Chapitre 26


Tw : descriptions de blessures après torture et mention brève de suicide.

L'odeur.

Ce fut la première chose qui le frappa lorsqu'il ouvrit la porte. Ce mélange infecte de sang, d'urine et de sueur qui s'engouffra avec une hâte malsaine dans l'entrebâillement pour lui assaillirent les narines.

Régnus retint une grimace. De l'autre côté du battant, il sentit le plaisir d'Ayan, si grand, si puissant, qu'il le submergea telle une marée incontrôlable. Si rare aussi, qu'il n'en était que plus déstabilisant. Le mage secoua la tête, ignorant ces pensées intrusives dont il se serait bien passé, et acheva l'œuvre qu'il n'avait fait que commencer.

Après une brève inspiration, il ouvrit la porte.

Un sourcil haussé, il observa le nacre des meubles, autrefois blanc, maculé de ce rouge morbide. Au fond de la pièce, dissimulé derrière les ombres que la lumière tamisée ne parvenait à chasser, une silhouette était allongée sur le sol, inerte, un homme debout à côté d'elle. Le mage n'eut pas besoin d'étendre sa conscience pour comprendre qu'il s'agissait là de la draïkar et d'Ayan.

Il se dirigea vers eux, tentant une nouvelle fois de chasser les pensées malsaines du mercenaire, lorsqu'un craquement sec provint de sous sa chaussure. Perplexe, il retira son pied et regarda, les sourcils froncés, un petit objet ensanglanté. Ignorant le regard d'Ayan qui avait enfin remarqué sa présence, il se pencha et ramassa la chose inconnue, étrangement rigide. Pincée entre le pouce et l'index, il la tint un moment devant la lueur diffuse d'une bougie. La transparence de l'objet l'intrigua avant que,dans un frisson de dégout, il ne comprenne.

Un ongle.

Il le rejeta au loin, les lèvres pincées dans un rictus d'écœurement, et alors qu'il reprenait sa marche, il ne put s'empêcher d'en remarquer une dizaines d'autre, éparpillés çà et là sur le sol carrelé.

La retenue ne faisait visiblement pas partie du vocabulaire du mercenaire.

Ce dernier le scrutait d'ailleurs de son regard dépareillé. Son désir s'était tu en le voyant approcher et ce qui ressemblait vaguement à de la déception luisait faiblement dans son regard.

« Je t'avais dit de ne pas la tuer, déclara simplement Régnus.

-Et elle n'est pas morte, réplica le mercenaire en haussant les épaules. Seulement amochée. »

Régnus jeta un regard à la femme à ses pieds. Elle était presque méconnaissable. Son nez fracassé laissait déverser un torrent de sang de ses narines dilatés. La peau autour de ses yeux entrouverts, perdu dans le néant, se colorait d'une vilaine teinte violacée contrastant étrangement avec la pâleur de son visage. De nombreuses entailles plus ou moins profonde meurtrissaient la chaire de ses joues et y laisseraient indéniablement des cicatrices blanchâtres et boursouflées. Un mince filet de sang dégoulinait des coins de sa bouche aux lèvres éclatées et gonflées, tandis qu'un sillon plus épais ruisselait de son sourcil.

Régnus ne put s'empêcher de remarquer ses mains, ou plutôt ses doigts, aux bouts rougeâtres qui trahissaient, par l'abondance de sang qui s'en écoulait, l'absence d'ongle à leur extrémité. Il jeta le même regard dégouté à ses pieds déchaussés et ses orteils ensanglantés.

Amochée était un bien bel euphémisme.

Régnus lança un regard désapprobateur au mercenaire qui se contenta de hausser une nouvelle fois les épaules avant de se diriger vers la porte, comprenant que sa présence n'était plus requise. Alors qu'il s'apprêtait à sortir, il s'immobilisa avant de se tourner vers le mage.

« Si jamais vous n'avez plus besoins d'elle, vous savez où me trouver » rappela-t-il.

Et, derrière son habituelle expression impassible et ce ton neutre qu'il avait bien vite retrouvé, Régnus discerna les vestiges de son désir, de sa soif de sang, pas tout à fait ternie. Sans un mot de plus, le mercenaire quitta enfin la pièce, laissant le mage seul avec la draïkar.

Avec précaution pour ne pas tâcher sa robe blanche, Régnus s'accroupit près de la femme à moitié consciente, veillant à ce que le tissu ne trempe pas dans la flaque pourpre qui l'entourait. Il retira quelque mèche de cheveux sombres,poisseux de sang, qui trainaient devant ses yeux d'un vert un peu mort, les invitants du même coup à se poser sur lui. Le voile brumeux qui les couvrait fit comprendre à Régnus qu'il ne serait pas si compliqué de soutirer des informations à leur propriétaire.

L'homme étendit sa conscience qui vint se lover avec une facilité déconcertante autour de l'esprit de la draïkar.

« Bonjour, sourit-il à l'intention de la femme. Vous souvenez-vous de moi ? »

Elle resta immobile, à l'observer de ses yeux vides. Pourtant, Régnus sentit ses pensées, jusqu'à lors éparses, se rassembler malgré la douleur pour mettre un nom sur son visage.

« Bien, je suis flatté, continua-t-il. Voyez-vous, dans votre... état... je doutais que vous vous rappeliez de moi. Il faut croire que je vous ai sous-estimé. »

La femme cligna lentement des yeux et une faible résistance essaya de repousser Régnus hors de sa conscience.

« C'est inutile, vous n'y arriverez pas, prévint le mage en brisant la défense de la draïkar d'un simple battement de cils. J'ai quelques questions à vous poser, vous n'y voyait pas de mal, n'est-ce pas ? »

Elle ne protesta pas, ou du moins si elle essaya, elle n'y parvint pas.

« L'Enfant, reprit alors Régnus. Où est-elle passée ? »

Une image fugace illumina les pensées de la femme. Malgré la breveté de l'apparition, Régnus parvint à discerner un visage juvénile encadré de mèches brunes où un regard noisette, un peu terne, venait le dévisager.

« C'est donc elle ? sourit le mage. Comment s'appelle-t-elle ? »

La femme ferma les yeux.

« Aria ? Quel nom étrange ! »

Une larme roula sur les joues de la draïkar. Une larme de honte devant son impuissance.

« Allons, ne pleurez pas, souffla Régnus. Ce n'est pas votre faute, vous ne pouvez pas contrôler vos pensées. Je suis sûr que votre Déesse comprendra. Alors, où est l'Enfant ? »

La réponse tarda à venir. La draïkar faisait tout son possible pour vider son esprit. Elle chercha un moyen de mettre fin à ses jours, Régnus le perçut. Mais son incapacité à bouger lui rendit la tâche impossible. Alors, en désespoir de cause, elle serra le poing, appuyant sur la chaire à vif de ses doigts. Elle voulut crier, mais ne put que grogner face à la douleur.

« Ça ne réglera rien, déclara Régnus, une sorte de pitié dans la voix. Aussitôt inconsciente, vos pensées ne vous appartiendront plus. Et il me sera d'autant plus facile d'obtenir la réponse que je cherche. »

La draïkar entrouvrit les yeux et le dévisagea, un mélange de haine, de peur et de souffrance luisant dans son regard.

« Allons, ne soyez pas si bornée. Laissez-vous faire. Je vous promets qu'aussitôt ma réponse obtenue, je ferai venir les meilleurs Guérisseurs du Siège. Ils mettront fin à votre calvaire en quelques secondes. Et non, ils ne vous tueront pas » précisa Régnus en interceptant les pensées de la femme.

Sa respiration se fit plus saccadée alors que les sanglots lui nouaient la gorge. Régnus entrevit les défenses de la femme s'écrouler, les unes après les autres.

« Où est l'Enfant ? »

Une image s'imposa à lui. Accompagnée d'un mot. Il ferma les yeux, mémorisant chaque détail de ce paysage. Ses genoux craquèrent lorsqu'il se releva et il adressa un sourire contrit à la femme.

« Merci » souffla-t-il.

Et comme il l'avait promis, il appela deux Guérisseurs qui ne tardèrent pas à arriver. Après leur avoir transmit ses instructions, Régnus quitta la pièce. Ses poumons semblèrent revivre lorsque, pour la première fois depuis beaucoup trop de temps à son goût, ils s'emplirent d'un air libre de cette odeur infecte.

Sans surprise, il croisa le regard d'Ayan qui le détaillait de sa lueur vide comme à son habitude.

« Alors ? » demanda simplement le mercenaire.

Régnus lissa sa robe et adressa un dernier regard à la porte derrière lui. Il sentit la délivrance de la draïkar lorsque sa douleur cessa enfin et que son esprit se laissa traîner dans les brumes du sommeil.

« L'Enfant se trouve à Raev » annonça-t-il.

Il se tourna vers le mercenaire ; une faible lueur d'impatience illumina son regard mort.

« Dans le duché d'Yrraön. »

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Voilà, c'est la fin de cette première partie.

Alors ? Qu'en avez vous pensez ? Un personnage préféré ? Des remarques à faire ?

La partie 2 mettra un peu de temps à arriver. J'ai eu quelques problèmes d'inspiration, je dois l'avouer ^^'

J'essaierai de faire au plus vite pour que le délai ne soit pas trop long. Mais honnêtement, je préfère prendre mon temps que de poster des chapitres bâclés.

Bref, merci d'avoir lu jusqu'ici et à bientôt !

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