18.
Peut-être que si j'avais tout confié à mes amies, rien de tout cela n'aurait dérapé. Mais j'ai laissé faire. Je l'ai laissé faire. Incapable de penser rationnellement lorsqu'il était près de moi, j'ai une grosse part de responsabilité dans tout ce qui est arrivé. Je ne me reconnaissais pas. Jamais je n'aurais laissé la situation m'échapper avant. Avant lui. C'était malsain, j'aurais dû le voir plus tôt. Mais quand on est complètement aveuglée, à la merci d'un seul être, c'est à ce moment-là qu'il faut fuir...
*
- Enlève-moi ce sourire diabolique de ton visage ! je m'exclame, non sans laisser échapper un petit rire, en levant les yeux au ciel, retirant la anse de la housse de mon appareil photo de mon épaule.
Angie me regarde toujours, ses dents impeccablement blanches dévoilées entre ses lèvres charnues rosies par un gloss du meilleur effet, attendant les détails croustillants de ma soirée avec Hero. Je me dirige nonchalamment vers la cuisine, ouvre la porte grise du réfrigérateur pour m'emparer d'une cannette de Coca Light, toujours suivie par les iris bruns de ma meilleure amie.
Je reviens tranquillement au salon, prends place sur le pouffe couleur bordeaux en face d'elle et, d'un mouvement décontracté, décapsule ma boisson gazeuse avant de la porter à ma bouche. Je sens Angie trépigner d'impatience et je sais que mon silence la tue. Je me délecte de ses quelques instants, de ce semblant de victoire, avant de passer aux aveux. Quelque chose me dit que l'inquisitrice ne va pas me laisser tranquille avant de tout savoir.
- Oh ! Allez, June ! Raconte-moi ! s'impatiente la jeune femme aux cheveux prune en face de moi.
Qu'est-ce que je disais ?
- J'ai retrouvé Hero au pub, nous sommes allés du côté de Wormwood Scrubs pour la séance photo et il m'a gentiment ramené jusqu'ici, je me contente de répondre de manière désinvolte avant de boire une seconde gorgée du liquide sombre pétillant.
Par dessus ma canette, je scrute la réaction de mon amie. Bien évidemment, elle n'est pas du tout satisfaite. Le plissement de ses yeux me le fait bien comprendre. J'ai envie de rire, mais je risque de m'étouffer. Boire et rire en même temps... combinaison mortelle !
- Et... c'est tout ? demande-t-elle, dubitative. Vous n'avez pas discuté en y allant ? Wormwood Scrubs n'est pas à côté... Le trajet en métro a dû paraitre horriblement long !
Je me pince les lèvres en penchant la tête sur le côté, comme si je réfléchissais à ce qu'elle venait de dire.
- On n'a pas eu l'occasion de parler pendant l'aller. En même temps, tu sais, à moto, c'est difficile de communiquer, je lance comme si c'était la chose la plus normale au monde.
Si elle n'était pas assise, je parierai que ma meilleure amie se serait évanouie en entendant ma confession. Heureusement, elle n'a pas lâché son mug. Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, je jurerais pouvoir apercevoir ses amygdales. Si elle savait le reste...
- A... moto ? Toi, June Robbins, tu es montée à l'arrière d'une moto avec un parfait inconnu ? s'étonne-t-elle.
J'acquiesce d'un signe de tête, plutôt fière de moi sur ce coup-là. Même si je ne le connais pas, Hero me pousse à sortir de ma zone de confort. Est-ce une bonne chose ? Je n'en sais rien...
- Et c'était comment ? s'empresse-t-elle de me demander, se penchant vers moi.
- C'était libérateur, j'avoue. Je me sentais bien, quoi qu'au début, j'étais plus crispée qu'autre chose. Il a placé mes mains correctement sur lui avant de démarrer. Mais il a su me mettre en confiance et puis, il gère son engin, donc c'était une bonne expérience.
- Il "gère son engin" ? me demande Angie en arquant un sourcil, accompagné d'une moue suggestive, tandis qu'elle mime les guillemets pour souligner l'expression maladroite que je viens d'employer.
Je lui balance un petit coussin dessus, qu'elle esquive sans mal, non sans éclater de rire. En y repensant, mon cœur s'emballe de nouveau. Je ne peux réprimer un petit sourire. Son petit côté arrogant et suffisant lui confère ce je-ne-sais-quoi ajouté à son charme naturel. Même si je persiste à dire que c'est agaçant, je dois avouer que c'est aussi attirant. Il n'y a pas eu un seul moment où je me suis sentie en danger lorsque j'ai enfourché son deux-roues.
Le visage d'Angie s'adoucit devant mon expression.
- Ensuite ?
Je lui relate en détail la séance photo. Le magnifique endroit où il m'a amené, le moment où il a su me redonner confiance alors que je doutais, et le portrait final où son regard émeraude m'a troublé plus que je ne l'aurais voulu. Lorsque ses yeux se plantent dans les miens, je ne saurais expliquer ce qui se passe en moi. C'est comme une étrange connexion qui se produit entre nous.
Angie boit mes paroles comme si je professais une messe. Elle est attentive au moindre mot qui sort de ma bouche.
- Ohhhh... si tu savais comme je t'envie, June ! soupire-t-elle, en se laissant retomber sur le dossier du fauteuil. Tu as vécu une soirée magique en compagnie d'une bombe atomique de beau gosse ! C'est le rêve de toutes les filles !
- Tu veux que je fasse monter ta jalousie d'un cran ? je lui demande, en lui lançant un regard furtif.
Elle se redresse une nouvelle fois, les globes oculaires prêts à sortir de leur orbite.
- June, ne me dis pas que...
L'excitation est perceptible dans sa voix. Je vais tout de même calmer ses ardeurs... enfin, dans la mesure du possible.
- Il m'a proposé de coucher avec lui... enfin, je crois, je bredouille en secouant la tête, sourcils froncés.
A son tour d'être perplexe.
- Comment ça ? Soit il te l'a proposé, soit...
- Il ne l'a pas dit explicitement... je la coupe, inspirant un bon coup avant de lui divulguer la suite. Il m'a laissé entendre qu'il voulait continuer la danse qu'on a commencé en boite, le soir de l'anniversaire de Jade.
Je termine ma phrase dans un murmure rapide, plongeant mes lèvres sur le trou de la cannette, sans quitter Angie des yeux. Il faut moins de deux secondes à ma meilleure amie pour faire le lien entre l'inconnu de la boite et Hero. Cette fois-ci, le mug qu'elle tenait s'éclate sur le parquet et le reste de café contenu dans ce qui était encore une grande tasse quelques secondes auparavant, se répand sur le sol, en éclaboussant le canapé, le pouffe et le bas de mon legging au passage.
Je me lève pour aller chercher de quoi nettoyer à la cuisine, alors qu'Angie reste assise, choquée par mon aveu.
- Attends, attends, attends... t'es en train de me dire que le mannequin hyper sexy avec qui tu viens de passer la soirée et qui te "bouffait" du regard au journal... et ce n'est même pas la peine de nier ! m'avertit-elle en pointant un index fin et sévère dans ma direction, est le même mec qui a joué les sangsues avec toi ?
Avec ce même doigt accusateur, elle vient tapoter l'endroit où le suçon, encore apparent, se trouve sur ma nuque, alors que je suis accroupie, en train d'éponger les dégâts commis par mon amie, plus intéressée par notre conversation que par ses propres faits et gestes. Je rejette sa main avec agacement en râlant.
- Je me disais bien qu'il se passait quelque chose entre vous au siège du ES London ! Petite cachottière... Pourquoi tu ne m'en as rien dit ? me demande-t-elle en regagnant son sérieux.
La pelle remplie de débris de verre, je me relève en la regardant.
- Honnêtement, j'avais peur qu'en sachant ça, tu me pousses à aller vers lui... à forcer les choses, je lui avoue.
Elle ne s'en rend pas forcément compte mais, même si ça part d'un bon sentiment, Angie peut être du genre insistante et poussive. Et, en lui révélant ça, j'espère qu'elle va comprendre que je ne veux rien précipiter... s'il y a quelque chose à précipiter, en fait.
Mon amie semble prendre mes paroles en considération.
- Tu as raison. Mon instinct premier aurait été de te pousser dans ses bras, surtout en sachant qu'il t'intéresse autant. Je suis désolée si je t'ai fait penser ça, s'excuse-t-elle.
- Je n'ai jamais dit qu'il m'intéressait, je la corrige.
Elle se met à rire et se lève pour se poster devant moi, posant ses deux mains sur mes épaules.
- June, tu n'as pas besoin de le dire. La manière dont tu m'as raconté cette soirée ne laisse planer aucun doute. Et même, le lendemain de la sortie en boîte, je me rappelle que t'avais encore des étoiles plein les yeux en me révélant les détails de votre danse torride. Et c'est bien que tu tournes la page de Matt. Je pensais que ça allait prendre plus de temps. Tu as peur que je te pousse dans les bras de Hero, mais j'ai l'impression que l'univers s'en charge à ma place.
L'univers ? Qu'est-ce que l'univers vient faire dans cette histoire ?
Devant ma mine circonspecte, Angie se lance dans une de ses explications légendaires :
- Je crois qu'une force cosmique plus grande que nous essaie de te faire passer un message. Si on y réfléchit bien, les choses ont commencé à mal tourner... enfin, à vraiment se dégrader entre toi et Matt, à cause du suçon que Hero t'a laissé. Puis, tu le recroises au pub. Lorsque tu veux reprendre ta vie en main, en changeant de job, et qui plus est, le jour où tu romps avec ton mec, qui se retrouve une nouvelle fois sur ton chemin ? Hero ! Vous passez une soirée idyllique ensemble et y'a de grandes chances que tu le revoies vendredi... Tu vois où je veux en venir ?
Que la vie a un sens de l'humour très cynique, peut-être ?
- C'est un signe, June ! Et pas des moindres ! s'enthousiasme Angie. Toutes les flèches de la galaxie pointent en direction de Hero.
Une fois le discours de ma "Madame Irma" en herbe terminé, j'enlève ses mains de mes épaules et vais m'accouder près de la fenêtre ouverte. Et... depuis quand est-elle devenue aussi spirituelle ?
- Premièrement, tes prédictions de Nostradamus ne veulent absolument rien dire. Et deuxièmement, c'est une suite de coïncidences si je n'arrête pas de tomber sur lui, je tente de la raisonner. Pas de force cosmique ou des Gardiens de la Galaxie dans cette histoire...
- "Flèches de la galaxie", me reprend-elle.
Je lui lance un regard noir. Je sais que l'imagination de mon amie peut l'emmener très loin, mais nous ne sommes pas dans une de ses fictions, ou même dans un film. Nous sommes dans la vie réelle, là où le hasard fait parfois bien les choses et, où d'autres fois, il se fout de toi, à gorge déployée.
- D'accord, obtempère Angie, en levant les mains devant elle. Mais disons que si tu devais répondre à sa proposition, que dirais-tu ?
- Non ! je m'exclame rapidement, presque outrée par sa demande. Je ne suis pas du genre à coucher avec des inconnus !
Mon amie soupire et s'approche de moi.
- Tu es pire qu'une autruche ! A force d'enfoncer ta tête dans le sable, tu vas finir par trouver du pétrole, lâche-t-elle, exaspérée . Je peux me permettre de te donner un conseil ? Et je ne serais pas poussive, ni insistante, d'accord ? Juste l'avis d'une amie à une autre amie ?
Je hoche la tête, prête à écouter les paroles de ma sage colocataire :
- Honnêtement, qu'est-ce que tu as à perdre à aller t'éclater avec Hero ? Ce sera l'affaire d'une fois, aucun engagement, aucune conséquence ! Si tu n'aimes pas, pas besoin de souscrire de nouveau à cette offre !
Je la regarde, en plissant les yeux.
- On dirait que tu essaies de me vendre un nouveau forfait de téléphone, je sors le plus sérieusement du monde.
Elle lève brièvement ses iris sombres au ciel, réalisant que je n'ai pas tout à fait tort concernant sa métaphore.
- Tu vois ce que je veux dire, reprend-elle. Je pense que ça ne te ferait pas de mal de... baiser ! Faut dire ce qui est !
Je suis prise d'un fou rire nerveux en entendant les propos saugrenues sortant de la bouche d'Angie, m'éloignant d'elle en portant ma main sur mon front. Cette dernière continue de me toiser et d'argumenter :
- June, depuis des mois, tu t'es plainte de t'ennuyer au lit avec Matt. Quoi de mieux que d'essayer une nouvelle monture, si la précédente ne correspondait plus ?
Franchement, faut qu'elle arrête avec ses métaphores...
- Je suis certaine que Hero a tout ce qu'il faut pour te...
- Je ne... baise pas, pour reprendre tes mots, je l'interromps brutalement avant qu'elle n'aille trop loin. Quand je suis au lit avec quelqu'un, j'ai besoin de connaitre la personne et d'être en totale confiance. Je ne veux pas d'un... plan cul ! Ça ne m'a jamais intéressé...
- June, on croirait entendre une vieille de soixante piges, alors que t'as la moitié de cet âge ! me coupe Angie. Il faut vivre avec ton temps ! Que veux-tu alors ?
Ce que je veux... Bonne question. Ma vie ne m'a jamais paru aussi compliquée qu'en ce moment. Trop de changement d'un coup ! Suis-je prête pour ça ?
- Tu devrais essayer d'être plus spontanée. Arrêter de réfléchir et te laisser porter par les évènements, au lieu de les subir. Il est peut-être temps de dire adieu à l'ancienne June, la triste, la pessimiste et laisser place à une June plus éclatante, sûre d'elle, prête à conquérir les éléments et tout ce qui se trouvera sur son chemin ! Et, je trouve que Hero est parfait pour initier ce changement, tu ne penses pas ?
Décidément, Angie avance toujours des arguments valables. Je ne peux pas nier qu'elle a raison. Je ne veux plus me lamenter sur mon sort. Je veux être cette femme forte qui affronte les journées les plus pénibles avec le sourire et qui rentre chez elle avec fierté. Voilà ce que je veux. Être la meilleure version de moi-même !
A ce moment-là, la porte de l'appartement s'ouvre et Jade débarque, une grand sourire aux lèvres, une bouteille de champagne à la main. Elle s'arrête devant nous, une expression d'incompréhension sur le visage.
- Bah... qu'est-ce que vous faites ? nous demande-t-elle, faisant courir ses yeux grossis par les verres de ses lunettes entre Angie et moi.
Nous la regardons, incertaines de la réponse adéquate à sa question.
- Vous devriez être prêtes ! Un taxi nous attend en bas ! s'exclame-t-elle.
- Prêtes ? Un taxi ? je lui demande, en m'approchant d'elle, complètement perdue.
Angie la dévisage également.
- Et le champagne, c'est pourquoi ?
Jade pose la bouteille sur la table basse et pousse un soupir d'agacement.
- Vous n'avez pas lu mon message. Je vous ai envoyé un texto, tout à l'heure...
Immédiatement, Angie et moi attrapons nos portables et constatons, en effet, que Jade nous a prévenues... qu'elle venait de réussir ses partiels de fin d'années et qu'elle voulait allez fêter ce gros succès !
Argh ! Je me sens vraiment comme une merde. Comment a-t-on pu oublier que les examens de Jade avaient lieu cette semaine ? J'étais tellement absorbée par mes propres problèmes que j'ai occulté le reste du monde.
En tournant la tête vers ma copine à la chevelure flamboyante, je remarque la même expression de culpabilité sur son visage. Nous sommes vraiment des amies nulles de chez nulles !
- Excuse-nous, Jade ! Franchement, on a été pourries sur ce coup-là... Mais félicitations !
La moue boudeuse de notre jeune amie laisse rapidement place à un sourire qu'elle essaie de réprimer. Elle nous ouvre ses bras et nous nous y précipitons.
- Si vous voulez vous faire pardonner, enfilez-moi des tenues dignes de ce nom et rejoignez-moi en bas dans dix minutes !
- C'est comme si c'était fait ! s'exclame Angie, qui se rue dans sa chambre.
Je la suis moins précipitamment. En y réfléchissant, c'est aussi l'occasion de prendre ce nouveau départ tant attendu. J'ai quand même quelques victoires à fêter aussi. Tout n'est pas si négatif que ça...
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