Chapitre 22
Je n'arrivais pas à dormir. Dans les cellules voisines, je n'entendais que de légers ronflements. Même les continuels murmures d'Oca avaient cessé. Je fermai les yeux, mais presque aussitôt les images de mon rêve revinrent, vives et frappantes. Je resserrai un peu plus fort mes genoux contre ma poitrine et entortillai une mèche de cheveux autour de mon doigt.
Soudain des bruits métalliques me firent lever les yeux. Je crus d'abord à une hallucination, un tour que me jouait mon esprit embrumé. Mais bientôt, les cliquetis recommencèrent. Des pas. Je me collai un peu plus contre le mur. Que faisaient les soldats ici ?
Depuis que j'avais surpris la conversation des gardes, deux jours plus tôt, un étrange malaise s'était lové au creux de mon estomac et quoi que je fasse, il refusait de me quitter.
Bientôt, la lueur orangée des torches éclaira le mur et je me rallongeai. Les yeux clos, j'attendis en silence que les soldats passent. Je ne voulais pas les voir, pas maintenant. Mais les pas se turent et je fronçai les sourcils. Après quelques secondes de silence, mes oreilles frémirent au son d'un murmure.
« C'est cette cellule, non ?
-Oui, la 142. »
Poussée par la curiosité, j'entrouvris une paupière et aperçus trois soldats postés devant la grille.
« Qu'est-ce qu'on fait ? chuchota l'un d'entre eux – je ne saurais dire lequel à cause de l'obscurité.
-On profite de son sommeil pour l'emmener au convoi...
-Mais... si elle se réveille et nous attaque ?
-Ça n'arrivera pas, arrête de faire ta mauviette ! »
L'exclamation un peu trop forte de l'un des trois soldats entraîna une série de « chut » pas très discrets de la part de ses compagnons.
« C'est bon, ça va... » râla le premier en baissant néanmoins le volume. Alors, qui s'y colle ? »
Seul le silence lui répondit.
« Bande de mauviettes. »
Soudain, la grille grinça et je fermai les yeux... J'entendis le soldat approcher avec prudence. Que faisait-il ? Que me voulait-il ? Une poigne ferme m'agrippa le bras. Je sursautai et lâchai un cri de surprise alors qu'une main se plaquait contre ma bouche, étouffant ma plainte.
« Tais-toi » siffla le garde en me relevant.
D'un geste ferme, il me coinça les bras derrière le dos et noua mes poignets avec une corde. Ce contact rêche me rappela l'église et je me débattis pour échapper à sa prise.
« Arrête ou je t'assomme, c'est compris ? »
Mon estomac se noua et à contre cœur, je m'exécutai. Le garde décolla enfin sa main de mes lèvres et je pris une brève inspiration pour tenter de calmer les battements effrénés de mon cœur. Pourquoi venaient-ils me chercher ? La conversation des soldats devant la cellule d'Oca ne se fit que plus présente dans mes pensées. Je me revoyais, comme quelques jours plus tôt, suspendue au bout d'une corde, me balançant faiblement au grès du vent.
Était-ce mon tour d'être exécutée ?
Le garde me poussa à l'extérieur de la cellule et les regards inquiets de ses camarades se posèrent sur moi. Comme une semaine auparavant, on me conduisit dans le dédale de couloir de la prison. Cette fois-ci nous dûmes escalader une myriade de marches pour pouvoir atteindre l'extérieur. Malgré l'obscurité, je notai que les soldats étaient tout aussi tendus que moi. J'en aperçus même un baisser sa main sur le pommeau de son épée, prêt à la dégainer.
Lorsque nous arrivâmes enfin à l'extérieur, la lumière du petit matin m'éblouit. Je grimaçai et me laissai conduire hors de l'enceinte de la prison. Dehors, je vis pour la troisième fois ce petit village étrange dans lequel je me trouvais. Son aspect vieillot me perturba toujours autant.
Le hennissement d'un cheval attira mon attention. Au bout de la rue se trouvait une sorte de charrette recouverte d'une toile blanche tendue. Six soldats, vêtus de leurs lourdes armures grises, attendaient à côté. Le garde qui me tenait m'entraîna à sa suite vers le véhicule et je me crispai.
« Ah, vous voilà enfin » lâcha un -ou plutôt une- soldate en nous apercevant.
Elle s'arrêta devant nous et me dévisagea de la tête aux pieds.
« Alors c'est elle, la criminelle ? demanda-t-elle légèrement surprise. Je m'attendais à quelqu'un de plus... imposant. »
Puis elle sourit aux trois gardes et attrapa la corde qui me retenait.
« Merci, vous pouvez y aller. Et n'oubliez pas, ne parler de ça à personne. »
Les trois hommes hochèrent la tête et partirent sans demander leur reste. La soldate se tourna vers moi tout sourire disparu et d'un geste sec, me tira vers la charrette avant de me pousser à l'intérieur. Je perdis l'équilibre et tombai à genoux devant un septième soldat qui attendait là, une fiole rouge à la main.
« C'est bon, on l'a. Surveille-la, on part dans cinq minutes. »
Le soldat hocha la tête et la femme partit prévenir les autres. Il se tourna vers moi. Il ne portait pas son heaume, si bien que je pus apercevoir les traits de son visage : des yeux gris ternes, des cheveux noirs plats, un nez tordu et cabossé. Une apparence des plus communes qui ne m'inspirait pas confiance pour autant.
L'homme grinça des dents avant de me relever avec brusquerie et me jeter sur l'un des sièges. Je retins un gémissement lorsque ma tête tapa contre le dossier et me reculai pour mettre de la distance entre lui et moi. Ignorant mon geste, le garde approcha et m'agrippa le menton en agitant la fiole sous mon nez.
« Bois » ordonna-t-il d'un ton sec et cassant.
Je me débattis, essayant de me libérer de sa poigne. Ses doigts qui s'appuyaient sur mes joues... je ne voulais plus les sentir. Comprenant que je ne m'exécuterai pas, il me fit basculer la tête en arrière et me pinça le nez avant de faire couler le liquide rouge au fond de ma gorge alors que j'ouvris la bouche pour respirer. J'avalai de travers, manquai de m'étouffer et toussai bruyamment. Le goût métallique de la boisson se répandait sur mes papilles tandis que le soldat me lâchait enfin. Les yeux larmoyants, je relevai la tête vers l'homme assis face à moi. Il grinçait des dents, son regard méfiant ne me quittant pas. J'ignorai où ils m'emmenaient et pour quelles raisons, mais j'avais compris une chose.
Je les effrayais.
Presque autant que je m'effrayais moi-même.
~~~
Un bruit mat. L'écho d'un corps qui s'effondre. Lentement, très lentement, il souleva une paupière. La lumière vive l'éblouit, perçant son crâne endolori d'une pique de souffrance. Son estomac se retourna et une vague de nausée le prit. Il fut tenté de fermer les yeux, de laisser cette obscurité l'emporter loin dans ses ténèbres insensibles. Mais lorsqu'il reconnut la silhouette qui se tenait devant lui, il ne put s'y résigner.
« Imo ? » croassa-t-il, sa voix brisée ne résumant plus qu'à un souffle.
La jeune fille se retourna, lui laissant apercevoir ses yeux dorés écarquillés par l'effroi. Elle le regarda quelques instants, sans réellement le voir, avant d'enfin le reconnaître.
« Daemon ! » s'écria-t-elle, lâchant la pierre ensanglantée qu'elle agrippait jusque-là.
Elle s'agenouilla prêt de lui, dévoilant la masse sombre allongée derrière elle. Le garçon essaya de se relever mais ses bras refusèrent de bouger. Il avait mal...tellement mal.
« Dae-Daemon ! l'appela la jeune fille alors qu'il fermait les yeux. Reste avec moi...Ez-Ezra va bientôt arriver, ça va aller, d'accord ? Tiens juste encore un peu...juste quelques secondes... »
Il sentit sa main sur son épaule, ses caresses sur son front... Avec difficulté, il entrouvrit les paupières, juste assez pour voir les larmes rouler sur les joues de son amie. Il voulut dire quelque chose, n'importe quoi pouvant arrêter ses pleurs. Il n'aimait pas la voir triste. Mais il ne put émettre qu'un râle qui renforça ses sanglots. Elle lui parlait, il pouvait voir ses lèvres bouger. Mais malgré ses efforts, il ne comprenait pas. Il sentait cette obscurité, cette noirceur alléchante, l'envelopper lentement.
Soudain, des bruits de pas se firent entendre dans l'allée. Ezra...pensa-t-il. Mais lorsque la mine d'Imo se décomposa, il comprit qu'il s'était trompé. Il entendit des voix graves, bourrues et froides. Il vit un reflet argenté avant d'entendre un cri. Un cri aigue et perçant. Un cri qui ressemblait plus à un hurlement de douleur.
Un cri qui s'échappait des lèvres d'Imo.
Daemon se redressa en sursaut dans son lit, la sueur plaquant ses cheveux sombres contre son front. Son cœur battait vite, si vite qu'il crut qu'il allait remonter jusqu'à sa gorge. Il se sentait nauséeux. L'écho du cri, strident et désespéré, retentissait encore et encore dans la chambre vide. Il plaqua ses mains contre ses oreilles. Il ne voulait plus l'entendre.
Ce n'était qu'un rêve... Un simple rêve.
Et petit à petit les échos se turent jusqu'à n'être rien de plus qu'un murmure. Un murmure faible mais incessant. Un murmure qui fit ressortir la culpabilité enfouie au fond de lui. Un murmure qu'il lui rappelait qu'il avait été faible. Qu'il avait été lâche.
Un murmure qui le tint éveillé toute la nuit.
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