Chapitre 34
/!\ Le chapitre qui suit comprend une scène qui peut choquer les plus sensibles. Y sont représentés des violences physiques et sexuelles.
Depuis son siège, Nausicaa assistait au banquet plus qu'elle n'y participait. Sa place passive de spectatrice en disait long sur ce qu'elle représentait au sein de ce mariage : une marchandise de luxe, une fortune colossale sans nom et une révoltée dangereuse. Dans ce qui n'était ni plus ni moins une transaction, la baronne était réduite à sa condition.
Amaury avait renoncé à la tuer par délicatesse ou par intérêt, qu'importait ses raisons, il lui avait sans doute imposé un sort plus terrible encore que la mort.
Nausicaa avait à peine touché à son assiette. Le marquis parlait fort, riait à gorge déployée, plaisantait avec ses invités. Grand bien lui fasse, la noble mettait un point d'honneur à l'ignorer, et tant mieux si elle l'humiliait du même geste.
— Madame de Laval.
Un frisson parcourut les bras nus de Nausicaa. Le marquis posa d'ailleurs une main possessive sur son épaule, comme on présenterait un objet dont on serait particulièrement fier. Les ongles de la jeune femme raclèrent contre la nappe.
— Auriez-vous froid ?
— Pas le moins du monde.
— Laissez-moi alors vous présenter ma famille. Ils sont venus spécialement du marquisat pour assister à notre union.
Nausicaa abaissa un regard sans chaleur sur la famille de son époux. Celui-ci n'avait pas eu la charmante idée de faire les présentations avant. Le marquis, trop occupé par ses nouvelles fonctions, avait négligé tous ses devoirs. Ce fut d'ailleurs ce que le premier Laval qui s'avança, sans doute le frère cadet de son époux, affublé de la même face fine, acérée comme le tranchant d'une lame, bien que d'apparence plus sympathique. Il dit :
— Nous rencontrons enfin celle dont notre cher frère s'est entiché. Il faut dire qu'il sait être secret quant à ses fréquentations, mais si nous avions su que vous étiez aussi splendide, nous aurions fait le déplacement plus tôt.
Il s'inclina avec déférence et cette courtoisie suintait l'hypocrisie à plein nez. Avec sa mine grave, digne d'un enterrement, Nausicaa ne pensait pas mériter le compliment qui lui avait été réservé.
— J'ai été occupé au palais, précisa le marquis, avec suffisance. Mes nouvelles fonctions me noient sous les responsabilités.
— Tu aurais presque oublié les obligations qui te retiennent sur nos terres, mon frère !
Nausicaa sursauta. Le tutoiement l'avait interpellé. Il était peu employé dans les familles de la haute noblesse et cela lui rappelait combien celle d'Eugène était jeune. S'ils tentaient de reproduire les comportements des vieilles lignées, le résultat manquait parfois de matière.
Les épaules de Laval s'étaient tendues et Nausicaa n'en perdait pas une miette. Était-ce les paroles de son cadet qui lui déplaisaient à ce point ?
— Mon frère, permets-moi d'emprunter ton épouse quelques instants. Il faut que nous parlions, de sœur à sœur.
Un grand sourire s'étalait sur les lèvres de la jeune femme. Elle était sortie de l'ombre de son frère et sa candeur tranchait avec ce qu'inspirait Laval à quiconque avait le malheur de le connaître. Nausicaa ne se méprit cependant pas. Elle avait le sentiment que cette inconsistance n'était que de la poudre aux yeux.
Le marquis offrit à sa sœur ce qu'elle demandait, comme s'il cédait un bijou sans grande importance.
Nausicaa suivit sa sœur jusqu'à un coin plus tranquille de la salle de bal. Coincées entre une immense colonne qui soutenait la structure du palais là où les murs semblaient presque aussi fin que du papier de verre, et des rideaux qui ruisselaient jusqu'au sol en une cascade de tissus, elles se considérèrent. Du moins, la sœur de Laval prêta attention à Nausicaa après avoir effleuré la colonne du bout des doigts et avec une très nette admiration.
— Le palais est une vraie merveille.
— Il l'est davantage lorsqu'on y met les pieds pour la première fois. Après, on cesse de se bercer d'illusions.
— Vous êtes bien pessimiste.
Cette fois, la petite noble, que Nausicaa surplombait de près d'une tête, planta son regard dans celui de la jeune mariée.
— Au contraire, mademoiselle, je suis enchantée.
— Madame, la coupa la sœur de Laval. Cela nous fait déjà une chose en commun.
Le ton badin s'était dissipé et Nausicaa devait bien reconnaître qu'elle avait eu raison. Loin de l'insignifiance, elle drapait ses épines derrière une innocence feinte. Comme Laval, elle avait appris à jouer un rôle.
— Mon frère n'est pas quelqu'un de facile à cerner, j'en conviens.
Nausicaa pinça les lèvres pour retenir la bordée d'injures que cet euphémisme lui inspirait. Était-ce sa façon de décrire un homme violent et dominateur, un tyran domestique ?
— Évitez d'en faire un ennemi. Je vous le dis de sœur à sœur, prenez cela comme un conseil d'amie.
— Je crains que votre avertissement n'arrive trop tard.
— J'ai eu échos de vos... prouesses, grimaça la jeune femme, sans se démonter, ses yeux bordés de cils sombres fermement épinglés à ceux de Nausicaa. Ne gâchez pas votre vie aussi bêtement. Vous m'avez tout l'air d'une femme intelligente, alors prouvez-le, ne résistez pas à mon frère, il se fera un plaisir de rompre vos résistances jusqu'aux dernières. Je le connais mieux que quiconque, il y parviendra et votre détermination ploiera face à la sienne.
Nausicaa leva le menton et son regard se teinta d'un peu de condescendance. Loin de décourager son interlocutrice, son geste l'encouragea à poursuivre :
— Il vous reste une nuit de noces pour lui céder. Montrez-vous suffisamment convaincante, ma chère, et vous obtiendrez tout de lui. Il ne tient qu'à vous d'inverser les rôles. Les hommes sont faits ainsi, nous pouvons les tenir au creux de notre main si tel est notre désir.
— Cela comprend que nous leur soyons soumises.
— Que nous feignons de l'être. Soyez plus intelligente, pour l'amour du Ciel, tous les hommes possèdent une faille. Vous détenez le pouvoir de devenir celle de mon frère.
— Et si je refuse ? articula Nausicaa entre ses dents serrées.
— Vous ne serez pas sa faille, ni sa faiblesse, mais un objet brisé entre ses mains. Je vous l'ai dit, vous ne gagnerez pas à ce jeu. Il est plus fort que vous et il détient le droit de faire de vous ce qu'il lui plaît.
— Est-ce une raison pour ramper à ses pieds comme un insecte ?
Dans le regard sombre de la sœur de Laval, Nausicaa devina qu'elle était en train de se faire une nouvelle ennemie. Une erreur de taille, puisque la baronne avait tant besoin d'une alliée à sa portée. Ses conseils avaient beau la révolter, elle ne pouvait se permettre de s'isoler un peu plus.
— Je rentre dès demain au marquisat, lâcha la jeune femme.
Nausicaa ouvrit la bouche, non par pour s'excuser, mais pour trouver un compromis. Elle fut devancée par le ton venimeux de la puinée :
— Si vous résistez à mon frère, vous ne trouverez aucun refuge en ma demeure. Considérez-moi de fait comme votre ennemie.
Et elle tourna les talons sans accorder plus d'intention à celle qui l'avait insultée.
La réception se poursuivit et, puisque la famille de Laval avait ouvert le bal des félicitations d'une manière plutôt surprenante, les invités suivirent leur exemple. Nausicaa endura cette épreuve comme elle aurait essuyé une pluie d'insultes. Le sourire crispé qui ornait son visage satisfaisait les convives et personne ne s'inquiéta de sa pâleur cadavérique sous la couche de maquille qui n'en cachait rien.
Miriild se présenta alors, Amaury sur ses talons. C'était peu conventionnel, là encore, mais la future reine avait, semblait-il, refusé de se pendre au bras du roi. Pour cela, Nausicaa lui était reconnaissante.
— Monsieur le marquis, madame la marquise, permettez-moi de vous présenter mes félicitations.
Là où elle se contenta d'incliner la tête avec raideur devant Laval, Miriild s'approcha de la marquise pour prendre ses mains entre les siennes. Un geste de réconfort plus qu'une bénédiction. Une forme de défaite, aussi. La princesse broya les mains de Nausicaa avec une force dont cette dernière ne la savait pas dotée.
— Vous êtes un modèle de courage, lui souffla-t-elle.
Nausicaa eut l'occasion d'en douter. Au cours de la soirée, elle eut tout le loisir de sentir sa bravoure chevroter. Une chaleur intérieure, tapie à hauteur de son cœur, dont les flammes s'amenuisaient. Finalement, lorsqu'elle fut incapable d'en supporter davantage, elle se leva de son siège sans se précipiter. En pleine conversation avec un des hommes reconnus par Amaury, une fréquentation digne de ce nom, elle priait pour que Laval ne la remarque pas. Elle souhaitait s'éclipser en toute discrétion, mais le regard badin du marquis la surprit :
— Où vous échappez-vous, ma douce ?
— Je suis fatiguée, monsieur. Je souhaiterais me retirer.
— Mais bien évidemment. Vous auriez dû me prévenir plus tôt.
Nausicaa crut à une faveur de la part du marquis. Elle y crut un court instant, avant qu'il ne se lève à son tour et qu'il lui murmure :
— Soyons discrets, voulez-vous. Je ne sais pas vous, mais il me tarde de vous faire mienne.
Nausicaa crut que son estomac était retombé dans ses talons et elle tourna la tête vers les fenêtres qui escortaient la pièce aussi dignement que des soldats pour cacher le trouble qui la saisit. Elle fut forcée de suivre Laval alors qu'ils traversaient la salle de bal. Il tenta de prendre sa main, glissa ses doigts à l'intérieur du bras de sa marquise, mais celle-ci se déroba. Son sourire se crispa. Il se moquait qu'elle lui tienne tête dans l'intimité. Ce qu'il ne supportait pas, c'était qu'elle se dresse face à lui aux yeux de tous.
— Dites adieux aux regards indiscrets. Là où nous allons, vous pourrez hurler à vous en briser les cordes vocales. Personne ne volera à votre secours.
La peur enfla. Elle enfla au détour d'un couloir, d'un escalier, après le dernier regard qu'elle adressa à Miriild, à celui qu'elle imposa à Priam comme pour le blâmer. Elle en voulait à tous ceux qui l'avaient abandonnée. Son oreille recueillit les quelques commentaires dont ils firent l'objet :
— Voilà nos jeunes mariés qui s'éclipsent...
— Déjà ? La soirée est loin d'être finie.
— Ne leur en tenez pas rigueurs, l'appétit du fiancé se lit à des kilomètres.
— Tout de même, nous ne sommes pas des animaux en rut.
— Vous le croyez ? Nos penchants les plus primaux ne nous éloignent pas tant que cela des bêtes.
Le dernier commentaire acheva Nausicaa et emporta avec lui les réjouissances qui battaient leur plein :
— En voilà pour qui la nuit promet d'être courte.
Ils ignoraient encore à quel point.
Le trajet se réalisa en silence. Nausicaa avait ralenti le pas autant qu'elle l'avait pu, mais les couloirs du palais la trahissaient. Trop vite, ils se trouvèrent à proximité de la chambre nuptiale. Elle freina alors des quatre fers.
— Eh bien, madame, qu'y a-t-il ?
— Je... Je crois avoir abusé de vin, monsieur.
Laval posa son regard sur Nausicaa et lui fit face, une lueur prédatrice tapie au fond de ses yeux. La marquise eut toutes les peines du monde à articuler :
— Ne pourrions-nous pas remettre cette nuit à demain ? Je m'en voudrais terriblement de souiller vos draps de la plus honteuse des manières.
Le marquis la reluqua sans une once de pudeur. Nausicaa devinait les pensées qui l'assaillaient à mesure qu'il piquait de son regard sa chair déjà dénudée. Ses bras, sa gorge, son visage, jusqu'à s'imaginer quels secrets de son anatomie la robe masquait. Il se pencha pour glisser, à l'oreille de Nausicaa et dans la fraîcheur nocturne :
— Oh, mais j'entends bien vous voir souiller vos draps, mais pas de la manière dont vous l'envisager, chère épouse.
La défiance de Nausicaa s'envola et elle se laissa approcher sans se dérober. Le sourire de Laval s'élargit et il lui saisit le bras pour la tirer sans ménagement vers la porte située au fond du couloir, là où ils ne seraient pas dérangés. Les conseils de la sœur du marquis refirent surface. En cet instant, où la peur la muselait, Nausicaa était prête à tout pour éviter que Laval déchaîne sur elle une violence trop longtemps contenue.
— Monsieur le marquis, l'appela-t-elle.
— Eh bien, où sont passées vos belles paroles ? Je savais que vous finiriez par céder. Dois-je comprendre que vous baissez les armes, madame de Laval ?
Nausicaa s'étrangla en silence et observa une docilité qui lui fit horreur. La main de son époux captura son visage, sensiblement moins rude qu'un bref instant plus tôt.
— J'aime autant lorsque vous consentez que lorsque vous me résistez, mais ne voyez pas en moi un monstre sans scrupules. Pour vous, il est préférable que cette nuit se déroule pour le mieux. Si vous résistez, vous garderez pour longtemps les stigmates de cette nuit.
À la lueur dangereuse qui miroitait dans les yeux de Laval, Nausicaa sut qu'il ne plaisantait pas. Il la briserait, comme sa sœur l'avait mentionné, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un objet brisé dans le creux de sa main.
Nausicaa crut mourir dans le souffle du marquis. Il ne l'embrassa pas. En revanche, il planta ses dents dans la lèvre inférieure de son épouse, presque assez fort pour rompre la peau fine, et appliqua un coup de langue sur sa bouche.
— Vous êtes devenue raisonnable.
Il ne lâcha pas son poignet et l'entraîna dans la pièce que Nausicaa contempla avec mesure. L'ambiance travaillée, tout en pénombre, semblait séduisante. Le lit immense qui semblait soutenir le mur l'était tout autant dans son déluge de draps blancs. Nausicaa ne feignit pas la surprise, et pour cause, elle n'avait pas attendu le soir pour s'introduire dans la chambre et pour y découvrir ce lieu maudit.
— Déshabillez-vous.
Un ordre. La tentation d'y désobéir était au moins aussi grande que celle de s'y plier bien sagement. Nausicaa ne savait plus où se situait le courage que Miriild lui avait prêté. Y rendait-elle honneur en consentant à cet acte qui la répugnait ou en luttant de toutes ses forces ?
— Ou peut-être préférez-vous que je m'en charge ?
Laval n'attendit aucune réponse pour rejoindre son épouse. La pénombre découpait des ombres inquiétantes sur sa figure et le regard de Nausicaa fuyait l'impensable, ce qui ne saurait être empêché.
Les doigts de marquis dévalèrent la colonne vertébrale de sa femme et se délecta du frisson qui la parcourut. Il ne chercha pas à savoir s'il était dû au dégoût ou à un désir naissant. Les deux réponses l'auraient satisfait. Alors qu'il entreprenait de délacer son corset, il lui murmura :
— Êtes-vous intacte, madame de Laval ?
L'ombre d'une menace planait, Nausicaa n'était pas suffisamment sotte pour l'ignorer. Aussi se dépouilla-t-elle de son embarras pour lâcher, avec une certaine rudesse :
— Oui.
— Ne vous fâchez pas, ma douce. Je n'oublie pas que vous avez été fiancée. J'ignore cependant jusqu'où les manières du duc ont pu aller. A-t-il su se montrer... patient, ou a-t-il cédé à l'impulsion de vous ôter votre vertu avant que le mariage ne soit prononcé ?
— Tybalt a toujours fait preuve du plus grand respect à mon égard. Il me tenait en haute estime et c'était réciproque. Jamais il n'aurait osé m'insulter et encore moins me déshonorer en ayant conscience de ce que cela pouvait représenter.
— Quel grand homme !
Nausicaa bouillonnait de rage. Les mains du marquis prenaient leur temps dans son dos, remontaient parfois jusqu'à sa nuque en une caresse possessive. La marquise tremblait.
— Il aura eu votre cœur, donc, poursuivit Laval, d'apparence imperturbable. J'aurais pour ma part plus important encore.
Cette fois, Nausicaa accusa un mouvement de recul, elle profita de la surprise de Laval pour se dégager. Toute docilité factice envolée, elle cracha :
— Ne me touchez pas !
Le visage du marquis se durcit et il haussa un sourcil.
— Ainsi vous me montrez votre vrai visage. Farouche, indomptable, toujours le mot pour chercher à me vaincre. Ce soir, vous ressemblez à un petit gibier pris, à trembler entre mes mains. Vous n'êtes qu'une femme, derrière vos grands airs et votre provocation de mauvais goût, et faible de surcroît.
— Je suis une femme, c'est vrai, admit Nausicaa.
Et c'était bien suffisant.
— Que je vous tienne tête vous dérange. Vous avez beau prétendre le contraire, je ne suis pas assez docile à votre goût.
— Oh, je vous assure que votre hargne ne sera bientôt qu'un lointain souvenir.
— Vous avez voulu m'épouser parce que je vous résistais. Vous pensiez pouvoir me... dresser avant que le mariage ne soit prononcé, mais vous n'y êtes pas parvenu. De quel complexe s'agit-il, monsieur le marquis, pour que vous ne supportiez pas qu'une femme, qu'un être qui vous est en tout point inférieur, vous tienne tête ? Dites donc !
Le coup qui la fit taire n'avait rien d'une petite gifle. Asséné d'un puissant revers de la main, il éclata en morceaux toutes les belles paroles de Nausicaa qui tituba. Une main pressée contre sa joue meurtrie, elle hoqueta. Des larmes embuaient sa vision et elle luttait pour ne pas les voir couler.
— Vous rendrez une belle image à la Cour, demain, lorsque je présenterai mon visage meurtri.
— Pensez-vous que la Cour sera émue par votre sort ? Vous méritez chaque coup et vous êtes ma femme. Je dispose de vous comme il me plaît.
— La vérité blesse, monsieur le marquis, articula Nausicaa, faiblement, en massant sa mâchoire douloureuse. Bien plus que les coups en ce qui vous concerne.
Elle n'eut pas le temps de réagir que la main de Laval s'enfonçait dans ses cheveux pour y déloger quelques pinces. Il redressa son visage et l'épingla au mur, la main serrée autour de sa gorge. Son crâne heurta la pierre et elle gémit, le cou broyé entre les mains solides d'Eugène.
— Tenez votre langue ou je la couperai.
Le marquis écumait de rage. Il avait promis de la détruire et il y parviendrait. S'il avait songé faire preuve de clémence quelques instants plus tôt, tout compromis s'était envolé. Nausicaa suffoqua et ses mains se crispaient autour des bras de Laval, sans succès. Il vit la peur s'installer, celle de mourir ainsi, étranglée par les mains de son époux. Celui-ci n'aurait sans doute aucune honte à souiller son cadavre de ses plus bas instincts, ne serait-ce que pour accomplir ce qu'il considérait comme un devoir.
La vue de Nausicaa s'étrécit et elle cessa de lutter. Enfin, les mains du marquis quittèrent sa gorge et elle put gonfler ses poumons d'une inspiration douloureuse. Une quinte de toux lui fendit le corps en deux et les doigts de Laval, qui avaient arraché la plupart des pinces et enfoncé le reste dans le crâne meurtri de son épouse, n'avaient pas quitté ses cheveux. Il resserra cette prise pour la projeter sur le lit. Prise au piège, Nausicaa s'était recroquevillée dans un râle douloureux. Son regard s'égara sur la porte close et Laval s'invita dans son champ de vision pour l'en dissuader :
— N'y songez même pas.
Il la rejoignit au centre du lit et son violent accès de colère aurait presque pu sembler apaisé. Il n'en était rien. La colère qu'il exhalait à chaque souffle était glacée, mortelle, et Nausicaa frissonna, les yeux imbibés de larmes qu'elle retenait comme elle le pouvait. Elle était misérable, à moitié allongée sur le lit, empêtré dans ses jupes qui s'étaient retroussées pour laisser apparaître une cheville nue au regard avide de Laval.
— Vous m'appartenez, Nausicaa.
Sa main s'égara à l'orée de sa cheville jusqu'à remonter le long de son mollet. Nausicaa rua, terrifiée et il s'installa à ses côtés pour laisser courir ses doigts le long de ses côtes en une caresse de conquérant.
— Votre corps...
Il fit courir ensuite ses doigts le long de la gorge de Nausicaa, où l'ébauche d'une bordée d'hématomes se dessinait déjà. Il caressa du pouce la joue tuméfiée de la jeune femme.
— Votre visage...
Il savourait les tremblements qu'il inspirait à son épouse.
— Jusqu'à la plus curieuse de vos pensées. Il n'y a rien que vous pensiez vôtre qui ne m'appartienne pas.
Nausicaa s'arcbouta et ses mains tâtèrent les oreillers, sous leurs masses charnues, avec un désespoir qui arracha un sourire mauvais à Laval.
— Si c'est un poignard que vous cherchez, sachez que je l'ai fait retirer. Vous ne pensiez tout de même pas m'avoir aussi aisément ? J'ai pris mes précautions, vous vous doutez bien.
— Vous me répugnez, croassa-t-elle.
— Oh, mais j'espère bien.
Il enroula son bras autour de sa taille pour l'immobiliser. Elle avait à nouveau jeté un regard de pur effroi à la porte. Elle aurait pu courir jusqu'à la porte, la claqua au visage de Laval, et dévaler les escaliers pour trouver de l'aide, ou encore enfourcher providence pour fuir cet enfer. Sa robe l'encombrait et cet exploit n'était pas à sa portée.
Une main à nouveau enfouie dans les cheveux de Nausicaa, le marquis appela son attention. Il ne la mendia pas, il la fit sienne. Sa bouche fondit sur celle de son épouse et il lui imposa un baiser dur, exigeant, qui violait la bouche de Nausicaa sans un sursaut de clémence. Un éclat de conscience brut faucha cette dernière et elle referma ses dents sur la langue de Laval. Elle mordit de toutes ses forces, jusqu'à ce que le poing de l'homme ne s'abatte au creux de son estomac et qu'il se dégage.
— Sale catin ! hoqueta-t-il, la bouche en sang.
Son geste ne valut pas les quelques instants de répit qu'elle avait obtenus. Ivre de rage, Laval se fit violence pour ne pas la rouer de coups. Peu lui importait qu'elle soit consciente à l'instant où il lui volerait le peu d'honneur qu'il pensait lui avoir laissé. Ce qu'il souhaitait, c'était la briser, la réduire en morceaux, et pour cela, il avait besoin de sa conscience intacte.
Il voulait déceler l'instant où elle volerait en éclats. L'instant où il lui volerait sa virginité.
Il attrapa le haut de la robe de Nausicaa et l'éventra. Il fit céder ensuite le corset qui emprisonnait la poitrine de la marquise et lorsqu'elle fut libérée de celui-ci, la jeune femme ne ressentit pas une once de soulagement. Elle avait dépassé le stade de la terreur, l'effroi enfla encore lorsque le marquis pinça un téton pâle, lorsqu'il pressa entre ses doigts son sein menu. Son corps s'arqua et il lui arracha un grognement de satisfaction. Son corps garderait à jamais la marque de ces mains. Nausicaa acquit la certitude que si elle survivait à cette nuit, les blessures qu'elle en garderait ne cicatriseraient jamais.
Laval commença par retrousser les jupons de Nausicaa et il découvrit ses jambes nues. Il ne put s'en contenter. Il la voulait entièrement nue, n'en déplaise à son désir enfin libéré de ses chaînes. Il s'allongea à moitié sur son épouse pour lui donner un coup de bassin marqué à hauteur de son bas-ventre. Elle sentit la roideur de son membre à travers le tissu, mais elle ne dit rien. Elle tenta d'envoyer son poing au visage de Laval, mais il dévia son coup et l'épingla à nouveau contre les draps.
— Certainement pas.
Il la soulagea rapidement des dernières couches de tissus qui la préservaient encore. Elle se tortillait sous le regard impudique, insoutenable, de Laval. Il la souillait de ses yeux et elle ne le supportait pas. Ses doigts cherchèrent à se raccrocher aux draps, sans succès.
Si Laval brûlait d'envie de la prendre ainsi, sans préavis, avec toute la violence qu'elle lui inspirait. Pourtant, il prit tout son temps, lécha le ventre de Nausicaa, s'attarda sur son nombril. Sa langue imitait un geste qu'il brûlait de reproduire et les jambes de la jeune femme s'agitaient encore faiblement. Elle avait perdu toute sa hargne.
— Eh bien, où sont donc passées toutes vos belles paroles ?
Il pressa sa paume contre l'intimité de Nausicaa et elle étouffa une plainte contre la paume de sa main. Elle sentit son visage s'inonder de larmes avant de réaliser qu'elle pleurait.
— Voilà qui est mieux.
Laval enfonça un doigt entre les replis secrets de son épouse sans la moindre précaution et il se délecta du sursaut de Nausicaa. Il savoura la grimace qui froissa ses traits et le sanglot qui lui ôta son souffle. Son doigt violait toujours son intimité, appréciait son étroitesse, jusqu'à sentir l'entrée inviolée, le trésor qu'elle renfermait et que Tybalt n'avait pas emporté avec lui. Son sourire s'élargit.
— Je ne saurais vous promettre d'être doux.
Cela ne ressemblait pas à un avertissement ou à une manière de s'en excuser. Au contraire, le marquis se ferait un devoir de ne pas l'être.
— Ni que cela se fera sans douleur.
Il se dévêtit rapidement et les mains de Nausicaa s'activèrent à la surface des doigts, griffèrent le bois de la structure du lit. Laval admira son corps nu, ses cheveux qui s'étalaient autour de son visage meurtri, ravagé par les larmes. Cette vision effaçait toutes les injures qu'elle lui avait réservées. Il ne l'avait jamais trouvée plus désirable que dans cette faiblesse, même ses grands airs ne l'avaient pas tant stimulé. Il darda sur l'insoumise un regard dénué de clémence. Un regard qui renfermait son triomphe.
— Vous êtes pardonnée, lui souffla-t-il.
Il la couvrit de son corps, l'étouffa, et Nausicaa sentit son sexe à l'orée du sien. La bile envahit sa bouche et une gerbe de sang moucheta son visage.
Laval n'eut aucune réaction lorsque le poignard plongea dans sa poitrine. Hébété, il découvrit le geste de Nausicaa et la souffrance se peignit à peine sur son visage. Il ouvrit la bouche pour articuler quelque chose, sans doute une insulte. Son épouse avait délogé le second poignard de l'interstice qui séparait le matelas de la structure en bois. L'arme lui glissa entre les doigts, retomba sur les draps souillés de sang.
Nausicaa venait de troquer le sang virginal contre celui de son époux.
La peur et l'incompréhension étreignirent les traits de Laval. Cela ne dura pas plus de quelques secondes et Nausicaa soutint son regard jusqu'à ce qu'il s'effondre, sans vie, sur son corps nu. Le sang la trempa, aussi répugnant que tous les fluides qui auraient pu la recouvrir. Elle articula :
— Vous ne m'aurez pas, morte ou vive.
Et elle ferma les yeux. Prisonnière d'une étreinte à l'odeur d'hémoglobine, écrasée par le poids de Laval, elle ne pleurait plus.
Cette étreinte serait la dernière d'entre toutes.
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