Chapitre 33
[Encore Nausicaa, la dernière version ne m'avait pas convaincue au point où j'ai voulu la redessiner dans la foulée. Je suis davantage satisfaite de cette version. Vous plaît-elle ?]
/!\ Le chapitre qui suit cet avertissement comprend une scène à caractère sexuel. Si ce type de contenu vous déplaît ou vous met mal à l'aise, je vous invite à passer simplement ce chapitre et à poursuivre l'histoire avec le suivant. Cela n'engendrera pas problèmes de compréhension et je ne souhaite pas choquer ou déranger un public inadapté. Pour tous les autres, je vous souhaite une agréable lecture ! /!\
Lyssandre prit enfin conscience de la chaleur qui l'enveloppait, des odeurs florales et de la douceur supposée de la soie qui appelait les corps à se rencontrer, des bougies qui découpaient des ombres et qui flattaient d'une lumière orangée les visages.
Il prit aussi conscience de la présence de Cassien, aussi suggestive que l'était l'invitation de Miriild. Il prit conscience du poids de son regard sur son visage, sur son corps encore entièrement vêtu, et ses joues s'enflammèrent.
Ne sachant que faire de ses bras, trop encombrants, il se dirigea vers la petite table qui bordait le lit immense. Deux calices avaient été disposés et il n'en prit qu'une autre avant de rejoindre Cassien. Il lui tendit le présent comme une offrande et attendit qu'il le repousse, qu'il rejette cette initiative. Lyssandre savait que s'il ne donnait pas suite à son geste, il n'aurait pas le courage d'insister, de parlementer.
Cassien accompagna le calice jusqu'à sa bouche, plus maladroit qu'il ne l'aurait voulu, et versa le liquide épais, sucré, entre ses lèvres. Le goût était agréable, entre le miel et tout autre chose, d'une douceur qui semblait rappeler celle de Miriild. Dans un accord muet, ils parurent s'accorder sur l'idée ne pas s'attarder en discussion à son sujet. Ils auraient tout le loisir d'y revenir plus tard. Le chevalier passa sa langue sur ses lèvres pour y récolter quelques gouttes du nectar.
— Je suis désolé, dit Lyssandre.
Cassien acquiesça. C'était là sa façon d'accepter ces excuses, de les respecter. Il aurait voulu ajouter une banalité, une formulation qui reprendrait l'idée que le roi n'avait fait qu'agir au mieux. Il se rappelait l'image de Lyssandre dans les bras d'une femme à Arkal et ce souvenir le musela. Il avait vécu les dernières semaines dans la crainte de voir cet instant se reproduire.
Le chevalier se pencha, hésita encore quelques brefs instants, à un souffle des lèvres du souverain, avant de les ravir. Il goûta son souffle pour s'écarter très vite. Lyssandre avait glissé sa main le long de la joue de Cassien et il tenta de le retenir :
— S'il vous plaît...
Le roi reprit ses esprits à son tour et libéra le jeune soldat de son étreinte, bien que celui-ci aurait pu s'en charger seul s'il l'avait voulu. La peur lui nouait l'estomac et il cherchait, du regard, l'approbation qu'il attendait. Miriild leur avait offert cette nuit et ce cadeau inespéré pouvait encore être gâté.
— Dites-moi quelque chose, murmura Lyssandre. Repoussez-moi, acceptez ce cadeau, le choix vous appartient, mais ne me laissez pas ainsi.
— Ce qu'à dit la reine... commença Cassien.
Les sourcils froncés, il semblait plus incrédule que tourmenté. Les mots peinèrent à sortir et comme à chaque fois qu'il lui était difficile d'articuler, la peur du mutisme guettait. Il se rappelait les instants qui avaient suivi son départ d'Arkal un peu moins d'un an plus tôt.
— Elle a dit que votre cœur était pris. Est-ce...
— Vous en doutiez ? Vous pensiez que je vous prenais pour un divertissement, un passe-temps un peu exotique ? rétorqua Lyssandre, dans un murmure sourd.
Cassien ne pensait pas, ou plutôt n'avait pas cherché à comprendre. Il avait vécu au palais, mais il n'avait jamais prêté gare aux jeux des nobles. Lyssandre était un enfant gâté, même si cela ne le rendait pas insupportable pour autant. De fait, il obtenait tout ce qu'il souhaitait, bien que le joug de Soann nuançait ce point, y compris ce qui n'aurait pas dû se monnayer. Un homme, par exemple, et en particulier un homme qui refuserait de céder à ses demandes. À ce titre, Cassien aurait pu être un défi à relever.
Lyssandre s'approcha lentement, comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises. Le chevalier était sur la défensive sans même s'en rendre compte, le poil hérissé par ses propres faiblesses. Parmi elles, son incapacité à distinguer ses émotions, à les comprendre et à les admettre. Comme absorbées par tout le sang qu'il avait vu couler, qu'il avait fait couler aussi, elles résonnaient étrangement en lui. Comme un musicien qui jouerait faux une partition entière.
— Fermez les yeux.
— Non.
Cassien se fit violence. Les réflexes avaient la peau dure. Demander à un soldat de se mettre en position de vulnérabilité revenait à tendre une arme pour être abattu. C'était impensable. Le soldat qu'il avait été dormait d'un sommeil léger, ne fermait parfois pas l'œil de la nuit durant des jours, n'accordait sa confiance à personne, pas même aux plus avenants et se tenait prêt à passer à l'action, à riposter, à chaque instant, du jour ou de la nuit. Le soldat de naguère n'aurait jamais accepté de fermer les paupières devant un homme, fusse-t-il son roi.
Cassien planta ses yeux dans ceux de Lyssandre avant de progressivement les clore. Tous ses sens en alerte, l'homme se sentit nerveux.
— Est-ce que vous avez peur ?
Cassien ouvrit la bouche. La réponse fuserait, sans bavure, mais il la retint. Elle n'était pas tout à fait honnête et, à bien y réfléchir, la vérité se faisait plus nébuleuse. Que ressentit-il réellement ? De la peur, de l'appréhension, de la méfiance ou une sorte de vigilance exacerbée ?
— Je ne sais pas.
Sensible aux mouvements de l'air, Cassien devina l'instant où Lyssandre bougea. Il sentit sa main approcher de son visage et il faillit rouvrir les yeux.
— Gardez les paupières closes.
Alors, les doigts effleurèrent son front. Une zone neutre, que n'importe qui aurait pu toucher sans ambiguïté. La pulpe de l'index chemina jusqu'à la tempe, puis jusqu'à la pommette. Progressivement, le geste gagna en sensualité et la respiration de Cassien se fit plus marquée. Pas plus détendue, mais plus profonde pour s'imprégner des senteurs.
— Cela me blesse, lorsque vous sursautez. C'est imperceptible, mais j'ai l'impression de vous faire mal, et je ne le veux pas. Dites-moi si vous...
— Continuez.
Lyssandre déglutit. Il maquillait sa timidité en audace et le noir dans lequel il avait plongé Cassien l'y aidait. Bien que maladroit, il se sentait moins empoté et le rougissement de ses joues n'apparaissait pas aux yeux de son amant.
Lyssandre allia le geste à la parole. Ainsi, à mesure qu'il parcourait la joue du chevalier du bout des doigts, descendant jusqu'à retracer la ligne de sa mâchoire, il poursuivit :
— Durant ces dernières semaines, j'ai cru avoir commis l'écart de trop. Je n'ai pas eu le courage de vous le dire jusqu'à présent, mais je tenais à ce que vous sachiez... Ce à quoi vous avez assisté à Arkal ne se reproduira plus. Plus jamais.
Cassien faillit rétorquer, avec sa désinvolture habituelle, que Lyssandre ne lui devait rien. Cela aurait été mentir, puisqu'il n'en pensait rien et que cette promesse le soulageait. Elle ne valait pas grand-chose, il en convenait, mais après des semaines de silence, il s'en contenterait.
Un silence s'installa. Un silence durant lequel le roi poursuivit son œuvre. Il modela les traits de Cassien avec l'attention d'un artiste et lui prouva, par le geste, que cette absence de contrôle pouvait lui être agréable.
— J'ai du mal avec les gestes encore plus qu'avec les paroles, murmura alors le chevalier, si bas que sa voix avala quelques syllabes. Un retour à Arkal a été difficile à accepter, mais je crois ne l'avoir jamais quittée. Je suis incapable de considérer le monde hors du spectre de la guerre, loin de la violence qui en découle. Il en va de même avec le contact.
Lyssandre songea que Cassien n'aurait peut-être pas su retourner à une vie civile bien tranquille après ce qu'il avait traversé.
— Vous vous l'imaginez toujours brutal, traduisit-il.
Le silence de Cassien fut évocateur et le cœur de Lyssandre se serra. Il eut envie de balayer sa propre maladresse pour lui prouver que l'homme pouvait exister loin de la violence et que ses mains pouvaient provoquer tout autre chose. La pensée qui lui vint à l'esprit enfiévra le roi qui se mordit l'intérieur de la bouche.
— J'aimerais savoir si vous désirez partir. La porte est ouverte, vous pouvez vous en aller.
Cassien ne répondit pas immédiatement. Il se saisit de la main de Lyssandre et la fit glisser contre sa joue glabre jusqu'à sa bouche. Ses lèvres effleurèrent le dos, puis la paume et les doigts. Il avait gardé les paupières closes et acceptait de céder un fragment du contrôle qu'il avait l'habitude de maintenir.
— Je ne suis plus un enfant, vous savez. Vous avez toujours un mémoire le garçon que j'ai été.
— J'ai quitté le château parce que je nourrissais, pour l'adolescent que vous étiez, des pensées qui n'auraient jamais dû me traverser. Mon inclinaison n'avait rien de sain et chacune de ces pensées vous souillaient, tout comme mes gestes aujourd'hui.
Lyssandre eut le sentiment que cette certitude ne quitterait pas Cassien de sitôt. Elle était profondément inscrite dans son esprit, et ce, depuis de nombreuses années. La seule manière de l'en dissuader restait de lui prouver le contraire.
— Vous me blessez, vous savez. Je suis plus que la pureté que vous nommez sans relâche.
Les paupières de Cassien s'agitèrent et Lyssandre pressa une main devant ses yeux pour l'empêcher de le regarder. Ces paroles, le roi n'avait jamais trouvé le courage de les prononcer, et les yeux clos de son amant le rassurait assez pour qu'il s'en sente capable.
— Voyez en moi un homme, pas seulement la précieuse petite chose que vous avez toujours voulu protéger. Je suis plus que cela, je suis un homme, avec ses faiblesses, ses qualités, et ses... désirs. J'aimerais que vous me traitiez comme tel.
Les yeux de Cassien papillonnèrent à nouveau, mais il ne s'écarta pas. Il réfléchissait aux paroles de Lyssandre et réalisait l'étendue de son erreur. Il avait voulu choisir pour lui et décréter à sa place ce qui aurait dû le concerner en premier lieu. Depuis des mois, Cassien parlait en son nom comme si le roi n'avait pas le droit d'émettre son opinion au sujet de ses désirs.
Les doigts de Lyssandre s'égarèrent à la lisière des vêtements du chevalier. Une interrogation inarticulée laissée en suspens. L'homme attrapa la main du monarque et la guida le long de son cou, puis derrière sa nuque, comme pour explorer ensemble les régions secrètes de son corps.
— La violence peut me souiller, l'injustice aussi, les injures avec elles, mais certainement pas ce que vous me faites.
Sous les doigts de Lyssandre et pour la première fois, les épaules de Cassien se détendirent. Il évacua une part de la tension qu'il accumulait depuis des années.
— Est-ce que vous m'autorisez à ouvrir les yeux ? demanda-t-il.
— Oui.
Cassien contempla le visage du roi comme s'il l'observait pour la première fois. Ses traits d'une finesse jugée féminine, son nez droit, ses lèvres fines, pâles, et ses yeux verts, qui brillaient dans la pénombre de la chambre. Ses cheveux blonds auréolaient sa peau satinée de leurs mèches dorées et Cassien plongea une main à l'intérieur. Ce n'était plus le garçon qu'il avait abandonné près de sept ans auparavant, mais bel et bien un homme.
Ils s'embrassèrent longuement, jusqu'à manquer de souffle. Leurs lèvres se cherchèrent, se trouvèrent, cédèrent, et les caresses se mêlèrent à cette danse. Cela ressemblait aux prémices d'une découverte et, l'un comme l'autre, ils basculèrent dans l'inconnu. Lyssandre sentit, contre son ventre, l'excitation de Cassien et cela embrasa ses sens au point où il initia les premiers gestes. Ses doigts s'acharnèrent sur les boutons de l'uniforme militaire de son amant, sans succès. Celui-ci s'écarta pour lui adresser un regard.
— Je vous défends de vous moquer.
Une sorte de chaleur envahit les arêtes glaciales des yeux de l'intéressé. Cela ressemblait à un sourire qui disparut lorsque les lèvres du chevalier dévièrent jusqu'à se loger au creux de son cou. Il y eut d'abord le souffle brûlant contre la peau que Lyssandre devinait sensible, puis la caresse suggérée de la bouche de Cassien. Le visage rejeta en arrière, les yeux mi-clos, le roi crut se consumer une première fois lorsque la langue goûta son épiderme à la naissance de sa gorge. Il goûta cette parcelle de peau, là où une petite cicatrice était logée, dans l'ombre de son visage. Puis, aussi furtif qu'une ombre, il s'écarta.
Cassien sembla embarrassé par ces gestes qu'il ne connaissait pas et dont il était confus de s'encombrer. Ses doigts s'emmêlèrent dans les boutons et il réussit, au prix d'un effort interminable, à retirer son veston. Lyssandre retira le sien à son tour, sans se presser. Il cherchait l'approbation dans le regard du chevalier avant de se rattacher à son corps une fois de plus.
Cette fois dans une étreinte qui les pressa l'un contre l'autre jusqu'à deviner les courbes des corps qui s'enchevêtraient. Lyssandre enfouit son visage dans le cou de Cassien pour y masquer ses joues enflammées, et ses mains poursuivirent leur route, comme animées d'une volonté propre. Il leur découvrit un culot dont il ne se pensait pas doté et se rappela leur seule véritable étreinte, dans la chambre royale. Lyssandre déglutit, indécis, prisonnier de ces instants où il se sentait presque honteux des gestes accomplis et désireux de les reproduire, d'en demander davantage.
Lyssandre céda à cette seconde possibilité en pressant avec plus d'assurance son bassin contre celui de Cassien. L'invitation se fut suggestive, mais compréhensible, puisque le chevalier y répondit en reproduisant le mouvement. La chaleur déjà suffocante de la pièce parut s'intensifier et la tension suivit la même tendance qui mêlait autant d'interdits que de risques. Cela demandait à Cassien de se priver de son contrôle absolu et Lyssandre de cette timidité qui grippait ses gestes.
Un baiser et un autre, jusqu'à ce que l'envie les domine, jusqu'à ce que les caresses se fassent impudentes, tentatrices.
Lyssandre fut incapable de décréter lequel des deux initia le geste qui les happa dans une étreinte plus fiévreuse. La fièvre... Le roi n'avait jamais rien ressenti de tel. Elle était plus profonde que lorsque Cassien l'avait rejoint dans sa chambre, quelques mois plus tôt. Parfois, le chevalier fuyait encore, il le sentait frémir sous ses caresses, sous le contact de ses doigts frais contre son épiderme brûlant. Alors, il l'apprivoisait à nouveau, ne se froissait pas, et recommençait à nouveau. Ils s'observaient à travers le voile de leurs cils. Les yeux mi-clos, le souffle court, le contrôle s'étiolait jusqu'à se réduire à une notion théorique.
Cassien s'écarta finalement et passa une main tremblante sur la joue de Lyssandre. Il était fébrile et il en était le premier étonné. D'une voix qu'il découvrit chevrotante et qu'il haït, il articula :
— Vous n'avez jamais... Avec personne, vous...
— Non, avec personne. Et vous, j'imagine qu'au front, il vous est arrivé de...
Lyssandre ne prononça pas les termes. Pas qu'il n'en fut pas capable, mais il n'en avait pas l'envie. Jamais l'idée ne lui avait traversé l'esprit et cela lui parut étrange qu'il n'y ait même jamais pensé.
— C'est arrivé, trancha Cassien.
Ce dernier garda de préciser qu'il en garda un souvenir peu flatteur. Il lui était arrivé de chasser la demoiselle en question et de ne pas réussir à s'en vouloir. Leurs corps ne l'excitaient pas, jamais, et leurs caresses lui inspiraient plus d'effroi que de plaisir. Ces souvenirs remontaient à l'époque où les combats faisaient rage et que les distractions étaient rares, sinon inexistantes. Cassien préférait ne pas se déconcentrer, rester à l'affût, jour et nuit, sans s'accorder le moindre répit. Il ne partageait pas l'enthousiasme de ces frères d'armes pour ces instants qu'ils chérissaient. L'horreur autour d'eux était telle qu'il n'arrivait pas à s'en défaire, même l'espace de quelques minutes, et il avait cédé sa place au soldat. À sa représentation la plus caricaturale.
Cassien était devenu un pantin, une marionnette qui ne savait que tuer, que survivre, que combattre. Il se rappelait avoir rejeté l'humanité et être allé jusqu'à renier sa mémoire. Pendant des mois, il avait été incapable de se remémorer le palais, le visage des gens qu'il y avait laissés. C'était à ce prix que le soldat avait pu survivre et que l'homme avait quitté Arkal. Un homme abîmé, certes, mais vivant.
— Veuillez excuser ma maladresse, dit soudain Lyssandre. Vous êtes plus habitué à la violence qu'aux caresses. Quant à moi, je ne suis familier ni de l'un ni de l'autre.
Lyssandre naviguait entre cette audace qu'il se découvrait et la timidité. Il ne savait que faire, il n'était pas certain d'y parvenir, surtout en compagnie d'un homme comme Cassien. Ce dernier parut comprendre ce qui le retenait toujours, cet écart entre eux laissé par les années et par deux parcours de vie qui semblaient irréconciliables.
— Montrez-moi.
Le chevalier finit par acquiescer. Il se dévêtit à la lueur des chandelles et leurs lueurs orangées, presque gourmandes, dessinèrent des arabesques sur la peau qui, fragment par fragment, se dévoilait. Il retira chemise et son torse, puis son ventre apparurent. Des années de combats et d'entraînement avaient sculptés le corps de Cassien pour en laisser les traces de l'effort. Lorsque Lyssandre se rapprocha, toujours à pas mesurés, il put apercevoir les cicatrices qui barraient l'épiderme. La peau était hâlée et des cicatrices déchiraient l'uniformité de celle-ci. Le roi y passa les doigts, une à une, de celle qui couvrait le flanc gauche, encore boursouflée et rose, à celle qui cisaillait l'épaule sur plusieurs centimètres. Elles formaient un dessin plein d'irrégularités et de ce que Cassien considérait comme des laideurs.
Comme si Arkal avait laissé sur sa peau des parcelles d'elle-même, de son ignominie. Non contente de marquer l'âme de ceux qui lui survivaient, elle incisait aussi leur chair.
Cassien tressaillit lorsque Lyssandre passa ses doigts sur une cicatrice. Ses bords semblaient encore sensibles, bien qu'elle était de toute évidence plus ancienne que bien d'autres.
— Une flèche, commenta-t-il, les yeux fixés dans l'ailleurs.
— Vous me raconterez leurs histoires, un jour ?
— Ce ne sont pas de belles histoires.
— Je m'en moque. Belles ou non, ce sont les vôtres.
Cassien se racla la gorge comme pour y chasser le nœud qui s'y installait. Il prit la main de Lyssandre et la guida comme il le lui avait demandé. De la naissance de l'épaule jusqu'au coude, de la clavicule jusqu'au nombril. Le soldat apparaissait enfin tel qu'il était : absolument humain. Cela dura de longues minutes, jusqu'à ce que Lyssandre retienne chaque grain de peau, l'emplacement de chaque cicatrice, et jusqu'à ce que Cassien cesse de se dérober. Alors, il abandonna son poignet rendit sa liberté aux doigts du roi.
Sans affronter son regard, car il n'en aurait pas eu le courage, celui-ci s'aventura à la frontière du vêtement. Le chevalier n'avait pas retiré son pantalon et, sans la voir, Lyssandre sentit les contours de la hampe érigée de son amant qui se tendit. Dans un réflexe qu'il ne s'expliquait pas, celui-ci ouvrit la main comme pour le retenir, avant de fermer les yeux à nouveau. Une seconde, le temps de retrouver son calme et de gonfler ses poumons d'air. Il ne permit pas à cette caresse de s'accentuer et entreprit de soulager Lyssandre de ses vêtements. Des couches et des couches de tissus qui l'étranglaient. Ce faisant, le roi chercha les lèvres de Cassien pour l'embrasser à nouveau, avide de son contact et du plaisir qu'il quémandait sans trop s'en rendre compte.
De la même façon, la peau de Lyssandre se dessina. Les flammes des bougies en réchauffaient la couleur de nacre et, au contact des mains calleuses de l'homme, elle lui évoqua le satin. La touffeur de la chambre semblait moins insupportable ainsi, mais les bras du souverain se refermèrent sur ses bras. Il ne cachait pas sa nudité, pas à proprement parler, mais il cherchait à cacher son malaise. Ses yeux se dérobèrent jusqu'à ce qu'il rencontre ceux de Cassien qu'il vit déglutir.
— Vous êtes...
Lyssandre n'était pas certain de désirer entendre ces mots. Il avait conscience de la finesse de ses membres, de son ventre, de ce corps étroit qui n'évoquait ni les rondeurs féminines, ni la dureté masculine. Il avait parfaitement conscience de ces courbes androgynes que le temps n'avait pas développées. Les années lui avaient appris à en avoir honte.
— Vous êtes beau.
Ces mots roulèrent étrangement dans la bouche de Cassien. Il n'avait pas pour habitude de les prononcer, à l'égard de quoi que ce soit.
Lyssandre eut un geste de la main, comme s'il chassait un insecte gênant. Plutôt que de poursuivre ainsi, à s'observer sans un mot, le roi prit la main de Cassien et l'entraîna à sa suite vers le lit nuptial. Il s'installa entre les draps parfaitement lissés et savoura, sous son corps, leur douceur. Cassien portait sur lui un regard à la fois incertain et affamé. Une dualité à laquelle Lyssandre avait longtemps doutée.
— Venez, l'invita-t-il.
Avant d'obtempérer, Cassien retira son pantalon et ses bottes pour se présenter entièrement nu. Il ne rougissait pas, mais son assurance se nuançait. Il n'avait pas pour habitude de se dévêtir devant qui que ce soit et sa nudité le rendait, pour ainsi dire, plus vulnérable qu'il ne l'avait jamais été.
Lyssandre ne put s'empêcher de baisser le regard pour observer, un bref instant, le sexe du chevalier. Un sexe érigé qui ne maquillait pas le désir en belles paroles. Sa manifestation se trouvait là, sous ses yeux, indéniable. Le roi s'empourpra avant de reculer pour offrir à Cassien toute la place nécessaire. Celui-ci le rejoignit et fit glisser son index sur le cou de Lyssandre, sur l'entièreté de sa longueur jusqu'à son menton pour redresser son visage encore enflammé par l'inexpérience, par ce que Cassien qualifiait de pureté. Il embrassa ensuite chastement ses lèvres.
Ses doigts effleurèrent les côtes de Lyssandre, puis cheminèrent vers ses clavicules marquées, avant de repartir dans le sens inverse. Le roi se laissa cajoler jusqu'à ce que sa patience vacille. Il ne se serait jamais cru aussi avide. Il entreprit lui-même de déboutonner l'attache compliquée de son pantalon. Cassien l'en empêcha et prit le relai, le front barré par un pli de concentration. Si les circonstances avaient prêté à rire, Lyssandre se serait moqué de ce sérieux, comme le chevalier avait affaire à une tâche particulièrement exigeante. Le bouton finit par céder et l'homme fit glisser ses doigts le long des hanches dénudées de Lyssandre tandis que le tissu se délaçait de lui-même en dévoilant la peau pâle de ses cuisses.
Bientôt, il fut nu à son tour.
Le regard de Cassien ne se priva pas de remodeler à sa guise les courbes discrètes qui s'offraient à sa vue de ses yeux gris. Il contempla l'étroitesse des hanches du roi, les longues jambes fuselées à en faire verdir de jalousie bien des courtisanes, et le sexe tendu qui émergeait d'une toison blonde. Le souverain ne pouvait plus se cacher derrière l'étoffe et, à l'instar de Cassien, il se sentit vulnérable. L'émotion déclencha un frisson sur sa peau nue.
Le chevalier se déplaça sur le lit avant de verser, entre les lèvres entrouvertes de Lyssandre, le breuvage qu'il lui avait lui-même tendu. Le nectar coula le long du menton du roi et Cassien se pencha pour en lécher la trace dorée, appétissante.
Ce qui vint ensuite se passa de parole. Lyssandre ne fut pas tout à fait conscient de la manière dont cela se produisit, mais les doigts de son amant s'enroulèrent autour de son sexe pour y imprimer une caresse à peine suggérée, à peine assez marquée pour lui ôter ses esprits. Le roi renversa la tête entre les coussins et étouffa une plainte dans le dos de sa main. Lorsqu'il eut repris son souffle, Lyssandre fit courir sa main le long du ventre de Cassien, l'interrogea du regard en se mordillant l'intérieur de la bouche, puis reproduisit le geste qu'il avait initié quelques minutes plus tôt. Cela lui sembla plus intimidant et tâcha de copier les mouvements de Cassien, non sans une certaine maladresse.
Le regard du chevalier se noyait dans les affres du désir, de la luxure, d'une volupté qu'il n'avait jamais espéré connaître. Il ne pensait pas être né pour cela, pour la douceur, pour le plaisir, mais pour tout ce qui pouvait s'y opposer. Lyssandre, par sa présence, par ses mots et à présent par ses gestes, lui prouvait qu'il s'était fourvoyé.
Ils se prodiguèrent cette caresse mutuelle un long moment, jusqu'à ce que le roi articule :
— Cassien, je... j'aimerais que vous...
Il ferma les yeux. Les termes qu'il cherchait étaient impensables lorsqu'il était question d'un homme et l'idée venait de le saisir, non sans violence. Miriild leur avait offert tout ce qu'ils ne pouvaient espérer obtenir.
Heureusement, Cassien parut comprendre. Comprendre, mais pas approuver, pas dans l'instant en tout cas. Ses traits se bouillèrent dans un doute furtif. Jusqu'où se permettait-il d'aller ? Il était toujours question de contrôle, de contrôle qu'il lui fallait céder. Au moins assez pour goûter à ce plaisir, à ce fruit défendu. Il devait lever les interdictions qu'il s'était fixé seul et auxquelles il s'était tenu durant de trop longues années. Lyssandre avait toujours été celui qu'il ne pourrait jamais posséder.
Celui qu'il était mal de désirer.
Cassien s'écarta finalement et entreprit d'examiner les alentours. Sur l'une des deux tables qui escortaient le lit, il dénicha un petit pot en terre cuite. À l'intérieur se trouvait une pâte odorante, qu'on avait parfumée et le chevalier ramena son butin jusqu'au centre du lit.
— Cela devrait suffire à faciliter la pénétration.
Il avait prononcé ces mots avec une telle conscience professionnelle que Lyssandre gloussa tant cela lui sembla mal venu. Cassien se rembrunit et l'autre reprit son sérieux, sans ravaler le sourire qui ourlait ses lèvres.
— Pardonnez-moi.
Il embrassa la joue de Cassien comme pour gagner son pardon. Il passa une main dans ses cheveux bruns, ses mèches désordonnées lui chatouillaient le visage et Lyssandre apprécia leur densité sous ses doigts. Ses lèvres narguèrent l'oreille de Cassien tandis qu'il murmurait :
— Si vous le souhaitez, je peux me charger de cela.
— Non.
Cassien ne s'embarrassa pas de paroles inutiles. Il embrassa la clavicule de Lyssandre, puis un téton insolent qui s'érigeait sous son seul regard, puis son ventre, à deux reprises, et, enfin, le haut de sa cuisse. Il ne se risqua pas plus loin et trempa ses doigts dans le pot de vaseline. Ils s'aventurèrent ensuite entre les cuisses de Lyssandre. Sous l'invitation inarticulée de Cassien, le roi les avait ouvertes dans une posture qu'il n'aurait jamais pensé accomplir un jour.
Le chevalier entreprit de le préparer, avec une tendresse qui lui était inconnue et pour laquelle Lyssandre lui fut reconnaissant. Il s'interrompit dès lors que les muscles de son amant se durcirent, avant même qu'une grimace ne torde ses traits. Le roi apprivoisa l'étrange sensation des doigts qui pénétraient sa plus secrète intimité. De déplaisante, l'impression devint à peine gênante, jusqu'à ce que la pulpe des doigts de Cassien touche une part méconnue de son être. Alors, le bassin de Lyssandre alla à la rencontre de ce plaisir inqualifiable et il dut contenir sa déception lorsque le chevalier se retira.
— Lyssandre ? l'appela-t-il.
— Oui.
— Vous avez encore le droit de refuser, précisa Cassien.
Lyssandre se redressa pour déposer un baiser sur les lèvres de l'homme et pour lui souffler :
— J'ai toujours voulu que cela soit vous.
Cassien enroula une mèche de cheveux autour de sa main et en apprécia la douceur avant d'allonger le roi. Une couronne de cheveux blonds encadrait son visage et formait presque une auréole dorée. Le souffle court, les lèvres rougies par les baisers et les joues cramoisies, Lyssandre était d'une beauté pure.
Lorsqu'il le pénétra enfin, Cassien sut que ce geste ne le souillerait pas. Que lui faire l'amour dans ce lit réservé aux jeunes épousés n'était ni un sacrilège ni un parjure, mais la plus belle chose qu'il ait jamais créée.
Les doigts de Lyssandre se refermèrent autour de l'épaules de Cassien. Tandis que ses ongles éraflaient sa peau, l'autre main se refermait sur l'étoffe souple et douce des draps. Le roi haleta. Lorsque le chevalier s'immobilisa, il se pencha pour embrasser ses paupières closes et savourer la sensation vertigineuse qui l'étreignait. Lyssandre laissa quelques secondes s'écouler avant d'initier le premier mouvement. Il ondula du bassin comme pour signifier à son amant que la douleur refluait et qu'il était prêt.
S'entama alors une danse aussi vieille que le monde.
Une danse qui vit Cassien baisser ses armes et Lyssandre s'abandonner aux émotions, au ressenti, aux limbes du plaisir.
Ses soupirs se muèrent en gémissements étouffés et ses gémissements en plaintes. Ils firent l'amour et Cassien comprit le sens de ces mots.
Ce fut, tour à tour, tendre et sensuel, profond et délicieux, jusqu'à ce que la jouissance ne les guette. Les gestes furent alors dépouillés de leurs sens et, dans un concert de sons et de délices où se confondaient le corps de l'un et de l'autre, ils perdirent tout sens de la mesure. Dans la lueur mourante des bougies, ils s'abandonnèrent.
La chute de Lyssandre, capturée en une exclamation muette, entraîna celle de Cassien.
Terrassé par la jouissance, il fallut bien plus d'une minute au roi pour recouvrer ses esprits et pour rabattre, sur leurs corps humides, les draps en soie.
Du bout des doigts, Cassien retint l'attention de son amant et caressa sa joue dans un geste tendre. Il finirait par les maîtriser, par les apprivoiser au même titre qu'il avait apprivoisé la communion de son corps et de celui de Lyssandre. Ils n'échangèrent, à ce titre, aucune parole, tout juste un baiser qui comprenait, à lui seul, tout ce qu'ils ne disaient pas.
Lyssandre sourit dans la pénombre de plus en plus complète de la chambre. Il sourit parce qu'il n'aurait pas pu rêver mieux et que la réalité se révélait bien plus exquise que ce que son imagination lui avait laissé entendre. Ils se tireraient encore plusieurs fois du sommeil, qui menaçait de les engloutir, pour célébrer des noces qui ne les concernaient pas.
Pour l'heure, la fatigue l'emportait. Le visage de Lyssandre reposait à moitié contre l'épaule de Cassien et l'une de ses mains vint s'arrimer autour de son bras. Pour que le sommeil ne lui vole pas sa présence. La peur avait quitté les environs et seule la plénitude dominait les corps enlacés, rassasiés.
Finalement, la lueur vacillante des bougies finit par plonger la chambre nuptiale dans le noir. Les deux amants cédèrent à la promesse de Morphée et s'endormirent.
Un long, très long chapitre, que je peux probablement élire partie la plus longue de toute la trilogie. Après un tome et demi d'attente, il fallait bien un lemon à la hauteur de l'attente, non ? J'espère de tout coeur que cette découverte de l'autre vous aura plu. Je voulais quelque chose d'assez réaliste. Cassien est traumatisé, Lyssandre est maladroit et inexpérimenté. Forcément, tout ne coule pas de source et j'espère que vous aurez passé un agréable moment de lecture.
Bon week-end à tous !
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