10.

Comment un simple refus a-t-il pu mettre le feu aux poudres ? Dès le départ, j'avais pourtant été clair : rien de sérieux, juste du plaisir. C'était ma seule condition. Condition qu'Hero avait immédiatement accepté. Nous étions sur la même longueur d'onde. Je n'avais jamais été autant en harmonie avec quelqu'un sur le plan sexuel. Comme s'il savait ce que mon corps réclamait, à quel moment lui donner ce qu'il voulait, et la manière de le lui procurer. Ces explosions qu'il provoquait en moi, j'en redemandais encore et encore. Il m'avait rendu insatiable... mais c'était sans compter sur les complications qui n'allaient pas tarder à arriver...

*

Je n'ai même pas le temps de finir ma phrase que mes deux amies se sont levées pour se précipiter vers l'endroit où l'inconnu s'est dirigé. Je retiens la table qui tangue, ainsi que nos boissons déséquilibrées, à cause de leur départ en trombe. Je soupire en portant ma main devant mes yeux. Plus discrètes, y'a pas !

Quelques secondes plus tard, je les rejoins, les voyant plantées au milieu du pub, à la recherche du géant à la voix de velours et au regard envoûtant. Je ne suis pas certaine qu'il soit l'inconnu de la boite, mais sa manière de parler, les frissons que son toucher a provoqué dans tout mon être, similaires aux sensations que j'ai ressenti quelques jours plus tôt, sans oublier le fait qu'il a mentionné le suçon d'une manière... amusée ? De plus, sa voix ressemble beaucoup à celle de mon dragueur mystérieux.

Et si c'était lui ? En tout cas, du peu que je me souvienne, c'est fort probable. Mais quelles sont vraiment les chances que je recroise ce type quelques jours plus tard ? Londres est une très grande ville, et ce n'est pas comme si nous trainions dans le même quartier que la dernière fois...

Il est jeune. Très jeune, même. Je lui donnerai la vingtaine, pas plus. Ses yeux m'ont immédiatement frappé. Son regard est très expressif. Dans le vert -- ou le bleu -- de ses iris, j'ai pu lire de la surprise, de la confusion et une certaine pointe d'excitation. Ses pupilles étaient dilatées, certainement dû à une consommation un peu excessive de cannabis. Je n'en ai pas senti dans son haleine lorsque ses lèvres roses et charnues se sont dangereusement approchées de mon oreille, et que son souffle chaud s'est écrasé sur mon cou, à quelques centimètres de ma marque rouge. Même le petit rire qu'il a lâché a résonné jusqu'aux tréfonds de mon âme, comme s'il m'avait touché en plein cœur.

Je tressaille en y repensant. Un coup de coude dans mon bras me tire de mes songes.

- Alors, c'est lequel ? me demande Jade, impatiente, scrutant le groupe de supporters attroupé au bar, se mettant même sur la pointe des pieds pour avoir une meilleure vue.

Je mets quelques secondes à regagner mes esprits et à me focaliser sur la masse importante de footeux. Je scrute méticuleusement chaque arrière de tête qui passe sous mes yeux. Ses cheveux sont courts sur le côté et plus fournis sur le sommet. Malheureusement pour nous, ce genre de coupe est à la mode et presque tous les jeunes Anglais l'arborent. Le seul détail qui pourrait jouer en ma faveur est sa taille. Encore une fois, il est vraiment très grand !

- Euh... non, je ne le vois pas, je finis par répondre, en constatant qu'aucun des hommes présents près du comptoir ne correspond aux critères physiques de mon inconnu.

Je tourne la tête vers une table où Morgan et le gars au chignon se trouvent, en train de discuter et de rire, lançant de temps à autre un rapide coup d'œil à l'écran plat, entouré d'autres personnes. Mais toujours aucune trace de lui.

L'ai-je imaginé ? Je veux dire... l'ai-je croisé, ce soir, dans ce pub ? Je sais que je n'ai pas autant bu que ce weekend, mais parler de lui ces derniers temps m'aurait-il fait fantasmer cette rencontre ? J'espère que mon esprit frustré ne me joue pas des tours. Avec tout ce qui se passe avec Matt, son manque de nouvelles... peut-être que mon cerveau essaie de me réconforter d'une manière plus qu'étrange.

Angie et Jade soupirent de déception. Nous nous en retournons vers notre table lorsque j'entends, derrière moi :

- ... FT nous attend dehors ! s'exclame une des voix masculines du groupe de Morgan.

Pourquoi ces deux lettres me sont-elles familières ? Je mets quelques secondes à essayer de me rappeler. Si mes souvenirs sont bons, je les ai entendues durant notre virée en boite. Malgré l'obscurité et les stroboscopes diffusant leurs faisceaux de lumières multicolores dans tous les sens, je pourrais jurer que c'est le gars au chignon qui a appelé l'inconnu par ce surnom pendant notre "danse". Je revois clairement sa silhouette atypique -- due à sa coupe de cheveux originale -- se distinguer dans ce jeu d'ombres et lumières au "Fiftie's".

Donc, mon mystérieux dragueur a une identité quelque peu énigmatique : "FT". Okay. Je ferais avec.

*

L'alarme de mon réveil me tire brutalement de mon sommeil. J'attrape rapidement mon portable pour faire taire le son strident qui me casse les oreilles. D'une main, je me frotte vigoureusement les yeux et le visage avant de me redresser tant bien que mal sur ce canapé trop mou dans lequel je m'enfonce un peu plus à chacun de mes mouvements. J'ai préféré laisser Angie et Jade dormir ensemble. De plus, le visage poupin de FT n'arrêtait pas de revenir me hanter. Même si ça m'embête de l'avouer, je l'ai trouvé très beau.

Devant le miroir de la salle de bain, je m'arrête pour examiner ma tête qui, une fois de plus, est un vrai désastre. Mon teint blafard me fiche la trouille. Même un cachet d'aspirine a plus de couleur que moi. Je devrais m'exiler sur une île déserte. Quelle idée de venir vivre à Londres, une des villes les moins ensoleillées au monde ! Pff... Comme si c'était la faute de la météo... Et je dois absolument faire quelque chose à propos de cette tignasse brune !

En ôtant le débardeur crème dans lequel j'ai dormi, en passant ma main sur mon bras, je peux encore ressentir sa poigne à la fois ferme et douce lorsqu'il m'a retenue de lui foncer dedans avec mes bières. Pourquoi me fait-il autant d'effet ? Je ne comprends vraiment pas ce qui m'arrive.

Il est sept heures et quart lorsque je quitte l'appartement d'Angie le plus discrètement possible pour aller travailler. Mes deux amies dorment encore et je ne veux pas les réveiller. A l'extérieur de l'immeuble, je constate que la température a chuté et je resserre ma veste noire en jean un peu plus pour que le froid ne la pénètre pas. Je me dirige en trottinant vers la première bouche de métro qui se présente. Après ce qui me semble une éternité, j'émerge de Tower Hill, l'arrêt le plus proche de la Tour de Londres et donc, de mon lieu de travail. J'embauche à huit heures et, en consultant l'écran de mon portable, je remarque qu'il me reste dix minutes avant l'ouverture du magasin. Quelques petites minutes de répit avant de retrouver mon "adorable" collègue, Daniel... Rien que d'y penser, je soupire. Quels autres moyens a-t-il trouvé aujourd'hui pour faire de ma journée un enfer ? Je ne préfère pas le savoir.

Je dois également penser à appeler mon banquier. Cette histoire de refus de paiement la nuit dernière m'a quelque peu perturbé. Je dois aussi tirer ça au clair. Plein de théories martyrisent ma pauvre tête déjà bien encombrée.

Je soulève le rideau en fer pour ouvrir la porte du Crest Of London. Je commence à sortir les différents étals où plusieurs produits et articles "made in England" sont exposés. Je me dirige vers le comptoir et allume les lumières de la pièce. Tout en comptant la monnaie afin de préparer ma caisse, j'entends les pas trainants de Daniel qui arrive et se dirige vers moi. Il me passe à côté sans me prêter aucune attention et s'installe dans la salle de repos. En le suivant du regard, je le vois s'asseoir sur une des chaises, croiser ses bras sur la table et poser sa tête dessus. Je le fixe quelques instants, interdite. Il ne va pas sérieusement piquer un roupillon, si ?

- Je crois que tu devrais te mettre en tenue, je lui conseille d'un ton cordial. Les premiers clients ne vont pas tarder à arriver.

Il relève la tête vers moi, à moitié endormi et me dévisage méchamment.

- Et toi, je crois que tu devrais fermer ta grande bouche parce que je n'ai pas dormi de la nuit et que ta voix est une souffrance pour mes oreilles, rétorque le malotru en reposant lourdement sa tête sur ses avant-bras.

Monsieur ne s'est pas levé du bon pied, on dirait. Il va être à prendre avec des pincettes. Enfin, plus que d'habitude, quoi. Mais, je ne compte pas me laisser faire. Je suis sa supérieure, il doit m'obéir sinon... sinon quoi ? C'est le fils du patron. Excepté se faire réprimander par son paternel, je ne pense pas qu'il le virerait.

- Franchement, si t'es venu pour dormir, t'aurais pu rester chez toi ! je réplique d'un ton cinglant, à mon tour, ignorant d'où cette audace -- ou cette mission kamikaze -- m'est venue.

Daniel relève une seconde fois la tête vers moi, suivie du reste de son corps. Sans me quitter des yeux, il s'avance vers moi, me surplombant de sa hauteur. Je dois dire qu'en rogne, il est assez impressionnant. Mais, je ne dois laisser transparaitre aucun trouble. Je déglutis, sans rompre le contact visuel. S'il perçoit le moindre signe de faiblesse ou de crainte, je suis foutue.

Le bad boy s'arrête à quelques centimètres de moi, ses yeux bleus glaçants remplis d'hostilité.

- Je me casse, alors, dit-il d'une voix très basse, en penchant soudainement sa tête vers la mienne, ce qui me fait reculer.

Ma réaction semble l'amuser, à la vue du rictus qu'il esquisse. Il me bouscule avant de se diriger vers la sortie mais, alors qu'il est sur le point de sortir, il fait demi-tour et revient sur ses pas. Je ne comprends pas ce qui se passe. Il ne veut pas être ici mais, pour une raison qui m'échappe, il vient de changer d'avis.

Une nouvelle fois, il me passe à côté, comme si je n'existais pas, en marmonnant un discret "fait chier". J'ignore s'il s'adresse à moi où si c'est la situation en général qui l'embête.

Quelques minutes plus tard, il revient, habillé en bon petit patriote du Crest Of London. Et pas sa tenue négligée, non. Son gilet est boutonné et il porte même le béret qui semble flotter sur ses boucles brunes. Il se contente de naviguer entre les rayons, sans prendre la peine de ranger ou de réapprovisionner les articles manquants. Pourquoi ce revirement de situation ? Comment peut-il passer du bad boy rebelle qui se fout de tout à "l'employé modèle" ? Ça n'a aucun sens...

Je viens vers lui avec un carton rempli de boules à neige, emprisonnant plusieurs monuments ou lieux cultes de Londres. Daniel s'est arrêté devant le stand des cartes postales et s'amuse à faire tourner le présentoir, sans but précis. Je pose la boite à côté de lui avec une étiqueteuse dessus. Surpris, il tourne la tête vers moi et me fusille du regard.

- Au lieu de végéter, tu peux t'occuper de ce carton, je lui indique.

Mon sous-fifre malgré lui plisse un œil, sans arrêter de me maudire à travers ses iris.

- Tu sais que t'es vraiment chiante, râle-t-il en détournant le regard vers les cartes postales.

- Et tu sais que t'es payé pour te rendre utile, j'objecte en arquant un sourcil. Alors, mets-toi au travail !

Je tourne les talons sans lui laisser le temps de prendre son air menaçant qu'il maitrise à la perfection. Soudain, un bruit de cassure me fait sursauter et m'arrête dans mon élan et je remarque le carton que je venais de lui apporter au sol, de l'eau mêlée à des flocons blancs se répandant sur le carrelage blanc. Je me précipite pour rattraper les dégâts, mais il est déjà trop tard. En ouvrant le carton, je constate que toute la marchandise est cassée. Je me relève vers ce grand con qui me fait face, de la satisfaction se lisant sur son visage.

- T'es fier de toi ? je gronde.

- En général, oui, répond-il nonchalamment.

J'en ai plus que marre de son attitude. J'ai envie de lui coller une bonne gifle pour lui remettre les idées en place, mais je suis certaine que ça n'attiserait sa colère que plus. A l'aide d'un balai et d'une pelle, je commence à ramasser les bouts de verre fins parsemant le sol. Je suis soulagée qu'aucun client n'ait été témoin de sa crise. Je ne sais vraiment pas comment ou si je peux le contrôler.

Je me retourne vers lui, exaspéré par son comportement, cherchant à savoir pourquoi il est comme ça avec moi.

- Qu'est-ce que je t'ai fait ? je lui demande, le fusillant à mon tour du regard. Je ne pense pas être méchante avec toi. Au contraire, je fais preuve de patience en ce qui te concerne. Mais tu t'obstines à agir comme un con à chaque fois. Je sais que tu n'es pas content d'être à... moi non plus d'ailleurs ! Tu crois que c'est ce que j'ai envie de faire pour le reste de ma vie ? Vendre des statues moches de la Reine ou des taxis miniatures ? NON ! Mais je fais avec ! Je serre les dents et chaque jour, je me lève péniblement et je viens ici faire mon boulot ! Tu devrais en prendre de la graine, mon petit père !

Pendant ma tirade, je le vois croiser ses bras et un sourire s'élargit de plus en plus sur son visage. Lorsque son regard se pose derrière moi, je comprends que nous ne sommes pas seuls. Et, à mon grand désespoir, lorsque je me retourne, je constate que la personne en question n'est autre que le père de Daniel, autrement dit, mon patron...

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