Chapitre 29
Nausicaa, pendue au bras du marquis de Laval, s'était immobilisée pour admirer l'immense palais qui se découpait sous ses yeux azurins.
Le palais des Mille Nuits était fidèle à sa réputation. Lieu inatteignable toute l'année, il ouvrait ses portes à une seule et unique occasion et les rares privilégiés qui avaient le droit d'y mettre les pieds ne tarissaient pas d'éloges à l'égard de ce joyau d'Halev.
Le palais en était comme le cœur, un cœur excentré, un noyau situé aux extrémités de la capitale, à moitié caché par la roche.
S'il lui avait fallu décrire cette structure surprenante, Nausicaa aurait évoqué les termes « roche » avant d'énumérer quelques couleurs maîtresses. Le bleu, le noir et quelques touches de jaunes qui provenaient de l'intérieur, diffusé par les éclairages. Les portes de l'édifice disparaissaient et émergeaient de la roche elle-même, de sorte à ce qu'il soit impossible de déterminer si la roche accueillait le palais ou s'il s'agissait de l'effet inverse.
— Majestueux, n'est-ce pas ?
Nausicaa, la bouche entrouverte sur une exclamation muette d'admiration, tarda à répondre. Elle n'avait jamais eu l'opportunité de mettre les pieds au palais des Mille Nuits. Sanctuaire sacré et inviolable, il fallait être personnellement recommandé par le roi, ou par le Gardien, responsable des lieux et propriétaire à bien des titres, pour y mettre les pieds. Ses parents lui avaient raconté maintes fois cet honneur et la jeune baronne avait, à l'époque, su reconnaître quelques fragments d'étoiles dans les yeux de ses géniteurs. Désormais, elle comprenait pourquoi.
— Oui, majestueux... murmura Nausicaa, du bout des lèvres. C'est le mot.
— Ne restons pas ici. L'extérieur n'est qu'une pâle introduction à ce qui nous attend à l'intérieur.
Laval s'était vanté toute la journée, et même toute la semaine qui avait précédé, d'y avoir été invité par deux fois. Il aimait rappeler qu'il possédait ses entrées là où il le souhaitait et c'était d'autant plus réaliste depuis qu'Amaury était roi. Il avait conté son expérience, avait relaté la beauté du palais dans le moindre de ses détails, de sorte à gâcher la surprise de Nausicaa. Si celle-ci avait réprimé à grand-peine son agacement, elle devait reconnaître que l'imprécision du marquis n'avait pas fait honneur à la merveille qui se dévoilait pudiquement.
Elle apercevait un dôme. Ce que Laval avait qualifié de dôme de verre, immense, dont la surface d'un bleu vif recueillait l'essence du ciel qui s'y mirait.
— Dépêchons, il y a une chose que je dois vous montrer.
La main du marquis avait emprisonné celle de Nausicaa et ne lui laissa pas le loisir d'admirer les pièces qui se succédèrent. Elle n'y releva qu'un échantillon de couleurs, les mêmes qu'à l'extérieur, la roche exclue, et une ambiance. Une humidité brûlante, quelque chose qui se passait de mots et qui se ressentait.
Un morceau d'éternité.
Après tout, le palais des Mille Nuits était un fragment de l'Histoire de Loajess. On racontait qu'il avait vu le jour bien avant l'avènement du Royaume sous le tout premier roi. Les plus ambitieux, les plus passionnés aussi, assuraient que le palais comptait plus de mille années. Nausicaa, rien qu'en foulant ces dalles sombres, dont les fissures avaient été comblés par le même bleu vif, sut que ce lieu aurait plu à Lyssandre. Il était riche, à tous les niveaux.
Laval entraîna sa fiancée jusqu'à l'un des balcons suspendus dans le vide et accroché à l'une des façades découpées en arc brisé. Le crépuscule pleurait ses couleurs chatoyantes, mariait le rouge et les quelques touches d'azur entre eux.
— Nous tournons le dos au crépuscule, fit remarquer Nausicaa, le souffle un peu court.
— C'est curieux, vous ne trouvez pas ?
Nausicaa se passa de réponse. Elle faisait bonne figure parce qu'elle n'aurait jamais obtenu le droit de se rendre à cet événement si elle ne s'était pas fait violence.
— Plutôt que de regarder le soleil se coucher, le palais est le premier témoin de la nuit, expliqua le marquis, non sans se partir d'un ton plus pompeux que nécessaire.
Le palais avait été construit sur le flanc est de la ville. La roche l'enveloppait comme une coquille protectrice, comme elle dominait les bas quartiers d'Halev de ses pics. Plutôt que d'admirer les lueurs vespérales qui languissaient à la naissance de la terre, la structure admirait la nuit qui s'installait depuis des siècles.
— J'espère pouvoir compter sur votre sérieux, ce soir, mademoiselle de Meauvoir.
Nausicaa nota deux choses. Déjà, que Laval avait insisté sur le nom de sa famille comme s'il lui plaisait de rappeler qu'elle était toujours dans une situation délicate. En fait, il était plus probable que le marquis ait souligné ces mots pour rappeler leur empreinte dans le temps. D'ici peu, Nausicaa ne serait plus une Meauvoir, mais une Laval.
Elle nota ensuite que le marquis avait prononcé ces mots avec un sérieux qui évoquait le soupçon, sinon la menace.
— Ai-je votre parole ?
— Est-ce moi que vous craignez ?
Laval fit glisser son index le long en dessous du menton de Nausicaa. Elle restait sensible à la provocation, toujours prête à y céder, et cette combattivité le surprenait chaque jour davantage. Elle lui tenait tête, oscillait entre la sagesse et l'imprudence.
Armé de son sourire de requin, le marquis lui susurra, sous l'étreinte glacée d'une brise et les couleurs changeantes du ciel :
— Tâchez de vous tenir tranquille.
***
La pièce était presque entièrement plongée dans le noir.
C'était du moins le sentiment qui étreignait les invités lorsqu'ils pénétraient dans le lieu de réception. Vaste, surchargé de détails d'un goût ancien, mais pas moins appréciable, il accueillait une centaine d'invités, peut-être davantage.
Leur hôte avait vu les choses en grand.
Telle fut la pensée de chaque convive. Une partie était issue d'une noblesse moins éclatante et de plus petite facture. Elle se mêlait aux autres, vantaient les charmes de l'un, les possessions des autres, les bien et les secrets.
Il ne suffisait que de tendre l'oreille pour recueillir un échantillon des conversations qui fourmillaient partout. On y parlait affaire, alliance, parfois mariage. Des plus fortunés aux plus modestes gracieusement invités par le roi, il s'agissait de rentabiliser le voyage, de sceller des relations solides, de marier l'héritière de la famille au meilleur parti. Il se murmurait des bribes de trahison, on renversait la tendance en pariant sur une famille, ennemie de la lignée que l'on soutenait jusque-là. De quoi scandaliser et peut-être plus que cela. Si la Cour se revendiquait respectable, elle était implantée depuis trop longtemps pour s'épouvanter sur des notions si chères aux nobles des régions plus reculées et même ceux d'Halev.
D'une certaine manière, Amaury était parvenu à accomplir son pari le plus fou : il avait reconcilié les deux, désormais les trois factions. La paix ne régnait pas, les préjugés existaient toujours, mais les alliances se tissaient indépendamment de l'imprégnation politique de l'un ou de l'autre. Le profit, le bénéfice à court ou moyen terme, justifiait qu'on ferme les yeux sur le reste.
Nausicaa s'était détachée quelques instants de la présence étouffante de Laval. Plus fidèle que son ombre, il ne se contentait pas de suivre le plus discret de ses pas, il la traquait avec l'attention d'un prédateur pour sa proie.
La jeune femme respirait à nouveau. Elle avait revêtu une robe extravagante telle que la Cour elle-même ne permettait pas d'en porter. Loin d'être la seule à se permettre une pareille excentricité, Nausicaa s'était stupéfaite face aux costumes, plus étranges les uns que les autres. Les invités s'étaient donné les moyens d'apparaître sous leur meilleur jour, de sortir du lot, et cet effort était commun à chacun. La baronne avait accroché à deux mèches entortillées derrière sa tête, au milieu de sa chevelure que sa coiffeuse était parvenue à dompter au prix de longues tentatives, le haut d'un voile bleu et jaune. Elle s'était accordée aux couleurs dominantes du palais sous les indications de Laval.
Nausicaa glissa le bout de ses doigts dans l'un des minuscules bassins enfoncés dans les murs et flatta l'eau fraîche. Une lampe brûlait en dessous et des pierres tapissaient l'intérieur pour construire une illusion saisissante. En contemplant son reflet dans l'eau, la baronne entrevoyait ses traits au milieu d'une myriade étoilée. Après avoir vérifié qu'aucun regard ne l'épiait, elle éclaboussa son visage de cette eau et pressa la paume de sa main contre sa peau brûlante.
Nausicaa l'ignorait, mais un homme avait suivi son geste avec attention. Avec stupeur, aussi.
Soudainement, les discussions se tarirent. L'ambiance gagna en fébrilité et les concours qui donnaient à la jeune courtisane un semblant de repère, d'ancrage, se dissipèrent. Bercés par des lumières évanescentes, les visages déjà masqués perdirent leur suspens et la lumière qui donnait corps aux bassins gagna en intensité. Nausicaa ne sut juger si ce spectacle l'effrayait ou la fascinait au-delà des mots.
Laval rejoignit son ombre et attrapa son bras pour profiter de l'obscurité de plus en plus marquée et se presser contre le dos de sa fiancée. L'esprit un peu confus, comme si la brume qui s'invitait était chargé d'une drogue ou d'un puissant narcotique, celle-ci sentit toutefois la raideur qui se logea au creux de ses reins. Le marquis avait le sens de la menace et d'un jeu qui n'amusait que lui.
— Contemplez, ma douce. Admirez le spectacle.
Curieusement, loin de la rassurer, ces mots plongèrent Nausicaa dans une attente insoutenable. Les bougies s'éteignirent, une à une, jusqu'à ce que les quelques lueurs offertes par les bassins ne suffisent plus à éclairer la pièce.
Jusqu'à ce que celle-ci soit plongée dans un noir quasi absolu.
Dans un noir et dans un silence total où le temps, paresseux, capturé par l'attente, se suspendit à son tour.
Les mains de Laval broyaient presque le bras de Nausicaa. Son cœur emballé dans une course folle lui permettait tout juste d'avoir la certitude qu'elle vivait toujours.
Un croassement s'éleva.
Le bruit caractéristique du corbeau fendit le silence et le réduisit à néant.
Puis, aussi vite que la lumière avait disparu, elle revint. Une à une, on ralluma les bougies disposées sur le devant de la pièce, là où un trône vide avait été installé à l'intention du roi. Une invitation explicite qui, même vide, semblait décortiquer le moindre geste.
Nausicaa le préférait encore vide et son cœur fou heurta la surface de sa cage thoracique si violemment qu'elle dut se courber en deux. Elle crut que l'organe allait s'engouffrer dans sa gorge et tenter une évasion tant ce désordre interne lui arracha un sursaut de panique. Le marquis la redressa en claquant sa langue contre son palais.
Décidément, ce n'était pas le moment de s'affaler de la sorte !
Amaury était là, installé sur le siège comme pour prouver aux dubitatifs que là avait toujours été sa place. Le menton haut, même assis, il dominait cette marée humaine pour l'heure bien trop calme. Calme, car trop surpris pour s'essayer à la moindre discussion, mais l'effet allait au-delà des espérances du roi.
— Loajess, les salua Amaury.
Au premier rang, un premier homme s'inclina. Il ne se contenta pas de courber la nuque, non, il mit le genou à terre pour illustrer tout le respect qu'il témoignait à la figure du roi. C'était un très vieil homme, usé par le passage du temps, le visage illisible sous le dessin des rides. Il dit, dans un filet de voix essoufflé :
— Mon... Mon roi... Quel... Quel honneur pour... moi.
Amaury inclina le visage comme pour recueillir les éloges qui se présentaient.
— Vous êtes le... le salut. Un... miracle.
Nausicaa ne connaissait pas cet homme, mais elle entendit, à sa gauche, une femme qui dépeignait le vieillard comme le doyen d'une famille disgraciée sous le règne d'Achille, père de Soann, et qui survivait depuis aux confins de Loajess. Un destin identique à celui que connaissait moultes lignées à travers le Royaume.
Amaury approcha et, l'espace d'un instant, Nausicaa crut qu'il allait présenter sa main pour que le vieil homme embrassa le dos de celle-ci. Le roi posa ses doigts sur le sommet du crâne dégarni du vieillard comme pour prononcer une bénédiction.
Comme pour le remercier d'une bien singulière façon.
— Je ne suis pas un miracle, mais la tempête. Celle qui a ravagé Loajess et qui nous laisse désormais une terre vierge d'alliances engluées par le ressentiment, de propriétés injustement obtenues, de biens volés et de mariages qui n'auraient pas été consentis.
Les dents de Nausicaa grincèrent. Avant ce dernier point, elle aurait presque pu se laisser convaincre par la force de persuasion de cet homme.
— Je suis le corbeau, l'oiseau qu'on a affublé d'une sombre réputation, et ceux que je défends sont à mon image.
Des hypocrites qui se complaisent dans le mensonge ? s'enquit Nausicaa, aussi fort qu'elle le put.
— Des laissés-pour-compte et des inaugurateurs d'une ère nouvelle.
Amaury ouvrit ses bras comme pour embrasser cette foule que Nausicaa sentait conquise. Il rejoignit son trône et s'y installa. Le silence qu'il annonça permit à ses paroles introductives d'être assimilées et il attendait que cela soit le cas pour reprendre la parole.
— Ces derniers mois, j'ai vu défiler des hommes, des incompétents, des prodiges. Je ne me suis entouré d'aucun d'entre eux et je me suis contenté d'observer leurs compétences, de veiller à leur dévouement et à leur sincérité. Ce soir, les plus nobles tributaires du changement, de la cause royale que j'entends reconsidérer seront récompensés et obtiendront la reconnaissance qu'ils ont mérité.
Nausicaa avait pensé, au cours de ces derniers mois, que la réputation d'Amaury était erronée ou, du moins, qu'il avait épuisé son lot d'ingéniosité afin de se débarrasser de Lyssandre. Force était de constater qu'elle avait eu tort. Tout avait été réfléchi avec le sens du détail qui caractérisait le prince oublié. Il ne laissait rien au hasard.
— J'invite le marquis Eugène de Laval à me rejoindre.
Le marquis quitta l'ombre de Nausicaa avec plaisir. Il ne se fit pas prier et bomba même le torse. Au milieu des lueurs vacillantes des chandelles et des bougies, sa fiancée ne le trouva que plus terrifiant. Ses spectres, d'ordinaire recroquevillés à ses pieds, s'étalaient en ombres démesurées.
— Je vous nomme Premier conseiller du roi.
La consécration ultime. Il n'y avait qu'à se pencher sur le sourire qui déchirait la commissure des lèvres du marquis pour en avoir la certitude. Il exultait, fier de démontrer enfin aux yeux de tous combien il leur était supérieur.
Laval ne fut que le premier d'une longue liste. Des postes élevés furent distribués, réattribués, puisque certains étaient déjà occupés. Amaury redistribuait les cartes à sa guise et personne ne se risqua à lui reprocher sa conduite.
Enfin, lorsque cette cérémonie des récompenses prit fin, le Gardien en personne seconda le roi. Il s'agissait d'un homme fort, à l'embonpoint manifeste, et à la gaucherie presque comique. Beaucoup avaient eu la bêtise de confondre cette maladresse avec de stupidité. Le Gardien n'était pas homme qu'il était bon de sous-estimer et si Nausicaa n'avait jamais mis les pieds dans la demeure sur laquelle il veillait, avec le prestige qui l'accompagnait, elle connaissait de réputation cet individu.
— C'est à mon tour de vous couvrir de reconnaissance. De la nôtre, mais avant tout de la mienne.
Un soldat, un corbeau perché sur son épaule, approcha. La baronne comprit d'où s'était élevé le cri qu'elle avait entendu quelques minutes auparavant. Elle vit Amaury tendre le doigt et l'oiseau le considérer sans le pincer, sans fuir à tire d'ailes. Cela ressemblait à une reconnaissance de la part de l'animal dont le roi avait fait un symbole.
— Nous sommes pareils, toi et moi.
Un oiseau de malheur.
Le Gardien observait la scène avec une évidente satisfaction. Il n'était pas peu fier de son idée. Aussi poursuivit-il lorsqu'un second soldat tendit à Amaury un deuxième présent.
— Une arme à l'image du palais des Mille Nuits, afin que cette nuit ne vous quitte plus. La lame est en obsidienne et le manche est incrusté de lapis lazuli.
Les deux pierres sur lesquelles reposaient la structure palatiale. Un autre présent ingénieux. Amaury tira la lame de son étui pour en admirer les reflets noirs qui absorbaient à peine la lumière diffuse de la pièce.
Le roi remercia son hôte sans s'émouvoir du silence insondable des conviés. Il s'offrit le luxe d'une dernière prise de parole officielle, devant un public étendu venu de tout Loajess :
— Il ne tient qu'à vous de prendre part à ce nouveau monde en élaboration, de vous inscrire dans ce projet que je porte depuis quinze ans. Les chances qui sont offertes ne se réduisent pas à un nom inscrit sur un registre, à un réseau de connaissance qui n'offre aucune possibilité d'amélioration. L'année qui s'annonce nous offre à tous un nouveau départ.
Amaury jouait de son charisme, de son éloquence, et c'était là le seul trait commun que Lyssandre et lui partageaient. Dans une dimension tout à fait différente, ils étaient dotés d'une force de persuasion hors norme lorsqu'ils s'en donnaient les moyens. Amaury savait comment s'en servir, contrairement à son neveu, et il ne s'en privait pas.
— L'an 433 s'apprête à débuter.
Pour la première fois, Nausicaa remarqua qu'Amaury n'avait pas évoqué une seule fois le nom de son neveu. Il agissait comme s'il n'existait pas de menace, tapie à la frontière de son Royaume. Comme si le prince, héritier légitime avait perdu la vie. Le roi s'exprimait en roi absolu, incontesté, et jouissait de tous les privilèges conférés par sa position.
— Que la fête commence, Loajess, et savourez tous ce dernier jour qui nous est donné...
Amaury suspendit sa phrase, s'apprêta à humecter ses lèvres avec attention, comme il avait pour habitude de le faire, mais il se ravisa. Il préféra ajouter, dans un souffle qui clôtura sa prise de parole :
— Avant qu'une nouvelle année ne s'annonce pour chacun de nous !
***
Cassien ne s'émouvait pas de la beauté onirique, spectrale, évanescente, du palais des Mille Nuits. Sa beauté était un piège mortel dans lequel Amaury brûlait de les voir périr s'il les savait parmi ses précieux invités.
S'il savait que sa sécurité avait encore une fois été mise en déroute de la plus grossière des façons, pour une simple question de titres de noblesse falsifiés.
Cassien leva les yeux pour retracer du regard le dôme de verre. Il devait bien avouer qu'il était sensible à la beauté originale de cette structure. Même à présent que la nuit était tombée, le bleu conservait tout son éclat et la profondeur de sa couleur en était presque hypnotique.
Le chevalier emprunta l'escalier qui s'enroulait sur lui-même en une spirale de plus en plus étroite. Son attention se dispersa à hauteur de la verrerie, de son objectif, mais cela ne l'empêcha pas de remarquer une présence indésirable plantée au sommet du dédale de marches.
— Tu manques de prudence, soldat.
Jamais Cassien n'avait entendu ces paroles prononcées à son égard. Son orgueil n'en fut pas piqué. Le chevalier était loin de se montrer vulnérable face aux remarques peu flatteuses, surtout lorsqu'elles étaient prononcées dans l'espoir évident de lui ravir son légendaire contrôle. Il n'y aurait qu'ainsi que son adversaire pouvait espérer le battre.
Cassien découvrit une fillette au visage juvénile. Quelque chose le dérangea immédiatement chez elle.
— N'espère pas aller plus loin !
Cassien ne s'immobilisa pas. En fait, il pressa même le pas pour gravir les marches qui le séparaient de l'enfant. Il manquait de temps et il n'était pas question de ruiner par sa faute les risques pris rien qu'au cours de la soirée.
— Écarte-toi, ordonna Cassien.
L'avertissement ne valait que pour cette occasion. Le chevalier avait déjà refermé ses doigts sur le manche de son poignard. Cette lame suffirait, d'autant plus que la gamine, qui ne pouvait être que la princesse, extirpait la sienne sans sourciller.
Pas de soupirs de la part de Cassien, pas d'excuses non plus lorsqu'il fondit sur Dhelia. En réalité, il se contenta de feindre une attaque. La fillette s'était déjà prêtée au jeu et envoya sa jambe droit sur le visage du chevalier. Si les escaliers les désavantageaient tous les deux, d'autant plus que le vide s'ouvrait de part et d'autre des marches, Cassien remarqua au premier coup d'œil qu'il aurait tort de la sous-estimer. La princesse, à l'instar de son frère, possédait un talent certain. Une rapidité hors du commun qu'elle alliait avec une technique irréprochable malgré son jeune âge.
Cassien se déporta à gauche et, dans un jeu de jambes, prit Dhelia de court en assénant un coup de sa main désarmée. Juste assez violent pour la dissuader de poursuivre sa folle entreprise. Elle ne faisait pas le poids contre un adversaire de sa trempe.
Les lames se heurtèrent, crissèrent en s'embrassant, et se repoussèrent. Elles ne rencontrèrent pas la peau. Dhelia s'acharnait à trouver une ouverture dans la garde de son adversaire, mais la puissance de celui-ci écrasait sans mal ses réflexes. Après avoir failli la désarmer du plat de sa lame, Cassien envoya son coude en pleine mâchoire de la princesse qui recula, sonnée.
Elle lui bloquait toujours le passage. Une main pressée contre sa joue meurtrie, elle n'avait pas crié, elle n'avait pas gémi non plus. Le coup n'avait fait que raviver sa haine, décupler ses forces, mais aussi limer un peu de son bon sens. Elle se jeta en avant, le poignard levé au-dessus de son visage, et plutôt que de l'abattre sur Cassien, elle atterrit à quelques pas. Un leurre destiné à couvrir une deuxième attaque qui envoya sa jambe en direction de l'homme.
Le chevalier esquiva son coup, profita de l'élan de Dhelia pour crocher son bras et la tirer vers lui. Déséquilibrée, l'enfant
— Tu as oublié quelque chose d'essentiel, soldat.
Le halètement de Dhelia assourdit à peine la portée de ses paroles. Cassien ne parut pas lui en tenir rigueur et poursuivit son ascension vers le sommet des marches.
— On ne tourne pas le dos à un adversaire qui n'est pas encore mort.
Le chevalier n'eut pas le temps de se retourner, d'appréhender la véritable dangerosité de Dhelia. Dangerosité qui résidait autant dans ses aptitudes hors norme que dans son absence totale de scrupules.
Cassien entendit distinctement la lame siffler en tranchant l'air.
Il sentit très distinctement sa pointe pénétrer sa peau pour y imprimer une empreinte vermeille.
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