Chapitre 3
« Je déteste la pluie, bougonna Harry. Et je déteste cet endroit. Toute cette foule, c'est tellement oppressant, tu ne trouves pas ? »
John hocha pensivement la tête sans vraiment écouter ce que lui disait Harry. Il n'avait rien contre le géant (quand quelqu'un mesurait plus de deux mètres de haut, on pouvait aisément le qualifier de géant), au contraire, il le considérait comme un ami. Mais lorsqu'il ne cessait de se plaindre comme aujourd'hui, John devait bien avouer qu'il avait du mal à le supporter.
« Pourquoi faut-il que le caporal nous confie toujours la ronde de ce secteur ? reprit Harry. Les quartiers bourgeois sont beaucoup plus calmes, on ne pourrait pas nous envoyer là-bas, pour une fois ?
— C'est justement pour ça qu'on nous envoie ici, idiot, le rabroua une voix féminine. Et arrête un peu de te plaindre, tu me casses les oreilles. »
John retint un soupir. Et maintenant, Reina s'y mettait elle aussi. Lui qui voulait faire dans la discrétion pour une fois, c'était raté.
Les chamailleries des deux soldats attirèrent l'œil des passants et les rendirent d'autant plus visibles dans la foule. Et surtout, elles leur firent perdre toute crédibilité.
Comment comptaient-ils faire régner l'ordre dans ces conditions ?
« Vous ne pouvez pas faire un peu moins de bruit ?» leur demanda John.
Mais ils ne l'écoutèrent pas (le soldat doutait même qu'ils l'aient entendu) et continuèrent de plus belle. Cette fois-ci, il ne fit rien pour retenir son soupir.
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Ils firent le tour de la place sans qu'il n'y ait d'incident notable à déclarer. A présent qu'Harry et Reina s'étaient calmés, le silence pesait de nouveau sur le petit groupe, au plus grand bonheur de John.
Ils n'allaient pas tarder à changer de secteur et, pour une fois, la patrouille s'était globalement bien passée. En dehors de leur petite dispute de tout à l'heure, ses deux camarades n'avaient pas causé un de ces scandales dont ils avaient le secret et le soldat devait avouer qu'il en était soulagé. Peut-être qu'à présent qu'ils avaient accompli une mission sans qu'elle ne tourne au désastre, le caporal Liace et les autres soldats de l'escouade arrêteraient de les prendre pour des incapables et on leur confirait enfin des tâches plus importantes.
Son père serait enfin fier de lui.
« Au voleur ! »
Les poils de John se hérissèrent au son de cette voix stridente. Il fouilla les alentours du regard. Un attroupement autour d'un étal non loin de là, légèrement plus compact que la foule qui les entourait, attira son attention. Après avoir échangé un regard entendu avec ses deux coéquipiers, il se fraya un chemin, n'hésitant pas à jouer des coudes pour atteindre le lieu du délit.
Il se retrouva devant une boutique de bijoux, tenue par un petit homme trapu, où une femme d'une trentaine d'années, la bouche grande ouverte, s'apprêtait à réitérer son appel. Elle resta un moment stupéfaite, lorsque leur regard se croisèrent, avant de finalement sceller ses lèvres, au plus grand soulagement du soldat : ses oreilles n'avaient aucune envie d'écouter de nouveau cette voix criarde, et surtout pas d'aussi près.
D'un pas rapide, il s'approcha d'elle, analysant du même coup brièvement la scène. La plupart des personnes présentes regardaient un point vers la droite, légèrement abasourdies.
« Soldat John Landon, membre de la deuxième escouade rattachée à la seconde compagnie, se présenta-t-il lorsqu'il fut assez proche de la femme. Que s'est-il passé ? »
Elle braqua sur lui un regard lourd de mépris mais le soldat comprit rapidement qu'il ne lui était pas destiné. Et qu'il n'aurait pas apprécié être la cible de toute cette aversion.
« Un Maudit, expliqua la femme, prononçant ce dernier mot comme un serpent cracherait son venin. Il m'a volé mon alliance. »
Joignant le geste à la parole, elle lui présenta sa main gauche dont l'annulaire était effectivement dépourvu de la bague censée le décorer. John comprit alors l'origine du dégoût qui luisait dans les yeux gris de la femme.
Ce qui la dérangeait tant, ce n'était pas tant de s'être fait dérober son alliance, mais que celui qui lui avait subtilisée aborde la marque d'Aetha sur son corps. Qu'il portait cet œil maudit qui se consumait lentement dans les flammes de sa pupille.
Un sentiment de malaise vint comprimer la poitrine du soldat. S'il s'agissait de Maudits, tout se compliquait...
« Par où est-il parti ? »
John sursauta et tourna la tête vers Reina, qui avait surgie à ses côtés. Bien qu'il sache qu'elle le suivait avec Harry, il ne l'avait pas entendue approcher.
« Reina att... » commença-t-il.
Mais lorsqu'il croisa les yeux verts surplombés de long cils roux de la soldate, il s'interrompit. Devant ce regard, empli d'avidité et d'impatience, il sut qu'il était trop tard. Quoi qu'il dise ou quoi qu'il fasse, cela n'atteindrait pas Reina. Pas quand elle était dans cet état.
La femme (certainement une bourgeoise à en juger par la soie bleue de sa robe) mit quelques temps à réagir, stupéfaite par l'ardeur de la soldate. Elle se reprit cependant rapidement et, les yeux légèrement plissés par ses traits crispés, pointa du doigt l'endroit où étaient tournées toutes les têtes depuis leur arrivée. Sans perdre une seconde de plus, Reina se précipita à la poursuite du voleur, ignorant les protestations de John qui lui réclamait d'attendre.
« Elle a remis ça » constata Harry qui l'avait rejoint.
Cette fois-ci, John ne broncha pas : il avait entendu les cliquetis de l'armure de son ami tandis qu'il s'approchait, ce dernier étant loin de posséder la démarche légère et silencieuse de leur camarade. Il hocha la tête dans un soupir avant de se tourner vers la femme qui les dévisagea.
« Vous ne la suivez pas ? demanda-t-elle en fronçant les
— Avant ça, j'aurais besoin que vous me décriviez le voleur » lui expliqua John.
Le froncement de sourcil de la bourgeoise s'accentua, creusant de légers plis sur son front jusqu'à présent lisse.
« A quoi cela vous servira ? récrimina-t-elle. Je vous ai déjà dit que c'était un Maudit, n'est-ce pas suffisant ? »
John garda un visage des plus impassibles face à cette remarque. Cependant, derrière cette façade, l'agacement commençait à prendre le dessus. De nombreux Maudits parcouraient les rues de Craön et le soldat se refusait à mettre sous les barreaux une personne n'ayant commis aucun délit.
Mais cette femme s'en fichait tout bonnement. Tant qu'un de ces « Sans Don » croupirait dans une cellule pour compenser sa peine, elle serait satisfaite. Que ce soit le coupable ou non. Et John parvenait mal à supporter ce genre de comportement.
« Nous perdons du temps » fit-il remarquer à la bourgeoise d'un ton plus froid que d'ordinaire.
Harry, qui le connaissait depuis plus de trois ans à présent, ne manqua de le remarquer et lança un regard en biais à son camarade. Il ne manquait plus qu'il perde son calme. Le géant décrocha alors un regard appuyé à la femme pour lui faire comprendre qu'elle ferait mieux de s'exécuter sans discuter. Cette dernière soupira et, d'un ton où l'exaspération ne fit pas l'effort de se dissimuler, elle capitula enfin :
« Un jeune homme d'à peu près votre âge, de taille moyenne. Des cheveux et des yeux noirs. Il est vêtu d'une cape sombre -bleu marine ou gris foncé- et il porte la marque des Maudits sur la joue droite. »
La femme s'interrompit et planta son regard dans les yeux marron du soldat.
« Cela vous convient-il ? » railla-t-elle.
John hocha la tête en ignorant la provocation de la femme et, après avoir échangé un bref regard avec Harry – un regard qui signifiait « reste ici et occupe-toi de cette pimbêche » - il s'élança sur les traces de Reina à la poursuite du voleur.
Toutefois, alors que du coin de l'œil il aperçut le propriétaire de l'étal le suivre du regard, ce sourire malicieux toujours aux lèvres, il se promit de revenir l'interroger, une fois cette affaire réglée.
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Voilà pour ce troisième chapitre !
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A dimanche !
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