Chapitre 44
/!\ Le chapitre qui suit contient une scène à caractère sexuel. Ceux qu'un tel contenu dérangerait peuvent poursuivre avec le chapitre 45 sans que ça impacte la compréhension.
Halev avait été assiégée.
Lyssandre avait accueilli la nouvelle sans frémir, sans manifester la plus petite émotion. Chacun de ses pas avait été analysé, les sangs-neufs savaient se montrer aussi exigeants que la première faction nobiliaire. Le roi avait donc lutté pour ne pas trahir l'accès de panique qui l'avait saisi. Il se permettrait un jour d'épouser cette sensibilité, cette âme sans cesse à fleur de peau, mais pour l'heure, il ne pouvait pas.
Pour l'heure, la force se résumait à l'impassibilité. Lyssandre avait longtemps pensé ainsi. Désormais, il savait que la force ne se mesurait pas à une stature de guerrier, mais à ce que renfermait cet écrin.
Et Lyssandre avait été aussi faible qu'il se savait fort. Peut-être pas suffisamment pour affronter ce qui l'attendait, mais assez tout de même pour ne pas fuir à toutes jambes.
Les dernières heures comptaient parmi les plus harassantes qu'il n'avait jamais vécues. Il avait observé le peuple prendre les armes, organiser des tours de gardes aux extrémités de la ville et se poster aux pieds de l'Episkapal. Cette solidarité, ou plutôt cet esprit d'union, d'appartenance tel que Loajess n'en avait jamais connu, avait ôté le souffle du roi. Il avait assisté à ce manège, un peu incrédule. Incrédule face à ce curieux mélange de nobles et de roturiers, d'habitants d'Halev qui mettaient du cœur à l'ouvrage. Ils étaient prêts, disaient-ils, à tenir autant de temps qu'il le faudrait. Des jours entiers, des semaines peut-être même. Les spécialistes de la question, réquisitionnés au service du jeune roi, avaient affirmé que la capitale tiendrait deux mois, trois en se rationnant. L'hiver était bien installé et la période était déjà rude.
Lyssandre avait acquiescé sans un commentaire. Il n'avait pas l'intention de s'éterniser. En fait, il ne le pouvait pas. Halev n'était qu'un passage de son périple, une sorte de revanche, mais aussi une reconquête. Sa venue signifiait bien plus qu'il ne saurait l'admettre. Pourtant, il ne pouvait pas se permettre de rester bien longtemps. Le deuxième cœur de Loajess l'attendait, un peu plus loin.
La situation était stable, lorsque le soleil se coucha. Aucune offensive à l'horizon, seulement les campements de l'armée d'Amaury qui s'organisait. Une armée réduite, car le roi n'avait pas commis l'erreur de désarmer son palais. L'inverse aurait grandement étonné Lyssandre.
Ce dernier faisait les cent pas dans la chambre qu'il occupait, au cœur de l'Episkapal, surveillée comme le serait une forteresse. La nuit était avancée, les détails pratiques qui avaient permis l'organisation de la défense d'Halev s'étaient éternisés bien après la tombée du jour, mais Lyssandre ne trouvait pas le sommeil. Cassien lui avait promis de passer par ses quartiers afin d'échanger les dernières informations récoltées auprès des nouveaux alliés de son roi. Il était en retard. Ce n'était pas dans ses habitudes, mais surtout, le moment était mal avisé pour disparaître. Si les seigneurs rassemblés par Amaury avaient été maîtrisés sans mal, si la plus grande prudence était appliquée, les risques persistaient, tenaces. Il y avait forcément, à Halev, des partisans du prince oublié, du félon.
Lyssandre se tordait les doigts, s'attaquaient à l'intérieur de sa bouche qu'il maltraitait de ses dents, marchait, et marchait encore.
Il se retourna si vite lorsque deux coups résonnèrent contre le battant de la porte que sa nuque protesta douloureusement.
— Entrez ! lança-t-il, avec un peu trop d'empressement.
Cassien apparut.
Cassien et personne d'autre. Le soulagement s'étira dans le corps de Lyssandre qui ne fit aucun effort pour feindre l'impassibilité.
— Vous êtes là.
— Vous m'aviez demandé de venir, se justifia Cassien, avec son habituelle raideur.
Pas de sourire, bien entendu, pas même de geste qui laisserait sous-entendre l'affection. Lyssandre sourcilla, quelque peu refroidi. Le chevalier n'était pas quelqu'un de démonstratif, c'était peu dire, mais lorsqu'ils s'entretenaient en privé, le roi distinguait une légère différence. Subtile, certes, mais Lyssandre ressentait ce soir-là toujours le voile, la distance qu'ils s'imposaient en public, et cela le blessa. Il ne prit pas cette impression pour un défaut d'interprétation, mais pour certitudes. Il avait appris à lire les signaux imperceptibles, à les aimer plus que quoi que ce soit d'autre.
Pourquoi Cassien se sentait-il incapable de se délier du rôle qu'il s'était lui-même imposé ? La distinction entre les deux figures, celle du chevalier et celle de l'homme, était-elle si fine que les deux faces se mêlaient ou Cassien avait-il oublié, au détour d'un ordre, de l'intransigeance qu'il s'infligeait à lui-même plus qu'à quiconque, comment être un homme ?
— Quels sont les nouvelles ? l'interrogea Lyssandre.
Il avait appris à ne pas se montrer trop direct, à ne surtout jamais attaquer de front, et à préférer une approche qui masquerait ses intérêts. Si Cassien souhaitait s'en tenir à son rôle pour l'heure, si cela le rassurait, Lyssandre s'y plierait.
— Les soldats d'Amaury se concentrent essentiellement à l'Est, comme vous pouvez-vous en douter. Votre départ devra s'opérer au Nord, c'est la décision la plus sûre. Toujours au sujet de votre évasion, les détails ont été précisés, il ne vous reste plus qu'à les confirmer.
— Quand aurait-elle lieu ?
— Tout dépend de vous, Sire. Plus nous attendons, plus nous laissons à Amaury l'opportunité d'organiser une défense qu'il nous faudra ensuite percer. D'un autre côté, si nous patientons, nous pourrons offrir à Halev une défense mieux organisée ainsi qu'une offensive plus réfléchie.
Cassien répétait ce qu'il avait entendu et interprété, sans y intégrer son opinion, sans même influencer ses paroles d'une position qui lui serait propre.
— Et vous, que me conseillez-vous ?
— Le général a...
— Non, pas le général, pas non plus le pâtissier, Cassien, mais vous. J'aimerais votre opinion.
Curieusement, la réponse tarda à venir. Un peu plus qu'à l'ordinaire, car le chevalier était économe de ses phrases, de ses interventions, comme de son temps.
— Je pense qu'il vous faudrait partir le plus tôt possible, Sire, répondit-il, d'un ton égal.
Comme s'il se moquait, au fond, de la décision que prendrait le roi.
Lyssandre réalisa qu'il s'agissait là de la position du chevalier, non de celle de Cassien. C'était bel et bien le chevalier qui se moquait de la décision du roi, qui s'y plierait quoi qu'il arrive.
— Est-ce tout ?
Lyssandre leva ses yeux vers Cassien. Il n'y trouva aucune chaleur, aucun réconfort, et la réponse resta coincer dans sa gorge. Il lui fallut tout le courage dont il était encore capable pour articuler, alors que le chevalier s'apprêtait à quitter la pièce :
— Avez-vous peur, chevalier ?
Les épaules de Cassien étaient plus raides que jamais. C'était à se demander par quel miracle il était capable de se mouvoir avec une telle adresse lorsqu'il lui fallait combattre. Lorsque Lyssandre observait cet assemblage de muscles et de rigueur, il se disait que cela tenait de la prouesse. De la plus inexplicable des prouesses.
— Moi, j'ai peur.
Lyssandre prit une inspiration. Cassien ne s'était pas retourné et il n'en remerciait. Son regard intransigeant aurait été plus difficile à supporter que tous ceux de la foule sur lui.
— Tout se déroule sans réel accroc. Rien n'échappe véritablement à ce que j'avais prévu. Je sais pourtant de source sûre que cela ne laisse rien augurer de bon.
Lyssandre considérait cette première réussite comme le calme qui précédait la tempête et son instinct lui criait que cette tempête-là serait la pire qu'il n'avait jamais connue.
Celle qui soulèverait le cortège d'oiseaux jusqu'à raviver la mémoire d'une princesse oubliée.
— J'ai attendu durant des mois d'agir enfin, mais à présent que nous y sommes, je n'ai plus le temps de reprendre mon souffle. Ce gouffre sous mes pieds, il est tout ce que je ne connais pas, tout ce que je refuserais d'affronter si je ne le faisais pas pour un autre.
— Loajess vous suivra si vous sauter en premier, acquiesça Cassien, d'une voix grave.
— Et vous ? Me suivrez-vous, même si ce gouffre ne cache que ce qu'il m'inspire, la chute ?
— Moi aussi, j'ai peur.
Lyssandre esquissa un pas. Il ne saurait dire si le poids dans son estomac s'était solidifié ou s'il s'était soudainement allégé. Surpris par le désir d'interroger Cassien, il se fit violence pour laisser le silence s'écouler et faire son œuvre. Lorsque le chevalier, sans doute peu indisposé par le silence qu'il aimait cultiver, reprit la parole, Lyssandre ne s'y attendait plus.
— Je me sens comme la veille d'une bataille et que l'arme qui pèse entre mes mains n'est ni une possibilité ni un choix.
Voilà à quoi se résumait cette guerre aux yeux de Cassien : une obligation qu'il imputait à la volonté de son roi.
— Sauf que cette arme, c'est moi qui l'ai prise. La seule chose que je ne maîtrise pas, c'est le destin, et il me semble plus indocile que jamais.
— Que craignez-vous ? Le destin ?
Cassien se retourna et posa son regard pâle sur Lyssandre sans un mot. Au terme d'un très long silence, il consentit tout de même à lâcher, comme s'il n'avait pas entendu la question :
— Vous devriez vous reposer.
— Êtes-vous attendu ailleurs ? s'enquit Lyssandre, en se faisant violence pour ne pas teinter ces paroles d'une inflexion trop prononcée.
Cassien arqua un sourcil et sa figure se déplia. Les ombres s'estompèrent, ou se multiplièrent, Lyssandre ne saurait dire.
— Non.
— Est-ce que...
Lyssandre déglutit. Le regard de Cassien s'était refermé sur lui comme les crocs d'un prédateur et il avait l'impression de suffoquer.
— Ne pourriez-vous pas rester ?
— Vous ne me l'avez pas demandé.
— Vous n'aviez pas l'air d'en avoir envie.
— Et de quoi ai-je l'air ?
Cette question prit Lyssandre de court. Cassien s'appliquait toujours à écarter sa personne des discussions. Pourtant, il y avait une curiosité derrière l'interrogation. Ou pas précisément de la curiosité, mais au moins de l'intérêt, ou presque une mise au défi.
Il défiait Lyssandre de trouver une réponse qui saurait le convaincre.
— Vous n'avez pas la réponse, traduisit Lyssandre, c'est pourquoi vous me poser la question.
Ce n'était pas un piège, mais quelque chose de plus profond. Derrière le « de quoi ai-je l'air ? », il y avait une part de « qui suis-je ? ».
— Cessez de m'appeler Sire, cessez de me traiter en roi, et je pourrais vous répondre.
Lyssandre aurait juré que la respiration de Cassien s'était suspendue. Avec autant de précautions qu'il l'avait approché pour la première fois, le jeune homme s'avança, pas à pas. Il sentait sa propre peur se résorber. Ce soir, il avait besoin du contact de l'humain, et Cassien aussi. Lyssandre se tint à un souffle de son amant, à un murmure de son visage, et s'immobilisa. Il s'immobilisa jusqu'à ce que Cassien ait cessé de l'observer, de parcourir de son regard les contours parfaits de son visage.
— Vous m'avez pardonné, constata-t-il, d'un ton navré.
— Je ne comprends pas.
Cassien s'éclaircit la voix et précisa :
— Vous m'avez pardonné ma trahison.
— Vous avez fait ce que vous pensiez juste
— J'ai fait erreur.
— Moi aussi, je vous ai trahi, en me rendant à Halev alors que vous dormiez, rappelez-vous.
Les lèvres de Cassien tiquèrent. Il semblait agacé et même un peu plus que cela. Il n'avait pas envie de se chercher des excuses, de se convaincre qu'il n'aurait pas pu mieux faire. Cela le distinguait déjà du commun des mortels, mais sa prétention à la culpabilité, son refus du pardon, dénotaient encore davantage.
— Je ne pense pas être celui qui vous en veut le plus, Cassien.
L'intéressé cligna des yeux et la main de Lyssandre remonta le long de son cou jusqu'à se loger derrière sa nuque. Il s'humecta les lèvres et s'apprêtait à reprendre lorsque Cassien le devança :
— J'aimerais que vous n'ayez plus peur.
— Vous me distrayez déjà d'elle, c'est plus que ce que ne pouvait espérer.
Lyssandre sourit. Un sourire un peu triste. Il renonça à l'idée de changer de sujet et d'empêcher Cassien de faire distraction avec une absence quasi-totale de subtilité. Le chevalier avait toujours préféré l'ombre et, jusqu'à présent, il ne s'en était jamais plaint. Et si les ombres avaient fini par mêler les deux visages de Cassien, ou de le figer dans l'un d'eux. Cette dualité attristait Lyssandre, mais il renonça à appliquer quelques mots sur cette plaie ouverte. S'il ne parviendrait pas à dépouiller Cassien de ce qui l'obsédait tant, toutes ces choses qui possédaient un point de naissance, la guerre, Lyssandre trouverait une autre manière.
— Et, si cela se passe mal, je sais que je pourrais compter sur vous.
Le sourire de Lyssandre vacilla lorsqu'il ajouta, plus sincèrement que sa plaisanterie aurait dû l'être :
— Vous cueillerez un lys au Ciamon pour moi et nous serons quittes.
La main libre de Lyssandre remonta à son tour le jeu des veines et des muscles sous la peau bruinée par le soleil pour épouser le contour abrupt des joues. Le bout de ses doigts se posa contre sa tempe qu'il frictionna. Une caresse qui remonta jusqu'aux cheveux bruns, plus longs, de Cassien, et qui redescendit comme s'il désirait modeler sa figure. L'autre main se délogea de la nuque pour envelopper le visage du chevalier.
— N'ayez pas peur.
Lyssandre ignora l'ombre qui imprégnait ses paroles. Celle-ci se perdit, dévorée par les lèvres de Cassien qui avaient retrouvé les siennes. Le roi se confondit entre la sensation de la bouche brûlante, d'abord un peu maladroite, puis plus assurée, des joues râpeuses de Cassien, de sa peau qui se pressait contre la sienne.
De ce nouveau souffle qu'il lui donnait.
Les doigts de Lyssandre s'emmêlèrent dans les mèches épaisses du chevalier et il les maltraita jusqu'à ce que Cassien ne cède un fragment de son contrôle. C'en devenait presque un jeu implicite, mais cette nuit, il n'était pas question de lutte, pas question non plus de maîtrise. Il n'y avait qu'eux, et l'émotion ardente qui galvanisait les sens, mettait l'âme à nu.
Lyssandre enfouit son nez dans le cou de Cassien pour y étouffer la plainte qui remonta sa gorge. Ses mains s'étaient glissées sous son vêtement et il n'aurait jamais imaginer qu'elles puissent être aussi délicates. Il n'eut pas le temps d'avoir froid, car le besoin impérieux qui se formulait enfin pressa le corps de Cassien contre le sien.
Les caresses se précisèrent et ils ne s'étaient même pas éloignés de la porte. Ni l'un ni l'autre ne fit grand état de ce détail et Lyssandre réanima le corps du chevalier de ses caresses. Il se découvrit plus audacieux qu'il ne l'avait jamais imaginé. Sa bouche embrassa la gorge de Cassien, qui sursauta sur son passage, se posa sur chaque parcelle de peau dénudée. L'ancien soldat s'était défait de ses épais habits de fonction et c'était déjà une peau de retirer.
Une peau d'arrachée, qui ne rendait que plus sensible, que plus vraie, celle que Lyssandre découvrait. Cassien n'était vêtu que d'une fine chemise en lin. Les boutons sautèrent entre les doigts du roi et l'exercice s'avéra plus difficile que prévu. Il refusa cependant l'aide que le chevalier lui offrait pour s'acharner encore un peu. Enfin, la chemise s'effondra sur le sol dans un bruit mou.
Lyssandre marqua un temps d'arrêt durant lequel il laissa le désir embraser ses reins. Il connaissait désormais son empreinte et la sensation, presque un tiraillement, qui le surprenait à chaque fois. Cassien ne simulait aucun malaise, il exposait une part de sa nudité et ne semblait embarrassé que des cicatrices qui couturaient sa peau. Certaines étaient neuves, d'autres comptaient parmi les premiers souvenirs que lui avaient laissé la guerre. Cassien n'en avait jamais rougi, mais sa peau offrait un contraste trop marquant avec celle, immaculée, nacrée, de Lyssandre.
Lorsqu'il y réfléchissait, c'était cette peau qui l'emprisonnait, cette peau qui renfermait ses souvenirs. Cette peau qu'il n'avait jamais réussi à se rapproprier.
Lyssandre approcha alors. Il commença par enserrer les hanches de Cassien de ses mains et le pantalon du chevalier tomba comme la chemise avant lui. Dans la lumière pâle de la chambre, les ombres étaient nombreuses, mais peu marquées, et il n'était pas envisageable de s'y terrer. Aussi Cassien n'esquissa-t-il pas le moindre mouvement lorsque Lyssandre entreprit de tracer le dessin des épaules de l'homme, puis ses bras et ses mains. Il remonta l'entrelac de veines qui couraient sur ses avant-bras, s'arrima à la nuque de Cassien et se hissa jusqu'à lui comme pour l'embrasser. Il souffla effectivement un baiser sur ses lèvres, mais recula dès que le chevalier s'anima à nouveau. Les gestes de Lyssandre l'avaient jusqu'alors dissuadé d'exécuter le moindre geste et il se rembrunit.
Le roi se fit plus entreprenant encore, sans autoriser Cassien à bouger. Il aurait pu s'accompagner de commentaires, mais il était presque certain que cela n'aurait pas été du goût de son amant. Ses mains s'égarèrent à la hauteur de l'aine, provocatrices, et dessinèrent des arabesques sur le haut des cuisses avant de se refermer sur le sexe roide de Cassien et de plonger dans ses yeux gris. Il lui sembla que l'acier, et les multiples tranchants dont il était piqué, s'était attendri.
Aussi brutale avait été l'initiative de Lyssandre de récupérer le contrôle qu'ils ne se disputaient plus, toute bonne résolution céda.
Le désir claqua comme un élastique sur la peau. Il ne restait que la brûlure, épaisse, comme la touffeur d'une pièce qui donne plus envie encore de se fondre l'un dans l'autre.
— Vous n'avez aucun sens de la prudence, Majesté.
Le mot sonnait comme une moquerie et Lyssandre frissonna. Il referma ses doigts autour de la hampe et soutint le regard de Cassien.
— Vous m'avez suggéré d'oublier la peur.
— Il est bien d'autres choses que j'aimerais vous faire oublier.
Lyssandre voulut l'y encourager, mais il en fut incapable. Son regard fut assez évocateur, puisque les doigts de Cassien emprisonnèrent le menton de Lyssandre pour examiner l'ombre de ses paupières, la beauté sculpturale, onirique, de son visage. Il ne put tapir plus longtemps le désir qui le noyait et le dos de Lyssandre rencontra le mur derrière lui. L'option que constituait le lit, même étroit, s'évanouit et les quelques fins couches de vêtements que le roi avait conservées rejoignirent le sol.
Les mains de Cassien, indécises, ne trouvèrent nulle part où se poser et incitèrent Lyssandre à enrouler ses jambes autour de ses hanches en saisissant l'arrière de ses cuisses. Le message était explicite, peut-être même obscène, mais les cheveux ruisselaient sur le visage du roi et la sueur qui perlait sur sa peau en faisaient un appel au moins aussi lascif. Presque aussi lascif que le mouvement de son bassin, qui l'invitait à se presser.
L'urgence arracha à Cassien un mot prononcé d'une voix rauque :
— Lyssandre ?
L'intéressé sourit. Le chevalier s'était effacé, les doutes aussi. Il pouvait sentir, contre lui, le corps de l'homme, et non l'enveloppe creuse qui faisait tant souffrir Cassien.
— Cassien.
Ce fut un assentiment aveugle et Lyssandre rejeta le visage en arrière, contre la pierre de l'Episkapal, lorsque la douleur désormais familière s'invita. Il humecta la sueur qui inondait sa lèvre supérieure et s'abandonna.
Il abandonna sa peur, il abandonna les mots pour s'offrir au langage des peaux. L'émotion nouait sa gorge et chaque plainte que Cassien avait renoncé à étouffer dans sa paume, l'honorait. Il suivit le plaisir cerner le visage de son amant, tandis que celui-ci s'appliquait à lui faire l'amour.
Le plaisir les faucha l'un plus l'autre, aussi brusquement que leur étreinte avait été vide.
Aussi violemment que l'étreinte qui suivit fut bouleversante. Pleine de précautions, d'une douceur à nulle pareille, ils prirent soin de redonner à l'autre sa peau, ce qu'il leur restait d'humains dans une entreprise qui les dépassait, et chaque émotion. Lorsque Cassien effleura de sa bouche le front de Lyssandre lorsque la volupté l'emporta, il referma ses doigts sur lui et dut retenir ses larmes.
Ces instants volés ressemblaient à des miracles.
La lumière s'éteignit et plongea la chambre dans l'ombre. Le silence y demeura longtemps avant que le roi ne se décide à le rompre.
— Cassien, appela Lyssandre, dans l'obscurité.
Aucune réponse ne lui parvint. Pourtant, il était certain que le chevalier ne s'était pas encore assoupi. La main qui recouvrait la sienne s'était durcie.
— Le garçon que vous vous répugniez de désirer... Il ne le savait peut-être pas, mais je crois qu'il vous aimait.
Le silence fut aussi interminable que le précédent. La voix de Cassien s'éleva alors, épaisse :
— Et quand est-il de l'homme ?
Lyssandre déglutit.
— L'homme aussi.
Il ajouta, alors que la main de Cassien broyait presque la sienne dans le noir, et avant de fermer les yeux :
— L'homme vous aime, Cassien.
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