Chapitre 1

>> Believer, Imagine Dragons. 


Avril




Parfois, quand je regarde le ciel, j'imagine une autre vie. J'espère peut-être qu'en fermant les yeux, je les rouvrirais dans un autre corps. Je serais une autre personne avec une toute autre existence.

Une existence où je ne serais pas collée contre un mur, poussée par la foule d'étudiants dans un si petit couloir. C'est le dernier jour de cours, après avoir passé tous les examens de mi-semestre, les gens sont excités comme des puces, comme s'ils avaient perdu toute retenue. Il fait une chaleur étouffante, et je sens la sueur me perler le front. Je l'essuie d'un geste rapide en respirant fort. Un mec me plaque contre le mur en passant, et je râle. Il peut pas faire attention cet abruti. Je suis encore des yeux sa chevelure noire en fronçant les sourcils, quand j'entends une voix qui s'élève dans le couloir.

- Sun, qu'est-ce que tu fous ? T'es aussi lente qu'un escargot !

Je me dresse sur la pointe des pieds pour voir mon meilleur ami, à quelques mètres de moi, englouti par la foule lui aussi. Je me mords la lèvre pour retenir un sourire quand je le vois s'impatienter et pousser quelques personnes pour venir jusqu'à moi. Il plante son regard sombre dans le mien en m'attrapant la main.

- Tu te laisses vraiment bouffer par les moutons, toi !

Je lui tire la langue pour toute réponse.

- Gamine, dit-il en levant les yeux au ciel.

- Gnagnagnagna !

Il secoue la tête en soupirant.

- Tu me désespères, Sun.

- Moi aussi je t'aime, Kellan.

Sur cette déclaration, il me tire derrière lui pour qu'on atteigne enfin notre salle de classe. Pendant notre ascension, je ne manque pas de remarquer les regards qui se posent sur Kellan. Il ne porte qu'un simple tee-shirt aujourd'hui, ce qui laisse libre accès aux yeux des plus curieux sur ses nombreux tatouages. Mais il feigne l'ignorance. Ce qui me fait particulièrement sourire. Kellan est atypique, c'est un véritable artiste, et tous les deux nous formons un duo des plus soudés depuis l'an dernier. On s'est rencontré à un festival artistique organisé par l'université juste avant la rentrée. Ma mère y était présente pour exposer ses toiles. J'avais même osé y glisser quelques un de mes tableaux. J'étais en train de me balader entre les stands quand l'un d'entre eux, consacré aux tatouages a attiré mon attention. Il y avait cet homme, couvert de dessins, de mots, qui maniait l'aiguille comme personne. Il était en train de tatouer un aigle sur l'épaule d'un mec déjà bien recouvert quand je me suis approchée.

J'ai regardé attentivement toutes les photos posées sur la grande table et suspendues sur un fil témoignant de son travail. C'était beau, surprenant, captivant. Pour quelqu'un qui aimait l'art sur toile, le découvrir à même la peau était fascinant. Je me suis arrêtée sur une photo bien précise. J'étais comme hypnotisée par cet attrape-rêves.

« Il te plaît ? »

Ce sont les premiers mots que ce garçon qui allait devenir mon meilleur ami m'adressait. Je ne l'avais pas remarqué, assis sur une chaise, le pied droit nonchalamment posé sur son genoux gauche. Lui aussi possédait pas mal de tatouages, ce qui était intriguant pour un garçon qui ne paraissait pas plus vieux que moi.

« Oui, beaucoup. »

On a beaucoup discuté après ça. Tout d'abord de tatouages, puis de nos études. C'est alors qu'on s'est aperçu qu'on allait suivre le même cursus. L'étude et la pratique de l'art. Il y avait quelque chose chez lui qui m'a tout de suite interpellé. La façon dont il parlait avec passion, son regard parfois fuyant comme s'il ne voulait pas qu'on ait un accès direct sur son âme, il me paraissait plein de mystères. Et ça m'a intrigué, parce que j'avais le sentiment qu'on se ressemblait un peu. Mais surtout, ce qui m'a tout de suite plu, c'est son authenticité. Il n'y en avait pas un autre comme lui.

Kellan est Canadien, mais il n'a pas hésité à faire le déplacement en Californie pour avoir un nouvel horizon pendant ses études. Il aimerait travailler dans le tatouage, tout comme son père. Et moi, dans la peinture, comme ma mère. On aurait très bien pu arrêter notre scolarité après tout, apprendre sur le tas. Seulement, nous avons un point commun : nos parents nous ayant poussé à obtenir au moins un diplôme. Malheureusement nous avons également constaté une autre similitude dans nos vies respectives, nous vivons avec un seul de nos parents.

Je vis seule avec ma mère depuis le décès de mon père quand j'avais deux ans. Il est mort lors d'une mission militaire, dans un crache d'avion. Événement qui a bouleversé nos vies, à toutes les deux. Chez moi, il y a un tiroir où sont soigneusement rangées des photos de lui, et chaque fois que je l'ouvre, c'est comme si je tombais sur mon portrait. Les mêmes yeux clairs, la même chevelure blonde quand je ne me teins pas les cheveux, même mes traits ressemblent aux siens, mais plus doux. On parle très peu de lui, comme si l'évoquer rouvrirait des plaies qui n'ont toujours pas cicatrisé. Mais quand ma mère me raconte sa vie avec lui bien avant que je naisse, c'est comme si à travers ses yeux, je voyais le film de leur existence. Et c'est toujours un moment suspendu dans le temps.

Quant à Kellan, sa mère a fait ses valises quand il avait six ans. Six petites années. Elle est partie en claquant la porte, sans un au-revoir. Une histoire qui me fait toujours grincer des dents quand j'y repense. Mon meilleur ami parle très peu de ses tourments, et je peux le comprendre, partager nos ressentis les plus profonds est ce qu'il y a de plus difficile dans ce monde qui crie un peu trop.

Beaucoup de gens croient au destin, comme si tout ce qui nous arrivait nous était attribué bien avant notre naissance. Je rejette cette théorie. Je refuse de croire qu'une force supérieure avec un sale stylo sacré s'amuse à nous contrôler. Et je refuse de croire que toutes les conneries qui nous sont arrivées dans nos vies respectives nous aient été prédestinées. Alors quoiqu'on fasse avec Kellan à présent, ça ira. Parce que nous seuls contrôlons nos vies, et non des ficelles enroulées autour de nos poignets et chevilles. Oui, ça ira.

Kellan vit dans un petit appart' sur le campus, mais passe la plupart de son temps fourré chez moi. Au plus grand bonheur de ma mère qui l'adore. Moi aussi, je l'adore.Tellement. C'est un véritable pilier dans ma vie. Il fait tellement pour moi... Nous avons tous les deux nos failles dû à notre passé, et je crois qu'avec lui, j'ai réussi à panser certaines blessures. Je pense qu'ensemble, on se sent plus fort. Je n'ai pas fait que des bonnes rencontres dans ma vie, et mon amitié avec lui est un véritable rayon de soleil. Un vrai trésor. Parfois, je me demande ce que je ferais sans lui...

Nous arrivons devant l'amphi, et à peine Kellan a jeté un coup d'œil à l'intérieur, qu'il lève les yeux au ciel en voyant le professeur déjà installé. Les sièges sont presque tous pris, alors nous nous dirigeons vers le premier rang.

- Monsieur Lively quel plaisir de vous voir au premier rang !

Kellan sourit faussement au professeur. Depuis le début du semestre, Monsieur Davis l'a pris en grippe à cause de son caractère fort. A croire que l'honnêteté de mon meilleur ami face à son tableau préféré l'ait quelque peu chiffonné. En même temps, le qualifier de « tableau pour pecnot »...

Le cours commence, et j'écoute d'une oreille distraite. C'est le dernier cours avant la pause pédagogique, et je n'ai pas particulièrement envie de faire des efforts. Quant à Kellan, même si nous sommes juste sous le nez du professeur, il ne se gêne pas pour regarder sa série favorite sur son ordinateur portable. Je jette un œil à l'horloge murale et constate avec frustration que cela ne fait que dix minutes que le cours a commencé. Soudain, la porte derrière le bureau s'ouvre. Je fronce les sourcils quand je vois le garçon qui m'a poussée dans le couloir faire son entrée. Monsieur Davis le fusille du regard, non seulement pour son retard, mais aussi parce que cette porte est réservée aux enseignants. D'ailleurs, je n'ai jamais vu ce garçon à un de mes cours, de tout le semestre. Ou alors, je n'ai vraiment pas fait attention à lui. Sauf que, je fais attention à tout le monde. Alors je peux dire que ce gars là, ne fait pas partie de ma promo. Curieuse, je me redresse sur mes coudes pour l'observer s'excuser. Alors qu'il passe devant moi pour atteindre les escaliers, j'en profite pour le détailler. Il n'est pas très grand, et sa silhouette n'est pas imposante. Mais son regard clair est perçant, et je me surprends à imaginer ses traits sur une toile. Ses cheveux foncés, en bataille, lui tombent sur le visage, et lorsqu'il les replace sur son front avec sa main, son regard croise le mien une fraction de seconde. Je détourne aussitôt la tête, et par dessus la voix du professeur, je parviens à entendre ses pas qui se dirigent vers le milieu de l'amphithéâtre. Je risque un coup d'œil. Il est en train de s'asseoir entre deux élèves. Il ne sort pas ses affaires. Il se contente juste de poser les coudes sur la table, et d'écouter. Je retourne mon attention vers mon cahier, où je suis en train de dessiner machinalement des feuilles de lierres, en notant des informations, ça et là. Lorsque je jette un œil à l'écran de Kellan, j'y vois des démons se faisant tirer dessus. Je me penche vers lui.

- Tu le connais ce garçon ? je chuchote.

Kellan pose son regard sur moi. 

- Celui qui vient de rentrer ?

Je hoche la tête.

- Non, pas personnellement, mais je l'ai déjà croisé dans les couloirs.

- Donc, il est pas dans notre promo ? je demande en haussant un sourcil. 

- J'en sais rien, Sherlock, dit-il en retournant vers son écran. 

Je tourne à nouveau la tête vers le fond de l'amphi, certains élèves derrière moi me fixent d'un air las, comme si c'était eux que je regardais. Quand je retrouve des yeux l'inconnu, je constate qu'à présent, il a la tête entre les bras. Je lève les yeux au ciel en me réinstallant correctement. Encore un qui cherchait un lieu pour faire sa sieste.

Une heure plus tard, la matinée est enfin finie, tout comme la première période du semestre pour Kellan et moi. Nous sortons de la salle comme au ralenti, sonnés par les paroles de Monsieur Davis. Il est un peu plus de midi quand nous passons les portes coulissantes de la cafétéria. J'entends déjà Kellan râler parce qu'il y a beaucoup de monde. Je lui donne un coup de coude en riant. Il passe une main dans ses cheveux en roulant des yeux et me pousse légèrement pour que je rentre dans la file d'attente. Une fois mon plateau en main, je me place devant les entrées et je n'hésite pas une seule seconde devant un bol de betteraves coupées en dés. Pour le dessert, je ferme comme d'habitude les yeux sur les nombreux beignets et crèmes dessert à gogo pour choisir une pomme verte. Puis, je continue de faire glisser mon plateau pour poursuivre mon chemin vers les plats principaux. Je balade mon regard sur ce qu'on me propose aujourd'hui, et étant végétarienne, je ne fais pas attention au plat de viande. Mon regard se pose quelques instants sur le baque contenant des pâtes au beurre. Je sens comme une montée de stress se propulser dans mes veines quand je vois des gouttes de gras glisser sur les féculents. Je n'arrête pas de fixer les pâtes jusqu'à ce que Kellan me donne un léger coup de coude. Je redresse alors la tête et croise le regard de la cantinière. Je secoue la tête en riant et elle me sourit face à mon moment d'égarement.

- Je vais prendre des brocolis, s'il vous plaît, je demande poliment. 

- C'est tout ? s'étonne-t-elle. Des pâtes, peut-être ? 

Je me pince les lèvres, et expire doucement.

- Oui, aussi, s'il vous plaît, je dis, beaucoup moins détendue qu'auparavant. 

- Pas de viande ? 

- Non, ça ira, merci.

Elle me tend mon assiette, et lorsque je la dépose sur mon plateau, je ne peux m'empêcher de jeter un œil aux pâtes luisantes. Mon ventre se serre un peu, mais je prends une grande inspiration et oublie un instant tout ce beurre. Ça ne me fera rien, Sun détends toi.

Je me dirige vers une table libre, suivie de près par Kellan. Nous posons nos plateaux, et nous installons. Comme d'habitude, j'exerce ma petite routine. Je me lave les mains avec du gel désinfectant, vérifie mes messages, comme pour retarder le moment où je commencerais à déjeuner. Je sens le regard de Kellan me guetter alors que sa fourchette fait déjà des allé-retours de son assiette à sa bouche. Je m'attache les cheveux, et au moment où je vérifie ma coiffure dans le reflet de mon portable, mon meilleur ami soupire.

- Sunlight.

Je rive mes yeux vers lui. C'est rare quand il emploie mon prénom en entier. Il montre mon plateau de sa fourchette.

- Tu vas finir par manger froid.

Comme une petite fille, j'avance ma chaise plus près de la table, et docilement je m'apprête à manger mon entrée. Les dés de betteraves s'enfilent sur les dents de ma fourchette et j'en avale une bouchée. Je m'en vais recommencer ce geste quand j'aperçois de grosses gouttelettes d'huile au fond de la verrine. Je soupire. Qu'est-ce qu'ils ont à mettre autant de gras partout ? Ça ballonne le ventre, bordel. Du bout de mon couvert, j'attrape les morceaux de betteraves un par un et les essuie sur le rebord en verre.

- Tu as un problème avec la vinaigrette ?

La voix de Kellan me fait sursauter comme si j'étais en train de commettre un délit la seconde d'avant. Je relève la tête vers lui, les joues en feu. Il a un sourcil haussé et attend ma réponse. 

- Il doit y avoir trop de vinaigre, ça me pique un peu trop la langue, je dis précipitamment. 

Je ne sais pas pourquoi je mens. Peut-être parce que je ne veux pas qu'il se moque de moi si je lui dis que c'est trop gras. Je suis ravie quand il entame une conversation sur les jours à venir. Il me raconte ce qu'il a prévu pendant les deux semaines de vacances, à commencer par rentrer au Canada. J'ai une petite boule à l'idée qu'on ne se verra pas pendant quinze jours, mes jours de repos me semblent moins joyeux tout à coup sans lui. Au bout de quelques minutes, je passe au plat principal. Je mange tranquillement mes brocolis en écoutant attentivement Kellan. Une fois mes légumes finis, je joue avec mes pâtes, ne sachant quoi en faire. Toutes ces tâches de beurre me donnent la nausée. Je ne devrais pas faire la difficile et avaler, mais quelque chose me bloque totalement. J'en mange quelques unes pour avoir bonne conscience mais m'arrête là. En face de moi, Kellan fronce les sourcils.

- Tu manges pas tes pâtes ?

Je nie de la tête en disant que je n'ai plus très faim. Je lui en propose alors, et il accepte de finir mon assiette. Tandis que je mange ma pomme, je sens son regard posé sur moi. Il a l'air contrarié.

- Qu'est-ce qu'il y a ? je demande.

- Ça va en ce moment toi ? 

- Oui, ça va. Pourquoi ?

Il me fixe encore quelques instants, comme s'il cherchait des réponses à ses questions sur mon visage. Il finit par baisser la tête vers son plat, en secouant la tête.

- Rien, comme ça.

Je mâche mon fruit en le détaillant. Ses réactions sont étranges ce midi. Je ne détache pas mon regard de lui, comme si je me préparais à répondre à d'autres éventuelles questions. Finalement, comme elles ne viennent pas, je cligne plusieurs fois des paupières pour chasser mes pensées. Puis, je plaque ma paume contre le bois de la table et le relance sur le sujet des vacances.

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Hello ! Comment allez-vous ? 

Ce premier chapitre vous a plu ? 

Que pensez vous de Sun ? 

Que pensez vous de Kellan ? 

Des suppositions quant à l'évolution de l'histoire ? 

Serez vous présent.e.s dimanche prochain pour le chapitre 2 ? 

Des bisous et à la semaine prochaine <3

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