Chapitre 7
[Une simple esquisse réalisée pendant mes dix jours de vacances en Italie. Rien de très travaillé, mais j'aime cet aspect personnage de Lyssandre. Un chibi, pour les connaisseurs, pour le côté mignon et léger qui manque à l'appel pour le moment dans ce roman :3]
La cour d'entraînement des gardes royaux était implantée au Nord de la structure du château. Une part entière de celui-ci était réservée aux domestiques, aux dames de compagnie, aux valets et aux soldats.
Ainsi, à l'arrière du palais, on retrouvait les cuisines, les chambres des employés, l'endroit où les lessives étaient faites, les écuries royales et tout ce qui intervenait dans le bon fonctionnement du château. Le tout, sans que la plupart des courtisans n'en soient vraiment conscients et avec le souci d'écarter le peuple de l'élite de la société du Royaume. Toutes ces mains anonymes, discrètes et effacées ne se mêlaient jamais vraiment aux habitants du palais et restaient sagement retranchés dans leurs quartiers lorsqu'elles ne travaillaient pas d'arrache-pied pour le roi.
Lyssandre s'y était aventuré, enfant. Intrigué par cet autre monde qui existait à l'écart du sien, en dessous du sien, le garçon curieux, mais prudent avait néanmoins trouvé le courage de s'y aventurer. Il y avait entendu des cris, des ordres, une agitation bien différente de celle du château. Le jeune roi qui investissait désormais les lieux ne portait plus le même regard sur ces dédales de couloirs et sur ces employés aux visages fatigués. Seuls leurs tenus un tant soit peu soignés, obligation manifeste pour décrocher un emploi dans ces lieux, les différenciaient de l'ouvrier hors de l'enceinte du château.
— M-Majesté ? Je... Sa Majesté se serait-elle égarée ? Pourrions-nous vous être d'une quelconque aide ? s'écria une femme, visiblement affolée de trouver le roi dans un endroit indigne de lui.
— Non, je vous remercie. J'aurais simplement besoin de trouver la cour d'entraînement.
— La cour d'entraînement ?
Le visage brunit par le soleil, la servante tenait entre ses mains un panier en osiers rempli de linges souillés. Elle paraissait éberluée, comme si la demande du roi formait la preuve d'une santé mentale rudement affectée. Le roi tâchait de se montrer confiant, sûr de lui, mais ces lieux dépouillés des dorures du château au sein même de celui-ci le perturbait plus que de raison.
— Oui, le lieu où les gardes s'entraînent, précisa-t-il, l'ébauche d'un sourire malhabile sur les lèvres. Si vous aviez l'amabilité de m'y mener, je vous en serais reconnaissant.
— B-Bien-sûr.
La femme se perdit dans des explications inutilement complexes et Lyssandre finit par en saisir quelques indications. Il déambula encore quelques instants, surprit d'autres domestiques dans leur tâche quotidienne, et arriva enfin à destination. De hautes arcades délimitaient la vaste cour dans laquelle nombre de soldats croisaient le fer. Des jeunes hommes semblaient suivre une formation et ne se voyaient pas épargnés par leurs aînés. Arrosés par une pluie de réprimandes, ils reproduisaient les mêmes gestes avec un acharnement qui laissa Lyssandre admiratif.
Il contempla ce spectacle, celui d'hommes forts, dévoués, qui s'entraînaient, aînés et cadets réunis, sous le soleil impitoyable de l'après-midi. Puis, il arpenta la cour s'en s'y aventurer, avec la retenue de celui qui craignait de déranger. Il tâcha de se faire discret, peu désireux d'attirer l'attention. Il repéra finalement le chevalier, assis sur la petite marche en pierre, loin du marbre du palais, qui ouvrait la piste de sable. Lyssandre remarqua, en plus de l'inactivité qui paraissait lui coûter, le bandage qui couvrait son avant-bras.
— Chevalier, le héla le roi.
L'interpellé se redressa lentement, comme si tout son corps avait été meurtri par le combat. Il ne portait ni son armure ni l'uniforme de rigueur et son corps nettement moins vêtu, à peine recouvert d'un haut en lin, décontenança le roi. Le soldat paraissait étrangement humain, presque vulnérable sans ses armes et sans son accoutrement habituel. Lyssandre comprit cependant qu'une quelconque faiblesse n'existait que dans une impression bancale et injustifiée. Le chevalier captura la silhouette du souverain dans ses yeux clairs et l'y malmena d'interminables secondes. Aucune expression. Ni surprise ni quoi que ce soit qui s'y apparente. Lyssandre s'immobilisa avant d'articuler précipitamment :
— Je vous cherchais.
— En quoi puis-je vous être utile ?
— En rien.
Pour la première fois, une onde traversa le visage du soldat. Il avait voué sa vie à cet homme et entendre dire, même maladroitement, qu'il ne lui était en rien utile se révélait au moins aussi douloureux que la blessure de son bras.
— Je voulais seulement vous remercier et vous faire part de ma reconnaissance. Vous m'avez sauvé la vie et je suis... vraiment navré que vous ayez été blessé.
— Ma blessure ne m'empêchera pas de vous servir, Sire, si c'est ce que vous craignez.
Lyssandre crut percevoir, dans ces paroles lâchées du bout des lèvres et avec un désintérêt certain, une pointe d'amertume.
— Je ne le crains pas, rétorqua-t-il. Je voulais seulement vous faire part de ma reconnaissance. J'imagine que vous avez déjà fait face maintes fois à pareille situation, mais je me devais de souligner votre bravoure. Je voulais vous remercier.
— Je n'ai fait qu'accomplir mon devoir.
— N'ai-je pas le droit de vous en remercier ?
Le silence qui lui répondit s'éternisa si longtemps que Lyssandre crut que le chevalier ne prendrait pas la peine de lui répondre. Après tout, il était assigné à sa protection, non à lui faire la conversation.
— Je ne peux pas vous empêcher de le faire, dit finalement le chevalier.
Lyssandre était glacé par cette indifférence. Il gênait cet homme et il avait cru pouvoir en faire un allié, peut-être même un ami. Il s'était fourvoyé. La déception le gifla, si forte que le roi ne put la ravaler. Elle éclata, à l'image des émotions qu'il avait tenté d'éteindre et qui le consumaient vif.
— Je me suis inquiété pour vous, chevalier, et pire que cela, j'espérais être pour vous plus qu'un roi, que l'homme qui ordonne.
Le soldat déglutit. Comment pourrait-il être plus que la seule chose qui le caractérisait désormais ? Il se déroba, s'échappa au regard de Lyssandre dans lequel il percevait une émotion trop drue, trop naïve. Dans un souffle, il déclara :
— Vous me demandez ce que je ne peux vous offrir.
Il ne lui accorda plus un regard, mais il comprit aux sons qui lui parvinrent que Lyssandre venait de reculer d'un pas. Comme absorber le choc. Les lames n'étaient pas les seules armes en mesure de blesser un homme. Le roi se savait seul au milieu d'un palais qui lui était hostile sinon indifférent. Il s'abaissait à réclamer de l'aide, un soutien quelconque pour ne pas s'effondrer, et le soldat le lui refusait.
Cette fois, Lyssandre acquit la certitude qu'en ce palais, il était bien seul.
— Je peux vous promettre protection et dévouement, mais je ne peux vous donner que ce que je possède.
Cassien se leva brusquement à la suite de cette phrase. Sans égard pour son bras malmené et dont l'entaille avait endommagé les chairs sans atteindre l'os, il s'en fut. La voix de Lyssandre s'éleva à peine assez haut pour le saisir dans sa fuite :
— Vous savez, l'ami de l'autre jour, celui dont je n'aurais sans doute pas dû vous parler. Il se nommait Cassien.
***
Le crépuscule déclinait et deux jours venaient de s'écouler. Si identiques, si terrifiants, que Lyssandre ne les distinguait pas. Une fête avait été organisée presque sans son accord afin de détourner l'attention de l'attentat du village. Une manière de taire les rumeurs, de calmer les esprits.
Une tentative de diversion que les courtisans embrassaient volontiers.
Loin du faste du couronnement, cette réception dansante ravissait les nobles familles du château. Un buffet avait été dressé contre le mur nord et les dernières lueurs vespérales projetaient sur les mets raffinés une ambiance gourmande. Une musique enjouée couvrait le brouhaha des conversations et le vin, qui coulait à flots, lissait les humeurs des plus méfiants. L'attentat restait au cœur des discussions, mais on s'en inquiétait moins, et les habituels sujets à débat ressurgissaient. Il était question des adultères d'untel, de la situation compromettante dans laquelle une courtisane s'était mise, ou encore de l'étalage de richesses dans le but d'impressionner des concurrents.
Lyssandre s'y intégra tant bien que mal. Lui qui avait toujours tenu ces fêtes en horreur, leur préférant le calme d'un lieu isolé dans lequel penser, lire, s'instruire, se faisait violence pour se montrer aimable. Bien des courtisans vinrent lui présenter leur inquiétude au sujet de la tentative d'attentat et cherchèrent à obtenir des détails inédits à ce sujet. À leur grand malheur, et malgré l'insistance de certains, Lyssandre resta évasif et se contenta de danser avec l'une ou l'autre courtisane afin d'apaiser les esprits.
— Je vois que vous vous divertissez, mon roi.
Elénaure lui servit un de ses sourires froids et inclina la tête pour saluer le souverain. Celui-ci reproduisit le geste. Il se retint de corriger les propos de sa belle-mère et de lui signaler que le divertissement n'était que très limité. Les relations qu'il entretenait avec cette femme n'étaient pas hostiles, mais Lyssandre l'avait toujours perçue d'un mauvais œil. Une attitude enfantine qu'il nourrissait avec un certain dédain de lui-même. Il ne l'appréciait pas avant tout parce qu'elle avait remplacé la place de sa mère auprès de Soann. Cette méfiance, bien que ne reposant pas exclusivement sur ce qu'Elénaure représentait, était puérile et Lyssandre le savait. Sept ans n'avaient pas suffi à rincer le caprice de l'adolescent âgé alors de treize années.
— La fête est à votre goût ? lui retourna le jeune roi.
Il avait noué ses cheveux sur sa nuque pour dégager son visage. Une manière de ne pas se cacher derrière l'une des longues mèches lumineuses et d'affronter ce qu'il fuyait avec tant d'acharnement.
— Elle l'est, bien que je dois vous avouer que je serais flattée que vous m'accordiez une danse.
Elénaure était toujours vêtue de noir, mais son chagrin paraissait s'être estompé. Elle avait retrouvé la place de choix dont elle jouissait à la Cour. Les courtisans n'avaient pas manqué de complimenter ses yeux délicatement soulignés par un maquillage bleu nuit et sa coiffure qui entortillait des mèches sombres pour dégager sa nuque qu'on jugeait à l'unanimité délicieuse. Le temps ne paraissait pas avoir d'atteinte sur la reine douairière, pas plus que le chagrin qu'elle portait fièrement.
Lyssandre lui tendit la main et ils s'invitèrent au milieu des couples d'un soir ou d'une vie. On riait, discutait à mi-voix, échangeait des secrets et minaudait dans les règles de l'art. Lyssandre se trouva bien austère au milieu de ces réjouissances.
— Dites-moi, Sire, que fête-t-on ?
— Vous êtes arrivée ici en tant que courtisane, madame, vous savez qu'à la Cour, tous les prétextes sont bons pour faire la fête.
— C'est vrai, en convint Elénaure, que ce jeu semblait amuser follement. Quel est donc le vôtre ?
— Je fête le fait d'être en vie, cela me semble suffisant.
Lyssandre découvrit dans sa voix une touche d'amertume. Il ne se savait pas porter sur le sarcasme, même lorsqu'une situation l'indisposait. Il préférait la fuir plutôt que de l'affronter et ce rempart, qu'il n'appréciait pas, le surprit. Le palais le changeait-il déjà au terme de trois minuscules journées de règne ?
Elénaure soutenait son regard avec une assurance peu commune. Elle ne jouait pas de ses charmes et savait que cela serait inutile. Le badinage, les conversations qu'elle maîtrisait l'air de rien et qui menaient forcément là où elle le souhaitait, lui paraissaient préférables. Elle dont le langage était adroit, la manipulation plus aiguisée que celle des multiples figures de la Cour, se divertissait d'une autre façon.
Elle menait la danse, dans tous les sens du terme.
— Vous nous avez effrayés, mon roi. Tout ce danger et un attentat, c'est inédit ! La Cour s'en remettra, mais vous... J'ai craint que ce misérable assassin, même sans vous tuer, soit parvenu à abattre en vous le désir de régner.
La main de Lyssandre se crispa sur la taille svelte d'Elénaure de Lanceny, marquée par un corset et par de fines coutures. La duchesse n'avait pas pu manquer cette réaction. Elle n'avait pas pu ne pas remarquer ce qui venait de trahir le fils de son défunt époux.
— Je reste fidèle à mon devoir, madame, à défaut de rejoindre mon père.
— Votre père serait sans doute fier d'entendre de telles paroles venant de vous.
— Venant de moi ?
— Nous savons tous deux que le pouvoir était l'attrait de votre frère, non le vôtre. Vous auriez pu fuir vos responsabilités.
Et il l'avait fait. Elénaure ne l'ignorait pas. Lyssandre faillit heurter le dos d'un courtisan qui virevoltait avec un peu trop de zèle. La reine douairière se pencha pour souffle, à l'oreille de son cavalier du soir :
— Je partage votre peine, mon roi, mais n'oubliez pas que nous sommes là pour partager également la charge du pouvoir. Vous n'êtes qu'un enfant, vous n'auriez pas dû hériter si tôt du trône de Loajess. Nombreux sont ceux qui le savent et qui n'hésiteront pas un instant à profiter de votre inexpérience. Cela pourrait compromettre le pouvoir royal que de nier cette possibilité. Nous pourrions vous offrir notre aide et notre appui, ainsi vous n'auriez pas à supporter cette charge écrasante seul.
Une main tendue, enfin.
Elénaure de Lanceny, une famille qui avait su s'imposer en l'espace de quelques années au sein d'une Cour exigeante, lui proposait du soutien. Malgré tout, cette proposition paraissait trop généreuse et la méfiance de Lyssandre, entièrement personnelle, lui soufflait qu'une telle opportunité ne pouvait être désintéressée. À cela s'ajoutait le rappel de sa jeunesse et son inexpérience qui atteignirent le roi dans un violent revers.
— Je ne compte par compromettre le pouvoir royal. Je serai ravi de prêter une oreille attentive à vos conseils, mais je crains que du reste, la charge du pouvoir est quelque chose qui ne peut être ni partagée ni comprise.
Lyssandre s'isolait un peu plus et le visage d'Elénaure se déformait sous l'emprise de la colère. La colère d'avoir vu son alléchante proposition méprisée. Son orgueil en fut froissé et, aux yeux de Lyssandre, cela ne pouvait que trahir sa mauvaise foi. Avant qu'elle n'ait le loisir d'ajouter quoi que ce soit, avant qu'elle ne signale au fils de Soann qu'il venait de commettre une cruelle erreur de jugement, la porte s'ouvrit.
Les musiciens, sous ordre du chef d'orchestre, interrompirent la mélodie qui rythmait les pas des danseurs. Tous s'immobilisèrent. Un instant fila avant qu'un homme se glisse dans l'entrée pour annoncer solennellement :
— Veuillez accueillir le duc Tybalt de Lanceny et la baronne de Meauvoir !
Un nouveau personnage. Que dis-je ? Deux nouveaux ! Rassurez-vous, les principaux visages vous sont maintenant connus.
Un chapitre qui, je l'espère, vous aura plu. Nous y retrouvons l'ambiance de la Cour qui me tient d'ailleurs très à coeur.
Que pensez-vous de cette fameuse jeune femme (celle de la toute fin de partie ?) Vous allez voir l'occasion de mieux la connaître dès le prochain chapitre :3
Je vous embrasse <3
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