Chapitre 40
/!\ Le chapitre suivant vous propose une scène à caractère sexuel aussi explicite que la première. Je vous encourage à passer ce contenu s'il vous indispose, vous met mal à l'aise ou autre. Bonne lecture aux autres ! /!\
Lorsque Nausicaa entra dans la salle du trône, elle y découvrit une ambiance lugubre. Seules quelques chandelles éclairaient la pièce, et juste assez pour qu'on en distingue les formes. Il y avait, installé sur le trône à la façon d'un roi déchu, le souverain acculé.
Lyssandre s'imaginait-il déjà quelle nouvelle son amie lui apportait ? Depuis des lustres, il n'existait plus d'heureuses nouvelles, il s'imaginait sans doute déjà le pire. Dans son attitude, dans la manière dont le roi était courbé, la couronne sur ses genoux, il semblait rendre les armes.
La gorge de Nausicaa se noua. Elle eut envie de rejoindre Lyssandre et de le rassurer. Il avait besoin de chaleur humaine, d'un peu de réconfort. Pourtant, la courtisane crut qu'elle allait hurler, hurler à ce pantin de se redresser, de tenir bon encore un peu, de ne pas abandonner Loajess après avoir régné si peu. Nausicaa avait assez crié et elle n'osa pas s'approcher jusqu'à se tenir à la hauteur de son ami. Elle se planta au pied des marches et inclina le visage.
Figé, celui de Lyssandre ne s'animait pas. Il coula seulement un regard sur elle, un regard rongé par les ombres mouvantes de la salle du trône :
— Qu'y a-t-il, Nausicaa ?
— Je n'apporte pas de bonnes nouvelles.
Lyssandre haussa les épaules. Était-ce réellement étonnant ?
— Dis toujours.
Nausicaa obtempéra. De toute manière, le roi n'avait pas d'autres choix que de l'écouter jusqu'au bout, sans l'interrompre, et il le fit. Il prêta une oreille attentive au récit de la baronne, que celle-ci conta avec autant de recul possible. Elle évoqua d'abord ses soupçons à l'égard d'Äzmelan, puis les simulacres de preuves qu'elle pensait avoir rassemblées, la réponse de Miriild aux accusations qui incombaient son père ainsi que le fait qu'elle soit partie le chercher. Enfin, Nausicaa exposa tout ce qui s'approchait, de près ou de loin, à la tentative d'assassinat de Calypso. À l'évocation du nom de sa tante, Lyssandre se mordit la lèvre et son amie aurait juré avoir vu sa lèvre trembler dans la pénombre.
— Pourquoi s'être attaqué à elle ? Un allié, qui plus est. Calypso n'est pas exactement le genre de personnalité qu'il est intelligent de se mettre à dos.
— Ta tante pense qu'Olorn voulait se débarrasser d'elle parce que ce qu'elle savait était devenu gênant et parce qu'elle représente un poids considérable dans la balance. La liquider ne restera pas sans conséquence et cela revient à t'affaiblir plus que tu ne l'es déjà.
Lyssandre prit une inspiration heurtée. Il s'entêta à garder son calme, à ne pas lutter. Il avait réfléchi ces dernières heures, trop pour son propre bien, et des idées apparaissaient. Nettes et sûres, il n'était pas certain qu'elles suffisent à sauver Halev, à sauver sa couronne. Son regard s'arrêta sur celle-ci et ses doigts retracèrent les joyaux qui y brillaient. Ce qu'il tenait entre ses mains représentait le bien le plus précieux, le plus convoité de Loajess. L'or de la couronne se mêlait aux pierres précieuses et l'ensemble était à la fois beauté et laideur.
Pouvoir et cruauté.
— Olorn est issu d'une jeune noblesse. Peu m'importe que leurs intentions soient tournées vers leur propre ascension, ils m'ont été bien plus fidèles que les nobles-sangs. Je ne comprends pas pourquoi l'un des leurs souhaiterait abattre une de ses alliés. En tuant Calypso, il a voulu m'atteindre.
— Oui, acquiesça Nausicaa, sans nul doute. Ta tante décrit Olorn comme un opportuniste et elle pense l'avoir cruellement sous-estimé. Le vent tourne, à Halev, et si les pouvoirs qui l'agitent ont toujours été en mouvement, cela n'a jamais été aussi vrai. On accuse son voisin, on dénonce son plus proche ami, on tente de s'assassiner, sinon d'arracher la place de l'autre à tout prix. Cela ne peut pas durer.
— D'ici quelques jours, le pouvoir que cristallise Halev, soit une capacité d'exécution, de législation ainsi que ses structures judiciaires qui égalent, sinon dépassent mes propres moyens, pourrait bien voler en éclats.
Il passa une main sur sa figure. Amaury se jouait de lui, se moquait de ses vaines tentatives de redressement. Quoi que Lyssandre fasse, son adversaire avait imaginé comment le contrer. Il avait déjà perdu, ce n'était qu'une question de temps, qu'une question de patience.
Cette fois, Lyssandre n'avait pas envie d'attendre tranquillement sur son trône que les hommes de son oncle pénètrent ses murs et lui arrachent sa couronne.
Il aurait dû se résigner, plus d'un l'aurait fait à sa place en réalisant qu'Amaury se dresserait toujours sur son chemin, mais il s'acharnait jusqu'à s'ôter le sommeil.
— Olorn a dû trouver un intérêt à tuer Calypso. Peu importe lequel, qu'il réponde aux directives de l'un ou de l'autre.
— Cela importe, rétorqua Lyssandre. J'ai besoin de savoir si les sangs-neufs m'ont définitivement tourné le dos ou non.
— Amaury aurait pu lui donner les ordres, ou les nobles-sangs. Si Olorn a senti que le vent tournait et qu'il est allé s'imaginer un vainqueur, peut-être a-t-il choisi de renier les siens. Il ne serait pas le premier.
Ces histoires de noblesses, Nausicaa les maîtrisait sur le bout des doigts. Elle connaissait les enjeux, les motivations de chacun. Amaury avait simplement mis le feu aux poudres. Il avait attendu jusqu'au dernier moment, à l'instant où la confiance de la noblesse guerrière était au plus bas, pour s'attaquer à elle. Il n'en avait pas fallu davantage pour déséquilibrer les forces qui manipulaient Loajess. Pour que les hostilités latentes depuis des années ne s'éveillent. La vieille noblesse avait tué les responsables de la prise d'otages, mais ne s'arrêterait pas en si bon chemin. Bientôt, si la situation restait ainsi, ce serait les deux rivales qui tenteraient d'abattre l'autre par tous les moyens.
Lyssandre se présageait ces possibilités. Il reproduisait l'habitude d'Amaury, celle d'imaginer chaque hypothèse pour la contrer. Il ne possédait pas ce talent pour les prévisions et pour les coups précis et mortels. Doucement, mais sûrement, Lyssandre prenait conscience de l'ampleur de son désavantage. Amaury avait tout prévu jusqu'à l'instant où son neveu descendrait du trône pour le lui rendre.
Amaury serait alors à l'image de ceux qu'il haïssait : un roi parmi les rois.
— Lyssandre, l'appela Nausicaa.
Il reprit ses esprits. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas capté les mots qu'elle lui avait adressés.
— Excuse-moi, que disais-tu ?
— Quelque chose que tu n'as pas envie d'entendre.
— Je t'écoute.
— C'est une révolution qui se prépare et ce ne sont pas juste les mots d'Amaury. Cette fois, je crois que tout Loajess s'est mis d'accord pour l'affirmer.
Le pire était encore à venir.
— La tempête revient, murmura Lyssandre, si bas que Nausicaa n'en perçut que les échos inaudibles.
Le roi rejeta le visage en arrière et ferma les yeux.
Il pouvait presque déjà sentir le vent se lever.
***
Lyssandre froissa un bout de papier entre ses doigts. Il était seul dans la salle du trône, la fillette qui venait de lui rendre visite avait quitté les lieux, aussi furtive qu'une ombre. Le roi ne se souvenait pas l'avoir déjà vue, si ce n'était peut-être au service de Nausicaa.
Le regard du souverain dévia sur sa main. L'encre du billet était encore fraîche et avait tâché la paume de sa main.
La nuque courbée, les yeux de Lyssandre balayaient l'invisible. Il ressemblait à un pantin dont aurait coupé les fils et se sentait au moins aussi impuissant.
Terrifié d'agir par lui-même. Il avait goûté à cette sensation lorsque son père avait exhalé son dernier souffle et cela le reprenait. Ses gestes lui appartenaient, il en était le possesseur et il lui revenait d'en accepter les conséquences. L'homme était comme un enfant auquel on aurait donné de trop lourdes responsabilités et cette impression le saisissait souvent. Il n'avait pas grandi comme il l'aurait dû, dans sa prison dorée.
Le prince d'autrefois avait été l'être frêle, insignifiant, au croisement de personnalités éclatantes. Soann, Mélissandre, Hélios et même Calypso avaient vu leurs ombres porter jusqu'à lui et involontairement modeler sa personnalité. Lyssandre avait essayé de lutter lorsqu'il en avait pris conscience, mais ses choix pour s'éloigner de ces figures modèles ne servaient qu'à s'en rapprocher un peu plus. Il avait grandi dans la solitude, dans l'ombre d'un nom qui ne lui appartenait même pas et qui faisait de lui le souvenir inconsistant de sa mère. Il avait grandi à demi, sans savoir s'il s'appartenait ou non, sans savoir si ses choix étaient les siens. Il avait grandi dans l'ombre d'un idéal, d'une rêverie, d'un songe.
Désormais qu'il était bien sûr de la portée de ses actes, Lyssandre en payait les conséquences. Plus que n'importe quel homme, ses gestes étaient épiés et jugés. Le mal-être qui pesait sur les épaules du roi ne faisait que confirmer l'évidence : il n'était pas né pour être roi.
Il était ce prince qui n'aurait jamais dû régner.
La porte au fond de la pièce s'ouvrit pour laisser entrer Cassien. Lyssandre sentit une touche de soulagement l'étreindre, rapidement suivie d'une culpabilité maladive.
— Vous m'avez fait appeler, Sire.
— Oui.
Lyssandre se pencha au-dessus d'une chandelle et fit brûler le billet. La chaleur lui brûla le bout des doigts et il laissa tomber la moitié de parchemin encore intacte sur le sol. Les braises finiraient bien par le consumer. Il coiffa sa tête de sa couronne et descendit de son trône. Il ne marchait pas très droit et ce détail n'échappa pas au chevalier dont le regard se durcit.
— Êtes-vous ivre, Majesté ?
— Non, je ne le suis pas.
Lyssandre ajouta ensuite, après être arrivé à la hauteur de Cassien :
— Vous avez ma parole.
Il détaillait le visage de son amant avec une tendresse mêlée de désir. D'ordinaire, il contrôlait la teneur de ses regards, plus encore depuis la nuit qu'ils avaient passée ensemble. Ce soir, il n'en avait aucune envie.
— J'aspire à une toute autre ivresse.
Cassien eut un mouvement de recul. Pas pour échapper aux avances limpides de son roi, mais par surprise. Lyssandre ne se montrait jamais aussi direct et au rougissement qui embrasait ses joues, il était évident qu'il s'en étonnait lui-même.
— Je ne suis pas certain que celle dont vous parlez soit plus recommandable.
— Suivez-moi.
***
Lorsque la porte de la chambre royale se referma sur eux, Lyssandre s'accorda le droit de soupirer. Cassien portait sur lui un étrange regard. Il semblait hésiter : devait-il demander au roi quel autre malheur venait de s'abattre sur lui ? Lyssandre se retourna comme pour l'en dissuader et s'approcha juste assez pour se planter devant son chevalier.
— Retirez-moi cette couronne.
Cassien se contenta de ciller. D'où venait cet ordre ?
— Enlevez-la-moi, je vous en prie. Je veux que cela soit vous. Retirez-moi cette couronne, j'ai...
Lyssandre porta une main à hauteur de celle-ci et grimaça. Il avait l'impression que l'or brûlait sa chair et que les pensées de ses prédécesseurs parasitaient les siennes. Des injonctions, des ordres, des injures misérables, et le poids de la tradition que le jeune souverain ne pouvait plus supporter.
— Laissez-moi redevenir un homme. Personne n'en saura rien. Je veux que vous me traitiez comme un homme, comme si j'en étais un à nouveau.
Il y avait, dans la voix de Lyssandre, comme de l'urgence. Il avait retenu cet appel depuis longtemps, depuis que la couronne avait coiffé sa tête pour la première fois. Cassien ne se pressa pas pour autant et détacha chaque geste du précédent lorsqu'il s'avança vers son roi. Il attrapa les bords de la couronne et le métal précieux était froid. Lorsqu'il le retira enfin, Lyssandre passa ses doigts sur son front. Il semblait s'attendre à trouver la peau fondue sous la pulpe de son index, mais l'épiderme était intact. Cassien s'éloigna quelques instants pour déposer le fardeau non loin, sur une chaise qui bordait la cheminée.
Lyssandre déglutit. Il avait failli une première fois et le chevalier ne lui en avait pas tenu rigueur. Cela ressemblait à un caprice, cet appel à l'aide, mais il n'en était rien. L'homme paraissait le comprendre, puisque son regard posé sur son amant n'émettait nul jugement.
— Je n'ai pas l'intention de vous rabattre les oreilles avec mes jérémiades.
— Que voulez-vous, Sire ?
— Pas de Sire, s'il vous plaît, pas de titre officiel. Appelez-moi juste Lyssandre, ce soir.
— Alors je serais simplement Cassien.
Lyssandre s'humecta les lèvres. Il avait chaud, tout à coup, une chaleur moite qui lui intimait de se dévêtir. Cette toilette trop stricte, trop officielle, lui rappelait le pouvoir, les affres dans lesquels le souverain tombait, jour après jour. Il tira sur le col pour respirer un peu mieux.
— J'aimerais oublier.
— Vous ne le pouvez pas.
— C'est ridicule, n'est-ce pas ? Je ne suis qu'un enfant gâté qui a peur de la mort, des malédictions, et des disparus. Je n'ai pas vécu la guerre, j'ai été à l'abri du besoin toute ma vie, et j'ai l'impression que le malheur m'écrase. J'ai l'impression que je chute, que je chute encore, et que ma déchéance ne cessera jamais. Je pense à l'instant où je cesserai de tomber et il m'arrive presque d'espérer que ce moment se présentera bientôt. Au moins, ce sera terminé. Je n'ose pas l'avouer parce que je n'ai pas le droit de le faire, mais j'ai envie d'abandonner. Cette convoitise dont Loajess fait l'objet, tout ce pouvoir ne m'intéresse pas. Je n'en ai jamais voulu et je crois qu'il faudrait laisser cette tâche à quelqu'un d'autre. Un roi qui aurait moins de scrupules, moins délicat, plus affirmé. Un roi qui n'a pas peur de son ombre.
Les lèvres de Lyssandre s'écorchèrent sur ces dernières syllabes. Un vertige le saisit. Il avait toujours été trop émotif, les nourrices s'en épouvantaient, le roi s'agaçait de voir son fils en larmes à la première déconvenue. Il avait compris qu'il ne ferait pas de ce prince un guerrier, il en ferait alors une poupée.
Cassien approcha sa main du visage de Lyssandre et effleura sa joue de son dos. Il emmêla entre ses doigts une mèche tissée d'or et dit :
— Ce sont vos scrupules et votre faiblesse qui sont en mesure de faire de vous un bon roi.
— Vous vouliez me protéger, peu importait que je sois un tyran ou un faible.
Cassien s'armait d'une douceur à laquelle il n'était pas familier. Il ne connaissait pas les compliments, ces mots qui apaisaient l'âme et le cœur. Il chercha en lui une vérité qui avoisinait l'évidence, au point où il ne l'avait jamais prononcée de vive voix.
— Si je suis toujours à vos côtés, c'est bien parce que vous n'êtes pas comme les autres. Ce n'est pas parce que vous ne leur ressemblez pas que vous n'êtes pas à la hauteur.
Lyssandre avait baissé la tête. Il finit par acquiescer. Des larmes perlaient, prisonnières de ses cils, et elles ne coulèrent pas. Il avait besoin d'entendre ces paroles, puis de les oublier.
D'oublier ce que cela procurait d'être le roi.
Lyssandre recula d'un pas. Il retira son veston brodé de fils d'or. D'un pourpre profond, la couleur s'accordait avec sa chemise, d'un orange délavé. Ses manches bouffantes donnaient au roi une carrure plus imposante et, ceinturée à la taille, le vêtement soulignait l'étroitesse de celle-ci avec élégance. Le veston glissa au sol dans un bruit mou.
Lyssandre dégagea sa nuque pour ôter ses pendants d'oreille. Il présenta l'accès à son cou et Cassien s'approcha à nouveau. Son visage n'exprimait rien, si ce n'était sa neutralité parfaite de soldat. Seuls ses yeux suggéraient la convoitise et un brin de concupiscence. Sa figure se glissa dans le creux de l'épaule qu'il dénuda assez pour y déposer un premier baiser, puis un second un peu plus haut. Il remonta ainsi jusqu'à la naissance de sa gorge et Lyssandre frémit avant de libérer plus d'espace, d'offrir sa gorge laiteuse à son amant. Les doigts du roi tremblaient lorsqu'il s'attaqua aux boutons de sa propre chemise.
— Laissez, lui ordonna Cassien.
En élève consciencieux, il retira la chemise avec soin et caressa du regard la peau qu'il dénudait. Il y avait de la retenue dans ses gestes, comme s'il craignait d'abîmer ce corps, de le blesser sans le vouloir.
Lyssandre attrapa le poignet de son chevalier, croisa son regard et y lut un désir qui embrasa ses reins. Il dut se faire violence pour calmer ses ardeurs et modérer un emportement excessif. Le roi se contenta d'initier les caresses, de guider les mains de Cassien. L'une d'elles s'égara dans le dos de Lyssandre. Elle effleura les reins que le souverain avança, la bouche sèche, dessina la bordure de sa ceinture, puis remonta en suivant le tracé de sa colonne vertébrale. Un frisson parcourut celle-ci, du haut de sa nuque jusqu'au bout de ses pieds. Lyssandre agrippa les épaules de Cassien et enfouit son visage dans son cou.
— Je vous en prie, continuez.
— Je... Je ne suis pas...
C'était curieux, la manière dont Cassien pouvait perdre son assurance lorsqu'il s'écartait du cadre de ses fonctions. Lyssandre, les yeux mi-clos, réalisa à quel point ils s'opposaient. Lui était incapable d'accepter ses responsabilités et d'y répondre, Cassien ne savait plus comment en échapper.
L'un se définissait par son rôle.
L'autre ne parvenait pas à s'en montrer digne.
Trop humain, ou plus assez.
Lyssandre recula juste assez pour effleurer, de son index, le menton de Cassien. Son souffle s'échouait sur ses lèvres en un appel irrésistible. Le roi céda le premier et souffla l'ombre d'un baiser sur la bouche pleine de son amant. Celui-ci lui en vola un second, plus sensuel, moins pudique, et lui présenta une infime part de ses désirs.
Ce baiser était sensuel à plus d'un titre.
Il suggérait les étreintes que Cassien s'était toujours interdit d'imaginer. La main arrimée dans les cheveux de Lyssandre, toute proche de la nuque, il lui fit goûter à cette intime part de lui-même.
— Essayez de vous oublier un peu, vous aussi.
Cassien secoua la tête. Il n'y parviendrait pas.
— Essayez.
Lyssandre conclut par un nouveau baiser déposé au coin des lèvres. Il était si proche que ses cils caressaient la joue de son amant dont la bouche dévia un peu, de la mâchoire au cou, où il passa sa langue sur la cicatrice laissée quelques mois plus tôt. Il avait déjà eu ce geste la première fois et cela évoqua à Lyssandre un rituel sensuel.
Plus bas, à la jonction de la gorge et de l'épaule, il reproduisit la même attention et le roi passa sa main dans la nuque du chevalier en une demande muette. Une sorte d'encouragement que la pudeur l'empêchait de formuler de vive voix. Cassien imprima une morsure indolore sur la peau pâle de Lyssandre. Cette trace serait éphémère. L'ancien soldat ne se permettrait pas de marquer éternellement la pureté nacrée de l'épiderme.
Lyssandre acheva de se dévêtir en premier. Les habits le brûlaient presque et il sentait ses muscles se détendre, un à un.
Il serait plus doué que son amant à l'exercice de l'oubli.
Les doigts de Cassien passèrent sur les joues de Lyssandre comme pour en souligner le rougissement.
— Je sais, ne vous moquez pas.
— Pourquoi rougissez-vous ?
La conversation s'éloignait des pesants sujets qui encombraient les pensées du roi et s'il maudissait cette curiosité presque taquine, Lyssandre préférait mille fois cela.
— Est-ce... votre nudité ou...
— Oui, cela et... le regard que vous me portez. Je n'y suis pas habitué.
Cassien cilla sans rien ajouter. Les gestes qu'il initia ensuite lui parurent étranges, comme s'ils ne lui appartenaient pas. Il réalisait à peine que ses mains pouvaient procurer autre chose que de la douleur. Lorsque celles-ci s'égarèrent à hauteur de la virilité de Lyssandre, le visage de ce dernier se voila et il n'y avait nulle souffrance pour tordre ses traits. Cassien le caressa longuement, jusqu'à ce que les jambes flageolantes du roi ne soient plus en mesure de le porter. Alors, le chevalier posa sa main sur la poitrine de Lyssandre et le poussa vers le lit. Ce fut au tour de l'autre de se soulager de ses vêtements, un à un, ils rejoignirent ceux du monarque et ce geste sembla plus naturel que la première fois.
Enfin, Cassien rejoignit son amant sur le lit. Le cœur de celui-ci s'emballa après s'être redressé pour embrasser l'épaule mâte, là où une cicatrice crevait la surface de la peau. Il perdit le fil des caresses, des peaux qui se rencontrent, des soupirs qui se mêlent. Cela s'éternisa longtemps, jusqu'à ce que les corps entament une danse lascive et à peine suggérée, et que Lyssandre abdique. Il roula sur le côté et se saisit du pot en terre cuite, resté intact depuis la nuit de noces. Il le déposa à côté de lui et, à demi allongé sur le lit, sentit une myriade de baisers se déposer le long de sa hanche, jusqu'à emprunter un chemin naturel. Lyssandre se cambra lorsque les lèvres de Cassien rencontrèrent son sexe. Il rejeta la tête en arrière et n'affronta pas la vision lubrique que lui proposait son amant entre ses cuisses.
— Je vous en prie... s'entendit-il finalement haleter.
Il n'y avait plus de roi, plus de chevalier non plus, plus d'ordres auxquels obéir. Lyssandre crut se noyer dans les limbes d'un plaisir inconnu. Il étouffa ses gémissements dans la paume de sa main, les yeux rivés sur les moulures du plafond. Il se tenait sur le fil de la jouissance, les cuisses ouvertes et le dos cambré sur un plaisir vertigineux, lorsque Cassien s'écarta.
Les doigts de Lyssandre se refermèrent sur les draps de soie et il étouffa, entre ses dents serrées, une grossièreté.
Il croisa le regard de Cassien et crut y déceler une forme d'amusement, peut-être de fierté. Lui aussi se rappropriait son corps, ses intentions, ses désirs, et non ceux des autres auxquels il lui faudrait obéir.
Ils s'embrassèrent jusqu'à ce que l'air vienne à manquer et Lyssandre réalisa qu'il se sentait bien. Un désir brûlant embrasait ses reins, mais ses pensées lui échappaient, une par une. Il avait besoin de céder le contrôle, celui qu'il était certain de ne détenir qu'à titre de compromis sur sa propre vie. Il avait besoin de le confier à un autre et de lui accorder toute sa confiance. Il matérialisa cette nécessité impérieuse en une parole, prononcée d'une voix densifiée par le désir :
— Dites-moi ce que vous voulez. Ordonnez.
Cassien sourcilla et Lyssandre crut qu'il allait lui refuser cette faveur pour la manière dont il venait de la formuler. C'était une preuve de confiance détournée, trop personnelle sans doute, qui laissait suggérer la hauteur de la peur qui rongeait le roi. Au fond, le contrôle, les deux amants en avaient férocement besoin. Ils avaient seulement une manière différente de l'exprimer et Lyssandre en était terrifié.
Cassien approcha sa main du visage froissé par l'émotion. Il aurait tout fait pour l'effacer, mais plutôt que de mettre à son tour des mots sur ce qu'il l'animait, il laissa sa main retomber et ordonna :
— Retournez-vous.
Confus, Lyssandre obtempéra néanmoins et Cassien l'aida à se positionner, à lui offrir sa croupe, son intimité, à dépasser la pudeur. Si le roi avait incliné le visage, s'était tordu le cou, il aurait pu suivre les gestes de son amant, mais il s'abstint de le faire.
Comme la première fois, les doigts humides de Cassien se frayèrent un passage entre ses chairs. Comme la première fois, l'inconfort céda sa place à un plaisir ténu, à une promesse à peine voilée. Comme la première fois, le chevalier poursuivit son œuvre sans se presser et son autre main chemina entre ses cuisses, sur son ventre, pour remonter jusqu'à son dos.
— Cassien, souffla Lyssandre.
L'intéressé s'immobilisa.
— Venez, ajouta le roi, laborieusement.
Ses bras le soutenaient avec peine et ses jambes tremblaient sous son poids. Une pellicule de sueur recouvrait son dos, son front, et collait ses cheveux à sa nuque. Pourtant, Cassien ne cessa pas de le préparer. Il effleura, du bout des doigts, un secret caché au creux de l'intimité de Lyssandre. Celui-ci feula, creusa un peu plus le dos, et crut que le chevalier allait s'en contenter. Cassien n'en fit rien et fit courir la pulpe de son index sur ce trésor, avec application, jusqu'à ce que la retenue s'éteigne et que le souffle haletant de Lyssandre se mue en soupirs, puis en plainte.
Jusqu'à ce que la luxure annihile la timidité et la retenue.
Le corps de l'ancien soldat recouvrit celui de Lyssandre jusqu'à embrasser le sommet de son dos. Il murmura :
— Oubliez.
Les yeux du roi papillonnèrent et il s'abandonna à la jouissance dans une inspiration heurtée. Cassien le soutint et l'empêcha de s'effondrer contre les draps souillés. Contre sa poitrine, sous sa main, il devinait les battements du cœur de Lyssandre. Il s'affolait encore sous ses doigts tandis que l'homme se retirait de l'intimité du souverain pour mieux y revenir. Son amant semblait presque sonné par la violence de l'apogée. Il parvint néanmoins à susurrer, entre deux inspirations :
— Vous... Vous savez être plus qu'un soldat, Cassien.
Lyssandre n'attendit aucune réaction de la part de l'interpellé. Les paroles feraient son chemin, même si le chevalier n'en montrait rien. Il savait être davantage que le rôle qui l'avait marqué jusque dans sa chair, mais il ne savait pas encore être un homme.
— Puis-je ?
— Venez, réitéra le roi.
Lentement, sans attendre que Lyssandre ait repris ses esprits, Cassien s'immisça entre ses cuisses. La respiration du souverain se suspendit, surpris par la sensation nouvelle, entre l'écho de son plaisir encore proche, et cette douleur qu'il lui fallait apprivoiser à nouveau. La brûlure se répandit entre ses reins entre lesquels Cassien se logea. La tête de Lyssandre lui tournait, les premiers mouvements de son amant éveillèrent les sursauts de plaisir qui ne l'avaient pas quitté. Il gémit, rejeta le visage en arrière alors que le chevalier posait une main sur son épaule et une autre sur sa cuisse ouverte.
— Lys, lui murmura-t-il.
Ce fut sa seule plainte articulée. Le plaisir le happa ensuite, mais il ne céda pas à l'ampleur du désir qui le ravageait. Il se mouva, lascif dans cette étreinte charnelle. Cassien fit l'amour au roi avec une lente paresse, une douceur démente.
Ce fut à la fois un supplice et le prélude d'une délivrance qu'ils goûtèrent ensemble. Jamais ils n'avaient ressenti plus intensément la présence de l'autre. La manière dont son corps se découpait, la manière dont ils se mêlaient, se démêlaient. Cette position n'avait alors plus rien d'impersonnelle, elle permettait aux deux amants de se retrouver, de s'oublier aussi, et de cueillir le plaisir, miette par miette.
Jusqu'à ce que celui-ci aussi se pare d'une dimension vertigineuse.
Ni l'un ni l'autre ne sut estimer l'instant où le contrôle leur échappa et que la recherche mutuelle de la volupté leur ôta tout sens de la mesure. Les soupirs s'élevèrent et Lyssandre n'eut plus conscience du son qu'il produisait, des plaintes qui écorchaient sa bouche. Il sentit l'orgasme se construire en lui à mesure que le plaisir ravageait ses reins et que Cassien s'y immisçait dans une étreinte profonde et exquise.
Quel spectacle pouvait bien donner ce roi ? Les joues de celui-ci s'enflammèrent lorsqu'il imagina cette image de luxure, de plaisir presque obscène, de jouissance exprimée sans honte.
Ce fut cette image qui l'emporta dans les méandres de la félicité. Un éclat brut qui se logea en lui et déferla en une vague brûlante et délicieuse. Une vague qui entraîna quelques instants plus tard, la chute de Cassien. Il ferma les yeux pour en goûter le fruit défendu et déversa sa jouissance entre les cuisses de son amant en un grondement étouffé.
Lorsque le chevalier recouvra ses esprits, il admira les cuisses laiteuses de Lyssandre, leur chair tendre, douce, longtemps inviolée. Il contempla les fesses blanches, les jambes effilées qui frémissaient encore.
Si les muscles de son visage le pouvaient encore, savaient encore comment répondre, Cassien aurait sans doute souri. Il se glissa aux côtés de Lyssandre et recouvrit son corps du drap en soie comme par souci de pudeur. Le roi avait éteint chaque bougie avec soin et l'obscurité cacha son masque de désolation.
Incapable de glisser dans les bras du sommeil, Lyssandre attendit que la respiration de Cassien s'apaise et que le chevalier rende enfin les armes pour susurrer, plus bas qu'un murmure :
— Homme, soldat ou chevalier, je vous aime. En mon titre d'homme ou de roi, je vous aime.
Cet aveu s'échoua sans que Cassien ne s'en offense. Il était encore trop tôt pour admettre ce qui leur était interdit, trop tôt pour que l'émotion prenne le pas sur le désir charnel qui dictait leurs actes, leur perdition.
Cet aveu servit l'oubli, avant que le roi n'enfile à nouveau son costume de souverain.
Lyssandre étouffa un sanglot dans son poing. Il effleura le front de son amant de ses lèvres et chuchota encore, dans le calme retrouvé de la chambre, une misérable excuse.
J'ai adoré écrire ce chapitre, une fois de plus, et il s'agit du deuxième et dernier lemon. Pour ce tome, du moins. L'attitude du roi vous intrigue ? Qu'en pensez-vous ?
J'espère que le chapitre vous a plu, on se rapproche de la fin : dix chapitres, déjà !
Bon courage à ceux qui ont déjà repris et à ceux qui vont reprendre prochainement <3
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