Chapitre 41

[La version achevée du dessin, en espérant que ce premier coup d'essai vous plaît !]

            Miriild n'eut pas à chercher son père bien loin. Elle croisa d'abord des membres de sa cour avec la majorité de ses invités, des diplomates, de riches personnalités de Déalym. Ceux-ci s'inclinèrent, parfois avec une certaine raideur. Ces riches familles n'avaient jamais feint de la considérer à sa juste valeur et elle n'était à leurs yeux plus qu'une étrangère.

Une étrangère mariée au roi de Loajess.

La reine tenta malgré tout d'arracher à ces puissants les informations dont elle avait besoin, quitte à faire peser son nouveau titre. Une femme entre deux âges finit par lui répondre :

— Votre père est déjà dans la cour principale, avec le carrosse.

— Où part-il à une pareille heure ?

— Là où nous nous en allons tous.

La dame avait presque l'air désolé pour le sort qui attendait Miriild. Cette pitié, la jeune femme ne l'avait que trop peu connue. Son entourage attendait d'elle une joie immense, une fierté, ou alors de la honte d'être mariée à l'ennemi héréditaire de Déalym, mais certainement pas l'abattement qu'elle avait manifesté.

— Déalym, laissa échapper la courtisane, après s'être inclinée.

Miriild s'immobilisa. Les puissants de son Royaume affluaient dans les couloirs avec leur bagage. Cela ressemblait à un exode, à un départ imposé, mais la plupart ne masquaient rien de leur enthousiasme. Ils étaient soulagés de rejoindre leurs terres, soulagés de ne plus avoir à supporter les réceptions, les bals, les conversations de Loajess.

Ils avaient beau feindre une sympathie mesurée, l'antipathie dominait et les échanges au sein des hautes sphères de la noblesse ne s'étaient pas arrangés. Ils se toléraient à peine et se méprisaient dans la plupart des cas.

Miriild croisa alors le regard de madame de Lasolih, la maîtresse de son père. Laquelle lui accorda à peine un coup d'œil. Elle parut se rappeler à ses obligations, se souvenir qu'elle se tenait en présence d'une reine, et non de la première putain venue.

Une putain, c'était ce qu'elle était devenue aux yeux d'un grand nombre de nobles. La fille du roi qui n'avait pas rechigné à échanger sa vertu contre le pouvoir. La marquise plissa le nez comme si l'odeur de cette jeune femme l'indisposait, avec plus d'hypocrisie que Miriild pourrait en accepter. Elle avait oublié la puanteur de l'Anoma et l'allure misérable qu'elle devait avoir, dans ses habits qui avaient séché à même sa peau, et avec ses cheveux rigidifiés par la boue.

Madame de Lasolih retint un rire et déclara :

— Bonne chance, dans ce monde d'hommes, Majesté.

Bonne chance pour survivre. Cela s'apparentait presque à une menace.

Miriild battit des cils pour effacer la sensation oppressante qui se logeait au creux de son estomac. Elle n'était pas certaine de s'y habituer un jour, même si la situation s'apaisait au palais. Les nobles la verraient comme une étrangère ou comme une opportuniste. Les conversations qu'elle avait surprises en disaient long sur l'image qu'elle avait transmise malgré elle. Celle d'une ingénue qui cachait bien son jeu et qui n'hésitait pas à user de ses charmes pour obtenir ce qu'elle souhaitait.

Nausicaa n'était pas la seule à se méfier d'elle ou à la mépriser.

Vint ensuite le tour de la reine, engoncée dans sa robe d'un gris laid. Le col remontait jusqu'à cacher l'entièreté de son cou auquel pendait un pendentif au symbole religieux. Aucune parcelle de peau n'était dévoilée et Miriild réalisa que le regard de sa mère n'avait pas changé. Il n'y avait ni peine ni mépris. Peut-être une pointe de dégoût, mais la fille espérait encore se méprendre.

— Mère...

— Au revoir, Majesté.

— Je ne savais pas que vous partiez, mère. J'ignorais que...

— Le roi en a été averti plus tôt dans la soirée, alors que vous courriez dieu seul sait où.

Devoir se justifier ennuyait profondément la reine de Déalym. Miriild réalisait avec peine qu'elle était désormais son égal, une sorte de reproduction à l'identique. Cela lui sembla d'une perversité sans nom. Une frontière les séparait désormais et elles ne se considéraient plus comme une mère veillait sur sa fille, si tant était à penser que la reine ne l'avait jamais fait.

— Reprenez-vous donc, nous nous reverrons, cingla sèchement celle-ci.

Miriild effaça la trace de la larme unique qu'elle n'avait pas senti couler. Elle tâchait de faire preuve de dignité, mais elle se sentait comme une enfant, punie sans avoir la plus petite idée de son erreur. Devant cette femme qui l'avait mise au monde, elle ne parvenait pas à voir une inconnue. Un exploit que la reine avait accompli, puisqu'elle voyait en cette jeune femme la personnification de son malheur.

— Je suis désolée, énonça doucement Miriild.

— Vous m'avez toujours rappelé l'acte qui a détruit ma vie, toujours. De votre premier souffle à aujourd'hui.

En venant au monde, Miriild avait changé le destin de cette femme. En l'abandonnant à Loajess, celle-ci s'offrait la possibilité de reconstruire son existence, et son enfant se dit que les choses étaient peut-être mieux ainsi. Avec douceur, elle saisit les mains de sa mère et les serra entre les siennes.

— Je ne l'ai jamais demandé, je n'ai jamais voulu naître d'une femme qui ne verrait en moi que son échec.

— Adieu, Miriild de Déalym.

La reine arracha ensuite ses mains à celle de celle qu'elle n'avait jamais voulu élever comme si son contact l'avait brûlée.

En l'observant s'éloigner, Miriild se promit de faire une meilleure reine.

Elle descendit les marches jusqu'à l'entrée du palais sans réfléchir, parce que ses pas la menèrent à la cour principale du château. Son père y avait rassemblé ses invités et s'apprêtait à monter dans son carrosse. Tout autour, sous les arcades, l'agitation avait tiré de leur occupation les courtisans de Loajess et certains d'entre eux étaient pendus aux fenêtres, avides d'un spectacle pour le moins original.

Miriild crut qu'elle n'aurait pas le courage d'approcher. Le cœur lourd, toujours vêtue de sa robe maculée de bout, elle écopa de regards répugnés et moqueurs. On s'écarta pour laisser approcher la reine de Loajess. Son père la considéra sans ciller, sans excuser son comportement, sans chercher à se justifier.

Miriild entendit une voix s'élever plus haut que les autres et aurait juré qu'il s'agissait de celle de la maîtresse d'Äzmelan :

— Pauvre petit oiseau tombé du nid.

Le roi ne la réprima pas et on répondit même à cette humiliation :

— Pauvre oiseau qui n'a jamais appris à voler.

Du coin de l'œil, Miriild repéra la silhouette de Nausicaa. En retrait, elle observait le même silence attentif que ses pairs. La reine ne jouissait pas de son franc-parler, de son audace proche de l'inconscience, alors elle se tut.

— Nous sommes prêts à quitter Loajess depuis que le mariage a été prononcé.

Miriild acquiesça. Äzmelan avait marchandé sa vie et avait attendu le moment le plus approprié pour quitter le navire. Désormais que celui-ci prenait l'eau de toute part, que l'imposture avait été révélée, il était temps pour le roi de Déalym de s'en aller et de laisser Loajess sombrer. Il aurait tout le loisir d'y remettre les pieds ensuite, lorsque les noblesses se seraient entretuées et qu'Amaury se serait lassé de jouer avec Lyssandre.

Pour l'heure, le Traité était signé et plus rien ne justifiait la présence du tyran dans un Royaume à l'agonie.

— Quel motif donnez-vous à votre départ ? demanda Miriild.

Elle se garda d'ajouter ce qui était sous-entendu, à savoir la raison officielle de ce départ précipité, puisque la raison officieuse était gardée secrète.

— Loajess n'est plus sûre et il est de ma responsabilité de protéger mes sujets de l'agitation qui sourd sur les terres de ce Royaume. La paix est signée, il est temps pour chacun de regagner son pays.

Du courage... Miriild s'arma de courage pour ne pas craquer devant tant de spectateurs avides.

— Vous êtes désormais une passerelle entre nos deux nations, tâchez de vous en montrez digne, ma fille.

Miriild comprenait surtout qu'elle serait une étrangère, où qu'elle aille. Une étrangère à Loajess qui la considérerait toujours ainsi et une étrangère aux yeux de sa terre natale, qu'elle avait quittée sans le vouloir.

— Je vous laisse sous la bonne garde de votre nourrice.

Ladite nourrice approcha, évita les obstacles, et Miriild vint à sa rencontre. Elle retrouva la seule qui ne lui soit pas hostile et la vieille femme prit sa main et la pressa dans la sienne.

— Faites bon voyage, père, énonça la jeune reine.

Miriild n'évoqua pas la trahison d'Äzmelan. Son père était l'homme le plus puissant de ce continent, il ne se laissait dicter sa conduite par personne, et s'il avait décidé de quitter Loajess impuni, alors il le ferait. L'homme qui l'en empêcherait n'était pas encore né.

Sous ses yeux impuissants, Äzmelan s'inclina légèrement et entra dans son carrosse, imité par sa cohorte de nobles. Sa mère disparut à son tour, ainsi que tous les visages familiers que comptaient la cour du despote. Quelques minutes suffirent à ce que le convoi quitte le palais et celle qu'il y avait abandonnée.

La vieille nourrice berça la reine qui tomba à genoux à ses pieds.

***

Cassien se réveilla en sursaut. Tiré d'un sommeil profond qui le laissait pantois, déboussolé, il peina à renouer avec la réalité. Morphée l'avait laissé ainsi, éparpillé, entre conscience et inconscience, entre la réalité et le songe.

Le chevalier conservait des souvenirs de son rêve. Des souvenirs toutefois déformés par le voile qui le séparait du sommeil. Il se rappelait la terre gorgée de sang et le soleil brûlant qui peinait à éponger l'hémoglobine. Les corps, aussi, dont l'amoncellement était tel qu'il était impossible de déterminer à quel bras tronc appartenait un bras ou une jambe.

Un cauchemar familier.

Il fallut moins d'une minute à Cassien pour reprendre ses esprits et pour chasser de son esprit les sensations déplaisantes qui le parasitaient. Il haïssait ces résurgences au réalisme trompeur au point où il sentait avec précision la consistance du sang qui poissait ses doigts et le goût de la mort déposée sur sa langue.

L'instinct aiguisé de Cassien le prévint avant qu'il n'en ait la certitude : quelque chose clochait.

Déjà, il ne se trouvait pas dans son lit, mais dans celui du roi. Ensuite, le chevalier n'eut qu'à balayer la surface des draps du plat de sa main pour réaliser qu'il était seul.

Lyssandre avait disparu et sa place était froide.

Cassien bondit sur ses pieds et alluma une chandelle qui n'avait pas été entièrement consumée. La lueur éclaira la pièce et lui confirma que le roi avait déserté la chambre. Il avait pris ses vêtements et avait quitté la pièce comme s'il était attendu autre part au beau milieu de la nuit.

Sans s'interroger davantage, le chevalier enfila ses vêtements et vérifia la présence d'une arme à sa ceinture. Des années d'expérience lui avaient appris à offrir à son instinct une confiance aveugle et celui-ci lui indiquait de se méfier. Pire, que le départ de Lyssandre ne trahissait pas un désir de promenade nocturne.

À la mince flamme de la bougie, Cassien remarqua un billet glissé sous la porte. Il en défit le pli et ses yeux parcourent les lignes manuscrites ainsi que l'énigme qu'on y avait inscrite.

Les pions sont en place, l'acte final approche votre roi. Il est temps pour vous de jouer. Assemblez les pièces et retrouvez-moi. Avant qu'il ne soit trop tard. Retrouvez-le.

Le cœur de Cassien manqua un battement et ses pensées perdirent en cohérence. Les dents serrées, il serra les poings et se fit violence pour remettre de l'ordre dans ses réflexions.

Quelqu'un avait jugé le moment opportun pour semer des indices et pour jouer aux devinettes. Cette manière d'opérer ne pouvait appartenir qu'à Amaury et cela signifiait qu'il possédait des alliés au sein du palais. Cassien rangea ce constat dans un coin de son esprit et poursuivit son raisonnement, étape par étape. Il décortiqua chaque élément, de l'auteur de ce billet à la raison pour laquelle Amaury l'avait choisi comme destinataire.

Le prince oublié se payait le luxe d'un moment de divertissement et mettait la vie de son ennemi en jeu.

Cassien réfléchissait à toute allure et décortiquait les dernières heures. Il songea à consulter Calypso, quitte à perturber un sommeil réparateur dont elle avait cruellement besoin. Il pensa également à Nausicaa et à toutes les personnes susceptibles de l'aider. Les impliquer dans ce qu'Amaury lui-même qualifiait d'acte final revenait à les mettre en danger et en sa qualité de soldat, Cassien ne put s'y résoudre.

Les pièces à assembler... Le chevalier se demanda ce qui avait pu pousser Lyssandre à quitter le palais à une heure aussi tardive. Lui revinrent alors l'attitude étrange du roi, la peine qu'il avait deviné dans le noir de leur chambre après l'amour. Après la peur, il y avait eu l'abattement et l'impensable résignation.

Une rage rude traversa Cassien : Lyssandre savait. Il savait qu'il lui faudrait ensuite quitter le château et courir aux devants d'un danger dont lui seul connaissait la nature.

Comment ? Comment Amaury avait-il forcé Lyssandre à se mettre en danger ainsi, volontairement, et sans même se débattre ?

Cassien disséqua chaque geste de son amant, les uns après les autres, pour mettre la main sur un indice, même mince, qui saurait le mener jusqu'au roi. Il le revit alors brûler, juste sous ses yeux, un billet. Un billet qui ne s'était qu'à moitié consumé et que Lyssandre avait laissé tomber négligemment.

Il fallut à Cassien moins de deux minutes pour quitter la chambre, traverser les couloirs, dévaler les escaliers et atteindre la salle du trône. Le souffle court, les pensées éparpillées, il se rua au fond de la pièce. La chandelle s'était consumée, mais un petit morceau de papier noirci gisait toujours au pied de celle-ci. Cassien crut qu'il allait tomber en morceaux carbonisés lorsqu'il s'en saisit, mais quelques mots se distinguaient encore.

L'écriture était identique à celle du billet glissé sous la porte de la chambre.

Lorsque Cassien en prit connaissance, il eut la certitude qu'on se jouait d'eux, qu'on les manipulait, et qu'il n'était plus temps de se demander pourquoi. Qu'il leur faudrait se plier aux règles s'ils désiraient s'en sortir, même si cela revenait à se plier aux directives d'un esprit dérangé.

L'acte final ne s'écrirait qu'à cette condition.

Sur le papier rongé par la flamme qui avait noirci ses bords et englouti un mot entier, peut-être précieux, se détachait une écriture nette et tout à fait lisible.

Quatre mots, deux informations précieuses qui avaient poussé Lyssandre à se livrer à son ennemi et qui livrèrent à Cassien la première pièce de son énigme.

Halev.

Place de l'assassiné. 


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