Storm was wailing in my body
Petite note et avertissement : voici un OS écrit suite à la requête de... moi-même, voilà, ça traine dans ma tête depuis trop longtemps, j'ai mis des semaines à l'écrire parce que je trouvais ça très dur.
Il n'y a rien de cru, concrètement. Mais les images peuvent être dures. Le thème est dur. L'histoire est dure. Alors, s'il-vous-plait, si vous allez mal, faites attention, right? Je ne sais pas ce que vaut cet OS. J'image tellement les choses que c'est peut-être trop..' effacé derrière les mots. Je ne sais pas. J'espère que ça vous "plaira" malgré tout.
Faites attention à vous, simplement.
Situation : en théorie, dans ma tête, ça se passe après Endgame. Il n'y a pas eu Far From Home.
Tony n'a pas vendu la Tour Stark et y vit occasionnellement, pour plus de commodité.
Storm was wailing in my body
La pluie efface tous les maux du monde.
C'était ce qu'aurait voulu croire Peter.
Comme en cet instant, où il était assis haut, très haut, sur le rebord d'un toit. Les pieds et le cœur dans le vide. La nuit était sombre, seulement illuminée par quelques éclairs qui zébraient le ciel à l'en déchirer. Et juste après, suivait le grondement de l'orage, qui résonnait dans sa cage thoracique comme une musique trop forte.
Le cœur lourd.
Et cette envie de vomir. Tout près de ses lèvres.
Un sanglot déchira sa poitrine, et il se recroquevilla sur lui-même. Enserrant ses jambes avec ses bras, le front contre ses genoux. Et ses larmes se mêlaient à la pluie qui trempait ses cheveux et humidifiait ses joues.
Il n'y avait pas grand-chose à faire, ce soir, et Peter détestait ça. Parce que s'on esprit n'était occupé à rien d'autre qu'à penser. Et penser voulait dire ressentir. Et il savait que s'il se laissait aller, il se ferait avaler. En grand. Dévorer.
Il n'aurait pas beaucoup d'efforts à faire pour tomber. Dégringoler. Se sentir libre. Il était si haut qu'on ne retrouverait même pas son corps pulvérisé contre le bitume. Non, il n'aurait pas beaucoup d'efforts à faire. Il n'avait qu'à basculer. Légèrement. Et ne pas se rattraper.
Il tremblait tellement qu'il avait l'impression que ses os s'entrechoquaient. Peter serra les poings, fort, pour endiguer la douleur et le frisson de dégoût qui le secoua.
Mon Dieu, il se dégoûtait tellement.
Tout son corps le démangeait. Il passa une main dans son cou, parce que c'était de là que venait la douleur, et il gratta. Fort. Au point de se faire saigner, mais ce n'était pas suffisant.
Putain, ce n'était jamais suffisant.
Il aurait pu s'arracher la peau à vif sans que ce soit jamais suffisant.
Peter aurait voulu les croire, quand ils disaient que la pluie pouvait effacer tous les maux du monde.
Il aurait voulu les croire.
*
- Marathon Star Wars, ce soir ? demanda Tony sans le regarder, alors qu'il attrapait un tournevis à l'aveugle, penché sur un nouveau prototype de l'IronSpider.
Peter releva la tête de son propre travail, et cligna rapidement des yeux pour chasser la brume qui entourait son esprit.
Il n'était pas lui-même, en ce moment. Mais il savait pourquoi.
On était le 15 Octobre.
Et les 15 Octobre étaient toujours comme ça. Pluvieux. Orageux.
- Quoi ? demanda-t-il doucement, pas sûr d'avoir bien entendu.
- Un Marathon. Star Wars. Toi et moi avec un bol de popcorn. Et toi qui me souffles toutes les répliques même si je ne veux pas les entendre, répéta Tony d'un ton pince-sans-rire en le regardant, une lueur amusée dans les yeux.
- Oh.
Peter n'arrivait pas vraiment à réfléchir.
En temps normal, son cœur aurait bondi de joie. Il adorait les soirées qu'il passait au labo avec Tony, et encore plus quand ce dernier proposait ce genre d'activité, parce que Peter savait très bien que c'était là une volonté de son mentor de passer du temps avec lui, en faisant ce qu'il aimait.
Tony, d'ailleurs, quoi qu'il en dise, appréciait ces moments avec son gamin. Il faisait toujours son possible pour passer une soirée par semaine avec lui, que ce soit pour regarder des films, manger ensemble en discutant, faire un laser-game (que Tony avait fait installer dans la tour exprès pour lui), ou simplement passer toute la soirée au labo sans même s'en rendre compte parce qu'ils étaient tous les deux des bourreaux de travail et qu'ils s'amusaient tellement qu'ils ne voyaient pas le temps passer.
Alors, quand il vit Peter lever les yeux vers lui avec cet air de brume dans le regard, semblant littéralement épuisé et très loin d'ici, Tony fronça les sourcils. Quelque chose n'allait pas avec le petit.
- Comment ça, « oh » ? Je croyais que t'adorais Star Wars, fit-il en essayant de le prendre légèrement pour ne pas le brusquer.
- O-ouais, ouais, si, c'est une bonne idée, répondit Peter en plaquant un sourire qui n'atteignit pas ses yeux sur son visage.
Ok, quelque chose n'allait définitivement pas.
- Tu sais, commença Tony lentement, pas sûr de vraiment savoir comment réagir, si tu n'en as pas envie, il suffit juste de me le dire. On fera autre chose.
- Non, non, ça ne me dérange pas –
- Sinon, je comprendrais que la compagnie d'un vieil homme tel que moi finisse par être lassante, hein !
Ce trait d'humour arracha un faible sourire à Peter, qui le regarda avec une lueur un peu amusée. Il secoua légèrement la tête, et Tony s'inquiéta de son absence de réaction. Peter n'était pas lui-même. Et Tony voulait savoir pourquoi.
- Hey, gamin, qu'est-ce qui se passe ?
- Quoi ?
Peter vit le regard de Tony, et il eut l'impression que son cœur tombait dans sa poitrine, soudainement. Que quelque chose se brisait, à l'intérieur. Et il dut faire appel à toute la force du monde pour ne pas s'effondrer devant son mentor.
Parce qu'on était le 15 Octobre.
Et qu'il y avait quelque chose d'assez ironique, là-dedans.
- R-rien, il n'y a rien, répondit-il en maitrisant les tremblements de sa voix, en dépit de combien ça lui serrait la gorge.
- On a dépassé ce stade, Peter.
Tony croisa les bras sur son torse, fronçant les sourcils.
- Je suis juste fatigué. Vraiment.
Et brisé.
Détruit.
- Est-ce que ça vous ennuie si – si j'allais simplement me coucher, ce soir ? J'ai... eu une longue semaine, souffla-t-il finalement, avec l'impression qu'il allait s'effondrer, là, dans le labo.
Il résista à l'envie, urgente, douloureuse, de se gratter la peau avec vigueur. Et ça poussait, fort, sous ses paupières. Ça brûlait son corps entier, et il aurait pu vomir sur son bureau tant il était dégouté de lui-même.
Mais il ne fit rien de tout ça. Il résista parce que c'était ce que Peter avait toujours fait. Se cacher. Garder ses blessures secrètes, anesthésiées à l'alcool pur. Sourire et dire oui, je vais bien, merci.
- Non, ça ne me dérange pas, gamin, finit par répondre Tony après quelques longues secondes pendant lesquelles il observa le jeune homme avec inquiétude.
Il ne s'en formalisa cependant pas. Il était vrai qu'il avait l'habitude de voir Peter joyeux et souriant, mais il avait droit d'avoir aussi des jours sans, après tout. Il n'avait que seize ans, et Tony aimait son innocence et sa bonne humeur constantes ; alors, il détestait le voir dans cet état. C'était peut-être un peu égoïste.
Mais il y avait quelque chose, dans le regard de Peter, dans sa posture, qui lui fit dire que, peut-être, il y avait autre chose. Dans cette façon inhabituelle qu'il eut de tressaillir quand Tony posa une main légère sur son épaule pour lui souhaiter une bonne nuit.
Quelque chose n'allait pas avec Peter.
*
16 Octobre.
Aujourd'hui encore.
Encore ces démangeaisons, cette impression de demeurer à l'extérieur de son corps.
D'être de trop.
Cette envie de disparaître.
Il déambulait dans les couloirs de l'école tel un fantôme. N'avait que vaguement conscience de la présence de Ned à ses côtés. Ses pensées étaient loin. Trop loin. Arrêtées sept ans en arrière. Avec cette impossibilité de revenir.
Et Ned savait. Sans vraiment savoir, à vrai dire. Il savait que tous les ans, depuis sept ans, ces quinze jours d'Octobre étaient comme frappés d'un sceau maudit. Peter n'était jamais lui-même, durant cette période. Il ne disait rien, était prostré. Parfois, il préférait rester chez lui et revenait à l'école quelques jours plus tard sans donner aucune explication.
Ned n'avait jamais posé de questions. Il restait simplement auprès de son meilleur ami, et l'aidait à supporter ces quinze jours maudits.
Parce qu'une fois passés, c'était presque comme s'ils n'avaient jamais existé.
*
Peter pensait que cette journée ne pouvait pas être pire.
Peter pensait qu'il ne le reverrait jamais, à dire vrai.
Qu'il resterait bloqué dans ces quinze jours, et qu'il pourrait le ranger dans sa boite de Pandore le reste du temps.
Sept ans étaient passés, après tout.
Mais il fallait croire que Peter ne serait jamais épargné de rien, dans sa vie. Perdre ses parents puis son Oncle, Ben, n'avait pas été suffisant. N'avait-il pas assez souffert ?
Peut-être pas. Peut-être que l'Univers avait simplement un sacré sens de l'humour.
Parce que l'autre était là. A quelques mètres de lui. Debout et rayonnant.
Et écœurant.
Ned remarqua tout de suite que quelque chose n'allait pas quand il vit Peter se figer dans le couloir. Les yeux écarquillés. Le visage diaphane. Le corps tendu. La respiration courte, comme s'il commençait à faire une attaque de panique.
Le regard fixé sur cet homme, qui s'avançait dans leur direction.
- Hé, Peter, ça va ? chuchota-t-il en le secouant doucement.
Peter ouvrit et ferma la bouche à plusieurs reprises, sans savoir quoi dire. Qu'exprimer. Sa respiration se fit hachée, et il posa un regard terrifié sur Ned.
- Je – il faut que je rentre, bégaya-t-il.
- O-ok, euh... est-ce que tu veux que j'appelle May, pour qu'elle vienne te chercher ?
L'adolescent ne répondit pas et tourna immédiatement les talons, rejoignant les toilettes situées au bout du couloir d'un pas rapide. Ned sortit son téléphone de sa poche, et le suivit en se frayant un chemin parmi la foule d'élèves qui bavardait joyeusement, complètement inconsciente de ce qui se tramait.
Arrivé dans les toilettes, Peter s'enferma dans une cabine et eut tout juste le temps de s'accroupir qu'il vomit tout ce qu'il avait dans l'estomac – pas grand-chose, à dire vrai. Des larmes lui brûlèrent les paupières alors qu'il s'appuyait faiblement contre la céramique blanche, tremblant de tout son corps.
Non, ce n'était pas possible.
C'était un cauchemar.
Son estomac se retourna violemment, son dos se courba vers l'avant et l'acide lui brûla la gorge quand il vomit de nouveau.
Un coup fut porté à la paroi en contreplaqué de la cabine.
- Peter ? ça va ? demanda doucement Ned, sans savoir vraiment comment réagir.
Mais Peter l'entendit à peine.
Ses oreilles bourdonnaient, et la seule chose à laquelle il pensait incessamment, en ce moment même, c'était non.
Non. Non, non, non, non, non, non.
Non.
Pas encore.
Laissez-moi tranquille. Laissez-moi tranquille. Laissez-moi tranquille.
Il aurait voulu hurler tant la douleur qui le consumait était violente. Il aurait voulu mourir pour qu'enfin, tout cesse. Il n'arrivait plus à lutter. Il voulait juste oublier. Est-ce que c'était trop demander ?
- Peter, j'ai May au téléphone, lui dit Ned, et sa voix était assourdie, comme s'il était sous l'eau et Peter – très loin d'ici. Elle vient te chercher. Elle quitte son travail et elle arrive, d'accord ?
Et Peter s'en voulut, bien sûr. Il savait combien la vie était difficile pour sa tante. Combien il lui était difficile de le voir dans cet état. Mais il ne pouvait pas rester ici. Il ne pouvait pas. Il fallait qu'il parte et que jamais il ne revienne.
Et son visage réapparut, soudainement, comme dans un flash.
Un poignard enfoncé dans son estomac lui aurait fait moins de mal.
Et il y avait ces insectes, qui poussaient sous sa peau, qui le grignotaient de l'intérieur. Ça le démangeait.
Il ne se rendit compte qu'il frictionnait sa peau que lorsqu'il en ressentit la douleur. A travers ses yeux brûlant de larmes, il put voir ses mains recouvertes d'un liquide un peu carmin, et son cou était fumant, marqué d'excavations teintées de rouge.
Arrête. Arrête de gratter.
Alors il se recroquevilla sur lui-même, pour se protéger. Comme la dernière fois. Il ramena ses jambes contre sa poitrine et cacha son visage dans ses genoux, avec ses bras au-dessus de lui, comme pour s'effacer.
Pour amortir les coups qui pleuvent.
Recroquevillé si fort sur lui-même que les mains ne peuvent pas le déplier. Au moins pendant quelques temps. Au moins pendant quelques minutes.
Pour oublier.
Pour disparaitre.
*
Quand May était venue le chercher, elle n'avait rien dit. Elle avait compris dès qu'elle avait reçu le coup de fil de Ned.
Parce qu'on était le 16 Octobre.
Et ça lui brisait le cœur, de voir Peter comme ça. En proie à ses démons, parce qu'elle n'avait rien vu. Parce que ça avait duré trop longtemps. Et que la douleur était là, logée entre ses côtes, sous sa poitrine, dans sa gorge, dans son cou. Sur tout son corps marqué de cicatrices.
Alors elle était venue le chercher, bien sûr. Et elle avait eu mal quand elle l'avait vu, recroquevillé sur lui-même, le corps secoué de sanglots déchirants.
Il n'avait rien dit. Elle l'avait serré dans ses bras. Longtemps. Caressé ses cheveux. Doucement. Et ils étaient rentrés à la maison.
Juste comme ça.
*
Ses cauchemars étaient revenus, comme de vieux démons, de vieux souvenirs craquelés, morcelés. Ils le tenaient réveillés une bonne partie de la nuit, parce qu'il était terrifié à l'idée de revivre tout ça. A l'idée de revoir, encore, et encore, ces mains, ce visage terrifiant. D'entendre ses mots, sa voix qui l'appelait Einstein, qui riait, qui criait. De sentir, cette odeur de cigarette, et les bleus qui se formaient sur son petit corps, cette main qui secouait ses cheveux, et qui caressait ses bras, ses jambes –
Alors, pendant deux jours, il était resté prostré dans sa chambre, ou dans le canapé du salon, avec May qui avait décidé de rester auprès de lui. Pour essayer d'oublier. De ne pas y penser.
De ne pas penser à tout ce qui tournait dans sa tête, incessamment.
Ces chuchotements, ces voix suaves et glaçantes, et l'écho de ses propres cris, de ses propres supplications.
Parce que Peter n'avait rien dit, mais il était terrifié. Terrifié à l'idée d'y retourner et de le revoir.
Terrifié à l'idée de tout revivre.
- Tony nous invite à la Tour, ce soir, chuchota May en s'asseyant près de son neveu, dans le canapé.
Elle non plus ne disait rien, mais elle aussi était terrifiée. Terrifiée de voir Peter, enroulé dans un plaid, sur le canapé, à fixer le vide et la fenêtre qui lui faisaient face. Sans parler. Avec juste ses yeux qui coulaient. Son corps parfois secoué d'un tremblement. Son cou rougeâtre et plein de cicatrices.
Peter cligna lentement des yeux quand elle lui parla, comme s'il revenait à la réalité, et il la regarda.
- Ce soir... ? demanda-t-il doucement, d'une voix tout juste audible.
Sa voix craquelée comme du parchemin. Prête à se briser au moindre geste, au moindre effleurement.
May glissa une main dans ses boucles brunes, avec un gentil sourire.
Mais son cœur pleurait de voir la douleur dans ces yeux d'enfant.
Ces yeux d'enfant.
Un enfant qui en avait trop vu.
Trop subi.
- Oui. On pense tous les deux que ça pourrait te faire du bien. Tu sais, il... il a compris que tu n'allais pas très bien, en ce moment. Je ne lui ai rien dit, mais... tu devrais peut-être lui en parler –
- Non.
La réponse était ferme. Catégorique.
Et déjà son corps s'était remis à trembler. Et les souvenirs étaient revenus, parce qu'il s'imaginait déjà en train de raconter à Tony. De raconter tout. Les coups. Les mots. Et il voyait de là le regard dégouté de Tony.
Il ne le supporterait pas.
Aucun des deux ne le supporterait.
- Peter –
- Non.
Non.
*
Et puis, Peter y était retourné. Au lycée. Il s'était résigné à ne plus avoir peur. Il ne voulait plus se cacher. Vivre dans la terreur.
Il avait fait deux crises de panique, juste avant. Une durant la nuit, qu'il avait étouffée tant bien que mal dans son oreiller, suffoquant sous l'angoisse qui s'agrippait à sa poitrine, et une autre le matin même, avant de partir, devant May.
Elle lui avait dit de ne pas y retourner. De rester à la maison. Qu'elle s'occuperait du reste. Qu'il changerait de lycée, s'il le voulait, même. Qu'ils pourraient changer de région, elle s'en fichait. Elle voulait juste qu'il aille mieux. Qu'il oublie. Qu'il sourie les 15 Octobre.
Peter l'avait entendue crier au téléphone, la veille. Il ne savait pas avec qui elle parlait. Elle hurlait qu'il n'avait rien à faire dans ce lycée. Qu'il était un danger pour les élèves. Qu'elle porterait plainte.
Alors il avait caché sa tête sous les oreillers, encore. Étouffé ses larmes et ces sanglots qui le secouaient avec la force d'un ouragan furieux. Encore.
Mais Peter était déterminé à se tenir droit. Il n'aurait qu'à l'éviter dans les couloirs, après tout. Ce serait facile, vraiment. Et il ne prendrait pas la peine de venir le voir, si ? Il ne prendrait pas le risque d'approcher Peter de nouveau...
*
Il n'aurait pas pu avoir plus tort.
Mais Peter ne l'aurait pas cru fou au point de le convoquer dans le bureau des surveillants. Il ne l'aurait pas cru fou au point de le confronter directement.
Alors, au début, il ne s'était pas méfié, quand il avait entendu l'appel. Il avait été absent pendant quelques jours, après tout, alors ils avaient peut-être besoin des justificatifs.
Il aurait dû comprendre que quelque chose n'allait pas quand on l'avait convoqué en plein milieu d'un cours.
Il aurait dû.
A la place, il s'était concentré de toutes ses forces pour oublier l'autre. Pour continuer à vivre.
Et tout avait alors été réduit à néant quand il avait ouvert la porte du bureau, et qu'il l'avait vu. Assis, les jambes sur la table. Souriant.
- Salut, Einstein ! s'exclama-t-il avec entrain, un grand sourire sur son visage.
Et Peter eut envie de vomir, soudainement.
Einstein.
Tout son corps s'était figé d'effroi, et il était prêt à faire une crise de panique, là, debout devant la porte. Ses yeux écarquillés. Il n'arrivait plus à respirer. Il n'arrivait plus à respirer.
- Ferme la porte derrière toi, tu veux ?
Les muscles raidis, avec l'impression d'être une biche éblouie par les phares d'une voiture dans la nuit noire, Peter ne réfléchit pas. Son esprit s'était bloqué, figé. Il était trop concentré sur son envie de vomir qu'il retenait tant bien que mal, ignorant son estomac qui se tordait furieusement. D'un geste mécanique, il s'exécuta, et le bruit de la porte qui se ferme le fit sursauter violemment.
Qu'est-ce qu'il faisait là ? qu'est-ce qu'il faisait là ?
Il ne pouvait pas. Pas encore, non. Non, pas encore.
Ses mains tremblaient si violemment que cela se propageait le long de ses bras et faisait s'entrechoquer ses os. Il avait du mal à respirer, comme si l'air ne rentrait plus dans ses poumons, qui hurlaient littéralement.
- Allez, viens t'asseoir, Einstein, fais pas le timide, on se connait, maintenant.
Peter ne voulait pas répondre. Il voulait partir d'ici. Maintenant. Retrouver May, ou Tony, ou n'importe qui. Il voulait partir, partir, partir.
Partirpartirpartirpartirpartirpartir –
L'autre fronça les sourcils et se redressa dans sa chaise.
- Parker ?
- O-oui, je –
Il ne voulait pas qu'il l'approche. Il ne fallait pas qu'il l'approche.
Alors Peter prit peur. Il était terrorisé. Figé. Il ne savait pas quoi faire. La seule chose dont il était certain, c'était qu'il ne fallait pas qu'il s'approche.
Alors il se retourna. Serra ses mains en poings pour cacher les tremblements violents qui le secouaient. Et avança vers le bureau d'un pas mécanique.
Il avait l'impression que ses jambes pourraient le lâcher à tout moment et qu'il allait s'effondrer, là, au milieu du bureau, juste à côté de l'autre. Et l'autre viendrait le relever, à tous les coups. Il le toucherait.
- Hey, Einstein, ça va ? demanda-t-il d'un air soucieux. Assis-toi, hé.
Il allait vomir. Il allait vomir.
Et pourquoi il continuait à s'avancer vers ce bureau ? pourquoi il se rapprochait de lui au point qu'ils ne soient séparés que par quelques mètres ? pourquoi il ne fuyait pas ? pourquoi il cédait, encore ? pourquoi il écoutait ? pourquoi il s'asseyait sur cette maudite chaise juste en face de lui ?
- Tu te souviens de moi ?
- S-Skip, souffla faiblement Peter, ses grands yeux écarquillés posés sur l'homme.
Il avait changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Depuis cette fois-là. Il était plus grand. Il portait une petite barbe entretenue. Il était bien vêtu. Ses cheveux étaient peignés en arrière, légèrement enduis de gel.
Peter aurait pu ne pas le reconnaître, à dire vrai. Son esprit avait voulu effacer son visage.
Et tout lui revenait maintenant en pleine face avec la force titanesque d'une tempête en pleine mer.
- J'ai été surpris de te voir ici, Einstein, répondit Skip avec un petit rictus amusé, presque innocent.
Il l'aurait sans doute été s'il n'y avait pas tout ça dans leur passé commun.
- T'es en quelle classe, maintenant ? depuis le temps que je t'ai pas vu ! s'esclaffa-t-il comme s'ils étaient de vieux amis qui avaient le bonheur de se retrouver par un heureux hasard.
Peut-être que c'était un hasard. Mais il n'avait rien d'heureux. Rien de positif. Et ils étaient loin d'être des amis, bien au contraire.
Alors, Peter n'aurait pas dû avoir peur. Il n'aurait pas dû s'inquiéter. Parce qu'il était Spider-Man, maintenant, non ?
- J-je – en première, répondit Peter malgré lui.
Il se sentait obligé de répondre même s'il n'en avait pas envie.
Skip ne le connaissait que trop bien. Trop profondément. Trop... trop –
Ses mains tremblaient violemment. Et il avait l'impression d'être dévisagé, fouillé minutieusement par son regard posé sur lui. Il voulait qu'il détourne les yeux. Qu'il arrête de l'observer. Qu'il arrête de le violer par le regard. Parce qu'il avait l'impression d'une intrusion, soudainement. Il ne voulait pas être là. Il ne voulait pas être là. Il ne voulait pas être là –
- Waw. Je suis vraiment étonné de te voir ici, je dois dire. La dernière fois qu'on s'est vus, c'était quoi, y a pas mal d'années, hein ?
Sept ans, eut envie de répondre Peter.
Sept putains d'années. Sept 15 Octobre.
Sept putains d'années.
- T'es plus aussi bavard qu'avant, dis donc, Einstein, rit-il. Désolé si je t'ai appelé au milieu des cours, on m'a demandé de vérifier tes absences, puisque tu n'étais pas là cette semaine, alors je me suis dit que ce serait l'occasion de discuter un peu avec toi. T'es pas content de me voir ?
Il y avait une lueur dangereuse dans son regard. Comme s'il mettait Peter au défi.
Et son estomac se tordit violemment de nouveau.
Il ne pouvait pas bouger. Il était cloué à son siège. Et Skip l'observait.
Il observait chacun de ses traits, chacune de ses expressions. Comme pour voir s'il allait le trahir.
C'est notre petit secret, avait-il dit une fois. Ça reste entre nous, hein, Einstein ? Juste toi et moi.
- Si.
Peter déglutit pour déloger la gêne qui obstruait sa gorge et menaçait d'exploser.
Il avait envie de hurler. Qu'on le sorte d'ici. Par pitié.
Skip eut l'air satisfait.
Et puis, il lui parla. Normalement. Comme si de rien n'était. Comme s'il ne lui avait jamais rien fait. Comme s'il ne s'était jamais rien passé entre eux.
Et Peter suffoquait. Il sentait sa peau brûler alors qu'il regardait ces mains qui gesticulaient de façon expression alors que Skip lui racontait pourquoi il était ici, et comme il était content de le revoir après toutes ces années.
Et Peter avait envie de vomir.
Il se dégoutait de rester là, à l'écouter parler.
Il se dégoutait de ne pas être parti.
Mais il se sentait comme hameçonné. Coincé. Comme si quelque chose l'empêchait de bouger. De parler. De hurler.
Crocheté par l'estomac.
Et violé par le regard de cet homme.
*
Il ne sut pas comment il se retrouva là, de nouveau. Accroupi face aux toilettes en céramique blanche, immaculée. Appuyé contre la cuvette en essayant de se faire vomir, en vain. Rien ne sortait. Tout était à l'intérieur, et rien ne sortait.
Tout était à l'intérieur.
Tout était en lui.
Et ça poussait sous sa peau, ça le brûlait, ça le détruisait.
Il n'y a rien de mal, Einstein, tu verras.
Il avait envie de hurler, mais rien ne sortait.
Il n'y avait que des larmes sous ses paupières, des sanglots qui l'étouffaient, et cette culpabilité d'être resté avec lui, dans ce bureau.
Il avait envie de hurler, comme s'il y avait un monstre griffu tapi dans son estomac, tout ce temps, et qu'il lui lacérait la poitrine.
La haine et le dégoût bouillonnaient dans ses veines avec la fureur d'un torrent.
La haine et le dégoût de lui-même.
La honte.
Parce qu'il s'était laissé faire. Il n'avait pas bougé. Il était resté là.
Il était resté là.
- Mr. Parker ? est-ce que tout va bien ? résonna la voix d'un des surveillants, derrière la porte.
Mais Peter l'entendit à peine. Il n'était pas sûr de savoir si ça venait de l'extérieur ou de sa tête. Peut-être qu'il hallucinait.
Ses yeux étaient brouillés de larmes, ses paupières brûlées par le sel qui débordait sans qu'il puisse faire quoi que ce soit.
Il était trop faible. Il était trop faible.
- ... ter. Peter ? hé, petit, tu m'entends ? murmura une voix lointaine.
Une main se posa soudainement sur son épaule et il sursauta violemment avant de se reculer précipitamment, mettant le plus de distance possible entre cette main et lui, autant que le lui permettait cette petite cabine exiguë.
Effrayé, il ouvrit les yeux et distingua la silhouette d'un homme accroupi juste à côté de lui, main tendue, et d'une autre debout, juste derrière lui.
Peter cligna plusieurs fois des yeux et de nouveau, son estomac se retourna violemment.
Tony.
Tony était là, juste à côté de lui, les sourcils froncés. L'air inquiet.
- Hé, hé, dit-il doucement sans s'avancer davantage. Je te ferai pas de mal, Peter. Je te ferai pas de mal. D'accord ?
Il fallut une longue minute à Peter pour comprendre ses mots, et d'acquiescer faiblement.
Il connaissait Tony. Il connaissait son visage. Il connaissait sa main rendue rugueuse par le travail manuel. Il connaissait son odeur. Il connaissait ces bras qui l'avaient rassuré tant de fois quand il dormait à la Tour et qu'il faisait un cauchemar. Il connaissait sa voix qui chuchotait pour le réconforter dans le noir, qui murmurait et qui fredonnait parfois.
Tony sentait comme la maison.
Il aimait Tony. Il avait confiance en Tony.
- Attrape ma main, Peter. Je te ramène à la maison, d'accord ?
La maison.
Il voulait rentrer à la maison.
*
Il ne se souvint de rien à partir du moment où il avait finalement saisi cette main tendue dans sa direction. Ni le trajet jusqu'à la voiture de Tony, sur le parking du lycée, ni celui qui les conduisit jusqu'à la Tour.
Il se retrouva recroquevillé sur le canapé du grand salon clair de Tony sans même savoir comment il était arrivé là. Enveloppé dans une couverture duveteuse et chaude, avec un chocolat chaud fumant posé sur la table basse juste devant lui.
Les yeux brûlants.
Le cœur au bord des lèvres.
Et les yeux de Tony posés sur lui.
- Est-ce que tu veux m'en parler ? murmura-t-il doucement, en gardant cependant certaine distance entre eux, de peur d'effrayer Peter.
Il n'y comprenait rien. Il ne savait pas ce qui se passait avec son gamin. Il travaillait dans son laboratoire, échouant à programmer un nouveau prototype de son armure, quand son téléphone avait sonné. Il avait été étonné de voir que c'était le lycée de Peter qui l'appelait. C'était la première fois.
On lui avait dit que Peter n'allait pas bien. Qu'ils avaient essayé de contacter May et qu'elle ne répondait pas. Qu'il était le second numéro d'urgence à contacter en cas de problème.
Des larmes roulèrent le long des joues de Peter. Ses yeux rouges brillaient et débordaient.
Et Tony paniqua sans le montrer. Jamais il ne l'avait vu aussi mal, aussi bas.
Peter souriait tout le temps. Il était un véritable rayon de soleil.
Mais assis, là, pâle, les lèvres tremblantes...
Il avait l'air brisé.
- Peter, il faut que tu me parles, insista-t-il doucement, peinant à garder une voix stable tant la vision qui s'offrait à lui lui brisait le cœur. Je – je peux rien arranger si tu ne m'expliques pas ce qui se passe –
Et puis, il tourna les yeux vers lui. Fusilla son regard. Et son cœur tomba dans sa poitrine à la vue de cette souffrance qu'il lisait dans ses beaux yeux torturés.
- Peter – tu peux me faire confiance. Je te le promets. Tu peux tout me dire.
Alors il céda.
C'était trop lourd pour ses épaules fragiles.
C'était trop lourd pour lui.
*
Skip avait été son baby-sitter, quand il avait neuf ans.
May l'avait engagé, parce qu'à ce moment-là, elle faisait beaucoup d'heures à l'hôpital pour pallier aux difficultés financières qui les submergeaient. A cette époque, le jeune homme n'avait que dix-huit ans. Il faisait des études pour être éducateur. Il aimait les enfants. Il aimait travailler avec eux.
Il aimait tellement les enfants qu'il était toujours très gentil avec Peter. Il lui apprenait à faire des gâteaux pour May, qu'ils dévoraient tous les deux. Il l'aidait à faire ses devoirs. Il disait toujours qu'il était impressionné par les capacités de Peter, et c'était pour ça qu'il avait commencé à l'appeler Einstein.
Il aimait tellement les enfants.
Ils jouaient beaucoup, ensemble, après avoir fait les devoirs. Ils créaient des histoires passionnantes avec ses figurines des Avengers, et Skip le laissait toujours faire Iron Man. Alors Peter était aux anges. D'autres fois, ils jouaient avec ses nombreuses peluches en forme d'animaux en tous genres, ou s'attablaient juste pour dessiner.
Et c'était comme ça qu'il avait endormi sa confiance.
Peter l'appréciait tellement, il était tellement naïf, innocent, joyeux, qu'il lui vouait un véritable culte. Il buvait littéralement toutes ses paroles.
C'est pour ça qu'il ne s'était pas posé de questions quand il l'avait touché, la première fois.
Skip savait ce qu'il faisait. Il était grand. Peter lui faisait confiance.
Il lui avait montré un magazine peuplé d'images étranges d'hommes et de femmes nus, et Peter avait trouvé ça bizarre, mais il n'avait rien dit. Skip savait ce qu'il faisait.
Il n'avait rien dit non plus quand son regard avait changé et qu'il lui avait demandé s'il avait déjà vu des images comme ça. Il n'avait rien dit quand ses mains s'étaient posées sur lui. Ni même quand elles étaient remontées sur ses cuisses.
Il n'avait rien dit non plus quand Skip lui avait dit qu'ils devraient enlever leurs vêtements, tous les deux. Il n'avait rien dit quand il l'avait obligé à enlever le seul qui lui restait.
- Je ne veux pas faire ça, Skip, avait-il fini par murmurer quand il avait compris qu'il y avait quelque chose de bizarre dans tout ça.
Mais Skip n'avait pas écouté.
Et Peter avait pleuré, alors il l'avait frappé. Fort. Et ça avait laissé une marque sombre sur sa peau.
Rappelle-toi ce qu'on a dit, Einstein. Je sais ce que je fais, d'accord ? Tante May a dit que tu devais m'obéir en toutes circonstances, sinon tu seras puni et je lui dirai comme tu m'as désobéi. Tu veux être puni, Peter ?
Alors Peter n'avait rien dit.
Il avait juste subi.
C'était un 15 Octobre.
Et puis, ça avait continué. Et Skip ne demandait plus la permission, désormais. Et Peter ne disait plus rien, au risque de recevoir les coups et d'inquiéter May.
La seule chose qu'il savait, c'est qu'il détestait Skip, maintenant. Qu'il ne voulait pas qu'il le touche. Qu'il savait que c'était mal et qu'ils ne devaient pas faire ça.
Et Skip le touchait quand même. Tout le temps. Et ses doigts laissaient des traînées de feu sur sa peau. Le brûlant à vif.
Le marquant au fer rouge.
*
- Ça a duré treize jours, finit Peter d'une voix enrouée et étranglée de sanglots, les yeux dégoulinants et fixés sur ses doigts qui s'entremêlaient nerveusement, résistant à l'envie mortifère de frotter son cou jusqu'au sang. Jusqu'à ce que je le dise à May.
Assis près de lui, Tony ferma les yeux et prit une inspiration tremblante.
Et Peter n'était pas sûr, mais il avait cru le voir pleurer. Il entendait sa respiration heurtée. Peut-être parce que Tony avait Morgan, et qu'il imaginait. Peut-être.
Quand il rouvrit les yeux pour les poser sur Peter, ses deux mains jointes devant sa bouche comme pour faire une prière, des larmes y brillaient à l'intérieur.
- Est-ce... est-ce que je peux te prendre dans mes bras, Peter ? demanda-t-il doucement.
Il avait tellement l'air d'en avoir besoin que Peter hocha la tête, sa gorge pleine de brisures de verres. Alors, lentement, Tony s'approcha et entoura son corps de ses bras. Comme pour le protéger.
Il pouvait sentir sa chaleur. Son odeur particulière d'huile de moteur et de musc. Il sentait l'eau qui glissait de ses joues jusque dans le cou de Peter. Il sentait les tremblements de sa poitrine.
Et Peter tremblait avec lui.
*
Quand Tony apprit ce qui s'était passé au lycée, il entra dans une colère noire.
Il ne dit rien pour ne pas inquiéter Peter, et se contenta de faire venir May à la Tour pour qu'elle s'occupe de lui, le temps qu'il « règle certaines choses ».
Le lendemain, Skip fut arrêté et jugé.
Et Peter n'entendit plus parler de lui.
Le chemin de la guérison serait assurément long. Des années après, il y avait encore ces insectes qui poussaient sous sa peau, et ces cauchemars qui le réveillaient en hurlant.
Mais Tony était là. May aussi.
Et un jour il irait mieux. Un jour il serait complètement remis.
**
Petites notes :
- j'ai oublié de l'insérer dans l'OS et ça aurait été sans doute mieux, mais si Skip n'a pas été condamné la première fois c'est parce que ses parents avaient de l'argent et ont étouffé l'affaire, malgré les plaintes et l'acharnement de May.
- Skip existe vraiment dans l'univers Marvel et même si ce n'est pas clairement exprimé, on suppose qu'il a fait des attouchements à Peter quand il était petit. Ils étaient amis, il lui a montré des images pornographiques. Mais quand Peter le raconte il n'entre pas dans les détails, c'est juste suggéré...
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