Chapitre 2
La pluie commença à tomber doucement tandis que Daemon arpentait les rues de Craön. Il rabattit la capuche de sa cape pour éviter que la suie sur son visage ne parte, son sac bien rempli rebondissant sur ses jambes à chacun de ses pas. Il aimait sentir ce poids sur son épaule et entendre le bruit que faisait son contenu en s'entrechoquant.
Plus il se rapprochait de la place, plus les gens affluaient. Il se faufila entre les corps serrés, récupérant au passage une bourse par-ci, une montre par-là, jusqu'à finalement arriver près de la fontaine. Il s'assit sur le rebord en marbre et contempla la foule. Malgré la fine pluie, le marché était bondé.
Daemon observa les enfants courir d'un étale à l'autre en riant, les mères de familles négocier bec et ongle le prix des aliments et les artisans observer les matériaux et outils à bas prix avec application.
Il trouva la perle rare alors qu'elle déambulait sans but d'un présentoir à l'autre.
Il s'agissait d'une jeune femme, certainement la femme ou la fille d'un bourgeois à en juger par sa robe de soie bleue. Une cape fine lui drapait les épaules et dissimulait son visage mais cela n'empêcha pas Daemon de deviner l'émerveillement qui décorait ses traits. Elle n'avait sûrement jamais mis les pieds ici avant.
Le jeune homme se leva et se dirigea tranquillement vers la bourgeoise. Cette dernière, trop captivée par le collier qu'elle tenait entre les mains, ne le vit pas approcher.
« C'est un bien bel objet que vous tenez là » lui fit-il remarquer en détaillant le bijou par-dessus son épaule.
La femme sursauta et le collier lui échappa des mains. Daemon le ramassa, avant d'adresser un sourire contrit à la bourgeoise.
« Excusez-moi, je ne voulais pas vous surprendre » dit-il en lui tendant le bijou.
La femme leva les yeux vers lui, et pour la première fois, il put voir distinctement son visage. Elle n'était pas aussi jeune que ce qu'il avait imaginé mais n'était pas vieille pour autant. Ses grands yeux gris le contemplaient, intrigués.
« Ce n'est rien, lui assura-t-elle en récupérant le bijou. Je peux faire quelque chose pour vous ?
— Justement, j'allais vous poser la même question, avoua Daemon en riant. Je vous ai aperçue alors que je rentrais à l'atelier. Je sais combien ce marché peut être déboussolant, la première fois. »
Elle haussa les sourcils.
« Comment avez-vous deviné ? demanda-t-elle, surprise.
— Pardon ?
— Que je venais ici pour la première fois. Comment avez-vous su ? »
Daemon lui adressa son plus beau sourire.
« Après autant de temps passé à arpenter cette place, j'ai l'œil pour repérer les nouvelles têtes ! » inventa-t-il.
Ce qui, d'une certaine manière, n'était pas totalement faux.
« Alors, en quoi puis-je vous être utile ? reprit Daemon d'un ton enjoué.
— Eh bien, je cherche un cadeau pour ma fille. Elle aura treize ans la semaine prochaine. Mais je n'ai aucune idée ce qui pourrait lui plaire. »
Daemon fit mine de réfléchir à la question. Après quelques instants, il donna à son visage un air réjoui.
« J'ai exactement ce qu'il vous faut ! » assura-t-il à la bourgeoise en lui reprenant doucement le collier des mains.
Il jeta un coup d'œil à la marchande occupée à discuter avec un client, et fourra le collier dans son sac en s'assurant que la bourgeoise ne remarque rien. Il saisit ensuite le poignet de la femme qui l'attendait pour l'entrainer dans la foule. En jouant des coudes, il parvint à se frayer un chemin jusqu'à l'étal qu'il cherchait.
Il s'agissait d'un présentoir à bijou en tout point semblable à celui qu'ils venaient de quitter. Du moins en apparence. Son propriétaire, Handwyr, un petit homme chauve et grassouillet, était un marchand corrompu qui, en échange d'une petite contrepartie, n'hésitait pas à détourner l'attention de ses clients.
« Encore des bijoux ? fit la bourgeoise, perplexe. Mais nous venons de quitter un étal similaire.
—Je sais bien, la rassura Daemon. Mais celui-ci est très différent ! Il propose de magnifiques bagues et boucles d'oreilles qui raviront certainement votre fille. Et le prix y est bien plus honnête.
— Hum... Eh bien, si vous le dites, je vous crois. »
Daemon l'entraina vers le présentoir et lança un regard lourd de sous-entendu à Handwyr qui lui adressa un mince sourire en retour. Aussitôt qu'ils furent assez proches, le marchand les aborda, l'air enjoué.
« Bienvenus ! En quoi puis-je vous aider ?
- Nous sommes à la recherche d'un cadeau pour une jeune fille qui aura bientôt treize ans » l'informa Daemon en retirant sa capuche, à présent que la toile tendue au-dessus d'eux les protégeait de la pluie.
La bourgeoise le dévisagea, surprise, avant de constater que les gouttes ne les atteignaient effectivement plus. Elle imita alors son geste, découvrant sa chevelure blonde. Satisfait, Daemon l'observa scrupuleusement. Une tête couverte, surtout celle d'une femme, pouvait dissimuler de nombreux trésors, notamment des boucles d'oreilles en or, une barrette en diamant, ou encore, une épingle incrustée de pierres précieuses.
Mais malheureusement, ce n'était pas le cas de celle de la bourgeoise.
« J'ai exactement ce qu'il vous faut ! s'exclama Handwyr en fouillant dans les caisses placées derrière lui. Où sont-elles passées ? Ah, les voilà ! »
Il revint vers eux, une paire de boucle d'oreille pendantes dorées dans les mains.
« Mes plus beaux trésors ! commença le marchand en mettant les bijoux bien en évidence. Je les ai achetées pour une jolie petite somme à un antiquaire des environs. Il m'a assuré qu'elles étaient en or et... »
Daemon arrêta d'écouter le baratin d'Handwyr qui n'était évidemment qu'un tissu de mensonges (ses soi-disant trésors n'étaient que du toc qu'il lui avait, au plus, coûté deux raevs) pour se concentrer sur la bourgeoise à ses côtés.
Elle était fascinée par les propos du marchand, si bien qu'elle en avait totalement oublié sa précense. Handwyr n'était peut-être qu'un escroc mais il savait faire son boulot. Daemon détailla la bourgeoise de haut en bas à la recherche d'un objet de valeur mais ne trouva rien de satisfaisant. Alors qu'il commençait à douter d'avoir choisi la bonne personne, ses yeux rencontrèrent enfin une chose digne d'intérêt.
Tandis que la bourgeoise replaçait une mèche blonde derrière son oreille, la fine bague dorée montée d'un joli petit diamant à son annuaire gauche accrocha son regard. Une alliance.
Et ça, ce n'était pas du toc.
Dès que la bourgeoise laissa retomber sa main, Daemon s'en empara. La femme leva les yeux vers lui, surprise, mais lorsqu'il lui adressa son plus beau sourire, elle le lui rendit en rougissant avant de reporter son attention sur le marchand. Daemon fit alors un petit signe à Handwyr qui le regardait du coin de l'œil pour lui faire comprendre d'abréger.
« Je pense qu'elles feront à coup sûr le bonheur de n'importe quelle jolie jeune fille, conclut-il presque immédiatement.
— Oui, approuva la bourgeoise en hochant la tête. Je vous les prends »
Elle exerça une dernière pression sur la main de Daemon avant de se libérer doucement de son emprise. Ce dernier la retint légèrement avant de la laisser partir, faisant glisser ses doigts contre les siens. Du coin de l'œil, il vit les joues de la bourgeoise rosir tandis qu'elle sortait une pochette du sac reposant sur sa hanche.
Daemon, quant à lui, glissait une belle bague en or dans le sien.
Il observa la transaction se faire en silence, s'étonnant au passage qu'Handwyr soit parvenu à vendre ses boucles d'oreilles à un prix aussi élevé que quatre-vingt-dix raevs. Mais, alors qu'il s'apprêtait à sortir une excuse pour s'éclipser, il se figea en sentant la main de la bourgeoise sur sa joue.
Sa joue droite.
« Vous avez de la suie ici, dit-elle en souriant. Laissez-moi vous l'enlever. Après, nous pourrions aller... »
Daemon se dégagea, la coupant dans son élan. Mais trop tard. Les quelques secondes où il était resté pétrifié avait suffi à la bourgeoise pour enlever un peu de suie et révéler partiellement la marque dissimulée en dessous : un œil où une flamme venait remplacer la pupille. Même si elle n'en avait vu qu'un bout, il n'en fallut pas plus à la bourgeoise pour la reconnaître. Elle recula de quelques pas, sous le choc.
« Vous...vous êtes un Maudit ? »
Il fallait qu'il parte avant que les choses ne dégénèrent. Il le savait, mais il n'arrivait pas à bouger. Ses jambes refusaient de se soumettre à sa volonté. Il avait déjà fait face à cette situation de nombreuses fois par le passé. Il y était habitué.
Pourtant, à chaque fois, il restait pétrifié, incapable de faire autre chose que de contempler le visage de son interlocuteur se déformer sous le dégout.
Ils étaient tous pareil. A la seconde où ils voyaient cette marque, où ils comprenaient qu'il était né sans Don, sans aucun pouvoir, ils s'écartaient brusquement. Puis, au fur et à mesure qu'ils réalisaient qu'ils avaient parlé et ri avec lui, qu'ils l'avaient touché et respiré le même air que lui, leurs traits se tordaient en une puissante aversion qui les laissait sans voix.
Et cette femme, qui, il y a encore quelques secondes, lui prenait la main en rougissant comme une adolescente - alors qu'elle était mariée et avait des enfants- n'échappait pas à la règle.
Elle contemplait sa paume qui s'était liée à la sienne, ses doigts qui avaient touché sa joue avec un tel écœurement, que Daemon s'attendait à ce qu'elle soit prise d'un haut-le-cœur à tout instant.
« Un Maudit ! s'exclama Handwyr. Devant mon étal ! »
Daemon parvint à détacher son regard de la bourgeoise pour le poser sur le marchand. Handwyr était parfaitement au courant pour lui et ce, depuis le début. Et cela ne l'avait pas dérangé tant qu'il touchait son dû. Alors, à quoi jouait-il ?
« Madame, votre main ! reprit le marchand. Ne portiez-vous pas une bague, tout à l'heure ? »
Daemon, incapable de faire le moindre geste, vit les yeux de la femme glisser vers son annulaire gauche et s'agrandir lorsqu'ils constatèrent l'absence du bijoux.
Il vit l'expression de la bourgeoise passer du dégout au mépris alors qu'elle braquait son regard sur lui.
Sa bouche se tordit dans un rictus de haine tandis qu'elle le dévisageait, comme s'il n'y avait aucun doute que ce soit lui le coupable.
« Mon alliance » vociféra-t-elle.
A ces mots, son corps se remit en route et ses jambes se décolèrent enfin du sol. Alors qu'il s'apprêtait à partir, Daemon lança un dernier regard à Handwyr où, il l'espérait, transparaissait toute la rancœur qu'il éprouvait.
« Espèce de salaud » cracha-t-il.
Un sourire méprisant et victorieux déforma le visage du marchand avant que la bourgeoise ne se mette à hurler et alerte les soldats. Jugeant qu'il était temps de partir, Daemon s'élança, s'ouvrant un passage dans la foule qui s'était formée autour d'eux.
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Voilà pour ce deuxième chapitre !
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et on se revoit mercredi !
A bientôt !
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