Chapitre 44
[Outre la nouvelle étape du dessin de Cassien, je tiens à avertir les plus frileux : ce chapitre contient une scène de sexe détaillée qui ne convient pas aux plus jeunes et qui pourrait en heurter certains. Si vous ne vous sentez pas d'attaque, rendez-vous au chapitre suivant. Aux autres, je vous souhaite une très agréable lecture !]
Cassien avait attendu que Nausicaa ait quitté le couloir pour songer à sa proposition. Cette partie du château était déserte et il y avait usé le sol à force d'y faire les cent pas. C'était étrange, mais il se sentait plus vaillant, moins lâche, l'arme à la main. Demander à entrer dans la chambre du roi, ne serait-ce que toquer, suggérait de se désarmer. En vérité, il n'y avait pas mis les pieds depuis le couronnement de Lyssandre, près de deux mois plus tôt.
Ce soir-là, il s'était juré de n'être que le chevalier, une fonction anonyme qui se limitait à ses devoirs. Il avait cru pouvoir tenir cette promesse et allier la protection du roi avec sa résolution de ne jamais dévoiler son identité. Cassien ignorait à quel instant il s'était égaré, à quel moment il avait perdu de vue son objectif.
Sa volonté était peut-être perdue d'avance, tout comme lui, et les efforts pour se taire, cette distance cruelle qu'il avait imposée à Lyssandre, avaient sûrement été vains. Des excuses ne suffiraient pas à l'excuser et Cassien demeurait persuadé d'avoir agi pour le mieux, pour la sécurité du souverain et pour son bien.
Au mépris du sien.
Les paroles de Nausicaa résonnaient en lui à la manière d'un reproche. Pire, d'une condamnation. Il avait quitté le palais six ans plus tôt parce qu'il avait pris peur. Peur devant la puissante attraction qu'il nourrissait en secret à l'égard du prince. Peur devant ce qu'il risquait de commettre s'il s'abandonnait à ses penchants. Peur de souiller cet homme qui représentait, à ses yeux, l'éclat le plus authentique de pureté. Finalement, en dépit des combats qu'il avait menés, rien n'avait changé.
Cassien n'avait connu que cette peur dévorante et la fuite.
C'était à se demander qui du chevalier ou du roi était le plus lâche.
Le premier ne savait plus où se situait le courage. Lorsqu'il se trouvait à Arkal, la réponse était toute trouvée, il suffisait de brandir son épée et de courir au-devant du danger pour voir sa bravoure saluée. Au palais, les règles se révélaient différentes, plus subtiles, et le retour de Cassien n'avait pas été de tout repos, bien qu'il ait mis tout en œuvre pour le masquer. Feindre l'indifférence, la froideur, le désintérêt, c'était préserver l'intégralité du roi et ne pas le mener vers l'exécution des bas instincts qui gouvernaient son corps d'homme. Assumer ce qu'il était, assumer ce qu'il représentait, cela revenait à faire preuve d'honnêteté et cela effaçait les possibilités de fuite. Doucement, le dilemme avait pris forme, jusqu'à ce que Cassien retrouve la place qu'il avait jadis fuie. Il avait cru cette faiblesse oubliée, elle n'en était que plus grande.
Le chevalier hésita une dernière seconde, le dos de la main immobilisée à un centimètre du battement de la porte. Il toqua et retint son souffle. Aucune réponse, rien qu'un silence impérieux qui lui hurlait de revenir sur ses pas. Cassien allait se défiler lorsque la porte s'ouvrit devant lui.
Le visage de Lyssandre se devinait dans l'embrasure. La surprise le coupa dans son élan.
— Chevalier ?
— Bonsoir, Sire.
— Y a-t-il un problème ?
— Non, aucun, répondit Cassien, d'une voix âpre. Je venais m'assurer que vous vous portez bien.
Un piètre mensonge, puisque le chevalier n'avait jamais pris de telles précautions. Lyssandre sourcilla. Il n'était pas dupe, cette audace nocturne n'avait rien d'un hasard.
— Tout va bien, énonça-t-il, non sans une certaine suspicion.
— Je suis navré de vous avoir importuné.
Il s'apprêtait à s'en aller. Le roi le comprit et un éclat de panique le faucha. Ils n'avaient pas eu l'occasion de s'adresser la parole depuis leur dernier échange et Cassien paraissait l'éviter soigneusement. En fait, il présentait la même disponibilité glaciale et un désintérêt identique à l'égard de Lyssandre. Ce dernier ouvrit la porte en grand et le héla :
— Cassien, attendez ! J'ai à vous parler.
— Je vous écoute.
— Entrez, je vous en prie. Ce n'est pas précisément une conversation que nous pouvons avoir au beau milieu d'un couloir.
Lyssandre entendit presque le chevalier grincer des dents de désapprobation. Cela ressemblait à s'en méprendre à un ordre. Lorsque le souverain s'écarta pour le laisser entrer, il s'invita dans l'antre. La tiédeur agréable de celle-ci l'accueillit comme une douce caresse sur sa peau.
— Eh bien ? De quoi souhaitiez-vous me parler, Sire ?
— Il y a un sujet que je n'ai pas évoqué lors du dernier conseil, avança Lyssandre, après avoir rassemblé ses idées et s'être armé de courage. Celui de la frontière de Loajess et de ses positions instables.
— Les hommes d'Äzmelan ont été repoussés. Vous leur avez prouvé que vous êtes en mesure de répondre à ses offensives, argua Cassien, aussi droit et rigide qu'une statue de cire.
— C'est vrai, mais Arkal reste perméable. J'ai décidé de réorganiser le partage des troupes de façon à présenter une défense plus homogène. Ensuite, si l'occasion se présente, et aussi tôt que possible, j'entends envisager des négociations. Äzmelan est en position de faiblesse, il acceptera sans doute plus aisément si nous lui donnons de bonnes raisons de discuter d'une paix durable.
— C'est un projet honorable, commenta Cassien.
— C'était ce que vous souhaitiez, n'est-ce pas ? Mettre un terme à cette guerre ? Loajess doit s'élever au-delà de son spectre et cesser d'envisager sa propre évolution à travers ce conflit. La guerre des Royaumes a assez duré.
— Je ne souhaite rien tant que voir la hache de guerre enterrée.
Lyssandre esquissa un petit sourire. Sans en comprendre l'exacte mesure, il imaginait la hauteur du traumatisme de cet homme. Traumatisme qu'il avait dépassé et qui restait en tout point invisible aux yeux de tous. Le roi était persuadé que le chevalier ne connaîtrait la paix que si le conflit s'arrêtait. Il n'y avait qu'à cette condition qu'il pourrait se reconstruire, à l'image de Loajess, tous deux durement esquintés par les répercussions gravissimes de la guerre.
— Vous auriez pu me faire part de cette décision demain, déclara Cassien, avec une prudence mêlée d'une douceur qu'il maîtrisait mal. Pourquoi avoir tenu à me le dire ce soir ?
Lyssandre déglutit. Il s'éloigna pour se planter devant la cheminée. Ses jambes refusaient l'immobilité, nerveuses, mais il se l'imposa. Le visage rompu d'une émotion indistincte, fendu par une grimace comme s'il venait de mordre dans un fruit amer, il finit par lâcher :
— Je vous l'ai dit parce que j'aimerais que vous vous chargiez personnellement de l'affaire.
Un silence. Cassien s'était étranglé sans un bruit et son mutisme se révélait plus dangereux que tous les éclats. Ce calme, cette absence de réaction, s'approchait du comportement d'un soldat avant qu'il ne laisse la violence se déchaîner. Lyssandre frissonna. Cet homme qu'il avait si bien connu, ou qu'il avait pensé connaître, était en mesure de le tuer. Il en avait la force.
— Dites quelque chose, l'implora Lyssandre.
— Est-ce un ordre, votre Grâce ?
— Je... Oui, je suppose, bredouilla-t-il, pris de court par ce détachement et par la distance que le chevalier affichait.
— Alors je m'y plierai ! Me donneriez-vous la permission de disposer, Majesté ?
Consterné, Lyssandre s'octroya une seconde de trop pour répondre. Cassien parut prendre son silence pour une approbation, à moins qu'il ne s'arroge le droit de se passer de sa permission, et il tournait les talons. Une fois de plus, puisqu'il ne parvenait décidément pas à s'entendre, Lyssandre le retint :
— Non ! Attendez, laissez-moi au moins vous expliquer !
Cassien ne se retourna pas et une tension avait pétrifié ses épaules, ses bras, jusqu'à ses poings fermés. Il invitait le roi à poursuivre.
— C'est une mission particulière qui nécessite une expérience du terrain, des réactions vives et précises. Les messagers mettent un peu quatre à cinq jours pour effectuer le trajet qui sépare Farétal du palais dans les deux sens. Si la situation dégénère, la personne chargée de garder les frontières ne pourra pas compter sur mes directives. C'est pourquoi j'ai besoin d'un homme capable de prendre les décisions nécessaires. Cet homme, ce ne peut-être que vous, plaida Lyssandre, d'une voix qu'il jugea lui-même misérable.
— Des hommes de cette qualité, il en existe d'autres. Les héritiers auxquels vous avez déléguez des pans entiers du front et qui y font ce qui leur plaît feraient l'affaire.
— Je ne leur accorde aucune confiance.
— Parce que vous m'en accordez, à moi ? s'enquit Cassien, en dardant son regard dur sur celui du roi.
— Bien sûr. Bien sûr que je vous l'ai accordé. Ma vie dépend de votre protection, comment pourrait-il en être autrement dans de telles conditions ?
Le ton redescendit, mais Cassien fulminait toujours. Il ne perdait que rarement ses moyens et il ne se rappelait pas d'avoir cédé à ses sauts d'humeur au cours des dernières années. La respiration hachée, il se faisait manifestement violence pour recouvrer son calme. Devant ces efforts et cette sorte de désespoir pure qu'il lisait dans le langage corporel de Cassien, sensible à chacun de ces signes que l'homme avait pourtant appris à taire, Lyssandre se radoucit.
— Vous avez toute ma confiance et c'est pour cette raison que je vous demande de vous y rendre. Ces hommes que je ne connais pas peuvent me trahir, agir selon leur bon vouloir, personne ne les en empêchera. Vous, je sais que vous agirez en mon nom et que vous serez à la hauteur. Si j'avais la possibilité d'en envoyer un autre que vous à Arkal, je le ferai. Croyez-moi.
Lyssandre s'était approché d'un pas prudent. La colère brusque de Cassien l'avait effrayé, lui avait montré un visage décomposé par la fureur et capable du pire. Capable de cruauté, de violence, d'actes discutables. Le roi tâchait de ne pas trop y songer, mais cet homme avait du sang sur les mains et au cours des six dernières années, il n'était pas improbable qu'il ait commis des crimes atroces au nom de la Couronne. Ces mains qui savaient sans doute aimer, détenaient le pouvoir de donner la mort.
— Quand ? Quand dois-je partir ?
— Les hommes qui vous accompagneront seront prêts demain dans la journée pour un départ prévu le jour suivant.
Cassien déglutit. Un coup de poignard dans le dos n'aurait pas pu être plus douloureux. Il n'aurait jamais pensé que Lyssandre puisse le prendre de revers de la sorte.
— Depuis combien de temps le savez-vous ?
— Avant-hier.
Deux jours s'étaient écoulés avant que le roi ne daigne tenir informé le principal intéressé, comme si son approbation tenait du détail. Cassien savait que c'était le cas et qu'il n'était pas en mesure de refuser.
— Bien.
— Vous avez le droit de refuser.
— Non. Ne soyez pas cruel, roi, vous savez aussi bien que moi que je n'en ai pas le droit.
Le cœur de Lyssandre chavira. Il y avait, dans le regard de cet homme, une résolution amère qui effaçait toute lutte. Le roi se sentit comme ce dirigeant sans cœur, comme un tyran qui envoyait à la mort un soldat sans sourciller. Un tel acte aurait pu être celui de son père.
Lyssandre approcha, franchit la distance respectable qui les séparait toujours lorsqu'ils apparaissaient en public, et se présenta à Cassien. Soudain, il devinait ses failles, ses blessures, ses faiblesses. L'homme était trop fier pour les admettre ou encore pour les comprendre, mais ils étaient là. Terriblement nombreux.
— Je ne vous forcerai pas à vous y rendre.
— Je le sais, admit Cassien.
— Allons...
Lyssandre s'avança encore avant de lever la main en direction du visage de Cassien. Cette fois, il n'y avait ni alcool ni révélations douloureusement prononcées pour excuser son geste. S'il achevait ce mouvement, s'il allait au bout de son désir, il lui faudrait en accepter les conséquences. Il hésita, se rappelant soudain que le chevalier l'avait repoussé dans la tente et que rien ne laissait envisager qu'il soit plus porter sur l'affection ce soir.
Cassien retenait son souffle. Tout son être paraissait implorer le roi.
Ne me forcez pas à y retourner. Par pitié...
— Je suis cruel, murmura Lyssandre.
— Vous êtes juste.
— C'est ce que pense tous les tyrans.
— J'irai à Arkal, Sire, si cela peut permettre à la guerre de mourir. Farétal et moi avons une affaire à régler. Elle a débuté il y a six ans, il est temps d'y mettre un terme.
Pour d'autres, elle avait débuté un siècle plus tôt.
Lyssandre acquiesça. C'était entendu, pendant qu'il irait déloger Tybalt de son refuge, Cassien dresserait les premiers fondements d'une paix historique.
Le roi ignorait tout de son désir de proximité, lui qui n'en avait jamais ressenti le besoin. Serait-ce la perte de sa sœur qui rendait la nécessité d'un réconfort indéniable ou était-ce quelque chose de plus profond, qui couvait depuis des années ?
Enhardi par le courage, par une once de désespoir qui répondait à celui de Cassien, Lyssandre effleura la joue de celui-ci. Il n'eut pas le temps d'en toucher la surface, de poser ses doigts sur la soie de son épiderme, que le chevalier réagit. Il était suffisamment vif pour éloigner le roi de son espace privé, de cette distance qu'il protégeait avec un soin particulier. Il aurait pu attraper ce bras tentateur, le retourner contre Lyssandre pour le bloquer d'une prise précise et douloureuse dans son dos. Une clé de bras efficace qui, avec une pression suffisante, aurait brisé le bras fin du souverain.
Cassien n'en fit rien. Il retint la main de Lyssandre en se saisissant de la base du poignet. Il en effleura la peau fine, veloutée, délicate, de ses doigts et en contempla la finesse. Lyssandre avait retenu son souffle jusqu'à ce que son cœur ne s'emballe pour de bon. La prise de Cassien était remontée jusqu'à sa main qu'il releva lui-même jusqu'à son visage. Puis, décomposant chaque geste comme pour laisser au roi le loisir de se défiler, comme s'il les savourait un à un, il porta la paume à ses lèvres pour y déposer un baiser. Ce faisant, il croisa le regard de Lyssandre qui s'était empourpré.
— V-Vous... tenta-t-il d'articuler, sans succès.
L'autre main de Cassien se fit plus audacieuse, elle aussi, et effleura la gorge de Lyssandre, là où il avait été blessé.
— Je vais bien, se sentit-il forcé de préciser. Je vais bien.
La main de Cassien chemina jusqu'à la frontière de sa mâchoire, en dessina l'angle, puis remonta sur le menton pour se loger juste en-dessous de la lèvre inférieure. Les sourcils froncés par la concentration, il paraissait tester ses propres limites. Il toucha sa bouche, délicatement, sans en déformer l'arc charmant et bien dessiné. Le souffle que Lyssandre exhalait, la supplique qu'il y lisait, appelait au baiser.
Cassien était sur le poids de céder.
— C'est vous qui êtes cruel.
— Ordonnez, je vous obéirai.
— Ici, il n'y a ni roi ni chevalier.
— Ordonnez tout de même.
Perplexe, Lyssandre réalisa que Cassien avait trahi la distance qui les séparait. Il le dominait de toute sa taille, mais s'il excluait le jeu étrange auquel ils s'adonnaient, sans en comprendre les règles, Cassien paraissait en proie au doute. Tiraillé par un désir violent qu'il avait traité comme une honte, étranglé par l'envie trop humaine qui le gouvernait, il luttait et luttait encore.
— Faites ce que vous dicte votre désir.
— Non.
— Pour l'amour des dieux, jura Lyssandre, entre ses dents.
Le doigt de Cassien redessinait sa lèvre inférieure avec un remarquable sens du détail. Il baissa son pouce qui se présenta à l'endroit où la bouche s'entrouvrait. Lyssandre se risqua à un geste qu'il n'avait jamais imaginé et imita le dessin de la pulpe du doigt du bout de sa langue. La mâchoire de Cassien se crispa et, avant qu'il ne s'éloigne, le roi souffla :
— Embrassez-moi.
Un ordre, donc.
Le chevalier y fit honneur. Il se pencha pour ravir les lèvres de Lyssandre. Un baiser d'abord tendre, qui guettait l'approbation, qui cherchait un prétexte pour fuir à nouveau. Un baiser qui fut bientôt brûlant, gagné par une ivresse nourrie par l'un comme par l'autre. Cassien reproduisit le geste de Lyssandre et parcourut de sa langue la bouche du roi. Il en goûta la soie, le velours et le goût inimitable.
Lorsqu'il s'écarta, une main arrimée aux mèches blondes du jeune souverain, ce dernier ne lui laissa pas l'occasion de s'exprimer :
— Je vous défends de vous excuser.
— Je n'en avais pas l'intention.
Lyssandre s'humecta les lèvres et y retrouva l'odeur laissée par Cassien. Il vacilla avant d'ajouter :
— Vous n'allez pas fuir, n'est-ce pas ? La dernière fois, vous m'avez laissé seul. Je ne comprenais pas.
— Je vous ai blessé, constata le chevalier.
Lyssandre opina, le visage en partie masqué par les gouttes d'or qui s'écoulaient le long de son front et de sa gorge.
— Je ne pouvais pas.
— Pourquoi ?
— Ai-je vraiment besoin de vous l'expliquer ? Vous êtes un homme intelligent, Sire, vous pouvez deviner au moins une raison.
— Je n'en vois aucune qui justifie que vous me repoussiez. Vous... Vous en avez envie, n'est-ce pas ? C'est affreux, ce sentiment de vous contraindre, d'abuser de mes prérogatives, ce n'est pas ce que je désire. Je le jure !
— Si j'en ai envie, répéta Cassien, un rire amer dans la voix.
Il captura la nuque de Lyssandre et l'enlaça étroitement, sans violence, mais avec fermeté. Le roi le sentit humer son odeur, le visage enfoui dans sa chevelure d'un blond parfait. Il sentit également quelque chose, pressée contre son bas-ventre. Il devinait la virilité de Cassien, roide, contre lui et un hoquet lui échappa. Le chevalier le retenait toujours et, captif des paroles qu'il prononça, il ne songea pas à se libérer :
— Vous sentez ? Vous sentez à quel point j'en ai envie, à quel point cette... faiblesse obsède mes pensées. Vous sentez à quel point je vous désire, Lyssandre ?
L'interpellé, surpris de découvrir son prénom au milieu de ces aveux prononcés d'une voix grave, marquée par le désir, déglutit.
— Vous ne me contraignez pas et si je vous ai repoussé, c'était parce que je me sais plus faible que ce que je saurais l'admettre. Encore davantage lorsqu'il s'agit de vous.
Ces mots heurtèrent durement Lyssandre. Il n'aurait jamais pensé que de tels propos puissent être aussi douloureux. Cassien se répugnait, il se dégoûtait de nourrir à son égard un tel penchant. Le roi se sentit égoïste d'avoir exigé un baiser, mais aussi en colère de le voir se torturer ainsi sans même consulter son avis. Le désir de Lyssandre ne s'encombrait pas de la sorte, spontané et dévastateur, il en réalisait à peine la portée.
Cassien s'était condamné dès lors qu'il avait croisé le regard de son ami d'autrefois. Lyssandre aussi, d'une certaine manière. Ils se damneraient ensemble.
Le chevalier allait s'écarter encore, après avoir déposé un baiser pudique à la naissance de la gorge du roi. Celui-ci l'en empêcha. Il referma un bras autour de la taille de Cassien et l'autre autour de sa nuque.
— Vous ne devriez pas en avoir honte, s'entendit-il prononcer.
Soulagé de savoir son visage illisible, pressé contre le torse du soldat, il y cacha ses joues cramoisies. Il ponctua alors ses dires d'un mouvement du bassin. Il ondula une seule fois, de crainte de paraître trop obscène et de convaincre l'autre que la fuite restait la meilleure possibilité. Entre ses bras, le corps de Cassien s'était tendu. Il recherchait ses résolutions, il guettait une issue valable, terrifié de n'en trouver aucune.
— Je ne peux pas vous souiller de la sorte... Pas vous. S'il reste une once de pureté en ce monde, elle est à votre image. Vous salir de mes pensées impures, c'est injuste.
— Vous êtes cruel.
— Non, je ne peux pas supporter l'idée de...
— Je ne suis plus l'adolescent que vous avez abandonné au palais voilà six ans.
— Vous êtes aussi pur qu'il y a six ans.
Lyssandre s'empourpra. Il ne put rien rétorquer à cela, pas même nier pour la forme. Un rire sans joie lui échappa.
— Je ne vous ai jamais oublié, vous savez. J'ai grandi avec votre souvenir, avec le modèle de bravoure et de force que vous représentiez. Je savais que je ne serai jamais votre égal et j'espérais que, quelque part dans les confins de Loajess, vous viviez toujours. J'ignore à quel instant vous avez cessé d'être l'ami que j'ai chéri. Peut-être même avant votre retour. Peut-être est-ce moi, l'âme impure de nous deux ?
Lyssandre se hissa sur la pointe de ses pieds et embrassa la gorge de Cassien. Une veine palpitait sur la peau brunie, gorgée de soleil. Il y goûta la saveur de l'effort, l'effluve du sacrifice. Il osa desserrer son étreinte pour plonger ses doigts dans les cheveux bruns du chevalier. Il sentait l'homme, une sorte de virilité simple, mais séductrice sans même le vouloir, et l'interdit. Une flagrance digne d'exalter les ardeurs du roi qui imprima, contre les cuisses de Cassien, un nouveau mouvement de bassin.
— Vous ne devriez pas.
— Vous m'avez manqué, Cassien.
L'air vint à manquer à l'interpellé. Un trouble traversa l'immensité de son regard, comme l'onde à la surface de l'eau. Sa couleur, gris pour évoquer le reflet de la lame ou gris d'une soirée d'orage, s'agitait. Les lueurs changeantes de la pièce, chauffée à blanc par le feu qui brûlait dans l'âtre, coulaient des ombres folles sur ses traits durs. Une émotion l'avait saisi et l'envie déversa son flot d'actions interdites en lui.
Il embrassa Lyssandre et ses doigts lui rejetèrent le visage en arrière. La gorge exposée, le souffle coupé par un revirement inattendu, le roi accueillit cette nuée de baisers. Il ferma les yeux et, sans le dévêtir, sans donner trop d'importance à ce geste, Cassien céda au caprice de ses désirs. Sa main chemina jusqu'au bas-ventre de Lyssandre et il devina les contours de sa hampe sous le tissu. Il se raisonna. S'il permettait au souverain de se dévêtir, c'en était fait de lui. Il opta alors pour un compromis.
Ses doigts imprimèrent une caresse entêtante, appuyée, affriolante, sur le sexe du roi. La bouche de celui-ci s'ouvrit et une tension figea ses jambes. Surpris par la houle du plaisir, bien trop vive, bien trop brutale, il faillit implorer Cassien de lui permettre de reprendre son souffle. Les yeux mi-clos, le visage toujours rejeté en arrière, il porta une main à ses lèvres pour étouffer un halètement. Les attentions du chevalier se précisèrent. De la paume, il pressait le sexe érigé de Lyssandre à travers le rempart de tissu. Il se rassurait, se persuadait que ce geste n'aurait aucune conséquence, et s'abandonnait aux événements.
— Ô mon roi, souffla-t-il, voix rauque à l'oreille sensible de son amant. Ô si cruel...
Ces paroles annoncèrent la chute prématurée de Lyssandre. Les émotions le heurtèrent, le plaisir l'emporta et il sombra au cœur de cette cacophonie. Ses jambes fléchirent et Cassien l'enlaça brièvement pour l'empêcher de s'effondrer. Un gémissement lui échappa. Le chevalier devinait les soubresauts qui agitaient le cœur du jeune homme.
La culpabilité l'épargna encore quelques secondes. Il se sentit honteux d'avoir volé à Lyssandre cette part d'innocence, de l'avoir poussé à se soulager encore entièrement vêtu. Le roi méritait mieux qu'une étreinte partagée à la dérobée et une jouissance amère. Loin de lui en tenir rigueur et sans laisser entendre l'inconfort de son vêtement humide, Lyssandre l'enlaçait à l'étouffer.
Cassien ne lui donna pas la possibilité de lui rendre la pareille. Il s'arracha finalement à l'étreinte pour dévisager son amant. Durant un long moment, ils ne dirent rien. Ils n'émirent pas un commentaire et se contentèrent de se considérer en silence. Qu'avaient-ils commis ? Ils avaient défait les fils de leur amitié d'antan en l'espace de quelques minutes. Cassien avait-il seulement déjà considéré le prince comme un ami ? Lyssandre oscillait, pas certain de comprendre, pas certain non plus de contrôler l'inclinaison profonde dont il n'avait eu, jusqu'alors, qu'un maigre aperçu. Ils venaient de franchir une limite, aussi bien l'un que l'autre, et elle les condamnerait.
Cassien brisa ce silence solennel :
— Vous aussi m'avez manqué, Lyssandre.
Puis, il effleura la tempe du roi de ses lèvres et s'éloigna. Il abandonna son souverain à sa chambre vide en refermant la porte dans son sillage.
Leur secret y resterait emmuré.
Un loooooooong chapitre pour une douloureuse séparation. Eh oui, il était hors de question de les séparer avant des "au revoir" dignes de ce nom !
J'espère par ailleurs que ce moment de tendresse vous aura plu et aura satisfait une part de vous qui ne s'exprime que trop peu :3 J'ai adoré écrire ce chapitre, pour ma part, autant pour son contenu, que pour le pas franchi entre nos deux amants, le dialogue au-delà de l'acte.
Sur ce, je vous souhaite une belle fin de semaine et un repos bien mérité à chacun de vous <3
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