Chapitre 20
John resta immobile devant le portail de la résidence. Tout en se balançant nerveusement d'un pied à l'autre, il observait l'immense bâtisse qui se trouvait devant lui. Bâtisse dans laquelle il avait grandi, rit, et joué, mais qui aujourd'hui, ne lui apportait plus que de l'appréhension. Après un énième soupir, le soldat se résolut à pousser la grille. Ses bottes crissant sur les graviers, il s'avança dans l'allée. Devant la porte, il faillit marquer un nouveau temps d'arrêt mais se fit violence, et après avoir essuyé ses mains moites sur le tissu brun de son pantalon, il toqua.
Trois fois. Pas une de plus, pas une de moins.
Presque aussitôt, le visage rosi de Mari apparut dans l'encadrement. Ses lèvres charnues s'ouvrirent dans un petit « O » silencieux lorsqu'elle le reconnut et John lui offrit, tant bien que mal, un sourire qu'il espérait convaincant.
« Monsieur ! s'exclama la gouvernante une fois la surprise passée. Je suis ravie de vous revoir
- Moi aussi. »
C'était un gros mensonge. Pas qu'il n'appréciait pas la gouvernante – loin de là, elle était pour lui comme une seconde mère- mais, malgré lui, il associait sa présence à celle beaucoup moins agréable de son père. Et cela lui nouait l'estomac.
« Entrez donc, l'invita Mari en se reculant pour le laisser passer. Que nous vaut l'honneur de votre visite ?
-Le caporal nous a accordé une permission pour le confinement. Père a tenu à ce que je rentre pour l'occasion. »
Il avait tenté - sans grand succès- de dissimuler l'amertume dans sa voix. Mais la gouvernante du l'entendre car elle grimaça en soufflant un petit « oh ».
« Dans ce cas, je vais immédiatement le prévenir de votre arrivée, annonça-t-elle avec beaucoup moins d'entrain qu'auparavant. Et je vais demander à Diana de préparer votre chambre dans les plus brefs délais. »
John la remercia d'un hochement de tête et Marie disparut bientôt dans les cuisines. D'un pas raide, le soldat se dirigea vers le salon. Depuis combien de temps n'était-il pas revenu ? Un mois ? Deux ? Cela lui paraissait tellement et si peu à la fois. Il trouva finalement le chemin de la pièce à vivre et fut soulagé de la voir vide. Son père n'était pas encore arrivé.
John s'installa sur le fauteuil près de la cheminé, laissant le large canapé de velours à son géniteur qui ne tarderait pas à s'y installer. Le feu qui brulait dans l'âtre irradiait son visage d'une lueur orangé. Pourtant, la douce chaleur des flammes ne suffit pas à faire fondre cette angoisse glacée qui lui tenaillait l'estomac.
Il attrapa son sac et farfouilla à l'intérieur, à la recherche d'une distraction. Lorsque ses doigts rencontrèrent une forme rectangulaire, il esquissa un bref sourire et tira le téléphone du méli-mélo de ses affaires. Il se voua alors à son activité favorite de ces derniers jours : il tritura la pauvre machine de bout en bout dans l'espoir de percer ses secrets.
Depuis qu'il l'avait récupéré à la prison, une semaine plutôt, John ne se lassait pas d'étudier cet objet inconnu qui l'intriguait. Au début, il avait constaté que la vitre noire s'éclairait lorsqu'il appuyait sur un certain bouton – cela l'avait tellement surpris la première fois qu'il en avait lâché la machine, agrandissant au passage la fissure qui décorait sa vitre. Mais au bout de quelques heures seulement, elle n'avait plus montré signe de vie.
Depuis lors, il avait tout essayé pour faire fonctionner ce fameux téléphone, mais rien n'avait marché. John était même allé jusqu'à se demander si la lettre de la criminelle n'était pas la clé pour le faire fonctionner, mais – à son plus grand dam- les gardes avaient refusé de leur céder (c'était tout juste si Reina n'avait pas dû voler le téléphone pour qu'il puisse l'observer). Le soldat commençait à désespérer, même s'il avait du mal à se l'avouer.
« Que fabriques-tu encore ? »
John sursauta et leva les yeux vers son père et sa mère. Il s'empressa de fourrer le téléphone dans son sac qu'il laissa ensuite tomber sans aucun ménagement à ses pieds.
« R-rien du tout, Père »
Marius Landon grogna et d'un signe de main, indiqua à sa femme de le pousser vers le canapé. La chaise roulante grinça quelque peu et ses roues faillirent rester bloquées sur le tapis, mais elle arriva tout de même à bon port. L'homme se hissa tant bien que mal sur le canapé, refusant d'un geste brusque l'aide de sa femme et - au prix d'une manœuvre laborieuse - se tourna vers son fils. John déglutit.
« B-Bonjour Père, Mère...
-Arrête de bégayer, on dirait un sot » le coupa son père.
John se raidit et ses doigts crispés agrippèrent le tissu de son pantalon. Il hocha silencieusement la tête, de peur que sa voix ne le trahisse de nouveau. Son père plissa les yeux et s'enquit :
« Alors ? Tu n'as rien à me dire ?
-Pardon ? demanda John, confus.
-Marius, je ne pense pas que... » intervint sa mère.
L'homme la fit taire d'un geste de la main.
« Merci Élise, mais je n'ai plus besoin de vous pour le moment, déclara-t-il sans même accorder un regard à l'intéressée. Vous pouvez disposer. J'enverrai Marie vous chercher lorsque je voudrai me déplacer. »
Élise pinça les lèvres puis après un faible « très bien » quitta la pièce en lançant un dernier regard désolé à son fils. Regard qui ne fit que renforcer l'appréhension du jeune homme. Essayant de réprimer son envie de fuir, il se tourna vers son père et attendit qu'il poursuive.
« Tu croyais pouvoir me cacher cela encore longtemps ? reprit finalement Marius.
-Excusez-moi, mais je ne vois pas de quoi vous parlez... »
Sa réponse n'eut pas l'air de satisfaire son père car ce dernier fronça les sourcils. Aussitôt, le soldat essaya de comprendre à quoi il pouvait bien faire allusion. Que lui avait-il caché ? La punition du caporal ? Ou...
« Ne joue pas l'idiot, clama Marius.
-Père, je suis navré mais... »
John laissa sa phrase en suspend face au regard glacé de son père. La peur, tel un marteau impitoyable, vint lui broyer l'estomac.
« Je sais tout, poursuivit Marius, insensible à la soudaine pâleur de son fils. Toutes ces patrouilles ratées, tous ces exercices lamentablement échoués, toutes ces arrestations pitoyables. Je sais tout. Je sais que tu es un incapable, le plus grand incapable qu'il m'ai été donné de voir. »
John s'enfonça dans son fauteuil, espérant pouvoir disparaître à l'intérieur.
« Père, je... tenta-t-il de se défendre.
-Tais toi. Tes médiocres performances me faisaient déjà suffisamment honte, mais tu ne t'es pas arrêté là. Parviens-tu a ne serait-ce qu'imaginer l'humiliation que j'ai essuyé lorsque j'ai appris du major Syll que tu étais entré dans Draecaror ? Non content à braver les ordres de tes supérieurs à cause de tes soi-disant" principes ", tu prêtes maintenant affront aux dieux ? J'aurais pu le tolérer si tu étais revenu la tête haute, un criminel dans les bras. Mais non, tu es sorti inconscient, assommé par une soldate. Une soldate John. »
John ne savait plus quoi faire. Il ne pouvait qu'écouter, encore et encore, les reproches de son père.
« En te regardant, reprit Marius, j'ai du mal à croire que tu es mon enfant. J'ai du mal à croire que tu portes mon nom, que mon sang coule dans tes veines. Si tu n'étais pas mon seul fils... (John tressaillit à ses mots) je t'aurais renié depuis longtemps. Ton comportement inacceptable a même déteint sur ta sœur - mais ne crois pas que je la laisserai elle aussi sombrer dans la disgrâce, je ferai tout pour qu'elle ne suive pas tes traces. »
Marius s'interrompît un instant, dévisageant son fils de haut en bas (ce dernier aurait juré voir ses lèvres se pincer de dégoût).
« Tu me déshonores, moi et tous les autres Landon qui nous ont précédés, crachat-il. Si seulement... (son regard dériva vers les moignons qui remplaçait ses jambes) Si seulement il n'y avait pas eu cet incident, j'aurais moi-même sauver notre honneur. Mais ça m'est impossible, je ne peux que t'observer détruire tout ce que je me suis échiner à construire. »
John n'avait plus les mots. Il ne pouvait que se contenter de fixer le sol, retenant des larmes qui -il le savait- ne feraient qu'attiser la colère de son père s'il les laissait couler. Il ne pouvait lever la tête ; le poids des critiques accablait ses épaules, les faisant s'affaisser.
« Je suis désolé, murmura-t-il.
-Vas-t-en. Je ne veux plus te voir. Tu passeras les deux prochains jours enfermé dans ta chambre. Et lorsque tu retourneras dans ton escouade, j'ose espérer que tu changeras. Fais au moins en sorte de ne plus nous humilier. Et si la tâche est trop ardue pour le bon à rien que tu es, arranges toi pour disparaître. Définitivement. »
John se mordit la lèvre, ne se préoccupant guère du goût métallique qui envahit ses papilles, et hocha rapidement la tête. Les mains tremblantes, il récupéra son sac avant de monter dans sa chambre avec un tel empressement qu'il faillit percuter Diana qui en sortait. La porte claqua bruyamment lorsqu'il la referma et il s'écroula sur son lit. Le plafond devint flou alors que les larmes qu'il s'escrimait à retenir coulèrent enfin, trop forte à présent pour se soumettre à sa volonté. Elles roulèrent les unes après les autres sur ses joues, les sanglots qu'il se refusait à laisser échapper lui nouant la gorge. Il se sentait mal.
Terriblement mal.
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