Chapitre 7




Daemon courait en boitillant, le souffle court. Sa jambe le lançait, lui faisait monter les larmes aux yeux, mais l'adrénaline l'empêchait de s'écrouler. Il n'en revenait pas. Il avait cru être mort. Pour de bon, cette fois. Mais l'arrivée inopinée de cette fille lui avait sauvé la vie.

Que faisait-elle dans Draecaror ? Le voleur avait déjà été stupéfié de voir la soldate le suivre dans la forêt. Lui qui pensait être le seul à avoir l'audace de s'y aventurer, il était tombé de haut. Mais maintenant, il découvrait que quelqu'un d'autre avait à son tour brisé l'interdit. Il n'en revenait pas et cela l'inquiéta. Lui qui comptait sur cette terreur qu'inspirait la malédiction, il découvrait que cette dernière n'était plus aussi forte qu'auparavant.

Pire, maintenant que la soldate et la fille en ressortiraient idemmes, il pouvait être certain que de moins en moins de monde craindrait ces bois. Bientôt, il croiserait de plus en plus de marcheurs et ce lieu qui lui offrait le repli idéal perdrait tout son intérêt.

Il allait devoir plier bagage.

Daemon arriva bientôt au temple qui lui servait d'abri. Enfin, le mot ruine était plus adéquat. Il grimpa en grimaçant les escaliers effondrés et atteignit l'estrade avant d'aller s'abriter sous le seul pan de toit encore intact. Il s'écroula comme une masse sur la couverture miteuse qui lui servait de lit et posa son sac dans un coin.
Il observa son mollet. Le tissu marron était à présent imbibé de rouge et il sentait une flaque de sang s'agglutiner dans le talon de sa botte. Avec précaution, il souleva le pan de son pantalon. Il saisit une gourde trainant dans un coin et nettoya les pourtours de la plaie pour la voir plus clairement.

Elle était moins profonde que ce qu'il s'était imaginé sans pour autant être superficielle. Un simple bandage ne ferait pas l'affaire; il fallait au moins désinfecter, voir cautériser. Malheureusement, il n'avait ni le matériel, ni le savoir-faire pour tenter ce genre de chose. Tout ce qu'il risquait de faire, c'était d'aggraver la plaie.

« On dirait que je vais devoir rendre visite au vieux » soupira-t-il.

Il saisit une chemise qui reposait non loin de là et la découpa en fines bandelettes. Serrant au maximum pour arrêter l'hémorragie, il pansa son mollet en se retenant de grogner. Il fit de même avec son bras puis s'allongea. Il devrait marcher de longues heures demain. Il espérait que sa jambe tienne le coup.

Revoir le vieux. Depuis combien de temps n'était-il pas retourné là-bas ? Presque cinq ans maintenant. Comment prendrait-il son retour ? Sera-t-il fâché ? Certainement. Peut-être lui claquerait-il même la porte au nez.

***

Les deux hommes me jetèrent sans le moindre ménagement dans la petite cellule qui était désormais la mienne.

« Attend ici, fit l'un d'eux. On viendra te chercher une heure avant ton audience. »

Le soldat ferma la grille et tourna la clé dans la serrure avant de repartir avec son collègue. Médusée, je me plaquai contre les barreaux et les regardai s'éloigner, le goût âpre de la mixture qu'ils m'avaient forcée à ingérer persistant sur mes papilles. 

Je n'en revenais pas. Comment la situation avait-elle pu déraper à ce point ?

La soldate m'avait trainée de force hors de la forêt et malgré toutes mes tentatives pour lui expliquer le malentendu, elle n'avait rien voulu entendre. Et les autres soldats à qui elle m'avait conduite n'avaient pas trouvé étrange ou exagéré d'exiger mon incarcération pour le simple fait d'être entrée dans ce bois. Pire, on aurait dit que j'avais commis un crime impardonnable.

Je fixai le corridor vide, dans l'espoir que les gardes se rendent compte de l'absurdité de la chose et fassent demi-tour. Mais les minutes passèrent et personne ne vint. Je dus alors me rendre à l'évidence : je devrai attendre le lendemain, le jour de mon audience.
On ne m'avait donné aucunes indications quant à ce point, hormis que cela se déroulerait dans une église et qu'un certain prêtre nommé Rysath ferait office de juge. J'avais été surprise d'apprendre que ce serait un religieux qui se chargerait du procès, mais n'avais rien dit.

A la place, j'avais demandé si j'aurais droit à un avocat et ils m'avaient tous dévisagée avec des regards lourds d'incompréhension. J'avais obtenu la même réaction lorsque j'avais demandé un appel à ma famille.

Je posai mon front contre les barreaux en métal, espérant que leur fraîcheur m'éclaircisse les idées. Tant de réflexions, de questions et de suppositions se croisaient sous mon crâne que tout s'embrouillait dans un entrelacs incompréhensible. De nouvelles interrogations venaient germer là où les précédentes n'avaient toujours pas trouvé de réponses et, plus que jamais, je me demandais dans quel genre d'endroit j'avais atterri.

En plus de ces noms étranges que je ne connaissais pas, j'avais découvert des villageois semblant tout droit sortis d'une autre époque. Les soldats portaient de vraies armures, en acier et accompagnées d'épées, les passants se déplaçaient à pied ou à cheval plutôt qu'en vélo ou en voiture et ils étaient presque tous vêtus de longues capes comme on n'en voyait plus. Et puis la soldate qui semblait découvrir le téléphone...

La soldate. Elle avait fait preuve d'une force et d'une rapidité peu communes. Alors que nous faisions presque la même taille, elle m'avait maîtrisée sans le moindre effort, d'une seule main qui plus est. Sans oublier qu'elle avait réussi à retourner son camarade d'un simple mouvement de poignet et l'avait porté sur plusieurs kilomètres alors qu'il devait bien atteindre les quatre-vingts kilos son armure sur le dos. Elle ne semblait pas bien épaisse pourtant. Peut-être était-ce son armure qui cachait son gabarit ?

Dans un soupir las, je me décollai enfin de la grille et observai pour la première fois la cellule dans laquelle j'étais enfermée. C'était une pièce carrée et exigüe, aux murs de pierre décorés de moisissures. Pas la moindre fenêtre ni ouverture.

Je jetai un regard au tas de paille humide qui faisait sans doute office de lit et décidai plutôt d'aller m'assoir dans un endroit plus ou moins sec où je pouvais m'adosser à un pan de mur délaissé par les champignons verdâtres. Et alors que je fourrai mes mains dans la poche de mon sweat pour les réchauffer, je me rappelai une chose.

La soldate ne m'avait rendu ni mon téléphone, ni la lettre de ma tante.

D'une part, cela ne m'étonnait pas, mais de l'autre, je sentis l'abattement alourdir mes épaules. Mon téléphone était ma plus grande chance de réussir à contacter ma famille mais maintenant, je ne savais pas quand je le reverrais. Sans parler de la lettre qui, malgré qu'une grande partie soit incompréhensible, représentait mon meilleur espoir de comprendre ce qu'il m'arrivait.
Peut-être pouvais-je espérer les récupérer après cette fameuse audience ?

Soudain, des bruits de pas approchèrent et deux soldats apparurent, marmite et bols en bois dans les mains. Je ne m'attendais pas à les voir ; étant privée de lumière et de montre, je n'avais aucune idée de l'heure qu'il pouvait bien être. Mais mon estomac gargouillant m'informa que lui était heureux de cette visite inopinée.

Les gardes, sans m'accorder un regard, servirent dans un bruit gluant ce qui allait être mon futur repas. Ils glissèrent le récipient entre les barreaux et partirent sans le moindre mot. Je récupérai le bol et observai son contenu.
Ça ressemblait à un rat mort écrasé.

« Charmant » commentai-je.

Mais mon ventre, qui grogna bruyamment, me fit comprendre que je n'étais pas en position de faire la difficile. Avec une grimace, je plongeai mes doigts dans la mixture – les soldats n'avaient pas jugé nécessaire de nous fournir des cuillères – et avalai, après un instant d'hésitation, une première bouchée. Je déglutis difficilement mais dus reconnaître une chose : la bouillie était peut-être visqueuse et insipide mais pas infecte comme son apparence le laissait penser.

Et puis, ce n'était pas comme si j'avais le loisir de me plaindre.

Je commençai alors à voir le bon côté de ma situation. J'étais enfermée certes, mais j'avais un toit pour dormir et de la nourriture pour manger. C'était toujours mieux que de passer la nuit dehors, le ventre vide, comme ça aurait sûrement était le cas si je n'avais pas croisé le chemin de la soldate (je n'avais pas le moindre centime sur moi et encore moins de quoi grignoter). Sans oublier que j'étais enfin sorti de cette forêt. Il me suffisait d'expliquer toute l'histoire durant mon audience pour être disculpée.
Quel que soit le juge, il m'écouterait et réaliserait l'affreux malentendu.

N'est-ce pas ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top