Chapitre 14




Dans un bureau étonnement austère, le duc d'Yrraön, Lucius Gryffer, travaillait à la lueur d'une chandelle malgré l'heure tardive. Un à un, il traitait de nombreux dossiers proposant lots d'accords commerciaux avec les cités voisines ou quémandant autorisation d'utiliser ses terres. Mais alors qu'il s'apprêtait à souffler sa chandelle et quitter son bureau, de petits coups se firent entendre contre la porte. Le duc suspendit son geste et observa cette dernière, intrigué.

« Entrez » invita-il.

La fine silhouette d'Arthur pénétra dans la pièce. Le majordome s'inclina respectueusement pour saluer son maître avant de se redresser, les mains jointes derrière le dos.

« Désolé de vous déranger, Monsieur, dit-il, mais vous avez de la visite.

-À une heure si tardive ? demanda le duc, surpris. De qui s'agit-il ?

- Du Père Rysath, Monsieur. »

Lucius passa une main dans ses cheveux grisonnant. Que pouvait lui vouloir le religieux ?

« Cela ne peut-il pas attendre demain ?

-Je crains que non. »

Le duc soupira. Dire qu'il avait pratiquement finit sa journée.

« Très bien, fais-le entrer. »

Le majordome prit congé, laissant Lucius seul. Le père Rysath ne venait le voir que rarement, il se doutait donc que la cause de son déplacement devait être importante. Mais tout de même, cela ne pouvait-il pas attendre qu'il fasse jour ? Quelques instants plus tard, de nouveaux coups se firent entendre et Arthur entra en compagnie du Père Rysath et d'une jeune femme qui le soutenait.

« Père Rysath, les salua Lucius en se levant. Que me vaut l'honneur de votre... »

Il s'interrompit lorsqu'il croisa les yeux vitreux cernés de chair brulé du prêtre.

« Que vous est-il arrivé ? demanda-t-il, interdit.

-Ça s'est produit durant une audience » expliqua, non pas le prêtre, mais la jeune femme qui l'accompagnait.

Le duc se tourna vers elle. Elle devait n'avoir guère plus de vingt ans et possédait une longue chevelure blonde qui tombait en cascade sur ses épaules. La robe blanche dont elle était vêtue ainsi que son pendentif en forme de soleil apprirent à Lucius qu'il s'agissait d'une religieuse.

« Une audience ? répéta-t-il.

-Oui, celle d'une jeune fille ayant pénétrée à Draecaror, confirma la Sœur.

-Elle vous a attaqué ? s'enquit le duc auprès du Père Rysath. N'avait-elle pourtant pas ingéré le sérum de Weal ? »

Ce dernier secoua lentement la tête.

« Je vais tout vous expliquer, le rassura le religieux. Mais puis-je vous demander un siège ? Cela risque de prendre un moment et je ne suis pas tout à fait remis des évènements de cette journée mouvementée. »

Le duc hocha la tête avec empressement et fit signe à Arthur d'aller chercher une chaise. La Sœur conduisit précautionneusement le religieux vers celle-ci, ce qui éveilla les interrogations du duc. Était-ce parce que le prêtre était encore faible qu'elle le soutenait ? Ou bien... Et ce voile blanc couvrant ses yeux...

« Oh, et votre majordome est-il toujours présent ? demanda le Père Rysath. Si c'est le cas, pouvez-vous lui demander de sortir ? »

Lucius jeta un coup d'œil à Arthur qui se tenait à quelques pas du prêtre. Sidéré, le duc comprit alors que ses hypothèses étaient fondées.

Le Père Rysath était aveugle.

« Bien évidement »

~~~

Lorsque le dernier mot eut franchi le seuil des lèvres du prêtre, Lucius se passa les mains sur le visage en soupirant. Cette histoire était insensée.

« Cela ne s'était jamais produit auparavant ? demanda-t-il une nouvelle fois, comme si la réponse du religieux allait différer cette fois-ci.

-Non, jamais »

Lucius passa une main dans sa chevelure.

« Qu'est-ce que tout cela signifie ? Cette flamme que vous avez touchée et qui vous a ôté la vue, que représente-t-elle ?

-Je n'en sait rien, avoua le prêtre. Mais lorsque j'ai tenté de la sonder, je n'ai ressenti que terreur, douleur et... »

Le religieux s'interrompit.

« -Et ? l'invita à poursuivre Lucius.

-Un puissant désir de vengeance, acheva le religieux. J'ignore ce qu'il en ait, mais les blessures causées par cette flamme n'ont pu être guéries, pas même avec la puissance du Don. »

Cela ne présageait rien de bon.

« Et où se trouve cette jeune fille à présent ? s'enquit Lucius.

-Au cachot, lui apprit la Sœur. Au troisième sous-sol »

-Bien. Il ne me reste plus qu'à décider ce que je vais bien pouvoir faire d'elle.

-Comment ça ? » demanda la jeune femme.

Cela faisait déjà la troisième fois qu'elle intervenait. Lucius comprenait sa présence en tant que soutient au vieux prêtre, mais il s'étonnait quelle lui adresse la parole avec tant de facilité.

« Au vu des nouvelles que vous venez m'apporter, il me faudra prendre des mesures nécessaires, expliqua le duc. Une exécution me semble être inévitable. »

Un lourd silence suivit ses propos. Chacun prenait conscience de l'ampleur de ses paroles. D'après les dires du prêtre, la jeune fille n'était encore qu'une enfant. Mais c'était aussi une criminelle qui avait gravement blessé un citoyen, qui plus est, un prêtre de Leäl. Elle devait être punie au même titre que les autres.

« Monsieur, je ne pense pas que l'exécution soit la meilleure solution, lui confia finalement le religieux.

- Je ne vois pas d'autre option. Elle a enfreint la loi et doit être punie en conséquence. Sans compter que si votre pressentiment se révèle exact, elle représente sûrement une menace. En tant que duc, je me dois de protéger ce duché. »

Le religieux le regarda, ou plutôt tourna la tête dans la direction d'où provenait sa voix.

« À dire vrai, je ne crois pas que nous soyons aptes à prendre cette décision, déclara le Père Rysath. Je pense que la meilleure chose à faire serait d'envoyer cette jeune fille paraître devant le Grand Prêtre.

-L'envoyer à la capitale ? fit le duc, peu convaincu. Et déranger son Excellence avec cette histoire ? Vous n'y penser tout de même pas...

-Justement, si »

Le vieux prêtre ferma les yeux.

« Tout ceci me rappelle une étrange histoire que l'on m'a conté autrefois.

-Une histoire ? releva le duc.

-Cela n'a pas grande importance, répondit le Père Rysath en rouvrant les yeux. Ce qui importe, c'est que je suis sûr que nous commettrions une erreur en exécutant cette jeune fille. Tout cela est trop important, bien plus important que nous l'imaginons. Ce n'est pas à nous de prendre cette décision. »

Lucius resta silencieux. Il ne savait plus quoi en penser. Devait-il se joindre au propos du religieux, ou bien suivre la direction de sa raison ? Il l'ignorait, et cela commençait à l'agacer.

« Vous doutez ? demanda le prêtre. Dans ce cas, envoyer donc une lettre à l'Église Principale. Rapportez-y ce que je vous ai confié.

-Vous pensez bien qu'ils ne prendront certainement pas la peine de répondre, rétorqua Lucius avec lassitude.

-Dans ce cas-là, exécuter la fille. Sinon, suivez leur instruction. »

Lucius hésita quelques instants. Valait-il prendre le risque d'attendre ? Mais si les propos du prêtre s'avéraient exacts, quelles seraient les conséquences de sa précipitation ?

« Très bien, faisons donc ainsi, conclut finalement Lucius. Je m'y attèlerai dès demain. »

Il se dirigea vers son bureau et entreprit de ranger ses papiers.

« Il se fait tard. Si le cœur vous en dit, je peux demander à Arthur de vous préparer une chambre.

-C'est très aimable à vous, mais je pense qu'il serait préférable de rentrer à l'église, refusa poliment le prêtre.

-Comme vous voudrez. Faites attention sur le chemin du retour. »

Le Père Rysath et la religieuse inclinèrent respectueusement la tête avant de prendre congé, laissant de nouveau le duc seul avec ses pensées. Il n'avait plus qu'une envie : dormir. Mais lorsqu'il partit enfin se coucher, il ne parvint pas à trouver le sommeil.

Toute cette histoire ne présageait rien de bon

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