Chapitre 15
[Ne vous êtes-vous jamais demandé à quoi pouvait bien ressembler Hélios, le dauphin de Loajess, l'héritier légitime du trône ? Le voici ! Ou du moins, la manière dont je me l'imagine]
/!\ Le chapitre qui va suivre comprend une scène de sexe. Si celle-ci n'est pas aussi détaillée que les précédentes, je préviens les plus frileux /!\
Äzmelan profitait de l'une des rares journées de repos qu'il s'autorisait.
Il avait quitté le palais dès le matin pour se rejoindre un bois à quelques dizaines de kilomètres. Il avait emmené une escorte constituée de proches de la Couronne. Des hommes qui partageaient ses valeurs et, en ce sens, peut-être bien des amis. Ou seulement des opportunistes flattés de se retrouver si proches de la personnification du pouvoir. Qu'importaient leurs véritables motivations, Äzmelan régnait depuis suffisamment longtemps pour ne pas s'en chagriner. Sa fonction était convoitée par tous les puissants saints d'esprit et, à ce jeu-là, l'amitié n'avait pas sa place.
La journée s'était soldée par une satisfaction personnelle. Le tyran avait abattu deux faons et un sanglier. Une chasse dont il n'était pas peu fier, d'autant plus que les proies sauvages se raréfiaient, ces dernières années. Le peuple s'adonnait lui aussi à cette pratique, mais pas sous forme de loisir. Il chassait pour survivre.
— Ce bois devrait être réservé aux expéditions royales, si vous voulez mon avis, votre Majesté. Si nous ne décidons de rien, il n'y aura bientôt plus de gibier noble. Nous n'aurons plus qu'à nous rabattre sur les lièvres ou les faisans.
L'homme, qui avoisinait la quarantaine, éclata d'un rire franc, bientôt amplifié par ceux de ses voisins. Äzmelan accorda un sourire en coin. Le roi ne se rabaissait pas aux petites proies, cela tombait sous le sens.
Ils pénétrèrent dans Orphen par la porte la plus proche du palais, la porte est. Ils n'eurent pas à traverser les quartiers les plus pauvres et les plus miséreux de la capitale. Ici, il n'y avait nul besoin, nulle réclamation. Les rues étaient larges, éclairées, de la végétation se massait même avec ingéniosité. Orphen rassemblait moultes âmes savantes et ces érudits aimaient décorer la ville de leurs œuvres. Cela ne se vérifiait que dans les hauts quartiers de la capitale, mais des structures étranges s'y dressaient, ainsi que des aménagements à mi-chemin entre le génie et la folie pure. Cela donnait à ce lieu un charme unique qu'Äzmelan appréciait particulièrement. Le dépaysement y était garanti.
Ils parvinrent aux portes du palais. Une silhouette se dessinait dans les points d'eau qui le bordaient. Le roi avait emprunté un chemin qui les approchait de ces vastes étendues d'eau, cachées à l'abri des regards les plus indiscrets. Les nobles préféraient les bains et rares étaient les demoiselles qui aimaient se baigner dans une eau impure. On craignait d'y ternir sa peau. La jeune femme n'était pas nue, mais le linge qui couvrait son corps adhérait à ses courbes et sa silhouette, même lointaine, ne manqua pas d'attirer les regards des nobles. Celui d'Äzmelan se durcit. Les hommes n'étaient pas autorisés à y jeter un œil, même curieux, sauf exception dispensée par une demoiselle.
— Eh bien, en voilà une qui n'a pas froid aux yeux.
Le tyran n'émit aucun commentaire. Il imaginait sans mal la jeune femme qui se baignait sans crainte. Il imaginait sans difficulté les clapotis de l'eau, sa caresse glacée, et la solide impression de n'être plus que seule au monde. En fait, elle était sans doute la seule à aimer ce lieu et à s'y rendre plus souvent que nécessaire. L'accès était alors restreint, par sécurité, aux nobles qui souhaitaient s'y promener. Äzmelan pesta entre ses dents.
Ils mirent tous pied à terre et, avant même de laisser sa monture au palefrenier qui se précipitait à sa rencontre, le despote abattit sa large main dans la figure de l'homme. Un coup suffisamment puissant pour le jeter à terre. Les os de l'intéressé étaient solides et il ne risquait pas de les sentir se rompre sous sa main. L'image d'un certain sorcier lui revint à l'esprit.
— La prochaine fois que vous vous permettez un tel commentaire, je vous renvoie dans votre désert aride, femme et enfants avec vous. Me suis-je bien fait comprendre, misérable ? tonna-t-il.
Il n'attendit aucune réponse pour s'engouffrer dans les couloirs du palais. Il rejoignit l'entrée et fut accueillie par une nuée de courtisans. Tous s'inclinèrent sans exception et Äzmelan les salua en inclinant à peine la figure. Il entendit qu'on lui demandait si la chasse avait été bonne et ne daigna pas répondre. Sa plaisante humeur était compromise. Il maugréait autant à l'égard de l'imprudent qui avait osé émettre un commentaire déplacé qu'à l'attention de celle qui l'avait essuyé. Elle n'y pouvait rien, bien sûr, mais il était aussi bien ironique que le roi s'en mécontente. D'ordinaire, il n'était pas de ceux qui s'offensaient d'un pareil comportement.
Ici, la situation était bien différente.
Un serviteur empressé l'apostropha alors qu'il gravissait les dernières marches de l'imposant escalier sans ralentir. Cette fois, le roi l'encouragea à poursuivre.
— Madame de Lasolih vous attend dans les bains, précisa l'homme, de petite taille, qui fuyait avec soin le regard dur de son souverain.
Äzmelan ne répondit pas immédiatement, mais finit par hocher la tête. S'il y avait bien une chose en ce monde capable d'effacer sa mauvaise humeur, c'était bien cela. Il traversa une aile entière du château, sans s'attarder sur les épais tapis, sur les couloirs qui s'ouvraient vers l'extérieur et laissaient pénétrer une chaleur sèche, sur les extravagances du palais. Loajess possédait des châteaux exquis et si Déalym s'attardait moins sur cette superficialité, il n'était pas en reste.
Äzmelan pénétra dans l'antre et fut accueillie par une touffeur agréable. Une moiteur qui invitait quiconque se risquait à l'intérieur à se dévêtir dans l'instant. La température avait gagné quelques degrés et des volutes de condensation se massaient au plafond. La luminosité avait été réduite au maximum et des lumières chaudes, discrètes, s'y diffusaient. S'ajoutait à cela une odeur agréable de jasmin, ou peut-être de fleurs exotiques, qui collait à la peau.
Le tyran n'attendit guère avant de se dévêtir et de jeter à même le sol ses vêtements souillés par l'effort. Il ne déploya aucun effort veillait à masquer sa nudité et encore moins sa virilité déjà fièrement dressée. Son corps n'avait pas subi les dégâts de la gourmandise et de l'oisiveté. Ses muscles apparaissaient sous l'épiderme dur, tanné par le soleil et par les batailles. Quelques cicatrices tranchaient la peau dorée. Une peau devenue critère de beauté indétournable au sein de la noblesse.
La marquise ne semblait pas avoir remarqué la présence de son royal amant. Elle reposait dans l'eau trouble et son corps, nu lui aussi, s'y dessinait. Ainsi alanguie, elle s'abandonnait au bien-être des bains, et ne rechigna pas lorsque le souverain se glissa à ses côtés. Elle ouvrit un œil paresseux, puis sourit. Elle s'étira à la manière d'un félin, consciente de chaque geste et de la manière dont ceux-ci lui seyaient. Elle était divine, exquise, et rien ni personne ne lui résistait. Un corps ciselé, modelé à la perfection. Des hanches larges, un ventre plat et des jambes fuselées. Ses seins ronds et fermes apparaissaient et les tétons quittaient parfois la chaleur de l'eau pour attirer les regards. Ils étaient à son image : boudeurs, provocateurs, impudiques. Äzmelan ne se privait pas de la contempler. Elle n'avait pas trente ans, mais l'âge ne disait rien, pas lorsqu'on était roi, pas lorsque l'ambition vous menait au cou de la personnalité la plus éminente du Royaume. Le souverain n'avait pas résisté aux charmes de la délicieuse marquise.
Celle-ci se jouait de tout ce mystère. L'eau trouble cachait le secret de son intimité et elle feignait l'innocence. Elle empruntait le rôle de l'ingénue et se savait déjà gagnante.
— Je craignais que vous ne viendriez pas, murmura-t-elle, d'une voix grave, lourde de désir.
— Ton sens de la provocation te perdra, la prévint Äzmelan.
— Quelle sentence ai-je risqué aujourd'hui, en vous invitant en plein jour ?
Rien, bien sûr, et elle le savait. Le badinage éphémère lui plaisait, d'autant plus qu'il ne durerait pas. Elle le sentait à l'approche de son amant, à la manière dont il se presserait bientôt contre elle. Ce bavardage n'était que l'introduction d'une étreinte, comme ils en avaient connu de nombreuses.
— La reine, votre femme, aurait pu nous surprendre.
Il y eut, dans le regard d'Äzmelan, un éclat de colère brut. Il était ainsi, violent, emporté, capable de sombrer en un instant dans l'un de ses redoutables courroux. Avant que la dame ne puisse lui échapper, il enfouit sa main dans ses cheveux et rejeta son visage en arrière en tirant sur les mèches blondes. Les lèvres entrouvertes, Lasolih ne manifestait aucune peur. Elle avait épousé un homme bien moins tendre que le roi. Un vieux noble qui ne décidait pas à mourir et qui avait fini par se cloîtrer dans sa demeure, loin d'ici. Aussi colérique Äzmelan puisse être, il n'avait jamais levé la main sur elle.
Elle porta son autre main à ses lèvres et redessina, de sa langue, le chemin d'une cicatrice sur son pouce. Le suc de la rage s'envola et désenfla sans attendre. Le tyran passa son bras autour de sa taille et la hissa sur ses hanches. Le rebord du bain avait été aménagé pour qu'on puisse s'y asseoir et bien des couples, adultérins ou non, s'y étaient abandonnés.
La marquise avait remporté le jeu, une fois de plus.
Les caresses d'Äzmelan furent brèves, empressées, bousculées par l'envie. Le roi était un amant exigeant qu'elle était fière de compter parmi ceux qu'elle collectionnait. Il se servait d'elle autant qu'elle se servait de lui. Cette médaille-là comprenait le pouvoir et la favorite n'ignorait rien de ces rouages.
Les chairs s'esquintèrent. Nudité contre nudité, soif contre soif. Ils étaient des affamés qui ne s'embarrassaient jamais de trop de tendresse. Äzmelan imprima une marque de dents sur la chair tendre, gourmande, de son sein et alimenta leur envie. Bientôt, elle prit l'initiative de mettre fin à leur supplice. Elle se guida vers la hampe roide, mais fut retenue par le tyran qui planta son regard gris, assombri par la pénombre, dans les siens. Elle frémit. Une longue seconde s'écoula. Il pressa ses mains contre ses fesses avant qu'il ne s'enfonce en elle. Une poussée ferme qui arracha à Lasolih un gémissement sourd et l'enterra dans les secrets de son intimité.
La femme referma ses doigts sur les épaules du roi et initia les premiers mouvements, salvateurs. Cette étreinte serait guidée par l'impatience, par l'envie. Les sons qu'ils émirent, plaintes contre grognements, le lui confirmèrent. Äzmelan plongea ses doigts dans ses cheveux pour découvrir la gorge palpitante de sa maîtresse. Le charnel primait sur l'attachement et leur inspira cette danse vive, brûlante, rythmée par le clapotis de l'eau. Lasolih se déhanchait toujours plus profondément et contribuait à donner à leur étreinte une dimension presque sauvage.
Lorsque ce fut terminé, le tyran s'écarta d'elle, eut la modique délicatesse de ne pas l'écraser sous son poids, et la laissa reprendre son souffle. Elle s'était hissée sur le bord du bassin et ne rougit pas de sa nudité. Elle avait appris à se détacher des regards souvent lubriques des hommes.
Äzmelan avait repu son désir, bien qu'il ne se rassasiât jamais vraiment. Il s'extirpa de l'eau, déjà prêt à se débarrasser d'une présence féminine devenue encombrante. Lasolih déclara seulement, sans l'ombre d'une déception :
— Vous vous en allez déjà.
Elle ne lui demandait rien et il le savait. Outre sa beauté, ce détachement formait ce pourquoi il la préférait à toutes les autres. Elle ne s'indignait pas, ne réclamait pas, ou bien peu, et ne lui reprochait pas de l'abandonner telle une putain une fois sa besogne achevée. Elle s'en moquait.
Äzmelan se rhabilla sans une parole et remarqua deux verres de vin. Il en but le premier avant de rejoindre une dernière fois son amante qui précisa :
— Un vin tiré des caves de mon magnanime époux. J'espère que sa Majesté l'aura trouvé à son goût.
Il y avait une certaine ironie dans cette parole, autant dans le ton employé qu'à travers le sens. Äzmelan redessina la courbe lourde de son sein, presque sans y penser, et commenta :
— Un excellent cru.
Il l'abandonna sans un mot de plus. Il n'eut guère le temps de s'éloigner davantage. Un serviteur, le même qui avait transmis l'invitation de la marquise, l'attendait en face des bains. Les joues empourprées, peu à son aise, il parvint toutefois à déclarer :
— Sire, il vous faut absolument me suivre.
Äzmelan entreprit d'abord de nouer ses cheveux. Ceux-ci se tissaient de fils blancs et possédaient, aux yeux du roi, une certaine symbolique. Leur longueur représentait la fierté royale et, à chaque fois que son armée était défaite, à chaque fois qu'une défaite majeure était essuyée et en particulier lorsqu'il combattait, le tyran se coupait les cheveux. Les mèches sombres atteignaient ses épaules et se remettaient de leur dernière humiliation : la bataille manquée, dans le théâtre du palais royal de Loajess.
— Je vous suis, finit-il par concéder.
Le serviteur trottinait presque pour devancer les longues enjambées du roi. Il le guida jusqu'à l'une des plus vastes pièces du château : la salle du trône. Les rideaux avaient été rabattus et, avant même de comprendre la raison de sa venue, Äzmelan identifia l'ambiance des lieux. Cela ressemblait à un instant de recueillement. Presque une dizaine de membres de la haute noblesse de Déalym, dont quelques membres de la famille royale, étaient rassemblés autour d'un large cercueil. On s'écarta pour laisser le souverain approcher et découvrir l'identité du défunt.
Son propre cousin, Närim de Déalym.
— Comment est-ce possible ? souffla-t-il.
— Votre cousin a été empoisonné, Sire, répondit prudemment l'un des plus proches conseillers du roi.
— Qui a osé ? Qui a été assez fou pour braver tous les interdits, tous les tabous ?
À Déalym, la personne du roi et son entourage se voyaient offrir une place proche du sacré. Personne n'osait lever la main sur eux, pas même y songer, et il était impensable d'en assassiner un. Ce serait un sacrilège et le régicide se verrait condamné à une peine terrible. Lui et l'ensemble de sa famille, de sorte à ce que personne ne perpétue une telle tradition.
Les murmures qui parasitaient le silence respectueux moururent.
— L'alcool dont nous avons fait cadeau à Loajess a été empoisonné, Sire. Le roi a...
— Est-il mort, lui aussi ?
— Non, Majesté, il a survécu.
— Qui, alors ?
— Loajess affirme que les coupables sont les mêmes qui ont assassiné vos diplomates. Elle promet de leur faire payer la perte qui nous incombe.
Äzmelan serra les dents. Il avait traversé suffisamment de drames pour ne pas s'effondrer et, plus encore que la perte de son cousin, c'était le geste qu'il n'acceptait pas. Quiconque s'en prenait à la famille royale en subirait les conséquences. Si les paroles de son conseiller, et la présence de tous les autres, ne l'avaient pas tempéré, peut-être aurait-il pris une regrettable décision.
— Pourquoi diable ne pas nous avoir prévenus plus tôt ?
Un long silence lui répondit. Un sanglot, celui de la fille du défunt, s'éleva. Elle devait être âgée de six ans, peut-être sept, et son grand frère, qui comptait la dizaine, gonflait les joues pour ne pas l'imiter.
On n'annonçait pas la mort d'un membre de la famille royale d'une simple lettre.
Äzmelan s'efforça de réfléchir posément. Il ne céda pas à la colère, pas cette fois, et connaissait les enjeux politiques et militaires qu'un empoisonnement aux plus hauts niveaux de la hiérarchie monarchique pouvaient compromettre.
— Quelle est la position de Loajess ? demanda-t-il enfin.
— Elle a d'abord cru Déalym coupable, mais... mais elle semble désormais convaincue de notre innocence.
Le serviteur, qui avait repris la parole en dépit de ses réticences, acheva dans un souffle :
— Le roi vous invite personnellement à son palais afin de concrétiser l'offre de paix.
Nouveau focus sur Äzmelan et sur l'une de ses favorites également. Que pensez-vous de cet homme, maintenant que vous en savez davantage à son sujet ? Lyssandre a-t-il des raison de le craindre ? Que présagez-vous pour la suite ?
Passez une belle fin de journée et j'espère que ce chapitre vous aura plu <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top