser mes bras pour libérer June de mon emprise et la contourne pour lui faire face. Elle tente de contrôler les spasmes qui secouent son corps et essuie ses larmes d'un rapide revers de la main. Je me penche légèrement vers elle et fais glisser mon index sous son menton pour la forcer à me regarder. Ses yeux rougis et larmoyants me brisent le cœur. Ma main quitte le bas de son visage pour venir caresser sa joue indemne.

- Tu n'es pas toute seule, d'accord ? Tu as Angie, Jade... et moi. S'il le faut, on affrontera ton connard d'ex ensemble. J'ai conscience que tu ne veux plus mêler personne à tes problèmes mais, on est plus fort en combinant nos forces, tu ne crois pas ?

Mon ton calme semble l'apaiser. Cependant, son regard brille d'une intensité nouvelle, que je ne saurais décrire. J'esquisse un petit sourire en coin et ses iris bruns se déportent immédiatement sur la fossette qui se dessine dans ma joue. Je n'ai jamais su pourquoi, mais ce petit creux dans ma chair fait littéralement craquer les filles.

June acquiesce timidement d'un signe de tête. Ses yeux roulent lentement de ma joue à mes lèvres, sur lesquelles elle s'attarde longuement. Non, non, non, non, non. Je suis prêt à faire pas mal de concessions pour elle, mais l'embrasser ? Hors de question ! Surtout qu'elle n'est pas dans le meilleur des états émotionnels...

Comme si ça m'avait déjà stoppé... et c'est pas comme si c'était la seule raison !

Ma main délaisse la peau de son visage au moment où je me redresse. Au même instant, un bruit lourd derrière moi, suivi d'une plainte, interrompt ma petite entrevue avec June. En me retournant, je constate qu'Angie a glissé de la marche sur laquelle elle était assise. La jeune femme à la couleur de cheveux de feu se masse la cuisse en grimaçant et en pleurnichant. June, également témoin de cette scène qui aurait pu être hilarante si les circonstances avaient été autres, renifle un bon coup avant de se frotter le visage.

- Je... vais la remonter, bredouille-t-elle.

Je hoche la tête et, lorsqu'elle s'éloigne de moi, je la retiens par le poignet pour m'assurer d'une chose importante. Surprise, June se retourne et son regard passe de mes doigts enroulés autour de son bras à moi.

- Promets-moi que tu n'iras pas voir Matt. Sous aucun prétexte.

Mon regard est dur et ma voix sévère. Après quelques secondes d'hésitation, elle finit par accéder à ma requête avant de rajouter :

- Ensemble ?

- Oui.

Un timide sourire se dessine sur son visage tandis que mes doigts se desserrent pour la laisser rejoindre son amie. Je regarde June essayer de remettre Angie sur pied en agrippant son bras pour le faire passer par-dessus ses épaules, pour la soutenir telle une blessée de guerre, tandis que son autre main se pose sur sa taille. Elles gravissent les premières marches avec difficulté. Alors que je me mets à reculer, j'entends la voix lointaine d'Angie me saluer d'un "bye, bye, 'Super Hero'", qui m'arrache un sourire. J'espère que quand elle aura dessoûlé, elle oubliera ce surnom comme la moitié des évènements de cette soirée.

Ensemble ? Oui, ce serait la meilleure solution... Par contre, moi, je n'ai rien promis...

*

J'ai pesé le pour et le contre de toute cette situation pendant le trajet en bus qui m'a ramené au quartier sud de la ville. Je sais que ce que je suis sur le point de faire va contrecarrer tous mes plans, mais le visage zébré de larmes de June me revenant sans cesse en tête comme un foutu boomerang m'a conforté dans ma décision. En espérant que ce sacrifice en vaudra la peine... Dans ce cas, ce sera la baise la plus chère de ma vie !

L'heure très tardive me laisse très peu de marge de manœuvre pour l'instant donc, je m'occuperai de tout ça quand le jour se sera levé. Je descends à l'arrêt de bus dans la rue de l'immeuble de Morgan. Cette journée a été longue et éreintante et je peux entendre le lit de la chambre d'ami m'appeler.

Il est plus de deux heures du matin lorsque j'aperçois un rayon de lumière horizontale sous la porte de l'appartement, m'indiquant que son occupant est encore debout. Je tourne la poignée de la porte et constate qu'elle n'est pas verrouillée. Pas besoin de sortir mes clés, c'est déjà ça. En plus, j'avais la flemme de fouiller dans mon sac besace noir...

En entrant dans la pièce principale, j'ai la désagréable surprise de découvrir mon pote en compagnie d'une personne dont la présence ne m'avait pas manqué, loin de là. Je suis même surpris de le trouver assis, en toute décontraction, sur le canapé, à boire une bière. En présumant que c'est sa première...

Morgan me regarde d'un air désolé, me faisant comprendre qu'il n'a pu rien faire pour empêcher son intrusion. Je ne lui en veux pas. Au contraire. Je suis celui qui ramène mes problème chez mon ami. J'ai envie de prendre mes jambes à mon cou et de me casser le plus loin possible d'ici.

Mais pour aller où ?

Le jeune homme, un peu plus âgé que moi, se lève, un grand sourire aux lèvres. Il s'approche de moi, habillé de manière débraillée et sale, et me gratifie d'une accolade dont je me serais bien passé. Ses joues mal rasées et crasseuses frôlent ma peau. Des effluves de transpiration et d'alcool parviennent à mes narines et je fais un effort énorme pour ravaler un haut-le-cœur.

- Bah, alors, p'tit frère ! Où t'étais passé ? me demande Titan en se décollant, laissant son odeur repoussante empreinte sur mes vêtements.

Son tee-shirt noir, troué à certains endroits, est auréolé de tâches de graisse aux tailles variables et le short gris foncé qu'il porte est aussi dégueulasse que le reste de sa tenue. On dirait un clodo. Et dire qu'on a été élevé ensemble...

- Je vis ma vie et j'ai aucun compte à te rendre, que je sache ! je rétorque sur la défensive.

Les yeux marrons de mon grand frère s'écarquillent avant qu'il ne se mette à rire. Il passe sa main grasse dans mes cheveux pour les ébouriffer, en sachant pertinemment que j'ai horreur de ça. J'arrive à me soustraire à son assaut et tente de me recoiffer.

- Relax, frangin ! lance-t-il en jetant un regard amusé à Morgan, qui s'efforce de sourire, mais qui n'ose pas bouger ou dire quoi que ce soit. Pourquoi t'es aussi tendu ? T'as pas tiré ton lot de poulettes cette semaine, ou quoi ?

Mon frère et la classe, ça fait dix ! Il n'a jamais été du genre très fin. Ni très intelligent. En fait, je ne sais même pas si je suis capable de lui trouver une seule qualité. Par contre, si on se lance dans les défauts, je pourrais remplir une bibliothèque entière !

- Alors, c'est ça que t'appelles "te barrer loin d'ici" ? Je me rappelle le discours poignant que tu nous as servis, à papa et à moi, avant de te tirer de la baraque, se moque-t-il en riant grassement. Si je me souviens bien, t'avais parlé d'ambition, d'émancipation... enfin, des grands mots pour tenter de nous impressionner, quoi !

T'inquiète, je compte toujours me casser d'ici, du-con ! Juste que ça va prendre un peu plus de temps que prévu...

- Qu'est-ce que tu fous, ici ? je lui demande, sans réagir à ses provocations. C'est pas dans tes habitudes de bouger ton gros cul de la maison...

La bonne humeur apparente de mon frère disparait en entendant ma pique. En même temps, je n'ai aucune raison d'être cordial envers lui. On ne s'est jamais entendu, et je n'ai jamais pu compter sur lui, même aux heures les plus sombres de ma vie.

- Je suis venu te chercher, m'annonce-t-il, le plus sérieusement possible. Le paternel veut te voir.

Elle est bien bonne, celle-là ! S'il croit que je vais le suivre, il est encore plus débile que je le pensais. Retourner chez moi serait la pire décision à prendre. Je sais ce qui m'attend si je foulais de nouveau le sol de cette maudite bicoque, et je ne veux absolument pas revivre cet enfer qu'a été mon enfance et mon adolescence.

- Il peut crever ! je crache. Et toi, tu peux aller te faire foutre aussi !

Brusquement, Titan me fonce dessus, sans que je ne puisse l'esquiver. Il me plaque violemment contre le mur, ses poings serrant fermement mon sweatshirt. Le choc dans mon dos est tel qu'il me coupe brièvement la respiration. Sous l'effet de l'impact, un cadre se décroche et s'écrase sur le sol, la vitre se brisant en plusieurs morceaux. Morgan se lève d'un coup pour tenter de nous séparer.

- Ecoute, p'tite merde, c'est pas comme si t'avais le choix, gronde-t-il d'un ton si calme qu'il me fait froid dans le dos. Papa te laisse seulement faire le guignol pour des magazines parce que ça paie le loyer de la maison, mais ne crois pas que parce que t'as décidé de "vivre ta vie" que t'es débarrassé de nous... Oh, non, mon vieux ! Loin de là !

Mon frère dévoile toutes ses dents dans un rictus mauvais. En cet instant, il ressemble tellement à mon père. Et pas seulement physiquement. Me tourmenter a toujours été une de ses activités favorites. La main bronzée de Morgan attrape l'épaule de Titan pour essayer de l'éloigner de moi. Malheureusement pour lui, mon assaillant est plutôt gaillard et, même s'il est plus gros que musclé, il a beaucoup de force.

- Putain, lâche-le, Titan ! lui ordonne mon pote, tandis qu'il s'efforce, en vain, de le faire reculer.

Mon aîné tourne rapidement la tête vers Morgan, lui intimant sur un ton très menaçant de "retirer sa sale patte de lui, ou il prendrait la dérouillée du siècle". Mon ami s'éloigne et s'empare de son portable.

- Si tu te tires pas, enfoiré, j'appelle la police ! l'avertit le locataire de l'appartement.

Très peu impressionné par cette mise en garde, Titan se met à rire en me décramponnant. Il lève ses mains devant moi, en geste d'innocence et recule d'un pas. Il secoue la tête avant de se retourner vers Morgan.

- Toi, dit-il en le pointant de l'index, t'as pas intérêt à te mêler de ça. Ça concerne seulement la famille Fiennes-Tiffin, compris ?

Mon hôte, en guise de réponse, lui montre l'écran de son portable, où le 101, le numéro de la police apparait en noir sur le fond blanc de son iPhone.

- Taille la zone, ou j'appuie sur le bouton vert, le prévient-il.

Sa lèvre inférieure prisonnière de ses dents, Titan se dirige vers la porte. Avant de l'ouvrir, il se retourne une dernière fois vers moi :

- Normalement, c'est le paternel qui devait venir, ce soir. J'ai insisté pour que ce soit moi qui vienne te parler. Tu sais... pour que ça se passe bien. Franchement, si j'avais su... pouffe-t-il. Une bonne trempe ne t'aurait pas fait de mal... Avant la fin de la semaine, t'as intérêt à ramener ton cul, ou ça va très mal se passer !

Sur ces derniers mots, il s'engouffre dans le couloir en claquant la porte. Je relâche mon souffle que je retenais depuis tout ce temps. Mon corps tremble et une larme silencieuse coule sur ma joue. Morgan se précipite vers moi, la mine inquiète.

- Putain, je suis désolé, bro ! Il a débarqué et... j'ai pu rien faire. J'aurais dû te prévenir mais... il a harcelé tout le monde pour savoir où tu étais.

Je lui souris tristement en posant une main amicale sur son épaule. Ce n'est pas de sa faute, et je n'aime pas le voir culpabiliser pour ça.

- C'est rien, t'inquiète... je lui dis, en reniflant.

A mon tour, je me dirige vers la porte. Je dois sortir d'ici. J'ai besoin de prendre l'air. Sous le regard peiné de Morgan, je quitte l'appartement pour me rendre au seul endroit où je me suis toujours senti en sécurité...

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