Chapitre 5
Je levai brièvement les yeux vers les nuages de plus en plus noirs qui s'amoncelaient au-dessus de ma tête. L'averse n'était pas prête de s'arrêter.
Un éclair blanc déchira soudain le ciel sombre et le tonnerre clama de nouveau dans ce vacarme assourdissant qui lui était propre, m'arrachant un sursaut.
Je détestais l'orage.
Accompagnée du bruit spongieux que faisaient mes chaussures autrefois blanches en s'enfonçant dans la boue, je poursuivis mon chemin, mon ventre se nouant un peu plus à chaque pas. La silhouette des arbres se faisaient de plus en plus menaçantes au fur et à mesure que la luminosité baissait.
Un frisson me parcouru l'échine mais je ne sus dire s'il était dû à la température qui baissait à vue d'œil ou à ce sentiment d'insécurité qui me tenaillait.
Désespérée de ne savoir que faire, j'avais décidé de chercher la sortie de cette forêt. Mais cela faisait un moment que je marchais déjà – une heure ? deux ? - et je ne voyais toujours pas poindre l'orée de ce bois.
Mes jambes se faisaient lourdes, la terre mouillée engluant mes chaussures ne facilitant pas la chose, et la fatigue accumulée par ces longues nuits d'insomnie venait apposer son voile trouble sur mes pensées, les rendant de plus en plus insaisissables.
Pourtant, je devais réfléchir. Je devais trouver un moyen de me renseigner. Il fallait que je sache avec exactitude où je me situais et enfin répondre à cette myriade de questions qui fusait à l'intérieur de mon crâne et m'empêchait de me concentrer. Et, plus que tout, il fallait que je fasse taire cette inquiétude sourde qui me rongeait.
Mais malgré toutes mes vaines tentatives, je revoyais cet homme debout dans l'entrée du salon. Je ressentais cette aura noire et dangereuse l'envelopper comme un voile sombre.
Mon frère, ma tante, ma mère... qui savait ce qu'il leur avait fait ? Je l'observais envoyer un puissant coup de pied dans l'estomac de mon frère, prêt à enfoncer sa lame dans sa poitrine. Qui était-il ? Comment était-il entré dans l'immeuble ? Que nous voulait-il ?
Lasse de ces questions sans réponses, je sortis la pierre blanche que j'avais ramassé un peu plus tôt et traçai une énième croix sur le tronc le plus proche. La pluie l'estompera sûrement, mais c'était le seul moyen que j'avais trouvé pour me repérer. Je repris alors ma marche, les mains fourrées dans les poches de mon sweat, l'esprit toujours occupé par cette silhouette encapuchonnée aux allures de prédateur.
***
Lorsqu'Ayan ouvrit les yeux, les lumières suspendues au haut plafond lui donnèrent la nausée. Il se redressa, contempla la femme inconsciente à ses côtés, avant de laisser son regard dériver autour de lui.
Il reconnut les longs murs décorés de fresques, les voûtes en arabesques du plafond et le sol froid et dallé. Il n'y avait pas de fenêtres, si bien que l'endroit était sombre, seulement éclairé par les lustres qui pendaient nonchalamment au plafond.
Dans un grondement sonore, la grande porte en marbre derrière lui s'ouvrit, laissant apparaitre une dizaine de personnes en robes bleues nuit. A leur tête, un homme vêtu de blanc s'approcha d'un pas souple et gracieux.
« Où se trouve l'Enfant ? » demanda-t-il.
Ayan le dévisagea de ses yeux - un bleu, un gris - avant de désigner d'un mouvement de tête la femme endormie.
« Disparue, déclara-t-il de ce ton neutre qui lui était propre. La draïkar l'a fait passer avant que j'arrive. »
Nulle trace de colère ne déforma les traits de l'homme -contrairement à ce que s'était attendu Ayan - seulement une certaine forme d'étonnement. Il se tint le menton quelques instants, ses yeux verts plongés dans le vague.
« Voilà qui est assez embêtant, avoua-t-il. Je ne pensais pas qu'ils prédiraient notre arrivée aussi promptement. Ni qu'ils prennent le risque d'envoyer l'Enfant prématurément.
-Qu'est-ce que vous comptez faire ? » demanda Ayan en se relevant.
Il observa l'homme replonger dans ses pensées en silence tandis qu'une personne en bleu s'approchait de lui pour lui tendre une petite fiole en verre. Ayan s'en saisit sans accorder un regard au mage et but d'une traite le liquide orangé aigre-doux. Presque aussitôt, sa nausée disparue et il fit glisser un couteau hors de son fourreau pour le faire tournoyer dans ses mains.
« Je sais que tu es impatient de partir à sa recherche , déclara l'homme en blanc en remarquant son geste. Mais il ne faut pas nous précipiter. Une seule erreur et tous nos efforts seront vains.
- Si nous attendons trop, ça reviendra au même, fit remarquer le mercenaire.
- Certes. Mais chercher à l'aveugle une personne pouvant se situer à tout endroit des cinq royaumes ne serait pas plus efficace. »
Ayan jeta son couteau en l'air, le rattrapa au vol, avant de se remettre à jouer avec.
« Et alors ? Qu'est-ce que vous proposez ?
-Cette draïkar, fit l'homme en désignant la femme. Elle sait sans doute où se trouve l'enfant. Nous lui demanderons une fois qu'elle sera réveillée.
- Elle ne dira rien, j'ai déjà essayé, informa le mercenaire. »
C'est une perte de temps, pensa-t-il, son expression indifférente toujours fichée au visage. L'homme sourit avant de planter ses yeux sombres dans les siens. Un fourmillement désagréable parcouru Ayan mais il ne détourna pas le regard pour autant.
« Contrairement à ce que tu crois, ce n'est pas une perte de temps, le contredit l'homme. Même si elle ne dit rien, ses pensées la trahiront. »
Un léger titillement lui fit pincer les lèvres – sans doute de l'agacement – et il posa son regard placide sur l'homme en blanc.
S'il utilisait son Don, certainement, ce ne serait pas la même affaire.
« Et si ça ne fonctionne pas ? demanda-t-il néanmoins. Si je me rappelle bien, les draïkar résistent plutôt bien au Don.
- La torture sera toujours une option, répondit l'homme en haussant les épaules. Même si je préfère éviter ce cas de figure. Nous sommes ici pour aider notre peuple, pas le martyriser. »
Vous, corrigea le mercenaire. Lui se fichait bien du peuple.
L'homme parut percevoir ses pensées car il secoua la tête d'un air désolé qui n'atteignit pas Ayan. Son employeur pouvait bien penser ce qu'il voulait de lui tant qu'il respectait sa part du marché.
N'ayant plus rien à lui dire, il sortit de la pièce et longea les couloirs pour rejoindre ses appartements. Régnus semblait avoir bien pris la nouvelle, ce qui était plutôt décevant. Ayan qui pensait enfin voir l'homme s'emporter...
Mais bien vite il se consola (enfin, ce terme n'était pas très adéquat, sachant qu'il n'éprouvait pas vraiment de tristesse, seulement un vague fourmillent qui pouvait s'apparenter à de la déception). Régnus avait parlé de torture. Il espérait que la draïkar ne dise rien.
Et qu'on le charge de la tâche ingrate.
***
Elle était derrière lui.
Il le savait. Il le sentait.
Daemon avait beau fuser entre les troncs, virer à droite puis à gauche et faire des détours à rallonge, la soldate le talonnait. Pire, elle accélérait alors que lui ralentissait. Bientôt, il dû se rendre à l'évidence : il ne parviendrait pas à fuir.
Le poids de sa dague pesa contre sa cuisse. La seule chose à faire restait se battre. Mais avait-il une chance ? Il n'était que muni d'une simple lame, courte qui plus est, alors que la soldate, elle, possédait une épée longue comme son bras. Sans oublier ses capacités physiques accrues. Et si par chance, Daemon parvenait à se rapprocher et à lui porter un coup, sa dague ricocherait contre son plastron d'acier. Le combat était perdu d'avance. Mais y avait-il une autre solution ?
Non. Il refusait de se rendre sans lutter.
Le voleur tourna à droite, dérapant sur les feuilles mouillées. D'un geste sec, il passa la bandoulière de son sac par-dessus sa tête et le jeta au loin. Par chance, la sangle qui le maintenait fermé tint le coup et empêcha son contenu de se déverser sur le sol trempé.
Daemon dénoua le cordon de sa cape, rattrapa le vêtement avant qu'il ne tombe au sol et l'enroula autour de son avant-bras. Une bien maigre protection.
Les sens à l'affut, il dégaina la dague sanglée à sa cuisse et se mit en garde.
Un éclair zébra le ciel lorsque des craquements sur sa gauche l'alertèrent.
Trop tard.
Il n'eut pas le temps de se tourner que la jeune femme bondissait déjà sur lui. Ils s'écrasèrent tous les deux au sol. Daemon en profita et les fit basculer sur le côté.
A présent au-dessus de la pisteuse, il empoigna fermement sa dague et l'abattit vers son visage, seule partie de son corps découverte. La soldate esquiva, renversant sa tête sur le côté, et lui donna dans un rugissement sonore un puissant coup de pied dans l'abdomen.
Le jeune homme fut propulsé sur plusieurs mètres et culbuta jusqu'à percuter le tronc massif d'un arbre. Dans un râle de douleur, il se redressa, le souffle court.
La soldate dégaina son épée dans un chuintement qui le fit frémir. Un cri roque, digne d'une bête sauvage, s'échappa de ses lèvres quand elle se jeta sur lui.
Daemon esquiva de justesse. La lame s'enfonça sur plusieurs centimètres d'épaisseur dans l'écorce dure de l'arbre derrière lui. Le voleur déglutit.
Ça aurait pu être sa tête.
Il s'éloigna d'un bond, une main pressée contre son abdomen douloureux, tandis que la soldate dégageait son épée.
Cela s'annonçait encore plus compliqué que prévu.
Aussitôt son arme libérée, la jeune femme le chargea et abattit un nouvelle fois son épée. Daemon ne put que parer le coup avec son avant-bras.
La lame traversa le vêtement jusqu'à atteindre sa peau. Le voleur riposta en élançant sa dague vers l'œil de la soldate. Cette dernière parvint à esquiver et recula de quelques pas.
Daemon examina son bras. Heureusement pour lui, les couches de tissus avaient amorti le coup et il s'en tirait avec une simple entaille, douloureuse certes, mais peu profonde. Il observa la pisteuse, sur ses gardes.
Elle n'était même pas essoufflée.
Il fallait qu'il trouve une solution, un moyen de sortir vivant de ce combat. Il fouilla les alentours du regard, ignorant la pluie qui brouillait ce dernier, à la recherche de la moindre chose pouvant l'aider.
La soldate profita de ce bref moment d'inattention pour attaquer. Surpris, il recula et perdit l'équilibre. Il atterrit au sol dans un grognement avant de se jeter sur le côté lorsque la pointe de l'épée fondit sur lui.
Il ne fut pas assez rapide ; la lame transperça la chair de son mollet, lui arrachant un cri roque. Il tenta de se lever, mais un éclair de douleur l'en empêcha.
Il leva alors les yeux vers la pisteuse. Elle le regardait, sourire aux lèvres. Il voyait ses yeux verts luirent de satisfaction et d'impatience à travers les mèches rousse folles qui lui tombaient sur le front. Elle ne se pressait pas, savourant sa victoire.
Il ne pourrait plus s'enfuir, ils le savaient tous les deux.
Daemon serra les poings. Non, il ne l'accepterait pas. Il ne croupirait pas dans une cellule jusqu'à la fin de ses jours.
Il ramassa sa dague non loin de là et se prépara à bondir sur la soldate. Cette dernière leva son épée. Elle avait renoncé à le ramener vivant. Ce qui, d'une certaine manière, n'était pas plus mal.
Et d'un geste commun, ils abattirent leurs armes.
« Il y a quelqu'un ? »
La lame frôla son visage alors que, interdit, Daemon se figea. Il croisa un bref instant le regard stupéfait de la soldate avant de le diriger lentement vers la personne qui les avait interrompus.
Une jeune fille se tenait entre deux arbres, et les observait, les yeux écarquillés.
Daemon cligna des yeux.
Une jeune fille qui n'avait rien à faire ici.
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