Dernier chapitre : La Créature de Cendres
Il est mort.
La voix de Jungwon fend l'air, résonnant dans le chaos environnant. Elle déchire le silence, sonnant comme un écho lointain dans la tête de T/p. Cette simple déclaration réveille douloureusement son corps meurtri, comme un coup de poignard dans un cœur déjà brisé. Tout le monde est à terre, projeté par l'explosion, par la violence. Les rares survivants se redressent, hagards, les yeux noyés de larmes. Certains fuient, d'autres prient. Mais il n'y a pas de miracle. Pas de salut. Seule la destruction règne, une loi immuable. Depuis la nuit des temps, tout finit par s'effondrer. Les mondes naissent du chaos et retournent au néant.
— Il... Il est... murmure Jungwon, la gorge nouée, les larmes brouillant sa vue.
Ses yeux se posent sur son ami. Comment pourrait-il décrire ce qu'il ressent ? Une douleur qui ne s'explique pas, qui étouffe comme une poigne invisible, resserrant ses griffes autour de lui, l'empêchant de respirer, l'écrasant comme un enfant impuissant.
Seigneur, pense-t-il, juste un instant de plus. Juste une minute pour lui dire au revoir. Un dernier rire, un dernier regard, une ultime étreinte.
— Tu l'as tué , souffle Jungwon dans un murmure amer. Ce n'est pas une accusation, c'est une promesse. Une promesse de vengeance. Tu l'as laissé mourir pour monter sur ce trône. Tu l'as envoyé à la mort pour qu'il devienne la dernière marche de ton ascension. » Jungwon vacille, s'approche d'elle, ivre de douleur.
— Jung, balbutie-t-elle, incapable de trouver les mots.
Il n'y a pas d'excuses qui tiennent face à la mort. Elle avait besoin de cette énergie, mais à quel prix ?
— Ce n'était pas un monstre ! hurle-t-il, la voix brisée, crachant sa rage, cherchant dans ses yeux un fragment de la silhouette de Sunoo, un écho de son âme.
— Jungwon, calme-toi , murmure Sunghoon, posant une main sur son épaule.
— Lâche-moi ! » Jungwon repousse violemment son ami. Ses yeux, rougis par les larmes, vont de T/p au cadavre de Sunoo. Il tremble, tout son être consumé par la colère. Je vais la tuer, crache-t-il.
Il la saisit, la force à s'agenouiller devant le corps inerte de Sunoo. L'odeur âcre du sang emplit l'air. Des fourmis ont déjà commencé à grimper sur sa peau froide. Le silence de la mort règne, palpable.
— Jungwon, arrête , implore Jay en le retenant juste avant que le coup ne tombe. Ça suffit.
Mais rien ne suffit. Le silence du champ de bataille est lourd, oppressant. Seuls les gémissements des blessés résonnent, leurs corps brisés jonchant le sol, formant un paysage de carnage. C'est une tombe à ciel ouvert, un champ de blé devenu cimetière. Aucun vent ne souffle pour purifier l'air, aucun répit. Le fermier ne viendra pas cette année.
Heeseung.
Le nom flotte dans l'air, comme un murmure venant de la terre elle-même. Ce moment vibre dans le sol, résonne dans chaque fibre de son être. T/p cherche des yeux Heeseung, mais tout ce qu'elle trouve, c'est le visage figé de Sunoo. Il n'y a pas assez d'étoiles dans le ciel pour qu'elle l'oublie. Aucune rivière n'est assez vaste pour accueillir toutes ses larmes.
Le premier rayon de soleil apparaît timidement à l'horizon. C'est le premier jour de sa vie qu'elle regrette d'avoir vécu. Comment faire demi-tour ? Comment effacer l'irréparable ? Ses amis aident les survivants à se relever, mais leurs mouvements lui paraissent flous, comme dans un rêve. Rien n'a de sens.
Elle avance d'un pas incertain, s'agenouille devant Sunoo.
— Ne m'abandonne pas , murmure-t-elle, le cœur brisé. Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ?
Son visage... il ne semble pas mort. Il semble simplement endormi. Elle chasse doucement la poussière de ses joues, le serre contre elle. Mais son corps est déjà si froid. Qu'est-ce que c'est, la mort ? pense-t-elle. Dire adieu sans jamais entendre de réponse ?
— Je suis tellement désolée , sanglote-t-elle en caressant son visage, en serrant ses mains. Elle trace chaque détail de sa peau, mémorise la courbure de ses paupières, le tracé de ses grains de beauté. Elle ne veut rien oublier.
Quelqu'un l'attrape soudainement par derrière. Elle ne comprend pas ce qu'il se passe.
— Non ! » crie-t-elle, se débattant avec désespoir. Laissez-moi ! Un garde la tire en arrière, ses bras ballants effleurant l'herbe. Pas comme ça. Ne le touchez pas
Plus tard, parlera-t-on de cette bataille comme d'une victoire éclatante ou d'une tragédie indicible ? Qui comprendra pourquoi le héros pleure alors que tout est censé être fini ?
Les gardes s'affairent, ramassant les corps comme des objets sans vie. Ceux qui résistent sont assommés sans pitié, leurs cris noyés dans l'indifférence.
— Arrêtez ! tente de crier T/p, mais sa voix se perd. Quelqu'un la retient fermement.
— Ne fais rien , murmure son père, sa voix sombre résonnant derrière elle. Pourquoi est-il là maintenant, après tout ce temps ? Ils doivent voir l'espoir, ordonne-t-il, froid, distant.
Quelqu'un la retint, l'empêchant de bouger. Deux sorciers saisirent ses bras avec force, comme s'ils contenaient une bête féroce prête à exploser. Ils la tenaient fermement, leurs mains glacées la soutenant, la clouant sur place. Son père la contourna avec une indifférence froide, comme s'il ne voyait en elle qu'un pion. D'un simple geste, il ordonna, et son armée, silencieuse et mécanique, s'exécuta. Obéissants sans question, ils bougèrent comme une seule entité. En quelques minutes à peine, elle se retrouva face aux survivants. Le peuple de Gin, brisé, agenouillé, les têtes basses. Et elle, comme une ombre malveillante au-dessus de ces âmes égarées.
Son père parlait, les bras agités, dans un geste théâtral. À ses côtés, quelqu'un s'affairait à nettoyer la boue et le sang qui maculaient sa peau, comme si cela pouvait rendre un sens à l'insensé. Elle n'osait rien dire. Que pouvait-elle ajouter à cette mascarade ? Tout semblait vide, dénué de sens, perdu dans le néant de cette tragédie.
La voix de son père, vieille, râpeuse, emplie d'une gravité sourde, résonnait. C'était comme une incantation maudite, un murmure ancien soufflé dans le vent. Ses paroles, incompréhensibles et sinistres, ne se limitaient pas à ce champ en ruines. Elles s'infiltraient dans les rues désertes de la ville détruite, dans les esprits des vivants, comme une onde envahissante, comme un virus qui n'épargnerait personne.
Il fit tout pour l'écarter du cadavre de Sunoo. La vision était insoutenable. Ses bras pendants, sa tête rejetée en arrière, le ventre béant... Sunoo, défiguré par la mort. Elle détourna les yeux, mais l'image resta gravée dans sa mémoire, une cicatrice indélébile.
— Armée de rebelles ! Cessez de vous battre ! » tonna son père avec une emphase théâtrale. Voyez le corps ravagé du traître Him Sunoo ! Vous avez gagné ! Sa mort apporte la paix après tant d'années de guerre ! Il emporte avec lui toute la haine, tout le sang versé sur nos terres. Et ce même sang nourrira l'aube d'un monde nouveau, un monde de paix et de renouveau !
Les mots résonnaient dans sa tête, mais elle ne pouvait rien dire. Quelqu'un lui força la tête à se baisser, l'empêchant de protester, l'étouffant dans sa douleur.
Son père se tourna alors vers elle avec une solennité calculée, tendant la main, son regard fixant la foule avec une froide assurance.
— Le tyran est mort grâce à une seule personne, annonça-t-il d'une voix qui vibra jusque dans le silence du champ de bataille. Celle qui devait sauver le monde. L'enfant de la prophétie !
— Je n'ai pas... commença-t-elle, sa voix tremblant d'horreur, mais il l'interrompit brusquement.
— Silence. Pas ici, ordonna-t-il d'un ton coupant, l'entraînant en arrière, comme si elle n'était qu'une marionnette entre ses doigts. Il fit un signe. Emmenez-la près du portail. Et prenez ceux qui restent. Laissez les morts à la charogne.
Elle ne comprend plus rien. Ses jambes tremblent, et pourtant on la force à avancer. Le monde tourne autour d'elle, mais elle ne sent rien. Un portail magique s'ouvre, les emportant loin du carnage.
Ils atterrissent dans un champ, où le vent souffle doucement, presque comme une caresse.
Seojoon arrive, essoufflé, et la prend dans ses bras. Elle se débat.
— C'est vous... vous saviez depuis le début. Vous m'avez trahie.
La colère monte en elle, comme une vague incontrôlable. Mais elle sait, au fond, qu'aucune rage ne ramènera les morts. Rien ne changera ce qui s'est passé.
T/p se dégage faiblement des bras de Seojoon. Sa colère retombe, remplacée par un vide si profond qu'elle en oublie même comment respirer. L'air semble lourd, épais, impossible à avaler. La douleur est partout, comme un brouillard qui l'enveloppe, étouffant chaque pensée, chaque sentiment. La trahison la ronge, mais elle sait que rien n'a plus d'importance. Il est trop tard.
Elle lève les yeux vers le ciel, un ciel d'un bleu irréel, incongru après tout ce qu'elle vient de vivre. Un rire amer lui échappe. Quelle ironie. Alors que tout son monde s'effondre, la nature continue, implacable, insensible aux drames humains.
— Je ne peux pas... murmure-t-elle, incapable de formuler ses pensées.
Seojoon la fixe, le regard rempli de tristesse, mais il ne dit rien. Que pourrait-il dire ? Les mots seraient vains. Tout est terminé. Tout ce pour quoi elle s'est battue, tout ce qu'elle a sacrifié, tout semble si futile maintenant. Les visages des morts, les cris des survivants, tout résonne encore dans sa tête. Et malgré tout, elle est toujours là. Debout.
Elle fait un pas en avant, vacille légèrement. Une partie d'elle espère tomber, s'écrouler, disparaître dans cette terre silencieuse. Mais non, elle reste debout. Contre toute attente. Contre toute logique.
Ce moment, cet instant précis, scelle son destin. La rage monte, lentement, insidieuse. Pas une rage brûlante, non. Une colère froide, glaciale, celle qui ne laisse plus de place à la pitié.
— Qui a gagné la guerre alors ? demande-t-elle à personne en particulier, la voix rauque.
Personne ne répond. Parce que personne n'a la réponse.
Le vent se lève doucement, faisant bruisser les feuilles autour d'eux. Il semble murmurer des secrets anciens, des vérités oubliées. Le champ autour d'eux est calme, mais elle sait que ce n'est qu'un répit temporaire. Le chaos reviendra, toujours. C'est la seule certitude dans ce monde déchiré.
Elle ferme les yeux, respire profondément. Un nouveau monde, son père avait dit. Mais à quel prix ? Les morts ne reviendront pas. Les plaies ne guériront jamais vraiment. Pourtant, elle est là. Vivante. Elle n'a plus de choix. Il faudra avancer, malgré tout.
Lorsqu'elle ouvre les yeux, le soleil est déjà plus haut dans le ciel. Un éclat d'or qui semble trop brillant pour cette journée funeste. Mais c'est ainsi. La vie continue, même après la fin.
Elle se tourne enfin vers Seojoon. Je ne veux plus savoir ce que l'avenir me réverse. Il n'y aura plus de fausse vérité, plus de secret à moitié dévoilé. Sa voix est résolue. Un pas après l'autre. C'est tout ce qu'elle peut promettre. Je ne serais pas celle que vous attendiez. Allez vous faire foutre.
Elle serre les poings, tremblante, mais déterminée. Tout ce qu'elle avait cru être sa destinée n'était qu'un mensonge, un voile de naïveté. Le monde est cruel. Et ceux qui survivent sont ceux qui acceptent cette vérité.
Elle avance, un pas après l'autre vers la silhouette imposante et sombre de son père, abandonnant derrière elle les cendres fumantes de ce qu'elle avait cru être sa destinée. Sunghoon et Jay la suivent, les traits tendus. D'un regard furtif, elle aperçoit Jake et Jungwon, blessés, le regard encore empli de défiance. Ils ne bougeront pas. Le Nécromancien soutient un Jungwon brisé, silencieux, les larmes coulant sans bruit sur son visage. Le poids du désastre imprègne l'air lourd autour d'eux.
Elle pivote alors vers celui qui, dans l'ombre, avait tout déclenché. Ses yeux percent le voile des regrets et des trahisons. Seojoon, tu voulais une reine ? Sa voix tranche comme une lame, froide et implacable. Je t'offre un royaume. Ses mains abîmées, tremblantes d'une force nouvelle, s'agrippent au bras du Némésis balafré, celui qui a déclenché cette chaîne infernale. Mais ses yeux sont rivés sur le Doyen, celui qui avait cru pouvoir la manipuler.
— Mais ne viens pas te plaindre. N'ose jamais venir pleurer lorsque le monde s'effondrera à cause de vos propres ambitions. Quand tu seras celui perché en haut des marches, quand tes enfants pourriront sous six pieds de terre, quand même tes amis auront cessé de croire en toi, alors seulement— Je viendrai te trouver. Quand un salaud de ton espèce me suppliera de sauver un peuple brisé et qu'il faudra t'abattre. Quand la terre elle-même gravera ton nom dans l'écorce comme celui qui ne mérite plus de régner je te trouverais.
Une part d'elle sait que c'est la fin de tout ce qu'elle était. Sa voix monte, un souffle terrible entre ses lèvres.
— Vous aviez peur de l'apocalypse noire ? D'une bête aux mille têtes ?
Un sourire cruel illumine son visage. Elle sent le pouvoir de Heeseung fusionner avec le sien, grandir, un torrent incontrôlable pulser dans ses veines. Elle sent la force, la rage, le besoin de tout détruire, de tout consumer. Et pour la première fois, cela ne l'effraie plus.
— Admire la créature que tu as créé.
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