Chapitre 21




Il dut s'assoupir car il fut réveillé par des coups à la porte. Deux lents puis trois rapides. John se redressa rapidement et essuya les trainées sèches que les larmes avaient laissées sur ses joues. Même s'il savait que ce serait inutile de camoufler ses états d'âmes. Ça ne prendrait pas.

Pas avec Alice.

« Entre » dit-il d'une voix enrouée.

Le bâtant s'ouvrît délicatement laissant apparaître la jeune fille. Elle tenait dans ses mains un paquet enveloppé d'un tissu clair. Alice le regarda, une lueur inquiète dans le regard.

« Tu vas bien ? demanda-t-elle, bien qu'elle se doute déjà de la réponse.

-Bien sûr. »

Alice fronça les sourcils et John pu deviner l'éclat doré dans ses yeux malgré la distance.

« Tu mens, l'accusa-t-elle.

-Alice, on avait dit...

- Pas de Don, je sais. Pas besoins de Don pour savoir quand ça ne va pas. Je suis ta sœur, John. Je te connais. »

Dans un soupire, il glissa ses jambes hors du lit et fit signe à Alice de le rejoindre. Presque aussitôt, elle arriva dans ses bras et le serra avec force.

« Je le déteste, murmura-t-elle dans son cou. Je les déteste tous les deux.

-Ne dis pas ça.

-Mais c'est la vérité ! Il n'était pas obligé de te dire toute ces choses dès ton arrivée.  Je pouvais sentir ta tristesse d'ici... C'était horrible... Et Mère qui n'a rien fait.

-Elle a voulu intervenir. Père l'en a empêché. »

Alice serra la mâchoire et John la sentit se raidir contre lui. Il la serra un peu plus fort avant de la forcer à se décoller et la regarda dans les yeux.

« Tu ne devrais pas être là. Si Père l'apprend...

-Je m'en moque. Nous venons de finir le dîner et, bien sûr, Père ne t'as pas fait appeler. Il a même interdit à Marie de t'apporter à manger, alors... »

Un sourire malicieux aux lèvres, elle saisit le paquet qu'elle avait posé sur le lit et souleva le bout de tissus. John sut grâce à l'odeur ce qu'il s'agissait bien avant que ses yeux ne l'aperçoivent. 

« Ne me dis pas que...

-Si, de la tarte à la citrouille, confirma Alice, les yeux pétillants.

-Mais...

-Marie a demandé au cuisiner de t'en préparer. »

John saisit la part, surpris. Il était reconnaissant envers Marie, mais cela n'empêcha pas une lueur d'inquiétude d'apparaître dans son regard. Comment réagirait son père en apprenant que la gouvernante lui avait désobéi ?

« Merci » murmura-t-il.

Alice lui sourit et il croqua dans le gâteau, savourant le goût de la citrouille caramélisée qui se mariait parfaitement à la cannelle. Il se rendit alors compte à quel point il avait faim et engloutit la tarte sans attendre. Alice l'observa manger puis lorsqu'il s'épousseta les mains, elle souffla :

« Tu m'as manqué. »

John interrompit son geste et leva la tête vers sa sœur. Il croisa ses beaux yeux marrons, observa son visage encadré de mèches brunes, contempla sa mine sincère...Son expression s'adoucît et, après avoir avalé sa dernière bouchée, il répondit avec un sourire :

« Toi aussi. »

~~~

Allongé sur le dos, les yeux levés vers le plafond, John écoutait Alice lui raconter les diverses aventures qu'elle avait vécu durant son absence. Même si sa petite sœur était un vrai moulin à parole, et que, malgré ses efforts, il peinait à comprendre le torrent de mot qui se déversait de ses lèvres, il appréciait ce moment d'intimité entre eux. L'enthousiasme et le rire d'Alice avaient chassé ce sentiment de mal-être qui le tenaillait quelques instants plutôt. A présent, il se sentait bien.  Peut-être pas serein, mais bien.

« Et toi ? demanda Alice. Que t'est-il arrivé ces deux derniers mois ? »

John, surpris par la question de sa sœur, mit quelques temps à répondre.

« Rien de spécial, dit-il finalement en haussant les épaules.

-Menteur, l'accusa-t-elle en lui donnant un léger coup de poing sur l'épaule. Je suis sûre que tu as de nombreux faits intéressants à me rapporter mais que tu te contentes de le nier par flemmardise.

-Puisque je te dis que non.

-Allons, pas même une petite dispute ? Pas d'anecdote d'entraînement ? Pas de belle jeune femme – ou jeune homme, qui sait – qui ferait palpiter ton petit cœur ? »

A ces mots, l'image de ces yeux bleus, fugace, s'imposa à son esprit et John se figea. Alice, remarquant son soudain trouble, trépigna de joie.

« J'ai vu juste ? s'exclama-t-elle. Je veux un nom ! Attends laisse-moi deviner. Ce ne serait pas Reina ? Ou alors Harry ? Ou bien... (un sourire malicieux vint étirer ses lèvres) Peut-être les deux ?

-Quoi ? Mais...Non ! Déjà que Reina... Mais Harry ? Où est-ce que tu es allée chercher ça ?

-Oh, souffla Alice, déçue. Dommage, je les aime bien moi. »

John dévisagea sa sœur avec incompréhension.

« Alors ? relança-t-elle curieuse. Qui est-ce ?

-Tu ne la connais certainement pas. Je l'ai rencontrée il y a une semaine, quand je suis allé à l'église. (Le soldat ferma brièvement les yeux, les traits de la jeune femme, qu'il n'avait pourtant aperçu qu'une seule fois, profondément ancrés dans sa mémoire.)  Elle était... magnifique, oui c'est le mot. Ces yeux... Par Leäl, on aurait dit que les mers des Lymbes entières étaient contenues dans ses yeux. »

Rien qu'à leur souvenir, il s'y perdait. Il aurait pu rester des heures et des heures à les contempler inlassablement.

« Eh bien, tu es sacrément touché, sourit Alice. Et alors, comment s'appelle-t-elle ?

-En fait... je ne sais pas, avoua-t-il. Elle est partie si rapidement, je n'ai pas eu le temps de lui demander.

-Quoi ? Et tu ne l'as pas revue depuis cette fois-là ? »

John secoua la tête. Il était bien retourné à l'église, il y a deux jours de cela, pour se confesser mais il n'avait pas revu la religieuse. Elle devait certainement s'occuper du Père Rysath qui n'avait toujours pas reprit ses fonctions.

Devant les sourcils froncés de sa sœur, le soldat sentit les reproches arriver. Ne souhaitant plus s'attarder sur ce sujet, pour le moins gênant, il s'empressa de détourner la conversation. C'est alors qu'il se souvint de la distraction parfaite.

« Mais oui ! s'exclama-t-il, coupant Alice qui s'apprêtait à prendre la parole. Pourquoi je n'y ai pas pensé plutôt ?

-De quoi parles-tu ?

-Tu es toujours aussi passionnée par les machines ? »

Alice hocha la tête, les yeux brillant d'une curiosité nouvelle. John, bien qu'enthousiasmé par sa soudaine illumination, nota qu'il avait réussi à éloigner la mystérieuse religieuse de ses préoccupations – du moins, pour le moment. Il sauta presque sur son sac, expulsant les affaires contenues à l'intérieur, pour en tirer le téléphone qu'il brandit fièrement sous le regard intrigué de sa sœur. Si lui n'arrivait pas à percer son secret, Alice, elle, y parviendrait sûrement.

« Qu'est-ce que c'est ? » demanda-t-elle, un intérêt nouveau audible dans la voix.

Avec un sourire, John lui expliqua.

***

Son talon tapa une énième fois contre le muret. Ses jambes se balançaient dans le vide ; son pied ne tarda pas à de nouveau rencontrer le granit. Il attendait, son regard sombre rivé sur le bout de l'allée. Le soleil tapait haut dans le ciel. Il était bientôt midi.

« Arrête de rêver, ils viendront pas. »  

Daemon lança à regard exaspéré à l'homme face à lui. Le petit air hautain qu'il affichait commençait à l'irriter mais qu'importe combien cela lui coûtait, il devait bien admettre qu'il avait raison : Max n'accepterait certainement pas l'accord. Le voleur soupira et sauta de son perchoir, faisant tomber quelques gravillons au passage.

« Allons-y. »

L'homme, Kalvin, se releva. Une nouvelle fois, Daemon le dévisagea de haut en bas. Sa posture fière détonnait fortement avec les haillons dont il était vêtu, qui eux, montraient toute la misère qui l'entourait. Cet homme lui faisait pitié : il se prenait encore pour l'Élu qu'il avait été, se croyant supérieur grâce à ce cadeau de naissance dont il avait hérité, alors qu'il n'était plus qu'un mendiant bon à ramasser des déchets. Daemon se retint de lever les yeux aux ciels et s'apprêta à partir lorsqu'une silhouette sombre apparut au loin. Une main en visière sur le front, le voleur plissa les yeux.

Un sourire étira ses lèvres lorsqu'il reconnut les trois personnes qui approchaient.

« J'y crois pas, ils sont vraiment v'nus » souffla Kalvin.

Daemon l'ignora et s'approcha des nouveaux arrivants. Vicky lui adressa un regard mauvais alors qu'il s'arrêtait à quelques mètres d'eux tandis qu'Henri le jaugeait derrière son éternelle expression impassible. Max, quant à elle, se planta fermement devant lui et l'observa de son regard calme et calculateur.

« La contrepartie, réclama-t-elle en tendant la main.

-Oui bien sûr, acquiesça Daemon en sortant une bourse de son sac. Mais je me vois dans l'obligation de retirer quelques Raev ; j'avais demandé trois personnes et tu ne m'en ramène que deux.

-Qu'est-ce que tu racontes, nous sommes bien trois. »

Daemon s'arrêta un instant, perplexe, puis comprit soudain. Son sourire s'effaça et il dévisagea la jeune cheffe, cherchant dans ses yeux la preuve qu'il se trompait. Mais face à son air sérieux, il dut se rendre à l'évidence.

« Je prends moi aussi part à l'opération, déclara Max comme un écho à ses pensées.

-Sans vouloir te vexer, je ne pense pas que... commença Daemon.

-Ma décision est prise. Je ne peux pas mettre mes hommes en danger et rester tranquillement à l'abri à compter les Raev que j'ai amassé. Ce ne serait pas digne d'une cheffe. Si cette mission doit avoir lieu j'y prendrais part. Et puis, tu m'as assuré que ce serait sans risque, n'est-ce pas ? »

Et sur ces paroles, elle prit la bourse des mains de Daemon et s'engagea dans l'allée. Bien vite le sourire du voleur revint, un peu plus sincère cette fois. Il avait raison : il n'y aurait décidément pas de meilleure cheffe que Max.

« On va rester là longtemps ou tu vas enfin t'décider à nous déballer ton plan ? railla Kalvin, agacé par cette perte de temps.

-C'est qui, lui ? demanda Vicky en détachant enfin son regard meurtrier du voleur pour se concentrer sur le mendiant.

-Kalvin, le présenta Daemon. Un criminel en fuite. »

Vicky dévisagea l'homme avant de pousser une grimace et de lever les yeux aux ciels.

« Qu'est-ce qu'elle a l'autre ? s'insurgea Kalvin qui avait remarqué son geste. D'où tu me r'gardes comme ça ?

- « L'autre », comme tu dis, est simplement dégoûtée par ce qu'elle a sous les yeux » rétorqua Vicky.

Les yeux de Kalvin s'élargirent alors que son teint virait à l'écarlate.

« D'où tu te permets de m'insulter ? s'écria-t-il. J'suis un Élu !  J'suis supérieur à toi, à vous tous réunis ! Si je le voulais, je pourrais...

-La ferme. »

Kalvin s'immobilisa et se tourna vers le voleur. Ses traits se crispèrent et ses poings se serrèrent lorsqu'il réalisa sur quel ton il lui avait parlé.

« Et toi, espèce de...

-J'ai dit la ferme, répéta Daemon. Si tu t'estimes supérieur à nous, rien ne t'empêche de dégager, on te trouvera facilement un remplaçant. En attendant, c'est moi qui tiens la bourse et les raevs qu'elle contient. Alors si tu veux ta prime et la dignité que tu pourras te payer avec, écoute et ferme-la. »

Kalvin ouvrit la bouche pour la refermer ensuite, à court de reparti. Finalement, il se résigna et baissa les yeux en grognant.

« Bien si vous avez terminé, tu pourrais nous exposer ton fameux plan, Daemon ? » intervint Henri pour la première fois depuis le début de l'échange.

L'intéressé se tourna vers l'adolescent qui n'avait toujours pas quitté sa mine imperturbable. Daemon sourit. Le voleur, qui s'était attendu à voir Peter et non lui, fut heureux du choix de Maxime : Henri était beaucoup plus calme et réfléchit que son ami.

« Bien sûr, je vais tout vous dire. »

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