Chapitre 12




Le jour se levait lentement sur Yrel, un petit village à trois heures de marche de Craön. Le rues, encore vides à cette heure matinale, étaient nimbées de la faible lueur de l'aube accompagnée des lanternes accrochées çà et là. Seule une silhouette encapuchonnée, d'une cape tâchée et tailladée, les parcourait en boitillant.

Daemon sera les dents. Sa jambe le lançait et la douleur n'avait fait que s'accentuer ces dernières heures. La coupure qui irradiait une désagréable chaleur dans son avant-bras faisait pâle figure en comparaison. En grimaçant, il replaça la sangle de son sac sur son épaule et observa les maisons alentours. De temps à autre, il apercevait la lueur d'une bougie à travers les carreaux d'une fenêtre. Les villageois commençaient à se lever. Il fallait qu'il se dépêche.

Le jeune homme contourna la place et emprunta une ruelle adjacente qui débouchait sur un sentier menant à une petite colline isolée. En haut de celle-ci, une maison solitaire dominait les champs en contre-bas. A sa vue, le cœur du voleur se serra tandis que les souvenirs affluaient. Il poussa un faible grognement et ferma les yeux.
Voilà pourquoi il n'aimait pas venir ici.

Quelques minutes plus tard, il était arrivé. Précautionneusement pour ménager sa jambe blessée, Daemon pénétra dans le petit jardin en passant par-dessus la barrière en bois qui l'encadrait. Du grand pommier, déjà presque dépourvu de ses feuilles, au petit cabanon au fond du terrain, encombré de vieux objets poussiéreux, rien n'avait changé.

Daemon s'approcha de la maison. A travers l'unique fenêtre de l'habitation, il constata que l'intérieur était encore sombre. Le voleur tourna la poignée et ne fut pas surpris lorsque la porte s'ouvrit. Il soupira en levant les yeux aux ciels.

En effet, rien n'avait changé.

L'intérieur était sombre et dégageait une agréable chaleur. Une odeur de cheminé emplissait la pièce accompagnée de ronflements sonore provenant d'un endroit sur sa droite, où, il s'en souvenait, se trouvait un escalier. N'ayant nullement envie de monter ces marches dans l'obscurité, il se contenta de prendre une grande inspiration puis :

« EH, DEBOUT LE VIEUX !!! »

Daemon crut entendre un cri de stupeur bien vite étouffé par le bruit d'une masse s'effondrant sur le plancher. Il ne put s'empêcher d'éclater de rire devant les grognements et injures de l'homme paniqué. 

« Qu...qui est là ? tonna une voix encore endormie.

-À ce que je vois, tu n'as toujours pas appris à fermer la porte à clé » se contenta de répondre Daemon, rieur.

Une faible lueur brilla à l'étage et une série de pas lourd apprirent au voleur que l'homme arrivait.

« Espèce de... » commença-t-il alors qu'il apparaissait au sommet de l'escalier, une chandelle dans les mains.

Il descendit précipitamment les quelques marches qui les séparaient avant de se figer en reconnaissant le visage moqueur de l'intrus. Son expression abasourdie fit naître une nouvelle vague de rire que le jeune homme ne put contenir.

« Da...Daemon ? demanda la voix bourrue, visiblement stupéfaite.

-Ça faisait longtemps, Ezra »

Et pour la première fois depuis un long moment, un sourire sincère vint décorer ses lèvres. 

~~~

« Si tu t'étais entendu ! » s'exclama Daemon, hilare.

Ezra émit un grognement qui ne fit qu'alimenter le rire du jeune homme.

« Qu...qui est là ? » chantonna ce dernier en prenant un ton haut perché.

Ezra jeta une gerbe d'alcool sur la plaie et Daemon s'étrangla de douleur.

« T'es malade ? s'écria-t-il en dévisageant l'homme agenouillé devant lui.

-Tu devrais être heureux que je sacrifie mon whisky pour te soigner » se contenta de rétorquer Ezra en se relevant.

Et sur ce, il partit ranger le précieux alcool au fond de son placard, à l'abri des regards. Daemon posa un regard faussement énervé sur le dos musclé par les années de forge de l'homme aux cheveux sombres - ce n'est pas comme s'il en avait une bonne réserve, de son whisky. Mais bien vite, ce regard noir s'adoucit et le voleur se laissa aller en soupirant contre le dossier de sa chaise. Il avait l'impression d'être revenu cinq ans en arrière et, il devait le reconnaître, cela lui faisait du bien. Mais ce poids, au fond de sa poitrine, l'empêchait de savourer pleinement cet instant.

« Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-il soudainement.

-Si tu parles de ta jambe, je ne sais pas non plus »

Daemon se redressa et répliqua, les sourcils froncés :

« Tu sais très bien de quoi je parle, ne fais pas l'idiot.

- Ah bon ? Eh bien, il faut croire que je suis stupide parce que je n'en ai aucune idée. »

Le voleur serra les poings. Il détestait quand le vieux faisait ça. Quand il le forçait à dire ce qu'il ne voulait pas.

« Pourquoi tu fais comme si rien ne s'était passé ? lâcha-t-il enfin. Pourquoi tu fais semblant de ne pas m'en vouloir ? »

Après quelques secondes de silence, le forgeron soupira et se retourna, détaillant le jeune homme de ses yeux pâles. Ses yeux qui semblaient tout voir et tout comprendre. Daemon frissonna. 

« Parce que je ne t'en veux pas, déclara finalement le forgeron. Enfin pas vraiment. Je te connais Daemon. Tu fuis toujours dès la première difficulté. Ton départ ne pas surpris, au contraire.

-J'ai changé.

-Probablement. Tu en as eu tout le temps en cinq ans. »

Daemon baissa les yeux. Les paroles de l'homme faisaient mal. Elles faisaient mal parce qu'elles étaient fondées. Il avait certes changé ces dernières années mais pas assez pour avoir le courage de revenir avant cinq ans, et ce, parce qu'il n'avait nulle part d'autre où aller.

« Je suis désolé. »

C'était sorti tout seul, sans que le jeune homme ne puisse y réfléchir. Comme si ses lèvres savaient bien mieux que lui ce qu'il avait envie de dire. 

Un puissant éclat de rire le fit sursauter. Interdit, le jeune homme leva les yeux vers un Ezra complètement hilare.

« Si tu voyais ta tête !» se moqua le forgeron une fois calmé.

Daemon fronça les sourcils et le feu lui monta aux joues lorsqu'il comprit que s'était de lui qu'Ezra riait.

« Que... s'offusqua le voleur, le visage à présent coloré d'un rose vif. Je te présente mes excuses et toi, tu ne trouves rien d'autre à faire que de rire ?

-Regarde toi ! s'exclama Ezra en riant de plus belle. Tu es aussi rouge qu'une écrevisse ! »

Daemon lui adressa un regard noir avant de tourner la tête, vexé d'être comparé à un vulgaire crustacé.  Finalement, il retirait ses paroles. A quoi bon s'excuser auprès d'un vieil idiot de toute façon ? Ça ne servait à rien. Mais malgré sa mauvaise foi, le voleur dut bien admettre que le fardeau au creux de sa poitrine s'était fait plus léger.

Toujours aussi hilare, le forgeron se leva, s'approcha du jeune homme et posa une main affectueuse sur son épaule. Daemon ne put s'empêcher de sursauter avant de lever les yeux.

« Oublie, fit le forgeron. Je suis content que tu sois revenu. »

Daemon écarquilla légèrement les yeux et ne put que contempler sans un mot le forgeron qui lui souriait. Pendant un bref instant, il fut soulagé, avant que son bon souvenir et la culpabilité qui l'accompagnait ne vienne lui ronger l'estomac.

L'homme, qui ne remarqua pas – ou fit semblant de ne pas remarquer – son regard fuyant, lui ébouriffa les cheveux, comme lorsqu'il était enfant, avant de se pencher sur la blessure à son mollet.

« Il faut refermer la plaie, dit-il en se tenant le menton. On pourrait certainement cautériser, mais ça risquerait de se rouvrir. Mieux vaut faire des points de sutures – il doit bien y avoir une aiguille et du fil quelque part.

- Tu compte les faires toi-même ? demanda Daemon, peu rassuré.

- Ça te pose un problème ? »

Daemon déglutit.

« Pas le moins du monde »

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